19 avril 2024
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De l’Histoire pour se guérir de nos malédictions…

REGARD

De l’Histoire pour se guérir de nos malédictions…

Il est des héritages dont on aimerait bien s’en passer. Comme ceux, insidieux, qui collent à la peau et hantent les esprits. Ces héritages ont une unique origine, l’Histoire. Et l’Histoire est une sorte de baromètre d’une époque qui fournit de précieuses informations au présent. Et ce baromètre se transforme en boussole pour le présent afin de lui éviter les écueils sur le chemin de l’avenir.

Le brouillage des consciences dont on constate chez nous les méfaits ici et là peut s’expliquer par le parasitage de ce baromètre qui transmet son dysfonctionnement à la boussole. Résultat, des grains de sable dérèglent le processus historique de la société. Il faut dire que ces dérèglements en Algérie sont aggravés à la suite d’une rencontre avec le paramètre colonial qui brutalisa l’économie et la structure sociale du pays.

Cette brutalité du système capitaliste sur les économies et les sociétés colonisées est aujourd’hui connue et validée par les héritiers mêmes du système en question. Il ne restait alors aux Algériens qu’à résister avec de faibles moyens face à la machine coloniale. Marginalisés par cette machine, la société algérienne sombra dans la misère matérielle et l’analphabétisme. Après pareille tragédie, pour se guérir des profondes blessures qui ont balafré le visage de la société, un traitement de choc était nécessaire une fois l’indépendance acquise.

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Hélas l’opération consistant à se guérir de ces blessures confiées à des cerveaux qui fonctionnaient au carburant de la métaphysique, fut un échec. Échec prévisible car on le sait maintenant, une société progresse quand elle se libère des archaïsmes et leurs cortèges de  maléfiques peurs et de fantasmes morbides. En ayant oublié ces vérités premières, on vit le champ de bataille occupé majoritairement et d’une façon totalitaire par des charlatans et autres zombis. L’idéal de ces sectes est de transformer la société en un immense espace où règnent l’ordre des casernes et le silence des cimetières, bref une vie quotidienne ennuyeuse comme un jour sans pain. Et si jamais on ne respecte pas ces règles, les catastrophes naturelles surgissent comme punition de sortie du droit chemin.

C’est dire leur ignorance de l’histoire et leur obsessionnel hygiénisme de la purification des actes et des idées. Ces charlatans et ces zombis ne savent-ils pas qu’on a suffisamment soupé de tant de balivernes pour venir à leur tour nous ‘’éduquer’’ comme les colonialistes qui voulaient nous faire profiter des lumières de leur civilisation.

Au nom de qui et de quoi, ces zombis et charlatans veulent-ils imposer à tout un peuple leur tambouille (chakhchoukha) indigeste. En réalité ladite tambouille sert à détourner les gens de leurs réels problèmes tout en apaisant leur propre malaise devant un monde qui n’obéit pas à leur ‘’vérité’’.

Mais les pièges de l’héritage parsèment aussi le territoire de la littérature, lieu de l’imagination et de la création. La littérature, tous les arts en général nourrissent l’imaginaire des gens. L’Histoire qui s’expose et s’offre sous différents matériaux artistiques est le meilleur antidote contre la monotone répétition de lieux communs des charlatans. Mais avec la squelettique vie culturelle du pays, où trouver l’énergie pour clouer le bec au charlatanisme ?

Durant la colonisation, les écrivains étaient une sorte de combattants dont l’arme était la langue. Leur rapport à l’Histoire ne souffrait d’aucune ambiguïté. Le colonisé et le colonisateur n’avaient pas la même carte d’identité quand bien même vivaient-ils sur le même territoire. Des frontières à chaque coin de rue les séparaient et chacun avait son statut singulier. Le colonisé avait choisi celui  de Spartacus.

Quant aux matériaux et l’outil à sa disposition, le Spartacus algérien ne pouvait utiliser que la langue de son oppresseur. Comme Kateb Yacine a qualifié la langue française de butin de guerre, il appliqua le code des vieilles lois de la guerre, celui de disposer à sa guise du butin en question. Il n’hésita pas donc à ‘’violer’’ la langue (1) (c’est le mot utilisé par Kateb Yacine) pour mieux rendre compte de l’ignoble violence subie par les Algériens dans leur propre pays. Autant le rapport à l’Histoire est assumé par les créateurs, autant le rapport à une langue ne va pas de soi car il renvoie à des catégories fort  complexes. Ce rapport à la langue est à la fois douloureux et libératoire.

Ecrire dans la langue de l’Autre pour défendre les siens qui ne peuvent pas vous lire est une frustration difficile à contenir. Ce dilemme  a été vécu par Malek Haddad (2). Mais une langue peut être un outil qui creuse le sillon où vont germer les graines de la libération contre les injustices. C’est le cas de Jean Genet selon Jean Paul Sartre qui lui consacra un essai de quelque 300 pages.

Pour Sartre, c’est la beauté de la langue de Genet (3) alors en prison qui ‘’força’’ un juge d’un tribunal à le libérer avant l’échéance de sa peine. Cela rappelle le cas de Sartre lui-même qui en signant le manifeste des 121 pour l’indépendance de l’Algérie était passible d’une peine de prison. Il aurait eu parait-il son ‘’salut’’ à De Gaulle qui a dit : ‘’on ne met pas Voltaire en prison’’. Nedjma de Kateb par son ‘’mystérieux’’  style et la sublime beauté de l’œuvre fut un appoint considérable à la lutte armée de son peuple. Tout ça pour dire que toutes les langues comme produit de l’Histoire et fruit du génie de l’Homme sont des trésors qui sont en quelque sorte la ‘’propriété’ de tous les hommes.

L’indépendance acquise, les rapports à l’Histoire et aux langues vont être malmené quelque peu. Dans le champ de bataille d’autres acteurs interviennent. L’adversaire d’hier est parti mais d’autres le remplacent… la lutte de classes politique et idéologique ne disparaît pas pour autant comme veulent le faire croire les charlatans.

Le rapport à l’Histoire des écrivains de nos jours est ainsi sujet à mille et une contradictions. Quant au rapport à la langue, la nouvelle génération n’a pas appris la langue française en ayant vécu, séjourné dans la gueule du loup selon l’expression de Kateb Yacine. Vivre dans la gueule du loup engendre un rapport particulier à une langue. Celle-ci n’est pas une simple addition de mots. La langue vit, nage dans un univers où le quotidien se déroule sous les effets/miroirs de l’histoire, de l’appartenance à une classe, de l’organisation sociale du travail, des relations entre les femmes et les hommes (amour, amitié, famille) Et forcément les mots échangés dans cet univers n’ont pas la même saveur, la même résonance, bref la même musique que les mots abstraits appris sur un banc d’une école où l’on dispense dans une autre langue d’autres histoires et d’autres imaginaires.

Déjà à l’intérieur d’une même langue, les écrivains du même pays cultivent leur propre singularité et organisent les mots selon leur propre symphonie. Par exemple, les univers et la ‘’topographie’’ de l’écriture entre un Proust et un Céline sautent aux yeux. Ainsi il est les littératures qui se ‘’mettent en scène’’ dans une langue belle qui chérit l’harmonie et le ‘’spychologisme’’. D’autres préfèrent une langue subversive dont la beauté se niche dans une âpreté où les lieux et les personnages  sont habillés du tissu de leur histoire….

Ecrire, créer chez nous où la liberté d’expression est denrée rare, l’auteur d’une telle entreprise a du mérite. Et si le tenace candidat de pareille aventure finit par sauter tous les obstacles, quelque garde chiourme lui interdit l’accès à un festival du livre ou du cinéma.

Ecrire ailleurs, en France par exemple, est aussi un parcours de combattant. Il faut à tout moment savoir où mettre les pieds pour ne pas sauter sur des mines. Et ces mines sont parfois ensevelies sous les décombres de l’histoire. Ensuite il faut montrer pattes blanches quant au rapport à la langue du pays. Quand le dit rapport est exogène et non le fruit d’un vécu et d’un apprentissage dans la ‘’gueule du loup, il faut que l’écrivain vienne avec d’autres atouts dans sa besace. Par exemple la célébrité dans son pays, l’originalité de l’écriture, des révélations sur les faces cachées de sa société etc…

Hélas rare sont les écrivains algériens qui crèvent le plafond des ventes chez eux pour attirer l’attention des éditeurs français. C’est hélas l’inverse qui se produit. L’écrivain adoubé par le pays de la littérature se voit les portes enfin s’ouvrir chez lui.  

Reste le rapport à l’histoire du pays qui accueille. Il faut investir du temps et de la curiosité pour aller dénicher des voix hors des sentiers battus. Il faut prendre des chemins de traverse pour entendre d’autres échos des fureurs de la dite histoire. Et sur ces chemins, on bute sur la sacro-sainte loi du marché. Dans son souk particulier, cette loi choisit les gens qui produisent de ‘’la littérature à l’estomac’’(4).

Et à cause de tous ces obstacles et handicaps, on entend davantage ceux qui chantent des chansons qui confortent leur hôte dans ses certitudes ou sa bonne conscience. Ainsi ceux qui claironnent avoir la solution miracle pour contrer la ‘’radicalité’’ des sauvageons des ‘’villages allemands’’ que les haineux aigris nomment les ‘’territoires perdus de la république’’, ces écrivains ont ‘’l’honneur de fouler’’ les plateaux des médias… Dites-moi le vocabulaire que vous utilisez, je vous dirai la nature de votre rapport à l’Histoire de ceux qui se sont fait la guerre.

Cacher la vérité historique, détourner le regard des entreprise coloniales, réduire les solutions des problèmes sociaux aigus à l’apprentissage de la civilité, de la  politesse et la joliesse de mots gentils, c’est ne rien comprendre à la profondeur des crises qui secouent le  monde. S’attacher ‘’l’amitié’’ des puissants et mettre la noblesse de la littérature au service de la platitude d’une idéologie essoufflée, d’une société qui se refuse à faire son examen de conscience, est un acte qui ne grandit pas l’écrivain….

A. A.

Notes

(1) Il ne faut pas prendre ce mot au premier degré. Pour un écrivain, violer une langue corsetée par des valeurs qui ronronnent fait partie de l’acte de création. Céline par exemple a violemment dénoncé la langue française de son époque qui a coupé les ponts avec la littérature d’un Rabelais. La truculence de cette littérature rabelaisienne disparaissait au profit  de ‘’la fameuse harmonie’’ des formes et des mots lisses.

(2) Jean Genet et Kateb Yacine n’ont jamais eu les honneurs d’un grand prix littéraire. Quand on connaît leur parcours politique et le sublime de leur écriture, on comprend la nature des ressorts de ces académies qui décernent des prix. Une étude vient confirmer cette injustice. D’après cette étude, 80% des prix Goncourt deviennent des oubliés de la littérature. En revanche, leurs malheureux concurrents rentrent par la suite dans l’Histoire de la littérature alors que la dite œuvre a été refusée au prix Goncourt.

(3) Malek Haddad écrivain algérien, auteur entre autres de ‘’le quai aux fleurs ne répond plus’’, a arrêté d’écrire en français. Par cet acte, il a voulu signifier son ‘’divorce’’ avec la langue française car ses compatriotes à son époque ne pouvaient le lire pour cause d’analphabétisme.

(4) Littérature à l’estomac, titre au vitriol d’un essaie de Julien Gracq qui
attaqua les prix littéraires. En 1951, il fut lauréat du prix Goncourt qu’il refusa.

Auteur
Ali Akika, cinéaste

 




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