26 avril 2024
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Ben Mohamed : l’ADN kabyle dans les gènes !

Ben Mohamed.

Rendre hommage à nos artistes de leur vivant n’est pas chose aisée, surtout quand il s’agit d’un personnage de la stature de Ben Mohamed. Certainement, l’artiste le plus accompli de sa génération.

C’est à la suite de la lecture de sa contribution dans l’ouvrage collectif « l’Algérie arabe, en finir avec l’imposture » que l’idée de lui dédier quelque hommage modeste s’est naturellement imposée.

Que dire pour résumer la carrière de Ben Mohamed, cet autodidacte touche-à-tout qui a fait le bonheur des auditeurs de la chaîne II de la RTA jusqu’en1983, sinon qu’il a servi de véritable courroie de transmission de nos traditions culturelles orales et qu’il est l’auteur du monumental Vava inu va, ce tube planétaire qui a donné ses titres de noblesse à la chanson kabyle pour la faire rayonner à travers le monde ?

Qui mieux que Ben Mohamed peut parler de Ben Mohamed ? Au lieu de tournoyer autour d’une syntaxe externe qui risquerait de s’égarer en moult distorsions inutiles, je vous reproduis ci-après quelques extraits de sa contribution dans le livre ci-dessus cité qui résument, à elles seules, toute la philosophie du message de notre poète :

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« Ma première source d’inspiration fut ma mère. Comme la majorité des femmes kabyles, elle exprimait ses joies, ses peines, ses colères, ses conseils par des chansons, proverbes ou autres anecdotes toutes puisées de notre patrimoine culturel ancestral ».

Mais la langue de nos mères a été ignorée par un pouvoir qui s’adressait au peuple dans un arabe « nucléaire » que personne ne comprenait. Surtout pas les amazighophones. À ce propos, Ben Mohamed assène une vérité crue :

« Quant à la langue utilisée (l’arabe littéraire), elle révélait déjà le mépris dans lequel on tenait le peuple. Malheureusement, c’est là une constante du FLN des planqués de Tunisie, du Maroc, d’Egypte, d’Irak et de Syrie. N’ayant pas de légitimité acquise par les armes, ils se forgeaient déjà une autre légitimité par la langue et la religion ».

« Aujourd’hui, le plus grand danger qui menace notre langue est en nous. C’est la tendance à la défendre dans nos discours mais à ne pas l’utiliser ou mal l’utiliser dans notre vie quotidienne. Par exemple, je ne comprends pas comment on peut défendre notre langue et, en même temps, s’entêter à utiliser le mot « jeunes » en français, en remplacement du mot ilmezyen qui est pourtant compris par tous nos locuteurs. Je ne comprends pas pourquoi les mères ne parlent plus dans leur langue maternelle avec leurs enfants ».

« Être amazigh, ce n’est pas se contenter d’exhiber des signes extérieurs, c’est surtout être porteur de valeurs qui anoblissent l’amazighité ».

Tout est dit !

Le mérite de notre poète multistandard est d’autant plus grand que c’est quasiment en self-made-man chevronné qu’il a construit toute sa carrière, puisque ses études se sont limitées à celles de l’école primaire, l’incendie de son école au village en 1956 et la grève des huit jours décrétée par le FLN en 1957 l’ayant frappé de plein fouet pour freiner sa soif de savoir.

Résumé biographique

Benhamadouche Mohamed, alias Ben Mohamed puis Ben pour les amis, est né au village de Tikidount dans la commune d’Ath Ouacif, le 10 mars 1944. Poète, animateur de radio, parolier… trois tranches de talents rassemblées pour asseoir une provoc incisive dans sa vocation intrinsèque. Qui l’eut prédit, alors qu’il manipule les chiffres en comptable d’expérience, de sa fonction de financier.

Dès l’âge de 4 ans, Ben commence des allers-retours entre son petit village et les petites ruelles de la Casbah et de Zoudj Ayoun (Basse Casbah). Cela dura jusqu’à l’âge de 14 ans, faisant des va-et-vient entre Alger et Ath Ouacif sous la férule du père en métropole et les câlins de la mère au village. Ainsi partagé, il lui en résulta un brassage de connaissances et de culture, quand on sait le vivier des artistes que fut la Casbah mythique. Enfant à esprit d’adulte, c’est aux côtés des grandes personnes qu’il aimait passer son temps différemment des autres bambins pour qui jeux et turbulences étaient des hobbies qu’ils pratiquaient gaiement.

Et c’est chez M. Albertini qu’il découvrit la langue de Molière, puis M. Loumi, pour l’arabe, à l’école publique de Bou-Abderrahmane. Cette période, de son aveu, fut déterminante pour son parcours de poète. La sérénité, la sagesse des vieux, l’atmosphère empreinte de proverbes, maximes, poésie et bonnes paroles ont fini de façonner l’enfant lui imprimant la bonne conduite, le respect de l’autre et de soi-même.

Dès 1958, ses parents s’installèrent définitivement à Alger. Son père possédait un numéro de place au marché de Chartres où il faisait commerce de bonneterie et confection. Cette date l’a profondément marqué, car c’était l’année du déchirement. Alors qu’il n’était qu’enfant, il quitta définitivement son village natal, pan essentiel de son enfance, alors qu’il avait interrompu sa scolarité en 1957 à cause de la grève générale décrétée par le FLN.

C’est à Alger qu’il se fait connaître sous le pseudonyme de Ben Mohamed pour sa production poétique en tamazight.

Poète, ses récitals ont fait vibrer toute une génération ; auteur, ses textes sont portés par de nombreux chanteurs : Slimani, Medjahed Hamid, Nouara, Takfarinas, Amar Sersour, Idir … (Vava inu va a fait le tour de la planète) ; animateur de radio de 1969 à 1983, il a fait entendre un message subversif dans une Algérie qui étouffait sous Boumediene ; dialoguiste, il a écrit les dialogues du film Fadma n Sumer ; traducteur, il a adapté en tamazight la tirade de Babur ghreq de Slimane Benaïssa ; humoriste, ses blagues égayaient la plupart des concerts de vedettes kabyles des années d’or. En voilà une débitée lors d’un concert de Lounis Aït Menguellet à l’Opéra d’Alger, fin des années 1970. En ces temps de prohibition dans la wilaya de Tizi-Ouzou, Ben Mohamed ose l’impensé absolu, celui de dresser un parallèle chirurgical entre les effets du Ramadhan et ceux d’une surconsommation d’alcool… Je ne saurais reproduire tous les éléments de comparaison, mais la conclusion est inoubliable, tant elle transpire une vérité subtile : « si le Ramadhan et l’alcool ont les mêmes effets sur l’individu, il reste à espérer que le Ramadhan soit interdit bientôt à Tizi-Ouzou ! » Sacré Ben !

Enfin, comme cela arrive souvent à des personnalités culturelles ou politiques, on leur attribue des faits ou des idées avec lesquels ils n’ont aucun lien. C’est ainsi que le regretté Abderrahmane Bouguermouh avait écrit dans l’une de ses pages Facebook, qu’en 1969 : «De retour à Alger, j’ai appelé Ben Mohamed (Ndlr, le poète) pour lui dire qu’Ahmed Taleb El Ibrahimi, à l’époque ministre de l’information et de la culture, avait séquestré Taos Amrouche à l’hôtel ».

C’était pour l’empêcher de participer au Festival Panafricain. J’ai donc repris cette information dans un article précédent publié par Le Matin d’Algérie (*). Cependant, en évoquant cet épisode avec Ben Mohamed, celui-ci m’a certifié qu’il s’agissait là d’une confusion faite par Bouguermouh avec probablement un autre ancien animateur de la chaîne kabyle. En fait, Ben Mohamed n’a jamais rencontré Taos Amrouche et en 1969, il ne connaissait Bouguermouh que de nom. Ceci dit, on ne peut accuser ce grand réalisateur de mensonge volontaire. D’autant qu’au moment où il avait écrit ce témoignage il était déjà d’un âge bien avancé et rongé par la maladie. Comme il était lié d’une grande amitié avec Ben Mohamed qu’il avait entre-temps bien connu, il était persuadé que c’était à lui qu’il avait fait appel.

Pour l’Histoire, pour Ben Mohamed, pour Bouguermouh, il était nécessaire de rétablir cette vérité.

Long vie l’artiste ! Reviens-nous vite avec de nouvelles productions !

Ci-après, l’hommage puissant à nos mères : Yemma. L’anecdote qui accompagne le poème est révélatrice de la chappe de plomb sous laquelle le régime a voulu, et veut toujours, cantonner le Kabyle et la Kabylie.

Kacem Madani

(*) https://lematindalgerie.com/taos-amrouche-premiere-kabyle-censuree-par-le-pouvoir-dalger/

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