Dimanche 2 septembre 2018
Le défi de l’Afrique est de mobiliser sa jeunesse pour le changement
Le franc CFA, une corde au cou de nombreux pays africains.
Il va de soi que le monde d’aujourd’hui subit de plein fouet les effets pervers de la globalisation. Si la norme universelle de la démocratie est devenue une exigence planétaire de premier ordre, il n’en demeure pas moins que son instrumentalisation abusive à d’autres fins a fait éclater les frontières de beaucoup d’Etats, accéléré leurs troubles internes et facilité la porosité de leurs souverainetés.
De même, les guerres dites «humanitaires», menées par ces puissances occidentales avides de matières premières, au nom de la communauté internationale, ont fragilisé la géopolitique de certaines régions du monde dont le Moyen Orient et l’Afrique en particulier. Celle-ci se retrouve malheureusement appauvrie, ses ressources pillées, exsangue et engluée dans un tourbillon de régression démocratique. Bien que majoritaire, sa jeunesse est marginalisée par des vieilles-gardes nationalistes encore au pouvoir, contrainte souvent, soit au silence sous les coups de boutoir du couple peur-répression—ce que le sociologue marocain Mehdi Elmandjara (1933-2014) appelle à juste raison «la dhoulocratie» (la gouvernance par l’humiliation)—, ou à l’exil forcé dans l’eldorado européen, par manque de perspectives.
L’actualité foisonne, hélas, de ces récits dramatiques des harragas noyés par centaines au large d’une Méditerranée transformée en cimetière à ciel ouvert, ou de ces guérillas civiles dirigées par des mercenaires, des milices urbaines et des forces paramilitaires armées jusqu’aux dents, où même des enfants en âge normal d’être scolarisés y sont enrôlés à leur corps défendant. Au-delà de ces deux tristes constats, on se rend bien compte aussi que les pays africains accusent un retard énorme en matière de développement humain. Selon les statistiques de l’Union Africaine (U.A), le taux du chômage moyen chez les jeunes en Afrique avoisinait, en 2017, 30% pour la tranche d’âge de 19-20 ans, soit pour environ 1.2 milliards d’habitants que compte notre continent, ce qui augure d’une instabilité sociale chronique dans les années à venir. Bref, le drame de «Mama Africa» est, si l’on ose l’exprimer ainsi, un film d’horreur interdit aux moins de 18 ans !
Le comble, c’est que l’espoir de voir un jour notre continent bouger et aspirer à la démocratie se confronte au travail de sape de bureaucraties aussi structurées que maléfiques, renforcées par une militarisation active de régimes souvent «gérontocratiques» et surtout une corruption endémique reliée au grand «Comprador» (les élites rentières locales sont en connivence avec les pouvoirs en place et inféodées au capital étranger comme simples intermédiaires du néolibéralisme). Toutes ces calamités et bien d’autres rampent, il est vrai, dans tous les secteurs d’activité, au point de devenir sœurs jumelles de systèmes sociaux en déglingue.
Mais pourquoi tant de gâchis ? Pourquoi tant de mésaventures infructueuses pour un continent si jeune, si prometteur et au riche potentiel économique? En clair, pourquoi les Africains n’arrivent-ils pas à se dresser comme un seul homme afin de se mobiliser à une large échelle politique, sociale, culturelle et interétatique pour le bien de leur continent ?
En proie à un immense désespoir, la jeunesse africaine ne pense qu’à fuir ailleurs pour une vie meilleure alors que le terreau de l’élite s’assèche des suites de la fuite des cerveaux. Là aussi, les statistiques sont choquantes à plus d’un égard : pas moins de 450 000 diplômés ont fui l’Afrique vers l’étranger, ces cinq dernières années, contre 375.000 pour toute la Chine et environ 20.000 travailleurs africains qualifiés sont installés définitivement en Europe, causant une hémorragie interne pour beaucoup de domaines d’activité ayant besoin de compétences. Le désastre est tel que la démobilisation s’élargit au fur et à mesure qu’augmentent les pressions occidentales, notamment françaises.
La Françafrique illustre à ce titre un mal capital qui détruit ce qui reste d’espoir à la jeunesse africaine. Or, «ce que nous voulons affirmer une fois de plus, écrivait déjà Ruben Um Nyobe en 1955 dans son célèbre ouvrage «Religion ou colonisation ?», c’est que nous sommes contre les colonialistes et leurs hommes de main, qu’ils soient blancs ou noirs ou jaunes, et nous sommes des alliés de tous les partisans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sans considération de couleur». Ce cri de cœur de l’un des pères de l’africanité est plus que jamais d’actualité.
La sortie de cette politique des périphéries (ex-colonies), reliées au centre (ex-puissances coloniales), pour reprendre la terminologie de l’économiste franco-égyptien Samir Amin, est plus qu’une obligation pour redynamiser une politique économique, industrielle et culturelle forte au plan local. Autrement dit, permettre des politiques publiques qui s’inspirent de l’approche anglo-saxonne novatrice «bottom-up» (du bas vers le haut) et non pas de celle de «top-down» (du haut vers le bas), comme semblent le préférer, à présent, les leaders africains.
En termes clairs, les masses citoyennes de l’Afrique ne seront maîtresses de leur destin que si elles peuvent avoir voix au chapitre dans les décisions que prennent leurs dirigeants politiques et reprendre confiance en elles-mêmes. Cela rappelle, somme toute, les accents lyriques du discours historique du président ghanéen Nana Akufo-Dado, à Accra, devant son homologue français Emmanuel Macron en décembre 2017 durant lequel il a relevé avec une rare lucidité l’attente aussi insensée qu’inutile des nations africains des ex-puissances coloniales, les incitant à avoir «l’état d’esprit du gagnant», à se défausser de leurs penchants de dépendance et à revaloriser leur génie national pour trouver des solutions qui s’imposent aux problèmes locaux qui les concernent au premier chef.
Cela passe d’abord par la réhabilitation, aux yeux du monde, de l’image authentique de l’Africain d’autant que le combat de ce colonisé d’hier s’avère être avant tout, d’après le penseur algérien Mohamed Lakhdar Maougal, un combat de langage. C’est-à-dire un combat pour la réarticulation des statuts de sa culture, de sa langue, ses spécificités, sa diversité, son originalité avec le progrès, en supprimant cette image de «l’Indigène à vie», fabriquée de toutes pièces par l’ex-colonisateur, comme une fausse monnaie qui a toujours cours légal, pour relayer ici le mot de Jean Cohen.
C’est tout un projet grandiose en perspective, pressenti comme un passeport vers le modernisme et la libération de ces pays africains aux économies déstructurées, aux cultures désarticulées et aux politiques inconséquentes, de la tutelle extérieure. La jeunesse serait, sans aucun doute, le principal levier dans la refonte des systèmes de gouvernance, jusque-là inefficients, corrompus, peu mobilisateurs et anti-démocratiques. Place au changement par la jeunesse, place à l’espoir africain !