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Du bon usage de la souveraineté en Europe

DECRYPTAGE

Du bon usage de la souveraineté en Europe

Disons-le d’emblée, l’autarcie choisie, frileuse et repliée ne peut proposer un horizon enviable pour aucun peuple. Les pays qui se sont retrouvés dans cette situation ne l’ont pas choisie.

Elle leur a été imposée.  Et les conséquences ont souvent été douloureuses pour eux. Face à la mondialisation déferlante la question n’est plus de la fuir, mais de savoir comment y faire face et s’en protéger, voir d’en tirer avantage comme certains pays ont su le faire. Il y a longtemps que nous sommes entrés dans un monde interdépendant – certes où certains étaient plus dépendants que d’autres – dont il serait vain de parier sur la fin, même lointaine. La planète s’est rétrécie. Des problèmes communs de plus en plus nombreux sont apparus et appellent, pour y faire face, à des coordinations de plus en plus étroites dans le respect des souverainetés de chacun.

C’est cette notion de souveraineté qui est au cœur de la mise en relation avec d’autres. Personne n’ose la réfuter, car alors il faudrait dans la foulée avancer ce que serait son contraire souhaitable. C’est de l’ordre de l’indicible. Qui oserait dire qu’il  est favorable à une soumission, une dépendance, une obéissance, une servilité ? On l’a compris tout le monde se réclamera de la souveraineté, quitte à la décliner sous différentes acceptions.

Dans la mondialisation, il est d’usage, face à ce qu’il est convenu d’appeler la «contrainte extérieure » de se réclamer de la souveraineté. Mais celle-ci sera déclamée tantôt comme populaire, tantôt comme nationale. Comment s’ y retrouver ? 

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La « populaire » sera souvent avancée par les forces progressistes qui verront dans la « contrainte extérieure » alléguée le prétexte de revenir sur des acquis sociaux présentés par les tenants d’un libéralisme mondialisé comme des scories rendant inaptes à s’insérer dans la concurrence internationale. Car pour les adeptes de cette mondialisation, la « contrainte extérieure », ou les « signaux » des marchés ne signifient rien d’autre qu’une contrainte interne qu’il s’agit de casser pour rendre le pays apte à s’insérer dans le marché mondial. Le prurit de la réforme – en réalité la casse des acquis sociaux – les animera de façon fébrile ?

La « nationale » sera revendiquée par des secteurs de l’économie qui se sentiront fragilisés et menacés par la concurrence mondiale. C’est l’expression d’un petit ou moyen patronat qui ne sent pas apte à résister à cette concurrence qui vient de loin. Elle sera revendiquée par des couches sociales souvent attirées par un vote à droite.

Il est des circonstances, assez exceptionnelles, où ces deux approches de la souveraineté peuvent se rapprocher et bousculer les clivages politiques établis. Ce fut le cas dans la Résistance où la création du Conseil national de la résistance transcenda les deux approches qui fusionnèrent à travers le terme de patriotisme.

En 2005, à l’occasion du référendum sur le Traité constitutionnel européen, le Non de gauche et le Non de droite se mêlèrent dans l’urne, chacun exprimant une acception de la souveraineté différente, pour les uns des craintes sociales, économiques et monétaires, pour les autres des préoccupations sociétales ou identitaires, mais tous deux comprenant que la structure supranationale que représentait l’Union européenne était devenue incompatible avec leur projet politique.

La construction européenne présente un cas particulier de la mondialisation. C’est un espace continental où ses formes ont été les plus accentuées et où les traités se sont empilés entrainant chaque fois des délégations de souveraineté : Acte unique, Traité de Maastricht, Pacte de stabilité, le tout repris et rassemblé dans le corset du Traité de Lisbonne et complétés et aggravés par ceux découlant de la gestion de la monnaie unique allant jusqu’à faire obligation aux parlement nationaux à faire viser par la Commission européenne les projets de budgets de chaque pays. La construction européenne est ainsi devenue le laboratoire de la mondialisation, sa forme la plus avancée et ne peut être considérée comme potentiellement lui être porteuse de résistance. Car elle en réunit tous les ingrédients : marché unique, libre circulation des marchandises, des capitaux et des travailleurs dans un espace où les écarts de salaires s’échelonnent de 1 à 9 et où les normes sociales, fiscales et environnementales sont différentes. Dans un tel espace ce qui s’échange ce ne sont pas des marchandises mais les conditions contextuelles dans lesquelles elles sont produites. Il est vain alors de parler de concurrence libre et non faussée.

Les dérives délétères de la mondialisation y ont été multipliées rendant problématiques les conditions de l’exercice de la souveraineté dans cet ensemble européen. On comprend ainsi pourquoi prétendre construire l’Europe pour s’opposer à la mondialisation relève de l’escroquerie.

On ajoutera que tous ces traités, empilés et gravés dans le marbre puisqu’il faudrait un accord unanime pour les modifier, n’ont pour principale fonction que de permettre aux bourgeoisies conservatrices du continent de prendre une assurance tous risques contre les aléas de la démocratie et du balancier politique en intimant à tout « déviant » la nécessité de rentrer dans le « cercle de la raison ». Jean-Claude Juncker a su résumer cette situation en annonçant au Grecs en 2015 qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens déjà ratifiés » et nous a ainsi annoncé la nature du verrouillage mis en place. La question est alors de savoir si les délégations de souveraineté consenties doivent servir de plafond de verre contre la démocratie ou au contraire, si cette Union européenne renforcée doit devenir permissive, voire accompagnatrice des changements espérés par les pays-membres.

Bien sûr, il est vain de prétendre co-construire avec d’autres sans imaginer devoir déléguer des moyens ou de la souveraineté. Mais cela se fait avec l’objectif de renforcer l’échelon supérieur afin qu’il protège mieux ou qu’il s’oppose à des forces extérieures jugées délétères.

Par exemple mettre tout en œuvre pour faire face aux grands acteurs de la mondialisation, comme les grands États, ou la finance mondialisée, les firmes multinationales, les lobbies, etc. Mais pas pour leur dérouler le tapis rouge faisant de l’Union européenne un espace à dévaliser où l’on vient faire son marché. On pense à tout ce qui pourrait être fait au service d’une politique industrielle maitrisée, à la lutte contre les paradis fiscaux, contre l’impunité et l’arrogance des GAFA ou le poids des lobbies qui foisonnent à Bruxelles.

Le piège se referme lorsque les délégations de souverainetés se retournent contre l’échelon de départ, le pays-membre, et deviennent constitutives de contraintes, notamment austéritaires – au travers des « critères » de Maastricht – façonnées par des instances communautaires non-élues. L’exemple des directives européennes élaborées à Bruxelles et qui irriguent la production législative des parlements nationaux doit faire réfléchir. Voilà des textes qui sont élaborés sous l’influence de lobbies, c’est à dire dans des conditions qui ne seraient pas autorisées en France, et qui vont être adoptées en bloc et sans discussion par nos parlementaires. C’est ainsi que l’ « harmonisation » européenne avance masquée. De telles délégations de souveraineté consenties dans de telles conditions et sachant qu’elles vont se retourner contre les pays-membres en lui imposant ce qu’il n’a pas voulu à priori devraient s’intituler abandons de souveraineté et consistent à se livrer pieds et poings liés au bourgeoisies libérales-conservatrices qui dirigent l’Union européenne.

Il faut évidemment se poser la question de la place du curseur des délégations de souveraineté au sein de l’Union européenne. Il faut se demander à quoi elles servent ? Protéger les peuples européens ou au contraire renforcer les contraintes qui pèsent sur eux ? Il faut enfin se demander quel type d’Europe, forte des délégations opérées, pourrait être la garante des aspirations voulues par les peuples des États-membres ?

Michel Rogalski,  directeur de la revue Recherches internationales

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

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Auteur
Michel Rogalski (*)

 




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