29 mars 2024
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Bakhmout, l’enfer, la cendre et l’acier

Bakhmout
Bakhmout rasée, martyrisée

Les forces ukrainiennes et russes ont dit lundi se livrer à « de violents combats » pour le centre de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, et dont Moscou tente de s’emparer depuis l’été au prix de lourdes pertes.

Contesté par de nombreux experts militaires, le caractère stratégique de la ville de Bakhmout prend tout son sens dans le cadre de l’offensive informationnelle que livre Moscou sur l’Ukraine. Le fait est que cette portion de la ligne de front, à l’est du pays, a concentré un énorme déploiement de moyens en hommes et en matériel venant de Russie. Mais un épais brouillard recouvre les objectifs visés sur le terrain.

Bakhmout est devenue un symbole de la résistance acharnée de l’Ukraine face au Kremlin, et Kiev espère y épuiser les forces ennemies pour pouvoir être en position de lancer une vaste contre-offensive.

« Des détachements d’assaut (du groupe paramilitaire russe) Wagner attaquent depuis plusieurs directions en tentant de percer la défense de nos troupes et d’avancer vers les quartiers centraux », a indiqué dans la matinée le commandant des forces terrestres ukrainiennes Oleksandr Syrsky cité par le centre de presse de l’armée.

« Plus nous sommes proches du centre-ville, plus durs sont les combats, plus il y a d’artillerie », lui a fait écho Evguéni Prigojine, patron de Wagner dont les hommes sont en première ligne des combats pour Bakhmout.

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Le général Syrsky a assuré que les troupes ukrainiennes « infligeaient des pertes significatives à l’ennemi » dans cette bataille, la plus longue et la plus sanglante depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine lancée en février 2022.

« Avec le feu d’artillerie, de chars (…) toutes les tentatives de s’emparer la ville sont repoussées », a-t-il fait valoir.

Prigojine a reconnu que ses forces se heurtaient à une féroce résistance. « La situation à Bakhmout est difficile, très difficile. L’ennemi se bat pour chaque mètre », a-t-il déclaré dans un message sur les réseaux sociaux. « Les Ukrainiens jettent des réserves sans fin (au combat) », a-t-il ajouté.

La ville Bakhmout qui comptait 70 000 habitants avant l’invasion, est depuis des mois l’épicentre des combats sur le front Est en Ukraine.

Si cette cité en grande partie rasée par les bombardements est devenue un des symboles de la farouche résistance ukrainienne à l’invasion, son importance stratégique est cependant contestée par des experts.

Des combattants français témoignent

Des combattants français opèrent sur le terrain dans la région de Bakhmout, dans l’est de l’Ukraine, sur ce que l’on appelle la « ligne zéro », là où se réalisent les opérations les plus délicates. Ce sont des volontaires engagés dans la Légion internationale. Ils racontent la férocité des combats, mais aussi le déficit de matériel au sein de l’armée ukrainienne, qui met tous les jours leur vie en danger.

On l’appellera Doc, car c’est l’une de ses spécialités : soigner les blessés sous le feu de l’ennemi. Il fait partie d’un groupe de Français issus du milieu militaire, chargé de missions sensibles près des lignes russes. « Au début, on faisait des extractions de civils, on allait les rechercher en plein milieu des conflits, raconte-t-il. Là, actuellement, on fait surtout des missions de reconnaissance et de prises d’assaut de positions russes. »

Le siège de Severodonetsk et Lyssytchansk, la bataille de Soledar et, désormais, le nord-ouest de Bakhmout, après un an de guerre en Ukraine, ils ont labouré le Donbass et se disent chanceux d’être en vie car, d’après ces combattants expérimentés – plusieurs d’entre eux sont passés par la Légion étrangère –, les troupes au sol sont complètement livrées à elles-mêmes.

« Ici, l’avenir peut changer très très vite »

« On se retrouve avec très peu d’appui aérien, d’engins blindés et même de personnel, dans une situation que nos anciens ont connu pendant la Seconde Guerre mondiale, poursuit Doc. Certains sont même repartis chez eux, parce que c’était trop pour eux, dans le sens de pas de soutien aérien. Il n’y a rien, donc c’était inconcevable qu’ils puissent rester comme ça, parce qu’ils ne sont pas habitués. On n’est pas formés à ce genre de combat, de se dire qu’on n’aura pas de support, quel qu’il soit. »

Ont-ils connu des pertes au sein de leur unité ? On ne le saura pas. Mais lorsqu’on lui demande s’il compte rester encore longtemps en Ukraine, voilà ce que Doc répond, avec un petit rire forcé : « Disons que pour le moment, je suis là. Et demain, on verra, parce qu’ici, l’avenir peut changer très très vite. Donc, je ne m’avance pas. »

Envolée des importations d’armes

Dans ce contexte, certains en Ukraine s’interrogent sur la nécessité pour Kiev de continuer à se battre pour cette ville dont la défense implique de lourdes pertes aussi pour l’armée ukrainienne.

Et elles risquent de s’alourdir encore si les troupes russes parviennent à encercler Bakhmout alors qu’elles ont déjà réussi à couper plusieurs routes importantes pour le ravitaillement des soldats ukrainiens.

Bakhmout pourrait tomber « dans les prochains jours », a averti la semaine passée le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg.

Pour le commandement ukrainien, il s’agit de tenir le plus longtemps possible, afin que la Russie y use un maximum d’hommes, d’armements et de munitions et qu’elle se retrouve affaiblie lorsque l’Ukraine lancera sa contre-offensive attendue prochainement.

« Il faut gagner du temps pour accumuler des réserves et lancer une contre-offensive », avait déclaré le général Syrsky samedi.

L’Ukraine compte s’attaquer à l’armée russe dans les semaines ou mois à venir pour reprendre les territoires occupés, après de premiers succès en 2022 dans le Sud, le Nord et l’Est.

Pour cela, elle compte sur la livraison d’armements occidentaux, notamment des chars et des munitions d’artillerie d’une portée de plus de 100 km. Européens et Américains en ont promis, mais leur acheminement est lent et difficile.

Sur le plan international, l’invasion russe de l’Ukraine a en tout cas provoqué une envolée des importations d’armement en Europe, qui ont quasiment doublé en 2022, selon un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) publié lundi.

Jusqu’alors importateur négligeable, l’Ukraine est subitement devenue troisième destination mondiale, concentrant 31% des importations d’armement en Europe et 8% des échanges mondiaux, selon Sipri.

Les importations de Kiev, incluant les donations occidentales destinées à l’aider à repousser les Russes, ont ainsi été multipliées par plus de 60 en 2022, selon l’institut.

Avec une envolée de 93% sur un an, les importations européennes ont aussi augmenté du fait de la hausse des dépenses militaires de plusieurs Etats européens comme la Pologne et la Norvège, et les choses devraient encore accélérer, selon ce rapport annuel.

De son côté, l’ONG Human Rights Watch a dénoncé lundi dans un rapport les conséquences « dévastatrices » de l’invasion sur les orphelins et les enfants placés en Ukraine. Des milliers d’entre eux ont été transférés dans des institutions ou des familles russes.

« Le retour des enfants qui ont été capturés illégalement par les forces russes devrait être une priorité internationale », a déclaré l’ONG tout en exhortant Kiev à réformer « urgemment » son système de prise en charge de ces enfants. Avec RFI/AFP