25 juin 2025 – Lendemain du procès en appel de Boualem Sansal. Ces derniers jours, je me demandais si je pouvais à mon tour être persona non grata en Algérie, à cause d’un certain écrit. En effet, le récit dont il est question a de quoi vexer des susceptibles et leur faire tendre le bras pour se saisir du gourdin qui sait refroidir les écrivains libres.
Par libres, il semblerait qu’il faille entendre engagés.
Personnellement, je préfère libres. Engagés sonne comme « adeptes d’autre chose ».
Va pour l’un ou l’autre.
Le gourdin en question, parlons pour l’instant du modèle algérien, assomme dans le désert, sur la côte, en montagne, pourvu que tout cela soit algérien. Tout le reste tombe à peu près dans l’eau.
Dans ce beau pays, qui ne manque pas de sujets importants à traiter, la justice est à l’œuvre.
Elle fait chaque matin le tour de la toile d’araignée nationale pour voir si, par chance, elle pouvait mettre la main sur un écrivain un peu trop libre.
Et, elle en a trouvé un.
Un, d’un modèle particulier, scindé en deux.
D’un côté, plus théoricien et crédule, totalement sourd aux avertissements de l’autre côté qui prévient à longueur d’écrits. Ni une, ni deux, Il y va (retourne chez lui) quand même, droit dans le filet. Et personne ne pourra lui reprocher la naïveté qui vous transforme un homme, non pas en homme intelligent, mais en écrivain, ce qui n’a rien à voir.
Cet homme, au pouvoir si grand qu’il fait craindre au président de la République algérienne de voir le tapis s’envoler sous ses pieds, a eu droit à une rencontre au sommet.
Le Mont Connerie, massif qui se jette dans les hauteurs à chaque fois et partout où les hommes se prennent un peu trop au sérieux, a servi de théâtre à son procès.
Coupable, présent. Madame la juge, présente.
Les 10 premières minutes d’ascension sur cette sainte montagne furent consacrées à des échanges lunaires, sans doute pour s’habituer à l’altitude.
Les 5 dernières, au pas de course, promettaient un planté de drapeau comme jamais cette montagne n’en avait connu.
« Monsieur l’écrivain, dit la juge. Pourquoi n’écrivez-vous pas autre chose ? »
À cet instant, d’après de nombreux témoins, la montagne fit un bond supplémentaire, elle-même surprise du niveau atteint. L’écrivain, collé dans la toile, bosse de gourdin au milieu du front, s’est vu proposer une résidence sommitale pour les 10 années à venir.
Le temps d’une glaciation.
Face à cet exploit, le constat s’impose que des montagnes comme celles-ci, j’en ai vu de mes yeux. Il ne s’agit pas de mettre en question cette vérité universelle que nous sommes tous le con de quelqu’un (si quelqu’un n’en a pas, je peux dépanner), mais de se dire que la terre n’est pas si plate que cela.
Elle tremble sous mes pieds, et cette terre est bel et bien française. Ici aussi, des cons à profusion. Mais; pour l’instant, au nord de la méditerranée, la toile est encore un filet dans lequel l’usage irréfléchi d’opinion rebondit mollement avec son propriétaire. Le gourdin républicain protège l’initiateur de la bêtise proférée, comme je le fais ici et maintenant, au lieu de lui demander de dire autre chose, d’écrire autre chose.
Je prophétisai, un peu à l’aveugle, avec cette même naïveté qui n’est pas un cadeau, que l’Algérie est l’oracle, la boule de cristal dans laquelle nous mirer. Non pas que nous y verrions une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais peut-être la désolante vérité que nous n’avons collectivement jamais été aussi cons.
Tout cela mérite un exposé plus détaillé. Ce sera pour plus tard. Car, même si je ne peux plus jamais remettre les pieds de l’autre côté, j’attendrai ici que l’autre revienne, qu’il raconte son périple jusque tout là-haut et la périlleuse descente vers nous, et cela, personne ne le fera mieux que l’écrivain qui est en lui.
Marcus Hönig, écrivain, auteur de Les Larmes de Jimmy et Planète verte
Ce texte est tiré du site de l’auteur avec son aimable autorisation