25 avril 2024
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L’Armée face au mouvement protestataire du 22 février

Les empêchements se fourbissent au 102

L’Armée face au mouvement protestataire du 22 février

La proposition de « sortie de crise » du général de corps d’Armée, Ahmed Gaïd Salah en s’appuyant sur l’article 102 de la constitution rendue obsolète par Bouteflika et inopérant par le Conseil constitutionnel lui-même jette un grave discrédit sur le mouvement protestataire du 22 février.   

Sont-ce les prérogatives de l’armée en s’immisçant d’autorité et à brûle-pourpoint dans le champ politique que le mouvement résolument protestataire du 22 février veut transformer de fond en comble en exigeant le départ sans concession du système, entendu, de ses cadres institutionnels, constitutionnels, son parti-pouvoir, le FLN et ses courroies de transmission ?

Si tel est le cas, cette intrusion de l’armée dans le corps politique en pleine crise ajoute de l’huile sur le feu qui ne sera pas prêt de s’éteindre dans la mesure où aucune solution pacifique ne peut venir des galons et encore moins conduite, dirigée par l’armée dont les prérogatives sont clairement fixées par la constitution (de 2016) en son article 28, sur laquelle s’appuie pourtant Ahmed Gaïd Salah : «L’armée nationale populaire a pour mission permanente la sauvegarde de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime. Elle s’efforce de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques».

Cette ingérence de l’armée dans les affaires civiles du pays qui n’est pas à feu et à sang, dont les frontières, la souveraineté nationale ne sont pas menacées, va créer un grave précédent dans l’histoire constitutionnelle du pays et jettera un lourd discrédit d’abord sur les textes constitutionnels du pays qui deviennent ainsi une pâte à modeler sous « le contrôle» de l’armée, puis sur les acteurs de la société civile et politique ainsi floutés par la hiérarchie militaire dans leur prérogatives alors même qu’ils ne sont pas censés ignorer que la solution «constitutionnnelle » proposée par le chef d’Etat-Major de l’ANP est un coup d’épée dans l’eau en elle-même mais dangereuse dans ce qu’elle contient de menaces, de perversités et surtout d’anti-constitutionnalités.

La solution de « sortie de crise » ainsi proposée par le vice-ministre de la Défense  est contradictoire dans le contexte juridique de l’article 102 invoqué comme solution en fait d’étouffement du mouvement du 22 février.  

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L’article 102 dispose que «lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement ».

Or, l’incapacité physique et mentale de Bouteflika est avouée par lui-même dans son message du 8 mars dernier  de son hôpital de Genève et est donc largement antérieure à cette date : «Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m’assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien ».

Or, l’article auquel se réfère Ahmed Gaïd Salah semble le contredire d’abord dans les formulations du terme d’«empêchement».  Il mentionne d’abord une déclaration de « l’état d’empêchement du président de la république » pour une période de 45 jours ; mais le même article ajoute la « continuation de l’empêchement à l’expiration » de ce délai. Or, si l’on s’en tient uniquement à la période d’hospitalisation de Bouteflika de cette année 2019, ni « l’état d’empêchement » ni même surtout la continuation de cet état d’empêchement, pourtant observés par le Conseil constitutionnel, n’ont semblé inquiéter outre mesure l’armée.  Et cet état de fait date depuis son 4e mandat durant lequel, depuis son attaque cardio-vasculaire, il a enchaîné plusieurs hospitalisations ayant créé, bien plus que « 45 jours », cet « état d’empêchement » et cet « continuation » de ce même «état » pour pouvoir encore gouverner. Ensuite, une autre contradiction vient s’y ajouter.

En s’appuyant sur l’article 102, Ahmed Gaïd Salah ignore qu’il est, de fait, neutralisé, par Bouteflika lui-même, qui, même reconnaissant son empêchement et la continuation de son empêchement à à gouverner, nomme un nouveau Premier ministre et un vice–premier ministre pour la constitution d’un nouveau gouvernement entamant ainsi une  prolongation de fait de son 4e mandat en décidant le report des présidentielles du 18 avril et en s’instituant l’ordonnateur de mesures de sorties de crise et le seul maitre d’œuvre d’une conférence nationale et ce sous le nez et à la barbe du conseil constitutionnel.

Cependant l’article 104, subséquent au 102 de ladite constitution stipule : «Le gouvernement en fonction au moment de l’empêchement, du décès ou de la démission du Président de la République ne peut être démis ou remanié jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau Président de la République ». Ainsi, au vu de ces contradictions entre la réalité des faits et du texte juridique de la Constitution, Ahmed Gaïd Salah s’appuie sur « l’anticonstitutionnalité » du système politique en place comme sortie de crise ! D’autant que l’article 182 de la constitution stipule que «Le conseil constitutionnel est une institution (qui) est chargée de veiller au respect de la constitution. Le conseil constitutionnel veille en outre à la régularité des opérations de référendum, d’élection du Président de la République et d’élections législatives» ; autrement, aux quatre mandats successifs de Bouteflika, à la neutralisation de l’article 102 de la constitution, à  la promotion de la loi scélérate sur la concorde civile de 1999, de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2006 fragilisant la lutte anti-terroriste de l’ANP qui n’a plus l’étai politique.

La proposition de sortie de crise de Gaïd Salah apparaît, par ses justificatifs, comme une menace à peine voilée sur le mouvement du 22 février qu’il accuse d’être porteur, «en dépit du caractère pacifique et du civisme qui caractérise ces marches jusqu’à présent»,  de plonger le pays dans « une situation incertaine » de favoriser un terrain propice à des « parties hostiles et mal intentionnées aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, qui usent de manœuvres douteuses visant d’attenter à la stabilité du Pays ».

Sur le sillage du mouvement contestataire du 22 février, Ahmed Gaïd Salah ne voit pas la fin du règne du Système, une nouvelle Algérie mais « des desseins abjects ». Et tout le champ sémantique de la vieille rhétorique du pouvoir et du bouteflikisme contenu dans sa harangue obstrue cette piètre sortie de crise qui cache, au moment où le mouvement du 22 février se politise, passe à une étape décisive de son existence et de ses revendications, ce que connote cet énoncé  et à qui il est destiné : « L’ANP ne permettra jamais à qui que ce soit, de détruire ce que le peuple algérien a pu construire ».

Cette énième sortie publique du chef d’Etat Major de l’ANP occupant une grande partie du J.T de 20h de la télévision nationale depuis la naissance du mouvement du 22 février est présentée par les médias officiels comme « messianique », « originale » et certains y voient d’ores et déjà un limogeage de Bouteflika. Or, Bouteflika, c’est déjà du passé. Ahmed Gaïd Salah parle de « sortie de crise ». Or, où est « la crise » ? Elle n’est pas dans le mouvement du 22 février qui est dans un processus révolutionnaire en exigeant le départ du Système ; la crise est dans la persistance de ce même système à demeurer, à sévir avec tous les moyens institutionnels et constitutionnels qui, longtemps pervertis, assujettis pour des intérêts claniques, vols à « lois armées » des deniers de l’Etat, deviennent comme par miracle, des référents du droit et de la protection de la Nation. Encore une supercherie, une arnaque.

Cette déclaration militaire participe aux tentatives de manœuvres, nombreuses, de faire plonger le mouvement protestataire du 22 février dans un processus d’ «invisibilisation » en cherchant sinon à l’étouffer dans une toile d’araignée, du moins à le discréditer graduellement en pervertissant ses mots, ses slogans, ses réseaux d’échanges.

Opérations de charme, vampirisation déguisée,  retournements de veste, ralliements tactiques, comme ces maquisards « marsiens » de 1962 tard venus à la Révolution, approches de dialogues de proximité par familles, tribus, villages, villes, quartiers, par l’intime ; propositions de « sorties de crises » par plusieurs portes dérobées. Celle de l’Armée qui veut encercler les revendications du mouvement protestataire du 22 février participe de ce traquenard. Bouteflika n’est plus le jeu ni l’enjeu. Ahmed Gaïd Salah le sait. Mais est-ce lui, en fait, qui est en état d’empêchement ? Mais de quoi ?

Auteur
Rachid Mokhtari, écrivain journaliste

 




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