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La nuit de doute

REGARD

La nuit de doute

La fin de journée fut une corvée pour moi. Je ne sais plus comment expliquer tout ça à mes lecteurs. Je n’ai plus de mots à vrai dire. C’est pareil pour beaucoup de mes compatriotes, je suppose.

L’Aïd est aux portes. Peut-être dans une journée ou deux ! Tout le monde se croise les doigts ici, comme d’habitude en pareille circonstance. C’est seulement cette fameuse « laylat ecchek » (la nuit de doute) qui en décidera. Enfin, ma mère m’a dit un jour, ça reste un souvenir vif, que sa famille jeûnait pendant que l’autre, celle de leurs proches, fêtait l’Aïd. Et devinez la distance entre leurs deux villages : seulement à vol d’oiseau. Étrange ! Ce fut une autre époque, me précisait-elle, où il n’y eut ni télé ni radio ni internet.

Cela se décidait par un groupe restreint de « el oukal » (les sages) : dès la nuit tombée, à la vingt-neuvième journée du carême, on épiait « agur » (la lune) sur une paroi, la plus haute de la tribu. On espérait qu’elle illumine le ciel et nous souhaiter « bonne fête ». « Et ces sages-là étaient-ils sûrs de ne jamais se tromper de cible ? ». « Eh bien, tout dépend de ceux qui étaient chargés cette nuit-là de guetter l’astre de la chance, sourit ma mère avec sa naïveté discrète de paysanne.

Et puis, malheur aux gosses qui veulent étrenner leurs nouveaux habits le lendemain, si jamais les guetteurs de la lune manquent de vision ou étaient gênés par le brouillard ou les nuages ! » « que se passera-t-il du coup ? » « C’est clair, riposta vivement ma mère, la fête sera reportée d’office pour le surlendemain ». Le contraste dans tout ça, c’est que même avec le développement technologique, le numérique et l’internet, on guette toujours « agur » jusqu’au jour d’aujourd’hui sur cette paroi-là ! C’est une tradition « symbolique » si ancrée, paraît-il, dans les esprits, au point de dépasser les grandes prospections de la Nasa sur la lune.

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Ô, pardonnez-moi, j’ai trop philosophé en oubliant de parler de ma journée, ma triste journée, à l’origine de ma colère ! J’étais le matin dans un bureau de poste, du côté de Bab El Oued, pour retirer un peu d’argent. Quel drôle de monde ! Déjà la queue a rampé jusqu’à l’extérieur. Sorte de long serpent d’une centaine de mètres avec des gros ventres au milieu où, des groupes de citoyens sans masques, discutaient sur leur malvie, Corona et le Hirak.

J’avoue que mon pari d’avoir un peu de sous dans la poche fut un véritable fiasco. Je me suis mis alors à rire spontanément de moi-même, et sur un coup de tête, une idée m’était venue à l’esprit : aller à la direction des assurances pour m’enquérir de la sortie de ma carte médicale « Chiffa ».

Même scénario et même déception, avec en plus les vociférations de l’employée au guichet. Dehors, le marché était bondé de monde, mais c’est la surchauffe des prix. On dirait un incendie dans une forêt d’Amazonie. Et le transport ? Ne m’en parlez pas de grâce de cet éternel casse-tête algérois, parce que je commence déjà à avoir de la nausée.

D’ailleurs, une fois dans le bus, le gars devant moi m’exaspérait dans sa parlote ininterrompue d’avec le chauffeur. Il ne cessait son bavardage que pour répondre à un certain « Boualam » qui l’avait sonné quatre fois en vingt minutes. J’ai vu le prénom en gros sur son Smartphone avant qu’il ne décroche. Le volume de sa voix était imbuvable. Il hurlait quasiment comme un hibou. Il parlait de dettes, de Ramadan, de mouton et de z’labia ! Un cocktail quoi ! Je compris que le bus était à lui.

Que nous étions ses auditeurs par obligation. Deux minutes plus tard, une femme l’interpella, en provoquant davantage de bruit que celui dont elle se plaignait. La scène ressemblait à une pièce de théâtre. Par la fenêtre, j’aperçus encore de la lumière. J’étais fatigué. Il était dix-huit heures et ma sempiternelle nuit des doutes d’Algérien paumé commençait déjà, à mon corps défendant.

Auteur
Kamal Guerroua

 




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