Prenons juste le point de départ de l’anomalie, en restant en dehors de toute prise de position politique. Le parti de la candidate arrivée au second tour des présidentielles obtient à peine de quoi constituer un groupe parlementaire (en considérant les prévisions du second tour). C’est à partir de cette anomalie qu’il faut expliquer le scrutin majoritaire français que le temps condamnera certainement dans un avenir proche.
Dans mes très anciennes fonctions dans un parti politique, à une époque de naïveté où nous pensions pouvoir construire les bases d’une démocratie future en Algérie, j’avais en charge la préparation du projet sur la Constituante et, en conséquence, de toutes les propositions concernant le mode de scrutin.
Je m’étais rendu compte du nombre de petites réunions et d’articles qu’il fallait pour expliquer ce qu’était ce scrutin majoritaire par circonscription que nous devions affronter.
J’avais constaté qu’il s’agissait aussi bien d’un public peu instruit que celui de camarades ayant de très hauts diplômes. L’origine de ce phénomène est simple à comprendre.
Tous reléguaient le mode de scrutin à un rôle d’outil technique. Certes ils savaient qu’il avait un effet de distorsion mais ils pensaient que l’essentiel était dans la bataille politique en engrangeant le plus de suffrages possibles.
Ils avaient raison pour l’aspect quantitatif mais il est très loin de suffire. Le parti de Marine Le Pen en sait quelque chose. Le nombre de suffrages obtenus et le nombre de sièges espérés sont divergents d’une manière si importante qu’il y a là un détournement de la démocratie, quel que soit notre sentiment envers les idées extrémistes.
Je suis viscéralement opposé aux thèses de ce parti politique mais un démocrate doit toujours affronter les difficultés de la démocratie. Il ne peut espérer ses bienfaits en combattant avec des méthodes qui lui tournent le dos. Le courage politique suffit à terrasser les opposants lorsque les urnes sont la règle du départage.
Exposons dans cet articles quelques éléments clés, fondamentaux mais très simplifiés. Ce n’est pas avec cela que le lecteur passera le concours de l’ENA mais au moins confrontera-t-il ses connaissances avec ce qui doit être su, au minimum.
Qu’est-ce que le scrutin majoritaire ?
Rappelons d’entrée que le système majoritaire français prévoit deux tours alors que celui de la Grande Bretagne, par exemple, n’en prévoit qu’un.
Le principe est le même mais le système outre-manche est beaucoup plus amplifié dans ses effets d’écrasement des petits partis, les marginalisant à outrance, ce qui permet un bipartisme historiquement stable, comme aux Etats-Unis.
Les candidats se présentent sur un territoire, la circonscription. Première erreur communément partagée, la circonscription n’est pas la délimitation communale.
Celui qui obtient au premier tour la majorité absolue est nommé député (50% + une voix).
En cas d’absence de majorité absolue, les deux premiers se confronteront au second tour, celui qui l’emportera sera élu définitivement. Attention, le pourcentage obtenu, au premier comme au second tour, est calculé sur les suffrages exprimés et non sur le nombre d’électeurs inscrits.
L’abstention est ainsi un grand facteur de mesure de la légitimité politique. Mais le droit ne connaît pas la politique, il déclare vainqueur celui qui a obtenu le plus grand nombre de voix des électeurs qui ont cru nécessaire de se déplacer. La démocratie est à ceux qui la veulent.
Le mécanisme de déviance démocratique
C’est là où la pédagogie doit entrer en jeu car tous connaissent l’effet déviant mais rares sont ceux qui savent pourquoi.
Soit les deux seuls partis politiques existants dans un pays, par nécessité de simplification, A et B. Si nous prenons en compte uniquement les suffrages exprimés (les votants), comme la loi l’exige, le parti A a obtenu 10 000 suffrages et le Parti B, 8 000 au second tour. La circonscription recense 32 000 inscrits sur la liste électorale. Pas besoin de majorité absolue car c’est le second tour, le candidat du Parti A l’emporte.
Le Parti B a perdu 8 000 voix qui ne peuvent se répercuter sur d’autres circonscriptions. Et si nous imaginons que le parti A est arrivé premier dans 90 % des circonscriptions, nous devinons l’hécatombe en voix pour le parti B puisqu’elles ne se répercutent pas dans d’autres circonscriptions. Il se retrouverait avec un nombre en sièges réduit en peau de chagrin, voire pas du tout représenté à l’Assemblée nationale.
Ceci n’est pas normal car toutes les dizaines de milliers d’électeurs du parti B ont finalement un pouvoir électif nul, ils ne sont pas représentés. C’est tout simplement inadmissible en démocratie.
Le scrutin proportionnel aurait provoqué, par définition, un nombre de sièges proportionnel au pourcentage des suffrages obtenus. N’est-ce pas là la base conceptuelle et fondamentale de la démocratie ?
Ainsi, le Rassemblement National, totalisant près de la moitié des voix aux présidentielles se retrouve marginalisé sur les bancs de l’Assemblée. J’en suis rassuré du point de vue de mon intérêt personnel mais outré du point de vue de ma sensibilité de démocrate.
Et ceci, sans compter l’effet de l’implantation historique du parti A qui, très vraisemblablement, a été dominant pendant plus longtemps. Il faut au parti B un miracle, un retournement de sociologie politique énorme pour arriver à casser l’effet du scrutin majoritaire.
C’est le meilleur moyen de nourrir les frustrations d’un électorat qui se réfugie dans les extrêmes et qui, arrivant un jour au pouvoir, aura une idéologie plus dangereuse pour la démocratie. En voulant la protéger par un garde-fou qui fait exception à ses règles, on se met en risque d’obtenir l’effet radicalement inverse.
En Grande-Bretagne, c’est pire car il n’y a qu’un tour. « The winner takes it all », le vainqueur rafle tout. Il faut comprendre que c’est un système qui privilégie le bipartisme, en partie parce que l’histoire de la Grande Bretagne n’a pas le même morcellement politique que la Révolution française a généré (une explication très simplifiée mais correcte).
D’où vient cette anomalie démocratique ?
Dès le début de la IIIème république en 1875, celle qui allait installer définitivement la république parlementaire, à l’exception de l’intermède regrettable du gouvernement de Vichy, la France allait connaître une valse impressionnante de gouvernements, renversés l’un après l’autre dans la frénésie des disputes politiques incessantes.
Mais ce qui a le plus marqué l’instabilité gouvernementale française est incontestablement la IVème république qui a explosé le record en comparaison avec la IIIème.
Le général de Gaulle en avait fait les frais lorsqu’il démissionna en 1945, aussitôt après la seconde guerre mondiale où il fut Président du conseil.
Il ne cessa d’accuser le « régime des partis » qui, selon lui, par son instabilité a conduit la France a une catastrophe, notamment dans sa gestion des colonies et l’affaiblissement de sa puissance dans le monde.
Alors, par le discours de Bayeux en 1946, il conçut les grands traits de ce qu’il allait proposer dans un référendum, en 1958, à son retour au gouvernement.
La Vème république allait construire un régime parlementaire hybride, avec la prédominance d’un exécutif, par l’élection du Président au suffrage universel et un mode de scrutin qui devait produire des majorités stables et donc des gouvernements stables.
L’auteur de l’article pense que la relative stabilité institutionnelle de la France durant la période ultérieure n’est pas le fait de la Vème république mais des « trente glorieuses » (trente ans de prospérité économique jusqu’à la crise pétrolière de 1973).
D’autres grandes démocraties ont eu la même période de croissance forte tout en adoptant le scrutin proportionnel et le régime parlementaire pur qui allaient permettre la stabilité en même temps que le respect scrupuleux de la démocratie.
Et la promesse du scrutin proportionnel ?
C’est une promesse constante, y compris du président Macron, jamais réalisée sinon par des ajustements en incrustant de petites doses de proportionnalité, sans grands effets.
Il faut dire que le Président Mitterrand avait traumatisé une seconde fois la France, après la IVème république, en étant le premier à la réintroduire dans des élections législatives.
Mais ce grand stratège de la politique ne l’avait pas introduite pour la démocratie. Il voulait donner au Front National une place à l’Assemblée afin d’effrayer la droite et faire reporter sur la gauche des suffrages détournés.
Voilà pourquoi le scrutin proportionnel « traîne une casserole » et reste ancré dans la mémoire des citoyens comme le meilleur moyen de briser la stabilité nationale tout en favorisant l’émergence des extrêmes.
Le souci est que les partis politiques promettent toujours l’instauration de la proportionnelle, ou une dose significative, lorsqu’ils sont dans l’opposition, condamnés à une marginalisation. Mais lorsque le scrutin majoritaire les avantage d’une manière écrasante, pourquoi voulez-vous qu’ils soient aussi fous de mettre en jeu leur hégémonie.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant
Qui a dit que la démocratie est le pire des systèmes?
Il n’y a pas de système électoral parfait ni même juste . En vérité les élections ne font pas la démocratie. L’important c’est l’Etat de droit et les libertés individuelles.
Et tout dépend de la société , de sa culture. Quand une société est totalitaire à quoi lui servirait la démocratie ?
MLP obtenu un score de 53,96% des voix mais se retrouve en ballottage. Sofia Chikhiou de NUPES 53,75% est élue. Parce qu’il faut obtenir un taux de plus de 25% des inscrits . C’est une prime aux abstentionnistes , mais pour le premier tour seulement.
Si untel a obtenu tant à la présidentielle , pourquoi son score serait-il reporté pour la prochaine élection ? MLP a obtenu 42% à la présidentielle et alors ? Il n’ y avait que deux candidats ! Ensuite, certes la proportionnelle intégrale est plus démocratique mais dans ce cas le risque c’est de ne jamais dégager de majorité. Sinon pourquoi pas une présidence à la proportionnelle aussi ?
Sinon il faut une proportionnelle partielle avec prime au gagnant qui aura la majorité absolue. Et proportionnelle intégrale pour l’autre moitié.
Ou un système comme le nôtre ou ont décide des résultats des élections avant le vote pour éviter les mauvaises surprises.