Boualem Sansal, soixante-deux années avant l’avènement de l’Abistan, avec comme seul habit sa plume incandescente, affronte l’air glaciale des geôles d’Alger.
Mais le hasard comme les miracles n’existent pas. Boualem Sansal est victime de sa liberté de parole, de son libre arbitre, de son courage de convoquer l’inexprimable, l’inexprimé. L’auteur, qui nous aide à regarder l’homme et le monde autrement, est entre les mains de la dictature.
Cet homme est un fou d’un genre nouveau ou un mutant .. disait-il dans son roman dystopique 2084 la fin du monde. Dans les geôles d’Alger où il se trouve, il est, tout comme Ati, porteur d’un esprit de la dispute longtemps disparu.
Dans l’Abistan, où il n’y a lieu de vivre que pour l’amnésie et la soumission à un Dieu unique, Tebboune maitrise l’Abilang tout comme ses concubins islamistes auxquels il voue allégeance et diligence.
Boualem Sansal questionne, dérange et met en doute cet empire mafieux qu’est la nouvelle Algérie de Tebboune. Il dénonce ceux qui ont fait de l’Algérie post-indépendance un désert fielleux, et de ce désert un vide abyssal dans lequel se pratiquent les pires ignominies humaines et se propage une des plus infectes idéologies totalitaires, l’islamisme.
Le Voltaire de l’Afrique des opprimés, qui n’a jamais voulu quitter le pays, même dans les pires moments des années noires du terrorisme islamiste, est entre les mains de ses tortionnaires. Depuis le Sanglier, le Rouquin ou Belzébuth, décrits de manière horrifiante par Bachir Hadj Ali dans L’arbitraire, ces derniers n’ont guère changé.
Avec l’incarcération arbitraire de Boualam Sansal et avant lui beaucoup d’autres détenus d’opinions, le pouvoir de Tebboune-Chanegrihha se présente comme un peu moins sanguinaire que ses prédécesseurs, mais cyniquement plus pragmatique et dramatique que son successeur dans l’empire de l’Abistan. Autrement dit, Tebboune et Chanegriha n’ont rien à envier à Abi, le prophète de l’Abistan . Entre les définisseurs et le définissant, il y a une similitude criante entre leur volonté de puissance et l’énormité de la décision d’incarcérer Boualem Sansal.
Il ne faut pas voir dans cette arrestation un règlement de compte politique avec la France nourricière du régime d’Alger; ils n’ont ni les moyens ni le courage de s’en affranchir. Cette incarcération, comme toutes celles qui touchent à la liberté d’expression, tient son fond de pensée dans la mort lointaine et triviale d’un État qui n’a jamais voulu de la démocratie en tant que système de gouvernance. Dans la nouvelle Algérie de Tebboune-Chengriha, les délégués de Yolah veillent à ce que le peuple des renégats de voit jamais le jour et que les esprits libres soient pour toujours bannis.
Enfin, ce n’est pas vrai qu’on ne peut pas vivre l’instant et l’écrire en même temps. Boualem Sansal, en avance sur son époque, dépasse toute prophétie: la nouvelle Algérie de 2024 est horriblement semblable à l’Abistan de 2084!
Mohand Ouabdelkader