23 novembre 2024
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Djilali Hadjadj : « Les véritables maîtres d’œuvre de la gouvernance criminelle ne sont pas inquiétés »

ENTRETIEN

Djilali Hadjadj : « Les véritables maîtres d’œuvre de la gouvernance criminelle ne sont pas inquiétés »

Djilali Hadjadj, journaliste d’investigation, auteur et président de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) répond à des questions d’actualité et analyse les soubresauts qui agitent le pays depuis plus d’un an.

Il décrypte les « procès-spectacles » et s’interroge sur l’existence d’un deal de type mafieux qui protégerait Bouteflika et sa fratrie. 

Le Matin d’Algérie : Une série de procès pour diverses affaires de corruption concernant d’anciens proches de Bouteflika ont lieu actuellement. Quelle appréciation portez-vous de ce spectacle judiciaire ?

Djilali Hadjadj (AACC) : Que peut-on attendre d’un appareil judiciaire baignant dans le culte de l’obéissance aux puissants du moment et à qui aujourd’hui on a confié la mission de condamner ses tuteurs d’hier, mission dont il s’acquitte avec un excès de zèle éclaboussant et piétinant les lois en vigueur ?

Cette mascarade – alimentée par toutes sortes de règlements de comptes – plaît au peuple qui n’en demandait pas tant et ne cesse d’en redemander, subjugué par les allers et venues d’anciens commis du pouvoir, qui plus est menottés, dans les travées du tribunal d’Alger, inondant les réseaux sociaux à satiété. Le peuple veut du lynchage public des impunis d’hier ? Servons-le ! Quant à la répression effective de la grande corruption, elle n’est pas encore à l’ordre du jour, et pour cause, le système toujours en place n’est pas fou pour se tirer une balle dans le pied ou se faire hara-kiri.

Les deux Premiers ministres, la vingtaine de ministres, la douzaine de walis et les quelques oligarques qui aujourd’hui occupent les prétoires ne sont que de « modestes » acteurs-exécutants du système de « corruptocratie » mis en place par Bouteflika et sa fratrie, généreuse distribution et odieuse répartition de la corruption tous azimuts.

De plus gros poissons – véritables maîtres d’œuvres de cette gouvernance criminelle et de ce pillage systémique-, ne sont toujours pas inquiétés, à peine timidement cités, protégés en interne et mis sous tutelle par des puissances occidentales : ils ont pour nom notamment Chakib Khelil, Mohamed Bédjaoui, Abdeslam Bouchouareb, etc.

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A titre d’anecdote, ce dernier, tout puissant « sinistre » de l’industrie, m’envoya en janvier 2016 le PDG de Sonelgaz, pour essayer de savoir ce que je savais sur des affaires de prédation qui le concernaient : 3 mois plus tard éclata l’énorme scandale « Panama Papers » où Bouchouareb fut un des bénéficiaires et une année après, il prit la poudre d’escampette vers des cieux plus cléments. Au passage, ce PDG indélicat – intermédiaire véreux des basses besognes et à la solde de Saïd Bouteflika-, profita de cette «entrevue » pour tenter de me tirer les vers du nez sur les dessous du dossier SNC-Lavalin en Algérie – dossier où il figure en bonne place et que la justice a « oublié » de traiter pendant de longues années-, : « rassuré », il fut promu en juin 2016 ministre de l’Energie, considérant à tort qu’il avait obtenu ma mansuétude…

Le Matin d’Algérie : Etrangement, toutes les affaires s’arrêtent devant la porte de l’ancien président. Comment peut-on expliquer que Saïd Bouteflika qu’on disait être l’homme de toutes les décisions cette dernière décennie ne soit pas du tout touché par ces affaires judiciaires ?

Djilali Hadjadj (AACC) : Le système n’est disposé, pour le moment, qu’à sacrifier quelques brebis galeuses, le faisant au compte goutte, à la fois pour gagner du temps et essayer de faire croire à l’opinion publique qu’il est décidé à nettoyer les écuries d’Augias. Car en fait ce système s’adonne à un ravalement de façade, en mode amateur, qui ne trompe que les plus crédules des Algériens, s’inscrivant dans une sorte de changement dans la continuité.

Continuer à protéger l’ancien président fait partie d’une ligne rouge à ne pas franchir, le pouvoir conférant à Bouteflika un statut d’intouchable et faisant la sourde oreille aux appels de plus en plus pressants à le traduire devant les tribunaux.

Concernant l’ancien président, le pouvoir a choisi de se mettre en attente et de se cacher derrière les lois de la biologie…Le système n’est pas du tout enclin à ouvrir la « boîte de Pandore » de la corruption généralisée – cela précipiterait sa chute-, ce qui explique qu’il ait décidé d’épargner Saïd Bouteflika de ces procès-mascarades, alors qu’il est au cœur de toutes ces grands scandales. Il ne faut pas attendre des juges qu’ils partent à la conquête de leur indépendance et prennent l’initiative de convoquer Saïd Bouteflika ! Et d’ailleurs, situation cocasse s’il en est, même les avocats des inculpés n’osent franchir le pas dans ce sens.

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Le Matin d’Algérie : De plus en plus de voix s’interrogent sur l’immunité dont bénéficie l’ex-président Bouteflika ? Tout ou presque son entourage est inculpé dans diverses affaires, alors que lui continue de bénéficier des largesses de l’Etat…

Djilali Hadjadj (AACC) :  Même en ayant un pied à terre ou dans la tombe, le maître de céans continue de terroriser et de paralyser ses séides, ceux qu’il a fait, ceux qu’il a rendu puissants, ceux à qu’il a permis de s’enrichir sans honte bue, ceux qu’il a autorisés à user et abuser d’une impunité sans limite, à tous les niveaux, dans tous les secteurs et toutes casquettes confondues. A telle enseigne que le système fait exprès d’entretenir le mystère sur la situation actuelle de l’ex-autocrate Bouteflika, laissant les rumeurs alimenter toutes sortes de spéculations, refusant de communiquer à ce sujet.

On trouvera même un de ses anciens ministres, aujourd’hui dans l’opposition, qui ira jusqu’à demander qu’il y ait un procès symbolique ( !) contre Bouteflika, se permettant de réécrire à sa façon le Code pénal, confortant ainsi la démarche du pouvoir visant à le protéger coûte que coûte.

Lui a-t-on accordé une immunité ad eternum non écrite en contrepartie de l’abandon du pouvoir ? Ce deal très probable, de nature mafieuse, qui ne dit pas son nom, explique en grande partie la surdité du pouvoir aux revendications populaires et conforte la pertinence du « dégagez tous ! » brandit à haute voix tous les vendredis et tous les mardis depuis plus d’un an maintenant.

Le Matin d’Algérie : Le procès de Kamel Chikhi a vu l’acquittement de Khaled Tebboune, le fils du président. Quel est votre commentaire ?

Djilali Hadjadj (AACC) :  Il y a beaucoup de zones d’ombre dans l’affaire multiforme de Kamel Chikhi et le pouvoir est décidé à s’en débarrasser très rapidement et à la faire tomber dans l’oubli. La relaxe au profit du fils Tebboune – après deux années de détention préventive-, n’en est qu’un épiphénomène. Il faut reconnaître que ce cas précis est assez ubuesque : le pouvoir choisit un candidat aux présidentielles dont le fils est en détention ! Dans une démocratie, au plan éthique et moral, ce « choix » n’aurait pas eu lieu et ce candidat n’aurait pas accepté d’être coopté. Mais comme en Algérie nous ne sommes pas en démocratie…

Le Matin d’Algérie : le président Tebboune et son équipe gouvernementale multiplient les assurances et promesses. Croyez-vous qu’ils soient capables d’une amorce de sortie de crise surtout quand on sait que le président a été mal élu et ne possède aucune assise populaire ?

Djilali Hadjadj (AACC) :  Le système porteur de corruption est toujours là, lié à un dualisme de capitalisme sauvage et d’interventionnisme étatique, sur fond de réseau se structurant de manière clandestine – tel que définit par l’économiste français Jean-Cartier Bresson-, réseau mobilisant des « ressources » multiples : intérêts financiers, obéissance aveugle à la hiérarchie, solidarité de nature familiale, amicale, ethnique, clanique, religieuse, politique, régionale, sectorielle, corporative, et pour des objectifs non moins multiples dont la couverture d’activités illégales, petites et grandes.

A supposer, dans la meilleure des hypothèses, que l’actuel Exécutif ait la volonté d’amorcer une sortie de crise, il faudrait d’abord qu’il définisse les tenants et les aboutissants de cette crise – ce qu’il est incapable de faire et ce n’est pas la mission qu’on lui a confié-, d’autant plus que cet Exécutif n’est pas le pouvoir : il n’en est qu’un des instruments…Ce qui ne l’empêche pas d’alimenter une inflation d’annonces à tout va, à caractère populiste et démagogique, souvent irréalistes et irréalisables, et tournant le dos à leur mise en chantier.

Le Matin d’Algérie : Le mouvement de dissidence populaire a plus d’un an. Depuis quelques mois, le pouvoir en place ne semble plus intimidé par les millions d’Algériennes et d’Algériens qui manifestent toutes les semaines. Il s’en tient à son agenda sans tenir compte de la contestation. Faut-il imaginer une autre forme de lutte pour peser sur les choix du régime ?

Djilali Hadjadj (AACC) : Le Hirak est parti pour s’installer dans la durée et c’est une très bonne chose ! Le pouvoir a peur du Hirak, n’en veut pas, n’en veut plus et fait tout – au prix d’une répression sans précédent et à ciel ouvert-, pour s’en débarrasser, mais sans y parvenir. Au contraire, le Hirak reprend des couleurs, après avoir traversé quelques turbulences : il continue de mobiliser de plus en plus et s’érige en « Parlement » populaire siégeant en permanence, occupant tous les espaces qui étaient interdits aux Algériens depuis des décennies. C’est plutôt le Hirak qui a un agenda – démocratie, libertés, justice sociale, droits de l’homme, non violence-, définit dans la rue et par la rue, et dont essaye de s’inspirer partiellement le pouvoir sur la défensive dont le seul agenda est de se perpétuer.

Le Hirak n’est plus dans la contestation, il installe sa révolution, et à mon avis il doit préserver, consolider et maintenir ses formes d’action actuelle, tout en renforçant et en multipliant les passerelles de solidarité, d’échanges et de concertation qu’il est en train de construire entre toutes les strates de cette mosaïque populaire, entre toutes les wilayas du pays et en dehors du pays.

Le Matin d’Algérie : Depuis quelques jours on voit le retour des islamistes au devant de la scène. Même s’ils étaient toujours en embuscade, leur bruyant retour a semé le trouble auprès de certains qui craignent de voir le Hirak récupéré. Quelle est votre lecture de ce développement, vous qui avez été depuis le début au cœur du mouvement ?

Djilali Hadjadj (AACC) : Il faut être honnête : personne n’a rien vu venir avant le 22 février 2019. Il y avait des signes avant-coureurs, depuis des années, des mois et des semaines avant, mais aucun ne s’imaginait que cela allait prendre ces heureuses proportions. Le Hirak a surgi, alors que personne ne s’y attendait et même si nous étions nombreux à militer dans ce sens depuis longtemps pour qu’il survienne. Le courant islamiste, qui avait déjà perdu beaucoup de son ancrage au sein de la société, non seulement n’a rien vu venir, mais il a été le plus surpris par la déferlante du Hirak, allant jusqu’à emprunter les méthodes de la police politique en photographiant et en filmant les manifestations dans nombre de wilayas pour essayer d’en identifier les supposés animateurs….

Les militants islamistes les plus avertis ne se sont pas investis dans le Hirak les premiers mois, craignant les représailles de l’appareil sécuritaire et le rejet de la rue.

Leur présence, pour les plus téméraires d’entre eux et ayant pris leurs distances avec les partis de cette mouvance, actuellement diluée dans le Hirak, ne doit pas être surestimée, même si certains courants de cette mouvance préfèrent se rapprocher du pouvoir en place, à défaut d’avoir réussi à être une composante qui compte dans ce Hirak. En fait, toutes les organisations partisanes ou ce qu’ils en reste, sont presque dans la même situation.

L’avenir démocratique du pays se dessine dans l’émergence d’une nouvelle société civile et d’une nouvelle classe politique où la jeunesse est décidée à en définir les contours et en assurer la conduite.

Auteur
Entretien réalisé par Hamid Arab

 




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