6 mai 2024
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La chanson El Harraz ou l’amour ardent

El Hachemi Guerrouabi
Qui n’a pas été bercé au rythme et à la mélodie dès les premières notes de El Harraz ? Longtemps, cette emblématique chanson châabi nous a fascinés et intrigués en même temps. Longue chanson avec une introduction ennuyeuse par moment, El Harraz a été sublimée quand elle fut interprétée par El Hachemi Guerouabi.

Nous avons mis du temps à pénétrer ce poème et à en saisir les différentes subtilités. Il nous a fallu du temps pour traduire en français ce corpus et le confronter avec les traductions existantes (une seule sur Facebook).

Nous voulions interroger le texte dans sa langue (arabe dialectal) pour ressortir les allusions et le sens figuré des figures de style utilisées par l’interprétant. Qu’il nous soit permis, humblement d’approcher cette chanson avec les insuffisances qui sont les nôtres (notre connaissance de l’arabe dialectal est limitée).

El Harraz fait partie du patrimoine culturel algérien. Eternelle et indémodable, cette chanson a été créée par le cheikh El-Mekki Ben El-Qorchi, poète-conteur aveugle marocain. Le terme « Harraz » renvoie initialement au Cerbère : un gardien intraitable. Mais aussi à l’auteur de talismans protecteurs ou maléfiques. Dans le contexte de la chanson, El Harraz est un gardien cupide et intraitable qui empêche une femme aimée de rejoindre son bien-aimé.

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La chanson met en scène un homme amoureux qui déploie des trésors d’ingéniosité pour déjouer la stricte vigilance d’El Harraz. « El Harraz » est un thème populaire dans la littérature algérienne, largement exploité dans le genre melhoun, une forme de poésie traditionnelle en arabe dialectal. El Hachemi Guerouabi a interprété deux versions de « El Harraz », dont l’une est « Harraz Aouicha ».

La chanson « El Harraz » est une représentation poétique de l’amour contrarié, de la ruse et de la persévérance face aux obstacles. « El Harraz » raconte l’histoire d’un homme appelé Ouicha qui est amoureux d’une jeune fille, surnommée « la gazelle ». Dans l’amour platonique, la gazelle représente la belle dulcinée. Cependant, un homme érudit et rusé, surnommé, » El Harraz », est également tombé sous le charme de la gazelle et l’a emmenée dans son palais.

Que faire ? Quel stratagème choisir ? Quelle ruse efficace opposer à ce cerbère érudit du Hidjâz, venu au Maroc par désir de parade ? Il connaît, ô esprit vif, l’art de la navigation des Romains hostiles, instruit par tant de sages et de savants en astrologie, courageux et plein d’audace, bien informé sur les ruses des femmes, buveur invétéré, et attiré par la compagnie des jeunes filles, la passion de sa vie. Il parcourut le monde, visitant villes et villages, à la recherche d’une gazelle.

Ouicha se demande comment il peut rivaliser avec (El Harraz) et récupérer la gazelle. Il décide d’utiliser divers stratagèmes pour atteindre son objectif. Il se présente d’abord au palais de El Harraz en se faisant passer pour un juge et lui demande de le rencontrer, mais El Harraz le rejette.

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« J’ôtais la djellaba pour endosser l’habit de Qadi ; J’avais un livre enveloppé dans une bourse en feutre, et un chapelet à la main droite, je me composai une barbe argentée, et nous nous dirigeâmes vers le palais. Les gardes demandèrent : « O érudit, voudrais-tu leur répondre» ? Et El Harraz de la gazelle de m’interpeller : « Que représentes-tu, ô Marocain ?» Je répondis : « Je suis le Qadi de la ville venu solliciter ta bénédiction, ô sage érudit, et t’inviter, au nom du Généreux, à honorer ma demeure de ta visite ».

Il me rétorqua : « Ô Mutazilite ! cette paix offerte, je ne la crois pas sincère. Pour moi, votre nourriture est illicite et tu es un Qadi fourbe. Passe ton chemin et éloigne-toi de moi ! Comment un importun ! Comme toi pourrait-il être Qadi ? »

Ensuite, Ouicha revient avec un groupe de personnes déguisées en disciples d’un saint local, Sidi Rahhal, et ils tentent d’entrer dans le palais en prétendant vouloir présenter des offrandes au El Harraz.

Cependant, El Harraz devine leur ruse et ordonne à ses gardes de les chasser. « Fort d’un autre stratagème, j’irai revoir ce El Harraz pétri de ruses en disciple de Sidi Rahhal, accompagné de dix hommes déterminés, parés de coiffure rituelle et portant des bouilloires, des cierges allumés, des bendirs accordés et tous danseurs de transe. »

Finalement, les jeunes filles qui sont amies d’Ouicha proposent une nouvelle stratégie. Elles se rendent au palais de El Harraz avec Ouicha déguisé en femme, et prétendent être un groupe de musiciennes venues pour divertir El Harraz. El Harraz les rejette à nouveau, les insultant : « Alors que je racontais aux jeunes filles ses faits et gestes, les
belles me dirent : « Ô l’amoureux, nous allons t’accompagner nous douze, toutes d’une beauté triomphante : trois virtuoses de kamandja, trois joueuses de luth maîtrisant parfaitement cet instrument, trois percussionnistes sachant sur le bout des doigts leurs quaçayed, et trois danseuses charmant jusqu’au doyen des pénitents.

Le vieillard en redeviendra jeune et oubliera ses cheveux blancs » (…) Je me couvris d’un haïk de fine laine et les jeunes filles me dirent : « Oh cheikha, précède-nous donc !
Nous te prénommons désormais Oum Yamna ».

Nous nous dirigeâmes vers le palais. Les gardes demandèrent : « Ô maître, voudrais-tu leur répondre ? » Le cerbère de la gazelle demanda : « Qui parmi vous est la cheikha » ? Je lui répondis : « C’est moi, ô sage érudit, nous sommes venues de Fez pour te voir, toi le sage érudit, le plus cher d’entre les hommes, pour le plaisir de la musique ».

Il me répondit d’une voix grondante : « Tu es une diablesse, tu es venue à moi avec des airs patelins, cherche plutôt un campement où te loger, pauvre hère.

Malgré ses échecs répétés, Ouicha reste déterminé à récupérer la gazelle et continue à chercher des moyens de contrecarrer El Harraz.

La chanson se termine sur une note de suspense, avec Ouicha toujours en quête de la gazelle et se demandant quelle ruse efficace il pourra utiliser pour atteindre son objectif. La trame narrative de la chanson tourne autour du protagoniste, Ouicha, et de ses tentatives de rivaliser avec El Harraz pour récupérer la gazelle. Chaque stratagème qu’il utilise se heurte à l’intelligence et à la ruse du El Harraz. Cependant, il ne perd pas espoir et continue à chercher des moyens de gagner. La chanson met en évidence les thèmes de l’amour, de la rivalité, de la ruse et de la détermination.

A la fin du poème »El Harraz », l’amoureux Aouicha parvient finalement à déjouer la vigilance d’El Harraz et à rejoindre sa bien-aimée. Après avoir utilisé diverses ruses et déguisements, il décide de se présenter seul et sans déguisement devant El Harraz.

Il commence à chanter les vers qu’il a écrits pour sa dulcinée. El Harraz, affaibli par l’effet de la musique et du vin, ne fait pas attention. La bien-aimée reconnaît la voix de son amoureux et lui répond en fredonnant : « Toutes les ruses que tu as utilisées ont été dérisoires, si tu étais venu la première fois sans déguisement, on n’aurait pas été séparés pendant tout ce temps, mais aujourd’hui je vais montrer à ce El Harraz, qui nous a séparés pendant douze jours, ce que valent les Marocains ».

La chanson est la représentation poétique de l’amour contrarié, de la ruse et de la persévérance face aux obstacles. Appliquer la grammaire tensive à la chanson « El Harraz » pourrait impliquer l’identification des moments tensifs, c’est-à-dire les moments où les tensions et les intensités sont particulièrement fortes. Cela pourrait être lorsque l’amoureux décide de se présenter seul et sans déguisement devant El Harraz, créant une tension entre son désir d’atteindre sa bien-aimée et le risque d’être découvert par El Harraz. Un autre moment tensif pourrait être lorsque la bien-aimée reconnaît la voix de son amoureux et lui répond, créant une intensité émotionnelle.

Cette œuvre magistrale nous renseigne sur la force de l’amour. Tel un torrent, des stratagèmes peuvent être déjoués. Mais l’amour triomphe toujours à la fin. Ainsi, El Harraz, tel le cerbère, ce chien à trois têtes, gardien des enfers dans la mythologie grecque a été vaincu par Aouicha qui se lie et s’adjoint à la fin du parcours narratif avec sa Gazelle. Tout comme Héraclès dompte le cerbère dans les douze travaux d’Hercule.

Enfin, El Harraz, a été vaincu. Opérant comme gardien du seuil (de son palais, il est le symbole d’une entrave, il a déjoué au fil du poème les différentes ruses de Aouicha, mais quand ce dernier se présente à lui sans artifice et sans aucun déguisement, il triomphe comme par magie. Ce poème peut se lire comme un rite initiatique, l’accession à l’amour (physique) se fait après un ensemble d’épreuves et d’obstacles. El Harraz demeure un sublime hymne à l’amour et la persévérance.

Said Oukaci, Doctorant en sémiotique

2 Commentaires

  1. Nous avons mis du temps à pénétrer ce poème et à en saisir les différentes subtilités. Il nous a fallu du temps pour traduire en français ce corpus et le confronter avec les traductions existantes (une seule sur Facebook).

    il y a une traduction documentée dans le livre « les grands maitres algeriens du cha’bi et du hawzi »
    ISBN 2-911854-00-4
    Cela dit
    Il y a plusieurs interprètes de ce poème notamment des artistes marocains
    l’interprétation d l hadj belkbir de bechar est sublime !!!

    le poeme peut avoir plusieurs lectures et peut meme etre plus vieux qu’on ne le pense
    Merci pour votre contribution

  2. Il faut garder à l’esprit que la poésie Melhoun était l’œuvre de soufis. Comme dans toutes leurs œuvres, quand ils font des poèmes sur l’amour, les soufis ont autre chose en tête, qui va plus loin que l’amour entre hommes et femmes. Eux vous diraient que c’est l’amour de Dieu, l’union avec Dieu, et dans un sens c’est vrai, mais moi je dis que ce Dieu dont ils parlent n’est qu’un symbole de toute la vie, de la conscience d’exister. Je ne suis pas specialiste de la poésie Melhoun, donc je ne peux pas exactement interpréter ce poème particulier, mais ce dont je suis sûr est qu’il ne s’agit pas tout simplement d’un homme qui garde jalousement une femme pour l’empêcher de rejoindre son amant.
    C’est comme l’humour: Les soufis ont crée le personnage de Djeha pour faire rire, mais dérrière toutes les histoires de Djeha – les originales – il y a une autre lecture, très complexe, qui traite des émotions, de la raison, de l’intelligence, etc. Comme les poèmes d’amour soufis, les blagues de Djeha – connu sous d’autres noms ailleurs – ont plusieurs niveaux de lecture.
    Si je devais un jour revenir à la croyance en Dieu et la religion, je choisirais le soufisme, mais il n’y a pas de grandes chances que ça m’arrive.

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