16 novembre 2024
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Cooptation, corruption, charlatanisme les diplômés de l’économie rentière

L’Algérie, comme de nombreux autres pays sous régimes autoritaires, connaît un système où certaines pratiques politiques et économiques ne sont pas seulement tolérées, mais véritablement institutionnalisées.

La corruption, la cooptation et le charlatanisme sont devenus des « métiers » à part entière dans le paysage politique du pays. Loin d’être des exceptions ou des dérives, ces comportements sont des piliers de la « mécanique du pouvoir » qui gouverne, et bien souvent étouffe, le pays.

La cooptation : un système fermé

La cooptation en Algérie, comme dans beaucoup d’autres régimes autoritaires, n’est pas simplement un mécanisme de gestion des ressources humaines au sein de l’État. C’est le fondement même d’un système politique qui ne tolère aucune alternative ou opposition. Pour accéder au pouvoir ou à des positions stratégiques, il ne s’agit pas d’avoir les compétences nécessaires, mais d’être dans les bonnes grâces des élites dirigeantes.

Les nominations sont souvent décidées en coulisses, en dehors de toute transparence ou légitimité populaire. Les « choix » faits par le régime sont le fruit de réseaux de loyauté et de promesses politiques, où la compétence n’a aucune place. Ainsi, ceux qui contrôlent les leviers de pouvoir s’assurent que le système reste entre leurs mains, sans remise en question.

La corruption : une règle tacite

La corruption n’est pas perçue comme une déviance dans ce contexte ; elle est un mode de fonctionnement normal. Les petites et grandes corruptions s’entrelacent et se justifient dans une culture où « tout se vend, tout s’achète ». Ce n’est pas une exception, mais une norme pour ceux qui veulent accéder aux ressources de l’État ou simplement survivre dans ce système. Les détournements de fonds, les pots-de-vin et les surfacturations sont monnaie courante dans de nombreuses administrations, entreprises publiques et institutions.

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Le cynisme ici réside dans le fait que la corruption, loin de provoquer des scandales ou des enquêtes, est souvent vécue comme un « coût nécessaire » pour faire avancer ses projets ou obtenir des avantages. Cette banalisation de la corruption a des effets dévastateurs : elle sape la confiance des citoyens dans leurs institutions, fragilise l’économie et anéantit les principes de justice sociale.

Le charlatanisme : l’art de manipuler les masses

Enfin, le charlatanisme est devenu une compétence en soi dans ce système. Ceux qui détiennent le pouvoir ne se contentent pas de gouverner, ils doivent aussi « vendre » leur gouvernance. L’outil principal est le discours. Promesses vides, slogans creux et fausses réformes sont utilisées pour maintenir une façade de légitimité, tout en préservant un statu quo qui profite aux élites.

Le charlatanisme politique ne se limite pas au discours. Il se manifeste aussi dans la manipulation de l’opinion publique via les médias partisans et l’industrialisation de l’image politique. Les dirigeants deviennent des « vedettes », non pas parce qu’ils accomplissent des réformes réelles, mais parce qu’ils savent entretenir l’illusion de leur efficacité à travers des apparitions médiatiques, des projets symboliques, et des démonstrations de pouvoir sans contenu.

La mécanique du pouvoir : entre contrôle et inefficacité

Ces trois pratiques – cooptation, corruption et charlatanisme – sont les rouages d’un système de pouvoir où l’efficacité est secondaire par rapport à la stabilité du régime. La véritable « mécanique du pouvoir » ne réside pas dans la gestion des affaires publiques, mais dans le maintien d’un contrôle total sur les ressources et les individus. Les défis socio-économiques, tels que le chômage massif, la précarité ou les inégalités, sont systématiquement ignorés ou relégués au second plan, tant qu’ils ne menacent pas l’ordre établi.

Le rôle de l’administration, des institutions publiques, et même de l’armée, n’est pas tant de servir la population, mais de protéger ce système qui repose sur la répartition du pouvoir et des ressources entre une petite élite. Cette concentration du pouvoir rend toute réforme sérieuse quasi impossible, car elle implique de s’attaquer à ces pratiques, et donc, à ceux qui en bénéficient.

Conséquences : la stagnation et la déconnexion

Ce modèle a des conséquences désastreuses sur le long terme. L’ économie rentière , qui repose sur des rentes et des ressources naturelles, devient le seul secteur porteur de croissance, et elle est souvent dirigée par ceux qui tirent profit de la corruption et de la cooptation. La bureaucratie devient un monstre d’inefficacité qui assèche les capacités d’innovation et de développement. Les jeunes diplômés, les entrepreneurs et les citoyens honnêtes se retrouvent face à un mur de contraintes administratives, de coûts de transaction élevés, et d’une économie paralysée par les rentes.

La déconnexion entre les élites et le peuple ne cesse de croître. Tandis que la majorité des Algériens lutte contre la pauvreté et la précarité, la classe dirigeante s’enrichit grâce aux rentes, aux contrats publics et à la manipulation des ressources. L’incapacité à répondre aux besoins fondamentaux de la population génère un sentiment de frustration et de résignation, voire de révolte.

Vers un système à bout de souffle

Mais, bien que ce système semble solidement ancré, il est également terriblement fragile. Il repose sur un équilibre instable entre un pouvoir autoritaire et des pratiques corrompues qui, au final, bloquent toute réelle innovation ou réforme. À mesure que les défis économiques et sociaux deviennent plus pressants, le manque de réformes véritables devient un fardeau insoutenable.

Les protestations populaires qui secouent régulièrement l’Algérie sont un symptôme de cette frustration grandiose. Les citoyens commencent à comprendre que la véritable lutte n’est pas seulement contre des gouvernements corrompus, mais contre un système qui les fait vivre dans un état permanent de dépendance, d’injustice et de stagnation.

En conclusion, tant que la cooptation, la corruption et le charlatanisme continueront à être des métiers pris, l’Algérie restera prisonnière de ce cercle vicieux. Pour briser ce cycle et espérer un avenir plus prospère et juste, il faudra, un jour, remettre en cause la mécanique même du pouvoir.

Cependant, si l’Algérie doit réellement évoluer vers une gouvernance plus transparente, juste et responsable, il existe des obstacles profonds qui rendent cette transition extrêmement complexe. En effet, la réforme véritable ne consiste pas seulement à remplacer une figure politique par une autre ou à promettre des réajustements superficiels dans la gestion des ressources. Elle implique une révision radicale des structures de pouvoir, de l’organisation de l’État et de la gestion des relations économiques et sociales.

L’élite au pouvoir : un bloc d’intérêts irrémédiablement lié

Le principal obstacle à la réforme est l’ élite politique et économique qui tire profit du système actuel. La cooptation n’est pas seulement une question de promotion de fidèles, elle permet de maintenir une hiérarchie où les pouvoirs sont concentrés entre les mains de quelques-uns. Ces élites, qu’elles soient issues des sphères politiques, économiques, militaires ou médiatiques, sont étroitement liées entre elles par des intérêts communs. Briser ce bloc d’intérêts, c’est risquer de fragiliser l’ensemble du système et de mettre en péril les privilèges acquis.

Cette élite a un contrôle quasi total sur les ressources naturelles du pays, les contrats publics et les infrastructures stratégiques. Ces rentes de situation sont ce qui leur permet de maintenir leur pouvoir sans avoir à répondre aux véritables besoins du peuple. En conséquence, une réforme véritable qui remettrait en cause cette concentration des richesses et des pouvoirs serait perçue comme une menace existentielle pour les acteurs du système.

L’enracinement de la culture de la corruption

La culture de la corruption, qui imprègne à la fois l’administration et les entreprises publiques, est également un frein majeur à toute réforme. La logique de corruption et de népotisme est devenue telle que, pour de nombreux citoyens et fonctionnaires, elle fait partie du fonctionnement quotidien. Une grande partie de la population, épuisée par des années de promesses non tenues, a fini par accepter, voire se conformer à cette réalité. Si le système politique semble presque figé dans cette inertie, c’est en grande partie parce qu’il trouve un écho au niveau de la société.

C’est cette normalisation de la corruption qui rend difficile l’émergence de nouveaux acteurs politiques ou économiques. Les élites économiques qui contrôlent les grandes entreprises ou les secteurs clés sont souvent les mêmes personnes qui profitent de l’absence de régulation et de transparence. Elles contrôlent l’accès aux ressources financières et aux opportunités d’affaires, et sont prêtes à défendre ce système contre toute réforme qui pourrait réduire leurs privilèges.

La politique du « petit pas » et des réformes cosmétiques

Les réformes qui ont été entreprises au fil des années se sont souvent limitées aux ajustements cosmétiques. Celles-ci cherchent davantage à calmer l’opinion publique ou à donner l’illusion de changement sans toucher aux racines du problème. Par exemple, des réformes constitutionnelles ont été annoncées à plusieurs reprises, mais celles-ci n’ont eu que peu d’impact sur la concentration du pouvoir et la persistance des pratiques corrompues.

Les réformes économiques, lorsqu’elles existent, visent surtout à maintenir une stabilité politique , tout en conservant un système économique fondé sur l’exploitation des ressources naturelles. Elles ne s’attaquent jamais aux véritables causes de la crise économique, telles que l’absence de diversification des sources de revenus, le manque d’innovation et de compétitivité, ou encore l’inadéquation des politiques sociales.

L’espoir d’une réforme par la société civile

Malgré ces obstacles majeurs, il existe des signes d’espoir. L’une des dynamiques les plus encourageantes en Algérie ces dernières années a été l’émergence d’une société civile active et de mouvements de protestation qui remettent en question la corruption systémique et réclament un changement radical. Le Hirak , ce mouvement populaire né en 2019, est un exemple frappant de ce soif de réforme et de justice. Des millions d’Algériens, de toutes générations et de toutes catégories sociales, sont descendus dans les rues pour revendiquer un changement politique profond. Leur message était clair : non à un système où la corruption et la cooptation dominent, oui à un avenir où l’État fonctionne pour le bien de tous.

Cependant, même si ces mouvements ont montré qu’il existe une volonté de changement parmi la population, il reste difficile d’imaginer une transition en profondeur sans un véritable soutien institutionnel et politique. La répression , les restrictions à la liberté d’expression et les tentatives de récupération politique menacent de freiner ces initiatives. Mais la pression populaire demeure un facteur important pour faire évoluer les mentalités et, à terme, peut-être parvenir à des changements significatifs.

Conclusion : Un changement impossible sans confrontation ?

La mécanique du pouvoir en Algérie, fondée sur la corruption, la cooptation et le charlatanisme, semble indéboulonnable, tant elle repose sur des intérêts profondément enracinés. Mais la question demeure : est-il possible de briser ce système sans confrontation, sans une remise en cause radicale de son fondement ?

La clé du changement réside dans une réforme systémique , qui devrait non seulement mettre fin à ces pratiques de pouvoir, mais aussi construire des institutions solides, transparentes et démocratiques. Cela passera par la répartition des ressources, la création d’un environnement propice à l’innovation et à l’entrepreneuriat, et surtout équitable, la réconciliation entre l’État et la société civile.

Pour ce faire, l’Algérie devra affronter la réalité d’un système politique profondément vicié et accepter de prendre des mesures audacieuses pour en sortir. Tant que la cooptation, la corruption et le charlatanisme continueront à régner en maîtres, le pays restera prisonnier de cette mécanique du pouvoir inébranlable, et l’avenir restera entre les mains d’une élite déconnectée de la réalité du peuple.

Cette suite complète la réflexion en mettant l’accent sur les défis d’une réforme en profondeur, les obstacles systémiques, mais aussi les signes d’espoir que l’on peut observer à travers les mouvements populaires. La chronique continue de dénoncer la situation actuelle tout en soulignant la nécessité d’un changement radical et en envisageant un avenir où la société civile pourrait jouer un rôle central dans la transformation du système.

Dr A. Boumezrag

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