26 avril 2024
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L’Algérie ou l’allégorie du malentendu

REGARD

L’Algérie ou l’allégorie du malentendu

L’allégorie est une figure de style qui a recours à la personnification. D’une idée abstraite, en se fondant sur des images concrètes, une histoire ou un récit construit le sens autour d’un sujet.

La plus célèbre allégorie que nous connaissons est sans doute L’Allégorie de la caverne de Socrate, exposée dans La République de Platon, tant on s’y réfère dans diverses sciences et disciplines pour expliquer le conditionnement des esprits, la libération par le savoir, ou pour étayer une quelque théorie de l’éducation, ou encore définir des concepts comme la culture, la liberté, la soumission, le déni du réel, etc.

Dans toutes les cultures, surtout dans celles où l’oralité est un moyen essentiel de transmission, à l’instar de la culture berbère, les figures de styles comme l’allégorie, la parabole, la métaphore ou encore la comparaison jouent un grand rôle en rhétorique ou dans l’art de bien parler. 

Nous en avons tous entendu parler. Autour du feu, les visages empourprés, les yeux eau et or, quand l’ancêtre détisse les annales et que nous offrons une écoute imperturbable au conteur pour s’enquérir des royaumes oubliés, déchiffrer un peu des mystères des anciens peuples, il suffit de se rappeler une histoire ou deux pour y déceler une profusion de figures. 

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Je me souviens encore de l’une des histoires que nous racontait mon grand oncle. J’ai encore dans la mémoire la mesure idoine de son verbe, les silences évocateurs qui ponctuaient son récit, les maximes qui agrémentaient son texte de l’oralité, et puis le feu qui léchait goulûment le bois mort, alors que son tisonnier fourrageait dans la braise. 

« Autrefois, nous racontait-il de sa voix suave, le chef d’une famille composée d’hommes et de femmes, qui étaient tous aussi sourds les uns les autres, labourait son champ de son araire tractée par deux bœufs bien portants quand un homme qui passait près de son champ le salua comme dans la coutume : 

– Que Dieu te vienne en aide, honorable homme, rebbi ad’iine! 

Mais sourd comme un pot, le vieil homme crut qu’il lui demandait le prix de ses deux bêtes cornées.

– Oh, homme de bien, rétorque-t-il, mes bœufs ne sont pas à vendre, a matchi ilbii ! 

Le soir, rentré chez lui, assis pour le dîner que venait disposer sur la table sa vieille épouse, le chef de famille s’empressa de rapporter ce qu’il croyait être la proposition d’un acheteur. 

– Tu sais, dame, un homme est passé aujourd’hui près de l’oliveraie et m’a demandé le prix de nos bovins. 

Sourde, la matrone, à son tour, croyant avoir tout saisi, enchérit : 

– Oh, homme de bien, si tu crois que le mets est trop salé, ne penses-tu pas qu’il faille plutôt demander explication à ta bru ! 

Bien entendu, pour dissiper tout doute, la matriarche alla de ce pas sermonner la femme de son fils. Elle lui dit en ces mots :  

– Tu sais, fille, le vieux trouve le plat un brin plus salé qu’à l’accoutumée ; il est contrarié ; il ne faut plus que ça se répète, fille! 

Piquée au vif, sourde bien sûr, la jeune épouse croyant avoir tout compris à son tour, eut cette réponse :  

– Écoute, mère, celui qui pense que les brebis ne sont pas rassasiées, en bien, il n’a qu’à les mener paître lui-même ! 

À la tombée de la nuit, quand le jeune époux, le berger, rentra à son tour des champs, extenué de sa journée de dur labeur, la jeune femme fit vite de l’en informer. 

– Tu sais, homme, ta mère dit que c’est de ta faute si les brebis sont aussi faméliques et osseuses. C’est parce que tu les emmènes brouter sur la caillasse, qu’elle a dit. 

– Ma chère épouse, rétorqua son mari, remonté, je les voyais venir ceux-là ; je savais leur cœur plein de fiel, mais qu’ils aillent jusqu’à oser nous chasser de la maison, ça m’en bouche un trou. Je comprends maintenant. Ça fait des mois qu’ils tergiversent autour de la question. Eh bien, soit… Nous quitterons cette maison de malheur dès demain.» 

Nous adorions écouter mon oncle nous raconter cette histoire. À chaque fois, nous nous en délections comme si c’était la première fois. Puis, venaient immanquablement les questions, les rires, les remarques, les conclusions, les réflexions, les comparaisons. Homme ou femme, chacun apportait à l’histoire son brin d’explication, de sagesse et de leçon.  

Nous nous disions que c’était un peu notre pays ; personne ne comprend l’Autre, personne n’essaye ou ne veut le comprendre ; chacun évolue selon ses propres chimères, s’explique le monde à partir de son ego, de ses intérêts propres, de ses projections futures.

Le patriarche n’a d’yeux que pour sa paire de bœufs, si bien qu’il pense le monde à ses trousses pour les lui subtiliser ; la matrone en veut à sa bru, à tel point qu’elle pense chaque parole prononcée par son époux reproche destiné à sa belle-fille ; la bru en veut à ses beaux-parents qu’elle pense éternellement insatisfaits, quand son époux, le berger, obsédé par l’idée d’avoir enfin un peu d’intimité, se voit déjà avec son épouse dans leur nouvelle maison. 

Ainsi est le monde. Ainsi sont les hommes. Plus enclins à la mésentente qu’à l’accord et à l’harmonie. Ainsi est, dans notre cas, l’Algérie ; une terre fertile, plurielle, belle et immense, mais où le vivre-ensemble apaisé est compliqué.

Les rêves et les désirs sont beaux et multiples, mais la route pour les atteindre et en faire un pays, fait d’identités paisibles et conciliatrices, capable de contenir tous ses enfants, est inexistant… Très belle allégorie s’il en est : l’allégorie du malentendu. 

Auteur
Louenas Hassani, écrivain

 




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