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Abderahim Moussaouer : « Le Hirak est le seul capable de créer un rapport de force »

ENTRETIEN

Abderahim Moussaouer : « Le Hirak est le seul capable de créer un rapport de force »

Jeune Algérien militant du Front des Forces Socialistes (FFS) et membre du Collectif Algérien pour la Deuxième République, installé en France depuis 2012, chercheur en Sciences du langage et travaille dans le domaine de l’enseignement et de la formation Abderahim Moussaouer revient, dans cet entretien réalisé avant les grandes marches du 22 février dernier en Algérie, sur la révolution du sourire, et ce qui a émaillé ces deux dernières années.

Le Matin d’Algérie : De nombreux détenus d’opinion ont rapporté avoir été victimes de mauvais traitements assez violents, que ce soit dans les commissariats, les centres d’interrogatoire ou les prisons. Le dernier est Walid Nekiche qui dit, entre autres, avoir été violé. Qu’en pensez-vous?

Abderahim Moussaouer : La répression des voix discordantes, qui appellent aux libertés et à la démocratie et le traitement inhumain des militants politiques et des activistes arrêtés et/ou détenus ont toujours été la marque de fabrique des dictatures et des États policiers. Le régime algérien n’en est pas une exception.

Des centaines de militants, pas seulement post-22 février 2019, mais à travers des décennies, ont subi toutes formes de pression et de brutalités policières dans les rues, les commissariats et les centres opérationnels relevant des services secrets algériens. Ces derniers, contrairement à Walid Nekiche qui vient de briser le silence et de jeter ainsi un pavé dans la mare des hautes instances sécuritaires, ont préféré en parler globalement sans trop détailler les moult sévices des agents de l’État pour plusieurs considérations et facteurs. Le cas Walid Nekiche est pour nous, militants et citoyens algériens, inhumain, inadmissible et inacceptable que je dénonce avec énergie. Il suffit de voir la vague de soutien et de dénonciations qui a suivi les révélations qu’il a faites lors de son procès.

Rappelons aussi le courage qu’il a eu de casser les codes et de bousculer les consciences, même les plus éveillées. Il est vraiment temps que cessent ces pratiques d’un autre âge.

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Casser le mur de la peur est l’un des acquis de la révolution du 22 février 2019. Toutefois, sur ce plan, il semble y avoir un certain recul notamment à cause de la crise sanitaire. Les mesures prises par le gouvernement algérien pour lutter contre la pandémie cacheraient-elles d’autres mesures, politiques celles-là, pour étouffer toute révolte ?

La révolution pacifique du peuple algérien, que l’on appelle communément Hirak, n’est pas essoufflée. Il continue malgré la suspension des marches des mardis et des vendredis. Il suffit de suivre les dizaines de forums et d’agoras de débats lancés sur les réseaux sociaux (Facebook, Youtube, Zoom, etc), et en déduire que, finalement, le Hirak comme idée, objectifs pour le changement et opportunité pour des débats sociaux et populaires, après avoir brisé le mur de la peur, comme vous le dites, est toujours là.

Si les actions de terrain, dont les marches hebdomadaires et les rassemblements ont été suspendues, c’est parce qu’il y a eu consensus populaire et une prise de conscience, surtout après des appels responsables des acteurs politiques et de la société civile à la sagesse.

Maintenant, ce qui est certain, c’est que le pouvoir a utilisé cette pandémie pour étouffer le mouvement populaire. Et il ne s’en est pas caché. La preuve en est la série d’arrestations opérées à la première semaine du confinement. Une lâcheté sans nom: celle de régler ses comptes avec ses adversaires politiques dans un contexte sanitaire des plus difficiles.

On assiste à l’inexistence d’un vrai débat ainsi qu’à une désespérante carence en matière de propositions politiques. Deux années après le début de la révolution, à quoi incombe-t-on cela ?

Je ne dirais peut-être pas «inexistence», parce que nul ne peut ignorer tous les échanges et les débats qui se sont déclenchés depuis le début du Hirak. Pendant et après la suspension momentanée des marches hebdomadaires. Rappelons-nous des débats de rues, des conférences au niveau des universités, etc. Sinon, concernant les propositions politiques pour la sortie de crise, tout le monde sait que le pouvoir est aux aguets. Il tire sur tout ce qu’il y a de politique. Il se spécialise dans l’assassinat du politique et ce depuis longtemps.

Pire, il fait dans la récupération ou, à défaut, dans le harcèlement à l’égard de toutes les consciences. En revanche nous devons aussi reconnaître la faiblesse de la classe politique, particulièrement celle structurée (les partis), due à l’absence de formation politique et aux calculs étroits des gardiens des appareils de nos organisations.

Malgré cela, plusieurs initiatives ont vu le jour. Celles qui sont pertinentes et qui posent les véritables questions sur la construction d’un État de droit et des libertés ont été combattues avec force par le pouvoir et ses relais. D’autres ont été parachutées par des clans au pouvoir-avec l’aide de ses satellites, pour étouffer toute initiative responsable visant à capitaliser la révolution et la traduire sur le terrain de la réalité, avec toutes les doléances des algériennes et des algériens.

Depuis quelques semaines, des manifestations spontanées ont lieu dans certaines wilayas du pays. Se pourrait-il que ce soit le retour de ce qu’on appelle communément le Hirak ?

En réalité, les manifestations, rassemblement et autres actions politiques et revendicatives n’ont jamais cessé depuis l’arrêt momentané des grandes marches. Je l’ai bien expliqué plus haut. Ce qui veut dire que le Hirak n’est ni essoufflé, ni encore moins mort. Les actions que vous citez rentrent dans ce que j’appelle la permanence du Hirak pour maintenir la flamme de la révolution. Notre révolution. Après, c’est vrai que depuis plusieurs semaines, les contestations prennent progressivement de l’ampleur, touchent à plusieurs villes du pays et rassemblent des mots d’ordres politiques et sociaux ce qui, à mon avis, constituera une reprise globale des marches du Hirak.

Et Abdelmadjid Tebboune dans tout cela ?

Pour moi, Abdelmadjid Tebboune ressemble à ses prédécesseurs: une simple façade civile d’un État militaire qui se maintient par la force depuis l’indépendance du pays. Un pur produit du régime sur lequel les vrais décideurs détiennent plein d’atouts et de dossiers. C’est la nature-même des régimes dictatoriaux: on désigne celui que l’on manipule comme une marionnette afin de servir les intérêts des tenants du pouvoir. Et dans le cas où il montre une volonté de servir son peuple, on lui signifie qu’il n’est qu’un «désigné» et, au pire, on lui organise un coup d’État «démocratique» sous-prétexte d’accusations fallacieuses, voire d’«alternance» au pouvoir. Je ne dis pas que Tebboune est de bonne foi. Il reste complice de la situation et un des responsables du désastre algérien.

«Nous avons exprimé au président de la République, Abdelmadjid Tebboune, notre conviction que seul un dialogue politique sérieux, responsable et transparent visant à construire un consensus national est à même de renforcer le front interne en vue d’avorter toute tentative externe ou interne susceptible de porter atteinte à la souveraineté du pays et à l’unité du peuple algérien…». C’est là la déclaration de Youcef Aouchiche, premier secrétaire national du FFS reçu, il y a quelques jours, par Abdelmadjid Tebboune. A quoi rime cela, sachant qu’il’ya encore quelques petits mois, ce même Aouchiche criait à l’illégitimité de l’actuel résident d’El Mouradia?

D’abord, il ne faut pas oublier que le FFS est un parti politique qui fait de la politique et qui a toujours prôné le dialogue, même dans les moments les plus difficiles et, parfois, inattendus, car il a vécu les atrocités de la guerre. Ce parti fait du dialogue son cheval de bataille sans lequel il ne sera pas facile de sortir le pays de la crise ; et les militants du FFS aussi en sont convaincus. Cependant, la fragilité des structures politiques et les aspects de la dépolitisation (menée par le régime) constatés sur la scène politique depuis des lustres n’ont épargné aucun parti, notre parti compris. S’ajoute à cela l’absence flagrante de la formation politique. Je pense que ce sont, au moins, deux raisons pour lesquelles la sortie du statu quo et des anciennes stratégies est difficile ; ce qui explique la reprise des mêmes schémas stratégiques que la base militante et la société ont déjà dépassés.

Serait-ce une énième tentative de hold-up politique, ou est-ce une vulgaire entourloupe misant sur l’essoufflement du peuple ?

Je dirais plutôt une faute stratégique, et non pas une erreur, parce que l’on devrait savoir que les appels au dialogue avec un pouvoir qui, depuis l’indépendance, a rejeté toutes formes de dialogue constructif qui va dans la sens de l’édification d’un État de droit et des libertés risquent d’être vains. C’est d’ailleurs dans ce sens que je dirais: oui Ait Ahmed avait rencontré des présidents, oui Ait Ahmed avait rencontré des généraux, mais c’était au vu et au su de tout le monde, et c’était surtout pour leur exposer son projet visant à la restitution du pouvoir au peuple à travers une transition démocratique et une assemblée constituante souveraine, ce qui, intelligemment, remet en cause la légitimité du pouvoir qui a longtemps imposé son hégémonie sur les institutions de l’État. Ces présidents et ces généraux l’ont-ils écouté ? Ont-ils pris ses recommandations en considération ? Non. Il faudrait donc reconnaître que d’un côté il y a un peuple, avec ses aspirations de changement et de réelle démocratie, et de l’autre un pouvoir qui n’a jamais affiché une volonté de respecter la souveraineté du peuple.

À quelques jours de la reprise des marches du Hirak (selon les appels annoncés sur les réseaux sociaux), légitimer un président désigné à l’issue d’un processus électoral que l’on a soi-même rejeté explique l’écart qui se creuse entre la volonté populaire et les directions des structures partisanes prisonnières de la loi électorale et d’agendas que nous risquons d’ignorer.

Le camp des démocrates serait-il diminué après cette «rencontre», même si ces mêmes démocrates n’ont jamais formé un vrai bloc ?

Une partie de la réponse est déjà votre question, car il est difficile de parler de bloc dans un contexte politique aussi fragmenté. La démocratie est d’abord un mode de gestion de la société, un mode de gouvernance dans lequel la souveraineté appartient au peuple, avant d’être une question de blocs. Il s’agit en effet d’accepter des règles communes (comme préalables qui s’imposent à chacun) telles que le respect de la souveraineté populaire, le principe d’alternance au pouvoir, le respect des minorités, etc.

A l’heure actuelle le problème ne se pose pas, puisque le Hirak (seul bloc, jusque-là, capable de créer un rapport de force populaire) est un mouvement transversal qu’aucune formation politique n’a réussi à canaliser et encore moins à orienter dans une direction donnée.

Auteur
Entretien réalisé par Meriam Sadat

 




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