Charlotte Dordor
Charlotte Dordor. Photo DR

Charlotte Dordor, écrivaine et éditrice française, se distingue par une œuvre mêlant réflexion contemporaine et sensibilité littéraire. À travers une plume à la fois réaliste et introspective, elle aborde des sujets majeurs tels que le climat et les dynamiques familiales, offrant des récits à la fois engagés et émouvants.

Diplômée en lettres classiques, elle débute dans l’édition scolaire avant de se consacrer pleinement à l’écriture. Son parcours littéraire témoigne d’une quête de sens et d’une volonté d’ancrer ses œuvres dans une réalité tangible, tout en portant une vision tournée vers l’avenir.

Son premier roman, Le Retour de Janvier, publié en 2023, met en scène une France en proie aux conséquences d’un dérèglement climatique dramatique. À travers le personnage de Janvier Bonnefoi, un déserteur de l’armée française, elle explore un futur marqué par pandémies, migrations et terrorisme. Salué pour son audace, l’ouvrage est sélectionné pour la première édition du Prix Futurs, affirmant ainsi sa place dans le domaine de la littérature engagée.

En 2024, avec Un furieux silence, Charlotte Dordor s’intéresse aux tensions familiales, mettant en lumière les retrouvailles bouleversantes de frères et sœurs séparés depuis des décennies. Ce roman, coup de cœur du magazine Version Femina, plonge dans les méandres de la mémoire et des non-dits, explorant des thématiques universelles telles que la réconciliation et le poids du passé.

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Loin de se cantonner à un seul registre, son travail conjugue enjeux globaux et récits intimes. Le Retour de Janvier ouvre une réflexion profonde sur l’avenir climatique, tandis que Un furieux silence interroge les liens familiaux et les conflits générationnels. À travers une écriture sensible et réaliste, Charlotte Dordor construit une œuvre à la fois engagée et introspective, capturant avec finesse les questionnements de notre époque.

Dans cette interview, elle revient sur son parcours, ses inspirations et sa manière d’aborder des thèmes aussi essentiels que l’avenir de la planète et les relations humaines.

Le Matin d’Algérie : Votre parcours d’éditrice a précédé votre carrière d’auteure. En quoi cela a-t-il influencé votre manière d’écrire et de concevoir vos œuvres ?

Charlotte Dordor : Je suis éditrice de manuels scolaires !  Ce n’est a priori pas la même « matière » littéraire que celle du roman. Pourtant, ce métier a façonné chez moi un certain rapport au texte : un texte, ça se travaille, ça se modifie, ça se coupe, ça se questionne. Je sais qu’on est toujours perfectible à l’écrit, qu’il n’y a pas à sacraliser un texte sous prétexte qu’il est publié – et qu’il faut savoir aussi s’arrêter de faire des modifications, qu’il faut savoir se dire : « si je touche davantage mon texte, il sera moins bon ». 

Le Matin d’Algérie : Vos romans abordent des sujets profonds avec une forte intensité émotionnelle. Comment réussissez-vous à mêler une narration captivante avec des réflexions sur des thèmes aussi complexes ?

Charlotte Dordor : La clé pour capter un lecteur et faire vivre un texte, il me semble qu’elle vient des personnages. Si vous tenez votre personnage, s’il tient la route, si au moment de la rédaction de votre roman, vous vous dites « non, ce personnage ne ferait jamais ça », alors votre roman peut aborder des questions complexes, politiques ou psychologiques, il sera toujours vivant, habité et incarné, parce que ce sera le personnage qui mènera la danse. 

Le Matin d’Algérie : Le Retour de Janvier imagine un futur apocalyptique lié au climat. Qu’est-ce qui vous a inspirée et quel message souhaitez-vous transmettre ?

Charlotte Dordor : Ce qui m’a inspirée au départ, pour ce roman, c’est une émotion esthétique, et non pas politique : je passais par La Rochelle, que je découvrais pour la première fois. C’est une ville magnifique et je me suis demandé à quoi elle ressemblerait lorsque le niveau de la mer atteindrait une hauteur problématique. Et étrangement j’ai trouvé l’image de La Rochelle submergée inquiétante, mais très belle. Mais évidemment, cette idée elle-même est venue d’une inquiétude sous-jacente, celle de l’effondrement de notre éco-système. Je voulais tordre le cou à l’idée que l’effondrement est toujours brutal et apocalyptique : dans Le Retour de Janvier, aucun des personnages n’a conscience de vivre dans un monde bouleversé. 

Tout le monde vit comme si l’effondrement était encore à venir, alors qu’il a déjà eu lieu. Chacun se dit qu’il a de la chance, qu’ailleurs, plus loin, ça a l’air terrible. Que la foudre est tombée à côté. J’ai travaillé sur cette idée de l’aveuglement. La question des personnages était centrale car je voulais me concentrer non pas sur le changement climatique en tant que tel mais sur ses conséquences politiques et sociales : comment on se comporte dans le chaos ? Est-ce qu’on reste le même, est-ce qu’on change ? Qui a-t-on envie de protéger ? 

Je n’ai pas de message univoque dans ce roman, sauf peut-être celui-ci : il n’y a pas un monde d’avant et un monde d’après, mais une évolution lente sur laquelle on peut avoir une prise. 

Le Matin d’Algérie : Un furieux silence explore les tensions familiales et les non-dits. Pourquoi ces thèmes sont-ils si pertinents aujourd’hui et comment les avez-vous abordés ?

Charlotte Dordor : La famille est un terrain de jeu formidable pour un auteur ! Aujourd’hui comme hier, d’ailleurs : c’était déjà le matériau de la tragédie grecque. C’est un thème très riche parce qu’il articule des questions qui touchent aux relations à la fois intimes et sociales. Si ces questions sont pertinentes aujourd’hui, c’est parce qu’on commence tout juste à décortiquer les mécanismes à l’œuvre dans la transmission intergénérationnelle d’un traumatisme.

J’ai abordé la question du secret de famille en faisant parler chaque enfant d’une fratrie de son propre point de vue, qui est toujours riche mais limité : chacun détient une partie de la vérité, mais les clés du secret initial se sont perdues pour eux avec le temps et le lecteur ne les trouvera qu’à la fin. 

Je me suis attachée à construire des personnages forts, très différents les uns des autres, des voix très spécifiques qui, chacune à sa façon, remontent le temps et dévoilent au fur et à mesure des parts sombres de leur enfance, sans qu’aucune de ces voix ne raconte tout à fait la même chose. 

En gardant en tête que dans une même fratrie, chaque enfance est unique : on a les échos de l’enfance des autres, mais on a beau avoir vécu côte à côte, ensemble, on n’aura jamais vécu ni compris la même chose. Chaque enfant, isolé au sein de la fratrie, traverse l’enfance de manière très singulière. 

Le Matin d’Algérie : Vous conjuguez les grandes questions globales avec des interrogations personnelles. Comment parvenez-vous à harmoniser ces deux dimensions dans votre écriture ?

Charlotte Dordor : Quand un personnage est vivant et incarné, il peut articuler des questions intimes et d’autres plus universelles ! En ce sens, tout roman est politique parce qu’il donne une vision du monde, un regard. 

Le Matin d’Algérie : Quelles sont les influences littéraires qui ont marqué votre écriture ?

Charlotte Dordor : J’ai été très marquée par la poésie de Jean Giono, et je pense que son roman Le Hussard sur le toit n’est pas étranger à la trajectoire de mon héros Janvier, cet homme qui rentre chez lui à travers un monde en plein chaos. Bien qu’il s’y sente toujours à part, en marge, il va essayer de se conduire du mieux possible, d’être un homme de bien.

L’immersion dans un milieu social et familial que constitue Un furieux silence, avec tous ses travers et ses non-dits, a trouvé son inspiration chez des romanciers comme Mauriac, ou même Simenon. Ce sont des auteurs que j’ai dévorés quand j’étais jeune, j’ai adoré ces plongées sociologiques dans une famille, un métier. Simenon avait un regard toujours neuf et percutant sur les gens.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Charlotte Dordor : Je suis en train d’écrire un troisième roman mais je n’en dis pas plus !

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Charlotte Dordor : Merci pour votre lecture et votre curiosité à l’égard de mon travail ! 

Entretien réalisé par Brahim Saci

Livres publiés :

Le Retour de Janvier, éditions Julliard, 2023

Un furieux silence, éditions Julliard, 2024

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