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Boualem Sansal et la goutte de trop

Boualem Sansal

Boualem Sansal interpelé.

Certains cercles, dans leur zèle maladroit, voudraient nous faire croire que l’emprisonnement de Boualem Sansal n’est qu’un énième épisode d’une prétendue guerre médiatique entre l’Algérie et la France.

Une lecture étriquée et médiocre, qui dévie volontairement de la réalité. Non, cette affaire n’a rien à voir avec une bataille idéologique franco-algérienne. C’est une affaire purement algérienne : une volonté assumée de museler une voix dissidente, d’étouffer une plume qui refuse de s’aligner sur les diktats d’un système au bout de sa logique.

Boualem Sansal n’est pas le seul. Il n’est qu’une goutte de plus dans un vase déjà débordant de restrictions, où la liberté d’opinion est constamment menacée. Plus de 200 personnes croupissent dans des prisons, accusées d’une soi-disant « atteinte à l’État », pour avoir osé dire : « Je ne suis pas d’accord. » Depuis quand contester un système bancal est-il une attaque contre la souveraineté ?

Les vieilles figures du pouvoir, agrippées à leurs privilèges comme des carcasses poussiéreuses, semblent incapables de réaliser que leur heure est proche. Le moment de céder enfin la place à une jeunesse vive, moderne, et capable de construire une Algérie différente, est inévitable. Mais pour l’instant, ils s’accrochent, noyant les voix dissidentes sous le poids de leur obstination et de leur peur du changement.

Un régime soutenu par les empastillés

Et qui se cache derrière cette mécanique de dénigrement ? Le régime, bien sûr, mais aussi cette minorité bruyante de pseudo-religieux, aisément identifiables par leur fameuse pastille sur le front (avec tout le respect dû aux musulmans modérés, sincères et engagés dans leur foi). Ces prétendus défenseurs de la foi n’ont qu’une seule obsession : éradiquer tout ce qui ne correspond pas à leur vision étriquée. Leur cible ? Les voix libres, comme celle de Boualem Sansal, qui refusent de plier et de rentrer dans le moule d’un système qu’ils jugent obsolète et autoritaire.

Nous l’avons vu récemment avec l’ignorance flagrante de leur représentant lors des élections présidentielles du mois de septembre passé. Ce dernier, face à une question sur Kateb Yacine, a montré qu’il ne connaissait rien de l’écrivain, ni de son engagement politique ni de son rôle crucial, du 8 mai 1945 à l’indépendance. Une ignorance symptomatique d’un système où la culture et la pensée critique sont considérées comme des menaces.

Pourtant, leur hypocrisie est flagrante. Ils s’acharnent sur un écrivain dissident mais ferment les yeux sur des figures bien plus « dérangeantes » à leurs yeux, comme Jennifer Lopez, qui performe en pleine terre d’islam sans provoquer leur courroux. Non, leur stratégie est plus simple : détruire ce qui est à portée, ce qui peut leur servir de spectacle moraliste. Le régime, de son côté, s’appuie sur eux pour donner une légitimité religieuse à sa répression. Une alliance douteuse, mais efficace pour étouffer toute forme d’opposition.

Boualem Sansal et le crime d’opinion

Quel était donc le tort de Boualem Sansal ? Avoir osé dire que les frontières actuelles de l’Algérie n’ont vu le jour que sous la présence française. S’est-il trop aventuré ? Peut-être. Peut-être a-t-il tort, faute de repères historiques suffisamment solides. Mais ce qui est certain, c’est que l’histoire de ce pays (ou plutôt les histoires de ce pays) est devenue un champ de bataille idéologique où tout est sujet à dissension, rupture et réécriture au gré des intérêts.

Au lieu d’un débat éclairé, on assiste à une cacophonie où chacun y va de sa version, collant à l’histoire ce qui sied le mieux à ses idées ou à ses ambitions. L’Algérien d’aujourd’hui, déconnecté de ses véritables repères historiques, se retrouve à chercher des héros dans les tréfonds de la légende. On est même allé réveiller un pharaon de son sommeil, sans se demander si ce détour mythologique répond vraiment aux interrogations du présent.

Pendant ce temps, les vrais historiens sont plongés dans une hibernation longue et totale. S’ils étaient au rendez-vous, peut-être n’aurions-nous pas à confier des débats aussi cruciaux à un vétérinaire passionné d’histoire, dont les propos enflamment aussi bien les bancs de l’ONU que les réseaux sociaux. Mais voilà, en Algérie, tout ce qui éclaire devient suspect. Et tout ce qui divise trouve un écho.

Ce contexte, Sansal l’a peut-être sous-estimé. Et c’est précisément ce qui fait de lui une cible : il s’est aventuré dans des vérités que l’on préfère fuir, tandis que le pouvoir vacillant s’accroche au confort de récits arrangés. Mais ce pays a besoin de vérités, pas de mythes, pour avancer. Voilà ce que certains considèrent comme son plus grand affront.

Un héros méconnu de la décennie noire

Tout ce que je pourrais écrire ici ne suffirait jamais à effacer un fait d’armes gravé dans l’histoire des Algériens. Boualem Sansal, bien au-delà de sa plume, a accompli un acte qui devrait résonner avec force dans chaque conscience. Pendant que le peuple algérien s’enfonçait dans les ténèbres de la décennie noire, que la peur et le chaos dévoraient le pays, Sansal s’est levé pour empêcher son peuple de sombrer dans la famine.

Sa mission n’avait rien de banal. On ne l’a pas envoyé négocier un simple contrat commercial, mais chercher du blé là où personne ne voulait en vendre. À cette époque, l’Algérie portait le sceau de l’infamie, classée comme un pays à risque dans un article glaçant du Monde. Les marchés se fermaient, les négociations échouaient, mais Sansal n’a pas fléchi. Il a bravé l’humiliation, la défiance, pour assurer que son peuple puisse manger, pour arracher la survie dans un monde qui les condamnait déjà.

Cette vérité, peu de gens la connaissent. Et c’est bien là l’amertume : cet homme qui, hier, a sauvé l’Algérie d’une catastrophe humanitaire, est aujourd’hui jugé, moqué, et emprisonné par ceux-là mêmes qui l’avaient envoyé accomplir l’impensable.

Qu’on critique sa plume, soit. Mais peut-on oublier qu’il a porté, à bout de bras, l’honneur d’un pays au bord de l’effondrement ? Ce n’est pas seulement une injustice, c’est une ingratitude monstrueuse, un reniement de ce que l’Algérie lui doit. Juger un tel homme, c’est non seulement piétiner la liberté d’expression, mais aussi insulter la mémoire collective.

Za3im

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