AccueilIdéeFaut-il crucifier les évangélistes algériens ?

Faut-il crucifier les évangélistes algériens ?

Evangélisation

Cette fin d’année 2023, la question des libertés religieuses en Algérie est remise sur la table des festins politiques. Sonnant fortement aux portes des décideurs, y aurait-il quelqu’un d’entendeur ?

Depuis 1968, les évangélistes protestants accumulent et avec beaucoup de peines, de nombreuses difficultés à se faire écouter dans une Algérie à idéologies variables.

Le 19 décembre 2023, l’ambassadeur de France en Algérie est au CNDH de M. Abdelmadjid Zaalani afin d’évoquer la question des droits de l’homme en terme de liberté de la pratique religieuse versus les accords de Paris.

Le 25 juillet de la même année, Hamid Soudad est libéré après avoir été condamné à 5 ans de prison (20 janvier 2021) pour avoir « blasphémé le prophète de l’islam ». Une grâce présidentielle qui ne touchera pas M. Youcef Ourahmane, le vice-président de l’Eglise Protestante d’Algérie (EPA) qui est condamné pour « organisation de culte dans un lieu non autorisé, en mars 2023 ». L’EPA regrouperait quelques 45 à 47 églises protestantes et ayant obtenu la reconnaissance de l’Etat algérien déjà dès 1974, en tant qu’association religieuse tout comme les associations sportives ou celles des mosquées de quartiers.

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Tout semblait aller pour le mieux pour cette composante chrétienne jusqu’à la promulgation de la loi de 2012 lui exiger de « réenregistrer » sur la base de nouvelles procédures comme s’il s’agissait d’une entreprise commerciale. Un bras de fer s’installera depuis, entre les tenants de la religion d’Etat envoûtés par la théologie du confrérisme réactionnaire et ceux de la libre propagation de l’Evangile.

Les Etats-Unis s’en mêlent en tant que amendement « divin » de l’Evangélisation mondiale, Ils laissent paraître son rapport 2023 sur l’état des libertés religieuses dans certains pays en mentionnant l’Algérie comme l’un des pays les plus persécuteurs des minorités religieuse entre Protestants et adeptes de la Ahmadyah d’obédience anglo-pakistanaise. C’est à ce titre que la machine médiatico-religieuse entre en œuvre et c’est à l’Alliance évangélique mondiale et au Conseil œcuménique des Eglises de soumettre leur rapport devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies considérant que depuis 2018 au moins 26 églises ont été contraintes à fermer leurs portes mettant quelques 8000 à 10000 convertis dans la contrainte de pratiquer leurs rituels.

La lecture américaine en tant que société profondément évangélisée estime l’Etat algérien comme un gouvernement qui considère « le christianisme comme un danger pour l’identité islamique algérienne et  tente par tous les moyens de réglementer l’Eglise pour la réduire à néant », peut-on lire dans International Christian Concern de 2023.

De son côté, la très officielle Commission US sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) a classé l’Algérie dès 2021, comme « un pays a surveiller de près pour avoir commis de graves violations de la liberté de religion ». Et c’est l’OpenDoors, une organisation d’évangélisation internationale de classer à son tour Alger au 19e rang mondial comme « pays de persécution des chrétiens ».

En agitant une telle carte aux yeux des décideurs algériens, la visée est de semer le doute entres communautés religieuses d’un même pays et l’amenant à considérer que le messianisme protestant est bien le représentant fondamental de la religion chrétienne sur cette planète. Entre la « décennie rouge » et les 20 années de dislocation de l’Etat comprador, le jeu dangereux de faire paraître le confrérisme islamique a ouvert l’appétit à un semblant de croisade des fois religieuses de toutes obédiences.

Voulant asseoir le messianisme  évangélique comme une des dimensions identitaires propre à l’Algérie, les 100000 de croyants et l’EPA sont conçus comme minorités religieuse persécutée et mérite donc toutes actions de protection !

En appelant à faire « des disciples de toutes les nations », le Saint-sauveur évangélique s’est installé à Washington afin de veiller sur son œuvre en terre africaine. Entre l’appel biblique selon Mathieu, le caractère essentiel de la crucifiassions du Christ, l’engagement « militant » et associatif dans la communauté des fidèles et la centralité de la Bible, le Protestantisme évangélique est la produit fini de la nourriture spirituelle américaine.

Après que la conquête du messianisme anglo-saxon a gagné l’Afrique francophone, voici que l’œuvre du renouveau évangélique se met en branle à travers la North-African Mission (NAM) partant à le reconquête des trois pays du Maghreb au détriment de leurs Etats fédérateurs et de leur « islam centralisateur ».

Ce reposant sur des études sociologiques bien néopositivistes des premiers et richissimes missionnaires anglais du XIXe et du début du XXe siècles de la colonisation, le projet NAM est bien orienté sur l’Algérie à travers laquelle on créa des « stations » évangélistes à Constantine, Tlemcen et Tizi-Ouzou. C’est à la lecture du document intitulé Le Christianisme en Afrique du Nord, de l’Oxford Center of Mission Studies (2016) que nous apprenons que « l’évolution des diocèses catholiques du Maghreb après les indépendances est également caractérisée par une collaboration œcuménique renouvelée avec les Eglises protestantes dont – minorités dans la minorité – étaient conservées tout au long de la période coloniale dans l’ombre d’un catholicisme majoritaire et peu dialoguant ».

C’est un «christianisme émergent » qui a été conçu pour la Kabylie reposant sur une sorte entrepreneuriat spirituel à travers l’Eglise protestante du plein évangile de Tizi-Ouzou (EPPETO) créée dès 1999, rassemblant  quelques 1200 fidèles, l’Eglise pentecôtiste charismatique est parmi les 15 établissements religieux de la ville rattachés à  l’EPA et en 2014 « elle a réalisé 200 baptême d’adultes (52 % de femmes et 48 % d’hommes) sur un total de 940 baptêmes durant 7 ans entre 2007 et 2014 ». Comment peut-on expliquer cet intérêt pour l’évangélisme protestant dont l’histoire n’est nullement étrangère ni à ce pays ni à la région de Kabylie ?

Mustapha Krim, ex-président de l’EPA entre avril 2007 et juillet 2014, l’expliquait en ces termes : « En Kabylie, nous avons une immigration de longue date vers l’Occident. Cela a des effets culturellement parlant, dans le sens d’une plus grande ouverture d’esprit. Les Kabyles sont plus « branchés occidental », alors que tout ce qui est arabophone est plus lié au Moyen-Orient dans les centres d’intérêt, la pensée globale. »

En insistant sur l’algérianité des chrétiens, M. Krim dira que « nous sommes les enfants du pays au même titre que tout les autres », ces « autres » ont eu aussi à choisir durant les dernières 25 années, des barricades culturelles en adhérant à d’autres révélations spirituelles outre que l’appel du prophète de l’islam ou celui du saint-sauveur.

Entre Ahmadyah et chiisme duodécimain (reconnaissance de 12 imams de l’obédience iranienne), il a ceux qui ont même optés pour le « Luciférisme » comme rejet du monde de la prophétie livresque. Est-ce dire que les Algériens font exceptions au reste du monde ? Du tout. Ils vivent pleinement leurs choix personnels en l’absence de débats et de dialogues sous couvert de poursuites pour prosélytisme à l’encontre de la religion d’Etat. Contrôler les âmes en verrouillant d’avantage des espaces d’expressions, mène à faire sauter le couvercle de la bouilloire Algérie et sa suffocante inertie.

Lorsque le pays s’est amusé à déclarer, devant un Pape catholique romain, être le pays de l’Eglise chrétienne africaine en se trompant de qualifier Sa Sainteté de Saint-Paul au lieu de Saint-Pierre, c’est dire la distance qui sépare ces décideurs entre les différentes constellations de l’univers des croyances. On remplaça la mosaïque culturelle algérienne par le seul marbre de djebel Filfila, sans se référer à l’histoire bien récente de la République laïque coloniale.

Vers la fin du XIXe siècle colonial, nous pouvions lire sur L’Indépendant de Mascara (13/1/1892) et sous le titre de « Missionnaires anglicans en Algérie », que « le gouvernement français avait invité les missionnaires anglicans  établis en Algérie, sous peine d’expulsion, à s’abstenir de toute propagande religieuse à l’égard des musulmans ». L’organe de la London Missionary Society, le Chronicle avait répondu que « ces missionnaires ont toujours montré la plus grande loyauté envers la grande nation, sous la protection de laquelle ils vivent ». La mission anglaise en question  été créée en 1881 et avait comme objectif de pouvoir subvenir « aux besoins spirituels pressants des Kabyles de l’Algérie que personnes n’avait évangélisée », peut-on lire sur Le Petit-Colon  de la même période. Réorganisée en 1883, la mission étendait son action sur l’ensemble des populations musulmanes de l’Afrique du nord. Elle établira des « stations » dans diverses villes du Maghreb en Egypte et dans l’Arabie du nord (Jordanie et Palestine). Les « stations » en question font éveiller « l’amour du Christ chez les juifs, les musulmans et les Européens ».

Leur œuvre évangélique «  embrasse les chrétiens de toute dénomination qui aiment sincèrement notre Seigneur ». Cette action est jugée par la France continentale comme « une entreprise  aussi dangereuse pour l’ordre moral et matériel de nos possessions », ajoute Le Petit-Colon dans un climat politico-social marqué par une animosité antijuive et antiprotestante des plus meurtries.

Si le messianisme anglais de la nuit coloniale a été remplacé par l’aurore évangéliste américain dans une Algérie postcoloniale, les enjeux politiques demeurent les mêmes et si l’on accepte ce changement de coachs, il faut accepter la vente de l’Evangile selon Mathieu dans sa version d’anglais américain sans aucune traduction s’il vous en conjure !

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

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