22 novembre 2024
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Les jeux de notre tendre enfance à At Yenni (II)

Fillettes kabyles

Tous les jeux présentés en première partie étaient pratiqués par les garçons…mais les filles n’étaient pas en reste en Kabylie.

Certains étaient joués aussi bien par les uns que par les autres et d’autres uniquement par les filles : Lbiradi (la marelle), qui se jouait soit avec un galet plat soit avec un objet métallique pointu ‘’Lmevred’’ (généralement une lime débarrassée de sa poignée); Tislit (une poupée de chiffons faite avec une croix en roseaux habillée de chutes de chiffons le tout fixé avec des fils de fer ou de la ficelle) ; Alqafen (les osselets) joués avec cinq petits cailloux de la grosseur d’un dé à coudre, aussi réguliers que possible ; Tamatrarit (Tu l’as); Amrar (la corde à sauter) ; Avouhmil (jeu avec des quartiers de figues) ; Tuqna-tufra (cache-cache) ; Iɣounam ( les roseaux, ancêtre du Mikado) ; …

La balle au mur, que nos sœurs agrémentaient là aussi d’une chansonnette, s’éveille parfois dans ma mémoire quand je prends le soleil, aujourd’hui encore, devant notre maison : « A la balle – Jolie balle – Joli ballon – Quelle heure est-il ? – Midi, qui vous l’a dit ? – La petite souris – Où est-elle ? – Dans son hôtel ? – Que fait-elle ? – De la dentelle ? – Pour qui ? – Pour madame l’hirondelle… ». J’entends encore résonner les voix claires et riantes d’une poignée de gamines insouciantes et heureuses chanter en chœur cette comptine, au rythme des claquements d’une balle de tennis (que diable était-elle venue faire dans notre village ?), lancée contre le mur de la bâtisse.

Pour parfaire le décor, de mémoire, cette balle avait un nom : ‘’La balle n’ Vouza’’. Ce nom m’avait de tout temps intrigué car il ne correspondait à rien, même par recoupement. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé qu’il s’agissait en fait d’une balle qui appartenait à une enfant du village, camarade de classe de ma sœur aînée et prénommée Ouiza.

Kabylie dévastée : leçons citoyennes, société nouvelle

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Il y avait aussi Tahlukt (la dinette), faite de vaisselle sérieusement ébréchée, de casseroles, de boites de lait métalliques vides et d’ustensiles hors d’usage, récupérés çà et là.  Mais, la rudesse des temps faisait que ce jeu de dinette se transformait rapidement en stage d’apprentissage accéléré pour aider la maman aux tâches ménagères. Ainsi, par exemple, quand la maman préparait une galette, il n’était pas rare qu’elle laissât sa fille s’amuser avec un petit bout de pâte qui finissait généralement sur le plat en terre cuite qui servait à la cuisson (touskirt).

Bien entendu, ce ‘’petit bout’’ n’était pas perdu pour tout le monde puisque qu’il fallait y goûter pour vanter les mérites du cordon bleu en devenir. Le succès de ces premiers essais se muait au fil du temps, par le truchement des vertus pédagogiques du jeu, en une contrainte incontournable. Il est vrai que les tâches étaient fort nombreuses et la maman bien seule pour y faire face…alors, une petite main de plus, par-ci par-là, n’était pas de refus et le plus tôt était le mieux.

Les gamines qui avaient eu la chance de fréquenter l’école des sœurs blanches des At Larva avaient pu, en plus d’une scolarité exemplaire, participer parallèlement à d’exceptionnelles activités de loisirs et initiations diverses sur les temps libres. ‘’La Ruche’’, avec ses abeilles, avettes et pré-avettes, en était l’emblème et ça butinait et bourdonnait dans tous les sens.

Là aussi, les activités manuelles n’étaient jamais bien loin (couture, crochet, broderie, tricot, cuisine, pâtisserie, repassage, chant, puériculture, …). Conscientes de la probable fin précipitée du parcours scolaire de ces élèves, pourtant brillantes pour la plupart, les Sœurs les préparaient, à toutes fins utiles, à une vie de maîtresse de maison et de maman accomplie.

C’est ainsi que cette période de jeux, de loisirs et surtout de construction de la personne se trouvait rapidement écourtée pour les filles qui, de facto, rentraient de plain-pied, dès l’adolescence, dans l’organisation sociale de la maisonnée avant de convoler en justes noces à un âge ou la logique (la raison ?) les aurait menées au collège puis au lycée. C’est avec une réelle sincérité que je leur adresse aujourd’hui mes plus vifs remerciements et ma totale considération.

Mouloud Cherfi

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