Je me rappelle Alger en 1962. Il y soufflait un air nouveau de liberté. La présence tonifiante de révolutionnaires en exil venus du monde entier, l’Université enfin ouverte à toutes les classes sociales, l’essor culturel dont la cinémathèque était l’exemple, la fraternité avec les Algériens qui, malgré le prix du sang payé au tribut de la guerre, ne conservaient aucune haine envers le pied-noir que je représentais, l’engagement extraordinaire de ces femmes qui donnaient leurs bijoux ou de ceux qui plantaient des arbres pour construire un pays nouveau dont j’aimais l’idée, me confortaient dans mes choix.
Durant ces années heureuses, je découvris mon pays qu’à cause de la guerre je ne connaissais pas, le parcourant de long en large. Mais assez vite, il y eut aussi ces groupes qui faisaient des descentes dans les bars fréquentés par les étudiants pour contrôler ce que buvaient les uns et les autres, interdisant aux non-Européens de consommer de l’alcool.
Les Algériens prenaient alors avec philosophie et humour ces interventions dont ils ne mesuraient pas encore le danger, comme l’un de mes amis, un certain Touati, fils d’une Normande et d’un Algérien musulman, répondant à l’un des agresseurs, « moi j’ai le droit de boire une demi-bière » puisque ma mère n’est pas musulmane.
Le Code de la nationalité exigeant deux ancêtres de souche musulmane pour être, de droit, Algérien, avait commencé à doucher mon enthousiasme. Je me rendis compte peu à peu que le rêve d’une Algérie multiethnique et pluriculturelle qui habitait la tête de quelques-uns d’entre nous était mort-né et, décidant de suivre mon propre chemin, je quittai mon pays natal où j’étais devenu un étranger, en 1968, à l’âge de 29 ans laissant derrière moi quatre générations de Martinez, Perez, Llinares, Bondia…
Si la République a encore tant de mal à reconnaître que la colonisation fut un crime, c’est parce que celle-ci est inscrite comme un bienfait dans son Histoire. En effet, la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui et qui a émergé au 19ème siècle était fondée sur quatre piliers : l’école, la République, la laïcité qui avait pris corps pour la première fois en France pendant la Révolution française et la colonisation.
On connaît le rôle historique qu’a joué Jules Ferry dans la défense de la République, la victoire de la laïcité sur le conservatisme religieux et la création d’une école laïque pour tous. Les républicains lui rendent, pour cela, un hommage mérité.
Mais, ce que l’on sait moins, c’est que Jules Ferry était un chantre de la colonisation et, pire encore, qu’il tenta de la justifier en lui attribuant un soi-disant humanisme civilisateur fondé sur des arguments racistes.
Quand Jules Ferry écrivait « La France doit porter, partout où elle le peut, sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie… » ou « Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures » et « il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles […], le devoir de civiliser les races inférieures », il justifiait les crimes passés, présents et à venir commis par la colonisation. Il justifiait la destruction de sociétés, de langues, de cultures, de peuples en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient.
Il justifiait le pillage des pays colonisés et les millions de morts que cette colonisation provoqua et il gravait dans l’esprit de nombreux Français que tous ces crimes étaient justifiés.
Mais il y avait des réponses à ce discours, Georges Clémenceau par exemple, qui fut Président du Conseil de 1906 à 1909 puis de 1917 à 1920 et dont on connaît la place qu’il prit pour donner la victoire à la France dans la première guerre mondiale:
« Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur. Voilà l’Histoire de votre civilisation […] Combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la civilisation ? […] non, il n’y a pas de droit des nations dites « supérieures » contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos la civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie ».
Les Pieds Noirs étaient-ils tous des colons ? Précisons tout d’abord que la dénomination Pied-Noir est née en 1962 comme une bannière pour répondre aux moqueries des métropolitains. Auparavant les membres de cette communauté furent désignés comme Algériens puis “Français d’Algérie”
Les historiens qui ont étudié les mouvements de migration entre l’Algérie et la France se sont surtout penchés sur les migrations sud- nord des “travailleurs coloniaux” confinant la migration nord-sud dans l’historiographie coloniale. Le retour en France des Pieds-Noirs, faussement considérés comme des « rapatriés », a renforcé l’idée d’une communauté perçue comme particulière mais homogène alors qu’en réalité celle-ci était le résultat d’un mélange de populations qui s’étaient parfois violemment affrontées.
Il faudra attendre les publications d’historiens comme le Français Émile Témime fils d’un Juif Kabyle, le Pied-Noir Jean-Jacques Jordi Pied-Noir, et de l’Espagnol Juan- Bautista Vilar, pour sortir les migrations nord-sud de l’historiographie coloniale traditionnelle et les inclure dans le mouvement général de migration des populations méditerranéennes.
Placées dans ce contexte, les études démographiques révèlent que la migration vers la colonie algérienne présentée comme l’arrivée d’une collectivité nouvelle, imposant des rapports de domination aux indigènes par l’intermédiaire de l’armée et de l’administration, ne correspond pas à la réalité historique.
En effet, dès le début du phénomène migratoire, deux sortes de migrations se sont croisées : l’une, coloniale, organisée et contrôlée par l’Etat, qui se révéla peu efficace et échoua et l’autre, semblable aux mouvements de migration sud-nord auxquels nous assistons aujourd’hui, spontanée, sans papiers, clandestine, non sollicitée mais tolérée par nécessité, qui se développa rapidement.
La migration organisée commença dès 1830 avec l’arrivée de civils peu nombreux, français ou originaires de l’île de Minorque où faisait régulièrement escale la marine française. Ils accompagnaient l’armée d’occupation pour réaliser les tâches nécessaires à la vie quotidienne des soldats. Après quelques années d’hésitation, en 1841, la décision, contestée politiquement à Paris, de faire de l’Algérie une colonie de peuplement, fut prise. Mais l’économie algérienne était considérée comme insuffisante pour ce projet et les autochtones insuffisamment qualifiés pour développer une agriculture moderne. Plutôt que de former les agriculteurs algériens et de moderniser l’économie, ce qui aurait donné un autre sens à sa présence sur le territoire, la France décida de créer une agriculture parallèle sur des terres confisquées aux Algériens et de faire venir de l’extérieur des colons pour mettre ces terres en valeur. Un portrait du colon idéal fut brossé. Il devait être Français, Allemand, Suisse ou, accessoirement, Irlandais. Les Allemands étaient particulièrement recherchés. Le Vicomte de Fontenay, ambassadeur de France à Stuttgart, les présentait comme « de bons agriculteurs, des hommes tranquilles, religieux, soumis aux lois »
Pour les inciter au départ, le Gouvernement Français installa des centres de recrutement en Allemagne, en Suisse et en Alsace, mena des campagnes de publicité, offrit des conditions d’accueil généreuses : voyage en bateau payé pour le colon et sa famille, accueil à l’arrivée, promesse d’une concession de terre. De la publicité fut faite dans la presse. Selon Emile Témime, « elle consistait en une tournée publicitaire à travers l’Allemagne, la fabrication et la diffusion de milliers de tracts en langue allemande… On mit en vente des lots de terre en territoire suisse, allemand et français »
Mais cette politique fut un échec. Une grande partie des nouveaux colons qui ne supportaient pas le climat moururent de maladies. Le taux de mortalité des Allemands atteignit 40 pour 1000. Finalement ces colons repartirent pour la plupart dans leur pays d’origine
En revanche, l’arrivée d’Italiens, de Maltais et surtout d’Espagnols, non sollicitée et non désirée par les autorités et les colons français, prit une ampleur imprévue. Réduits à la famine et à la mendicité par de mauvaises récoltes après plusieurs années de sécheresse, les Espagnols étaient les plus nombreux. En quête de travaux temporaires, ils franchissent clandestinement le bras de la Méditerranée qui les sépare de la côte algérienne sur de petits bateaux appelés balancelles. Ils viennent en majorité de Valence, d’Alicante et d’Andalousie.
En Algérie ils vivent dans des conditions misérables portant sur leur dos, leurs outils, leurs vêtements et une tente pour dormir la nuit. On leur donne pour cette raison, le nom de « caracoles », escargots en espagnol. Ces cultivateurs sans terre puisque les concessions offertes aux Suisses, aux Allemands et aux Français leur sont refusées travaillent chez les colons français et y exercent les travaux les plus difficiles avec un salaire de misère. Considérés comme étant de « qualité inférieure », ces migrants étaient tolérés en raison des qualités d’adaptation et de résistance qu’on leur reconnaissait et du fait qu’ils acceptaient de bas salaires
Cette migration de pauvres, non désirée mais utile par son travail, est tenue en dehors de la communauté française par ses origines et assimilée socialement à une catégorie infériorisée, celle des indigènes. Mais peu à peu elle dépasse la population française. En 1886, la population espagnole représente à elle seule 48,6% de la population européenne. Pour mettre fin au danger de submersion de la communauté française, il n’y a qu’une seule solution, la francisation qui deviendra obligatoire en 1889. Pendant longtemps encore les Espagnols, les Maltais et les Italiens ne sont pas traités de Français mais de « néo-Français » ce qui veut tout dire.
Les écrits de toutes sortes, archives, notes de petits fonctionnaires, lettres de colons français, attestent en grand nombre d’un racisme assumé à l’égard des populations méditerranéennes. Maltais, Espagnols et Italiens sont considérés comme des « malfamés, faisant du tapage et s’entendant avec les Arabes pour les vols de chevaux ». Le député Genty de Bussy déclare en 1839 : « Il ne faut pas exposer l’Algérie à devenir le dépotoir des mendiants de l’Europe…. Nous avons à nous défendre des migrations répétées des Baléares et de Malte » En 1851, c’est le préfet d’Oran qui décide de « purger le département des mendiants et des vagabonds espagnols ». Quand le régime de Vichy libère la parole raciste, en 1940, on trouve des déclarations comme celle-ci dans la presse locale :
« Un Espagnol francisé NE SERA JAMAIS UN FRANÇAIS et n’aimera jamais la France pas plus qu’un nègre naturalisé ne deviendra blanc … Il ne suffit pas de débarrasser les administrations de l’Etat de ces « indésirables », il faut les chasser des ateliers, des usines, des chantiers, des magasins, des assurances, des banques, en un mot de tous les organismes privés où ils pullulent et donner ces places à des Français de France […] Les Espagnols francisés détestent la France… Nous vivons ici parmi des Espagnols dont beaucoup (presque tous), venus d’Espagne misérables, en savates, hâves, sont aujourd’hui de gros propriétaires dont les fils sont magistrats, médecins, architectes, voire même officiers, dont les filles ont épousé des Français (des vrais Français) et nous avons la preuve vivante, cruelle, impitoyable que tous ces gens sont restés Espagnols et sont demeurés ANTI-FRANÇAIS cent pour cent [… ] Il faut aussi chasser une très grosse majorité de ces Espagnols et leur faire franchir la frontière […] Et surtout, Monsieur le maréchal, interdisez formellement les mariages entre Français et étrangers. Ceci est une mesure urgente et d’une exceptionnelle importance […] FRANÇAIS AVANT TOUT » Lettre parue dans « L’Echo d’Oran », citée par Anne Dulphy in L’Algérie des Pieds Noirs (Vendémiaire 2014)
Peu à peu, cependant, la communauté méditerranéenne s’est intégrée à la société européenne qu’elle a imprégnée de sa culture. Par leur travail et grâce aux économies qu’ils faisaient, quelques-uns de ses membres achetèrent à des Suisses et à des Allemands des concessions de terre qu’ils n’exploitaient pas. L’école permit aux dernières générations d’accéder à des fonctions de niveau moyen dans l’administration. Certaines fortunes se sont constituées dans la fabrication de l’anisette, la culture du tabac, la production de cigarettes, la construction mais, globalement, avec des salaires toujours inférieurs à ceux de la métropole, la masse ouvrière restera majoritairement, d’origine espagnole, italienne et indigène.
« A Belcourt et à Bab-el-Oued, écrit Olivier Todd dans sa biographie d’Albert Camus, vit le petit peuple des Français d’Algérie, joyeux, généreux, vaniteux, bagarreurs, vite excités ou abattus. Cuvent-ils leur supériorité sur les Indigènes, ces « néo-Français » comme on les appelle ? Ou un sentiment d’infériorité parce qu’ils sont humiliés, colonisés par ces fonctionnaires venus de France, les “Francaouis” assis sur des traitements avantageux ?
A Belcourt, ils côtoient les Arabes et croient les connaître… On partage le méchoui sur les plages. On ne se rend pas les uns chez les autres mais petits blancs et Arabes mettent en commun leur haine de la police, même pendant une bagarre. Ces pauvres craignent le chômage. On accuse Arabes, juifs, Napolitains, Valenciens, Corses, Marseillais de voler le travail. La xénophobie affleure comme la solidarité. Commerçants, charretiers, terrassiers, maçons de Belcourt ne prennent pas de vacances en France …Les beaux quartiers, El-Biar, Hydra, le centre d’Alger se vident l’été comme un énorme évier, pas Belcourt. »
Albert Camus écrivait, lui, en 1955 : « À lire une certaine presse, il semblerait vraiment que l’Algérie soit peuplée d’un million de colons à cravache et cigares, montés sur Cadillac. 80% des Français d’Algérie ne sont pas des colons, mais des salariés, des commerçants, des petits fonctionnaires dont le niveau de vie, bien que supérieur à celui des indigènes, est inférieur à celui de la métropole.
Deux exemples le montreront. Le smig est fixé à un taux nettement plus bas que celui des zones les plus défavorisées de la métropole. De plus en matière d’avantages sociaux, un père de famille de trois enfants ne perçoit que 7200 francs contre 19 000 francs en France. Voici les profiteurs de la colonisation » (Publication dans l’express citée par Olivier Todd in « Albert Camus, une vie », p.617). »
S’agissant des colons, il est évident que leur prospérité fondée sur la production agricole n’avait été possible que par la spoliation des Algériens qui perdirent une partie de leurs terres. Selon l’historien Jean-Jacques Jordi (« Idées reçues sur les Pieds-Noirs » Ed. Le Cavalier Bleu, pp 47 à 53) 2.818.000 hectares de terre ont été distribués par la France aux colons européens.
D’où venaient-elles ? Un peu plus d’un million d’hectares provenaient du Beylik, le domaine public ottoman qui les avait lui-même prises aux tribus, des séquestrations pratiquées aux tribus qui combattaient la France, des biens Habous (fondations religieuses aux profit des villes saintes de Médine et de La Mecque, dont les revenus étaient affectés à des œuvres de bienfaisance et à l’entretien des mosquées, de terres concédées par le gouvernement ottoman à des tribus soumises (Maghzen) et à l’expropriation pour « cause d’inculture » qui touchèrent les terres de parcours dont vivaient misérablement les Bédouins et quelques tribus sédentarisées.
Les historiens estiment que cette mesure qui fut contestée, même en Algérie, ruina environ 800.000 Algériens. Enfin, environ 1.000.000 d’hectares ont été achetés par des colons à leurs propriétaires musulmans.
La responsabilité première de ce qui s’est passé pendant les 132 ans de colonisation en Algérie c’est bien aux gouvernements successifs de la France qu’il convient de l’attribuer. Pendant ces 132 ans, le pouvoir s’est toujours trouvé à Paris où les décisions étaient prises et jamais à Alger.
Pris dans les filets du système, les fonctionnaires, les musulmans pro-français, les caïds et bachaghas, les harkis, les Algériens européens faisaient partie des acteurs de la tragédie coloniale mais ils étaient inscrits dans une réalité dont très peu mesuraient la portée, les conséquences, les valeurs qui qualifiaient leur action, face à la puissance du système colonial qui disposait de la presse, de la propagande et de l’autorité de l’Etat pour imposer sa conception de la société coloniale « civilisatrice ».
Emile Martinez
Probablement la seule et unique fois que les Algeriens ont vote’… mais ils etaient francais, c’est pour ca. Apres, Mouh a tout vote’ et pour toujours, tant que c’est lui le rab labas…
Monsieur MARTINEZ,
First of all ;les colons étaient majoritairement de la racaille Maltaise, Italienne, Ibérique et Francaise.
La colonisation n’était la colonie de vacance ni pour les indigènes ni pour les envahisseurs.
Il n y a eu aucune action civilisatrice.
Je vous trouve très perturbé
Je vous conseille de consulter un ethnopsychiatre (il y a de très bons surtout ceux qui ont fait leur cursus chez Toby Nathan)
Vous le natif de bordj menaiel!! Je pense que Vous n’avez pas encore oublier Cortes, Danilo, Georgeo et l’école des métiers. Mettez ces noms et lieux sur une feuille blanche et reflechissez et imaginez la prison privée de Cortes, la bonté de Danilo, l’engagement de Georgeo et tous les enfants indigènes exclus de l’école des métiers
Monsieur MARTINEZ 1962 est une supercherie.
Ce fut le début d une nouvelle colonisation.