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Albert Camus, écrivain français d’Algérie (III)

LITTERATURE

Albert Camus, écrivain français d’Algérie (III)

Dans la suite de cette étude nous chercherons à rendre compte des aspects algériens des oeuvres d’Albert Camus rédigées pendant la guerre d’Algérie: « La Chute » (1956) et « L’Exil et le Royaume (mars 1957) dont « La Femme adultère » et « L’Hôte ». 

II. La philosophie politique de Camus face à l’Algérie

Camus et l’indépendance algérienne

Comme c’est le cas pour l’oeuvre de fiction, les témoignages de l’activité politique de Camus se trouvent en Algérie même et en France, conditionnés par son itinéraire de l’homme et de l’écrivain à chevai entre deux patries et deux pôles de sa personnalité. Les prises de position politiques de Camus ont été consignées en premier lieu à Alger, dans ses essais et le théâtre politique au milieu des années trente, pendant son activité au sein du parti communiste (1935-1937) dans Le Théâtre du Travail et à la Maison de la Culture, ensuite, dans ses articles d’«Alger républicain» (1937-1939).

Après son installation à Paris en 1940, Camus, redevenu journaliste, s’engage dans le discours/débat politique en tant qu’éditorialiste de «Combat» (1944-1948), de «L’Express» (1955-1957) et pendant la guerre d’Algérie. Les projets de l’union franco-algérienne, en définitive au niveau de l’État, constituent l’essentiel de l’activité politique de Camus, le fond de son idéologie, développé dans ses écrits de journaliste.

En ligne générale, l’Arabe, le grand absent de la littérature de fiction, se trouve au centre de ses préoccupations politiques. Camus milite à sa manière, par la plume pour rendre la population musulmane égale à la communauté européenne et pour la faire entrer de plein droit dans la fédération. Cependant la politique de la France, et aussi la sienne, se trouvent en retard sur la réalité et le cours précipité de l’Histoire, qui vise la décolonisation. Le nationalisme montant s’organisera après la Seconde Guerre mondiale autour de l’idée-force incontournable : l’indépendance. Camus, pris entre les siens (Européens d’Algérie) et les autres (Arabes), se laissera dépasser par les événements et n’arrivera pas à trancher; pratiquement, toute son oeuvre et ses prises de position le situent en porte-à-faux, entre deux causes contradictoires, entre oui et non.

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Dans cette situation invivable, Camus entreprend un travail acharné, un travail de Sisyphe, pour sortir du cercle vicieux. Dans cette perspective, on peut voir l’oeuvre de Camus comme une tentative á «imaginer Sisyphe heureux». La philosophie politique de Camus face à l’Algérie se développe en quatre étapes: 1) engagement au sein du Parti communiste à Alger (1935-1937), 2) articles d’«Alger-Républicain» (1937-1939), 3) articles dans la presse parisienne en 1945 («Combat»), 4) après 1954 («L’Express»).

Engagement communiste

Depuis la jeunesse, au milieu des années trente, durant son activité au sein du Parti communiste (de 1935 à 1937), Camus se montre sensible au problème des «indigènes». En tant que membre (secret) du Parti, il penche du côté des messalistes, privilégiant la stratégie anticolonialiste contre la ligne officielle de l’Internationale communiste commandée par Staline, préconisant/imposant la lutte antifasciste au détriment de la libération des pays coloniaux (directive de Lénine). Camus, accuse de déviationnisme et de trotskisme (péché mortel), refuse de se renier.

Un procès est entamé. Camus en subit toute la procédure, refuse de démissionner et accepte d’être exclu. Dans son aventure communiste/premier engagement politique, on peut déceler les germes de sa pensée politique relative à l’Algérie que Camus envisageait fondée sur l’union franco-arabe, l’égalité des deux communautés, sur la justice.

L’essentiel de son idéologie n’ayant pas évoluée au fil des ans, Camus, devenu anticommuniste mais se situant à gauche non-communiste, en pleine guerre d’Algérie restait sur ses positions des années trente: adversaire de la violence, il préconisait pour le futur État algérien les reformes des années trente, entièrement dépassées dans le contexte de la révolution qui balayait tout sur son passage. Refusant d’épouser la cause de l’indépendance algérienne, il n’évoluait pas avec son temps et s’est laissé déborder par le tourbillon de l’Histoire. Aussi, dans l’Algérie indépendante, Albert Camus, est-il considéré comme un écrivain français, un étranger. Le jeune Camus, au contraire, était en avance sur son époque.

Anticolonialiste intransigeant, membre du parti communiste de 1935 à 1937, Camus était devenu «plus arabe que les Arabes». La cause des «indigènes», qui passait pour Camus avant celle de l’antifascisme stalinien, l’opposa entre autres à Amar Ouzggane, Arabe de souche, chef du parti communiste algérien qui pliait aux exigences de Moscou, et lui a valu son fameux procès au sein du Parti termine par l’exclusion.

Les démêlées de Camus avec le Parti dont il fut membre secret à la section d’Alger (cellule des intellectuels, Plateau-Saulière), sont rapportées minutieusement et largement documentées par ses deux biographes dont les ouvrages remarquables font référence: Herbert R. Lottman53 et Olivier Todd54. À l’issue de leurs recherches, on peut constater que l’engagement communiste de Camus n’était pas une parenthèse ou une erreur de jeunesse de l’écrivain, bien au contraire.

L’activité du jeune Camus (il adhéra au parti à l’âge de 23 ans), plus d’ordre artistique qu’idéologique, a néanmoins abouti à une prise de conscience relative aux particularités de l’Algérie coloniale et aux modalités des transformations qui s’imposaient. Tout au long de son engagement, Camus fait preuve d’une incontestable lucidité, qui lui a permis de comprendre le caractère totalitaire du communisme stalinien. Cette expérience de jeunesse met en cause le communisme en tant que tel, Camus le perçoit comme dictature d’un seul (Staline) sur les masses/le prolétariat et non inverse. Albert Camus, quant à lui, se révèle un anticolonialiste à sa manière.

Ses rapports avec les nationalistes/messalistes font éclore les germes d’une pensée politique particulière préconisant l’union franco-arabe sur un pied d’égalité, plateforme pour fonder un État algérien dans le cadre de la fédération avec la France. Ce principe d’émancipation pour l’Algérie, repris au plus fort de la guerre de libération (1954-1962), ne pouvait que se solder par un échec. Néanmoins la politique camusienne de l’émancipation et de la décolonisation de l’Algérie, conçue dans les années trente ne permet pas de le reléguer parmi les colonialistes purs et durs. La période où Camus appartint au parti communiste dura de l’automne 1935 à novembre 1937.

A l’époque où Camus adhéra au Parti, les communistes, en encourageant le nationalisme algérien, contribuaient au développement des organisations progressistes parmi les musulmans non seulement en Afrique du Nord mais encore en France métropolitaine. Camus est devenu communiste pour rester proche des gens auxquels il s’identifiait, la classe ouvrière d’Alger, dont les communistes avaient annexé la cause.

Le parti communiste concentrait son attention sur les musulmans, la vaste majorité de la population de l’Algérie; ils étaient le vrai prolétariat. La moitié de l’activité de Camus au sein du Parti était la tâche du recrutement dans le milieu musulman. Bien que membre secret, et sans importance dans les structures du Parti, Camus était sans doute le communiste le plus actif et le plus connu dans la vie politique et culturelle d’Alger. Son travail proprement destine au Parti, les réunions de sa cellule et les taches effectuées sur l’ordre de ses supérieurs immédiats, n’eut jamais la même portée que son activité publique.

Les activités publiques de Camus se déroulaient dans les organisations communistes à peine déguisées: Le Théâtre du Travail, création du Front populaire, parfaitement acceptable par la hiérarchie du Parti, le Collège du Travail, sorte d’«université populaire», destinée aux adultes et patronné par les syndicats de gauche; la Maison de la Culture. Les représentations du Théâtre du Travail, par Camus et ses amis réalisent une forme d’action politique ayant pour but «d’approfondir la communion» avec les masses (musulmanes).

Leur première pièce serait une adaptation par Camus du Temps du mépris d’André Malraux. Une seconde production politiquement engagée était la rédaction collective d’une pièce politique: Révolte dans les Asturies55. Le sujet porte sur la révolte des mineurs en Espagne, en 1934, leur proclamation d’une République des ouvriers et des paysans et leur reddition devant la contre-attaque du gouvernement espagnol avec les troupes de la Légion étrangère, sui vie d’une impitoyable répression.

La pièce sera interdite mais presque aussitôt publiée en semi-clandestinité par Edmond Chariot, dont la maison d’édition avec sa collection Méditerranéennes, ouverte aux écrivains de l’Ecole d’Alger, devait émigrer vers Paris, pour y être dirigée par Jean Amrouche. Camus fait fonction de secrétaire générai de La Maison de la Culture qui coiffe Le Théâtre du Travail. La mission consiste à porter la culture aux masses, faire d’Alger la capitale intellectuelle du monde méditerranéen. 

Dans le cadre de la conférence inaugurale faite à la Maison de la Culture, Camus s’interroge sur les possibilités d’une culture méditerranéenne56. Il rejette la mystique de la latinité; pour lui la Méditerranée n’est pas le champ clos de la Rome impériale, c’est à travers l’Espagne que s’affirme le lien entre l’Europe méditerranéenne et l’Afrique du Nord. En tant que guide culturel, il ne se sent ni entièrement français, ni uniquement algérien. La Maison se consacrer à au développement de l’esprit méditerranéen, organisera des manifestations sur les étapes de la civilisation méditerranéenne, etc. Les membres de La Maison de la Culture défendent le projet Blum-Violette, qui accordait des droits politiques à deux cent mille électeurs musulmans. Maurice Violette, gouverneur de l’Algérie, voulait accorder la citoyenneté française à l’élite musulmane.

En 1931 il a publié sa fameuse interrogation: L ’Algérie vivra-t-elle? Il voyait la seule chance de survie pour l’Algérie franęaise dans la promotion et l’intégration de l’élite musulmane à la nation française. Sous la pression des hommes politiques le projet s’évapore, mais Camus le défend même en pleine guerre d’Algérie, quand la politique d’intégration s’avère entièrement dépassée.

La politique d’assimilation et d’intégration se soldera par un un échec pendant la guerre de libération. Cependant, à ses débuts, elle a été illustrée par des cas particuliers dont le plus brillant fut celui de Jean Amrouche. Camus, sans jamais évoquer l’indépendance mais insistant sur les droits civiques et sociaux, ne cède pas sur le soutien dü aux «indigènes», ce qui, souligne-t-il, fut la juste ligne du Parti. Sa ligne est anticolonialiste.

Dans le Manifeste des intellectuels d ’Algérie en faveur du projet Violette51, il prône la culture inséparable de la dignité. Sur le pian legai, il s’agit de hisser les «indigènes» au niveau des Européens d’Algérie. Après la rupture avec le Parti, Camus n’est pas traumatisé, car il n’a pas le sentiment de trahir une classe. Il reste fidèle aux ouvriers de Belcourt, européens ou «indigènes», mais le théâtre à message politique n’est pas son affaire. Il s’est libéré par la littérature d’un autre genre: quelques mois avant son exclusion-démission Camus a publié son premier livre, « L’Envers et l’Endroit », matrice de toute son oeuvre.

« Alger républicain »

En 1937 Camus devient journaliste à «Alger-Républicain» que dirige Pascal Pia (Camus lui dédiera Le Mythe de Sisyphe). Il occupera successivement toutes les fonctions, depuis la rédaction des faits divers jusqu’à l’éditorial, en passant par la rubrique des assemblées et la chronique littéraire. Il s’attache particulièrement à faire la lumière sur les grands procès politiques algériens.

«Alger-Républicain» venait d’être fonde par des Français de gauche et les Algériens en mal de vérité, las des mensonges de «L’Echo d’Alger» et de «La Dépêche Algérienne». Le journal défendait alors la politique d’assimilation, rejetée par les colons. Camus, dans des articles et reportages bien écrits, dénonce des scandales et défend des innocents contre tel ou tel représentant de l’autorité locale.

À la veille de la seconde guerre mondiale, en 1939, il écrit un reportage sur la misère en Kabylie qu’il reproduira vingt ans plus tard dans Actuelles III. Cependant les critiques de Camus contre la politique du Gouvernement général ne mettent jamais en cause le principe de la souveraineté française. Ahmed Taleb Ibrahimi présente dans sa conférence Albert Camus vu par un Algérien58 ses prises de position depuis l’époque d’«Alger-Républicain», en parallèle avec celles de quelques écrivains français qui dénonçaient certains aspects du système colonial dont Gide, Malraux, Jean Guéhenno, Montherlant.

Ce dernier écrivait en 1935 dans «Service inutile» En Afrique du Nord, je vis (la violence) exercée par le fort, l’Européen, contre le faible, l’indigène: je crois que cela m ’a dégoüté de la violence pour la vie et je commençai d ’aimer les vaincus59.

À propos de Camus, (à la lumière de ses articles d’«Alger-Républicain»), Ibrahimi constate que: s ’il défend une certaine conception de la justice sociale, dans un système qui ne remet pas en cause la situation des Européens d’Algérie, il sera beaucoup plus réservé en 1945 devant les revendications politiques en faveur d ’une République algérienne et il sera franchement hostile après 1954 lorsqu’il s ’agira de l’indépendance de l’Algérie60.

En 1939, Camus, journaliste, utilisait le pseudonyme Jean Mersault (la contraction de mer et soleil) dans «Soir-Républicain» qui avait succède à «Alger-Républicain» à cause des exigences de la censure instituée après la déclaration de guerre. Après la disparition de ce deuxième quotidien, Camus, qui n’avait pas été accepté dans l’armée à cause de sa maladie, pour échapper à la répression qui le menace, quitte Alger en mars 1940. A la suite de 1’invasion de la France par l’armée allemande, Camus se replie à Lyon, mais dès le début de 1941, il revient à Oran.

Là, ayant ressenti une nouvelle attaque de la tuberculose il est oblige de rentrer en France pour se soigner. Après le débarquement des allies en Afrique du Nord, en novembre 1942, il se séparé de sa famille restée à Oran et de l’Algérie, où il ne fera plus que de brèves visites. En France, Camus participe à la résistance, il est délégué à Paris par le mouvement «Combat». Il entre alors comme lecteur chez Gallimard et il ne quittera pas ce poste jusqu’à sa mort. (A suivre)

Maria Stepniak

Notes

53- H. R. Lottman, Albert Camus, Le Seuil, Paris 1978.

54- O. Todd , Albert Camus, une vie, Gallimard, Paris 1996.

55- Révolte dans les Asturies, in: A. C a m u s, Théâtre, récits, nouvelles, Gallimard, Paris 1962, pp. 401-438.

56- A. Camus , Essais, La culture indigène. La nouvelle culture méditerranéenne, Gallimard et Calmann-Lévy, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1965, pp. 1321-1327.

57- Jeune Méditerranée, bulletin mensuel de La Maison de Culture d’Alger, n °2, mai 1937, in: A. Camus, Essais, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1965, pp. 1328-1329.

58- Déjà citée. 59 A.T. Ibrahim i, op. cit., p. 166. 60 Ibid., p. 167.

Auteur
Maria Stepniak

 




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