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Le Colisée et la tour de Pise d’Alger

Chronique d’un pays en ruine

Le Colisée et la tour de Pise d’Alger

Ciel gris. Le printemps hésite encore à marcher sur Alger. Son soleil traîne le pas et tarde à sonner la charge. Mars prépare sa révolte en musique. Il fait chanter ses légions d’oiseaux, pour contrer les derniers tonnerres et faire plier un hiver tenace.

Sur les trottoirs, les flaques de pluies attirent, telles des aimants, les jambes baladeuses des gamins. Ils s’y jettent et brouillent le reflet gris d’un nuage triste, ou la beauté trompeuse d’une tache d’huile aux couleurs de l’arc-en-ciel. Les rires des enfants chassent l’hiver à leur manière : ils sont aussi les soldats du printemps…

Illusion…

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La route vers l’aéroport international d’Alger est longue, les embouteillages interminables. À travers les nuées de pollution, se dresse au loin, déchirant le ciel, une tour au gigantisme indécent.

La grande mosquée inachevée sature, à elle seule, le champ visuel, et perturbe la quiétude des éléments de la baie d’Alger. Tel un tas d’acier laid et surdimensionné, posé à cheval entre la terre, le ciel, et la mer, son squelette massif fait d’elle une authentique anomalie d’échelle.

Et à ceux qui crieraient à l’offense, faut-il seulement expliquer que critiquer la laideur et la démesure est en lui-même, un acte de grande piété !

Il n’empêche : ce temple, aux proportions pharaoniques, a été pensé pour traverser le temps. Conçu, afin de rappeler, pour les cinq siècles à venir, les prouesses chinoises à vouloir satisfaire à coups de milliards, des ego laids et surdimensionnés.

Des milliards gâchés pour s’offrir une gloire, ou combattre l’indifférence à venir. Des milliards contre l’insignifiance. Des tonnes de béton pour édifier un nom, l’imposer, et le faire exister.

C’est là, la marque de ceux qui importunent la postérité, qui s’y introduisent par effraction et par la ruse. C’est là, la posture de ceux qui ne font pas la différence entre ce qu’est tordre le bras à l’Histoire et ce qu’est forcer son admiration.

C’est la position de ceux qui croient pouvoir soudoyer le temps, l’obliger à la reconnaissance et à l’indulgence, en troquant leur terne présent, contre des présents ruineux et luisants. À défaut d’œuvres de vie, des ouvrages vains et sans vie…

Imposture…

Paraît qu’à la tour d’Alger, on prédit un sort à la tour de Pise. Même que les sols seraient trop meubles, incapables d’encaisser ses tonnes et sa hauteur disgracieuse. Paraît que son existence debout, s’achèverait au premier violent séisme. Qu’ Allemands et Français, ont refusé ce que les Chinois se sont empressés d’accepter : ériger un phare géant sur de l’argile, comme on construit une fable sur un mensonge.

Illusion…

L’hiver tarde à sonner la retraite, malgré le chant des enfants, malgré les rires des oiseaux. La pluie continue à abreuver les flaques, à grossir l’oued El Harrach, à doucher les plages des Sablettes, qui furent, jadis, un lieu d’excursion et d’extase, dans lequel baignaient, ensemble, les corps des femmes et les désirs des hommes. Un lieu béni d’Éros, qui se couche désormais, sous l’ombre démesurée du temple d’Allah.

Les routes sont toujours embouteillées. Nos yeux perdus dans des nuées de pensées polluées, regardent s’éloigner le minaret géant, arrimé aux derniers nuages combatifs de l’hiver.

Les sols régurgitent le trop-plein d’eau. Le stade de Baraki, qui ne cesse de se construire depuis dix ans, a les pieds dans la flotte. Il patauge, désabusé, dans des coulées de boue sombre, comme un gamin au destin miséreux. Dix ans qu’il attend la délivrance, qu’il espère un toit, qu’il souhaite une plèbe. Dix ans à guetter les deux coupes du monde qu’on lui avait promises. Dix ans à se voir déposséder, rallonge après rallonge, de son dû, sans qu’il ne puisse se défaire de son état de décombres.

L’Algérie est le seul pays qui construit des ruines toutes neuves. Partout des Colisées qui se déconstruisent. Partout des sous qui partent en fumée. Partout des espoirs qui tombent en lambeaux.

En attendant la plèbe, en attendant le printemps et les couleurs de l’arc-en-ciel, le stade de Baraki et les rires des enfants se noient, dans des torrents de boue et de tristesse, sous les nuages tenaces, d’un hiver qui dure depuis plus de 50 ans.

Auteur
Hebib Khalil

 




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