18 avril 2024
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Le miracle Idir

Idir

La vie a parfois de bien heureuses connexions. Trois hommes, parmi les plus grands génies de Kabylie et au-delà, de l’Afrique du Nord, sont nés dans le périmètre plutôt réduit des At Yanni (Beni Yenni) et ont vécu, emportés par l’exil avec comme seul viatique : leur culture amazighe. Je veux nommer, dans l’ordre chronologique de leur date de naissance, Mouloud Mammeri, Mohamed Arkoun et Hamid Cheriet alias Idir.

Ils sont tous trois décédés hors des frontières de leur région et leurs œuvres ont eu, de leur vivant, un rayonnement international. Le premier était linguiste, anthropologue, poète et écrivain de renommée, le second islamologue mondialement incontesté et Idir, un auteur-compositeur-interprète universel de haut rang. Il y a une extraordinaire parenté de leurs œuvres respectives : la force de la lumière. Ils nous ont aidé, chacun à sa manière, à regarder notre culture et le monde autrement que par le petit bout de la lorgnette de l’école algérienne ou de l’idéologie mortifère des régimes successifs.

Aujourd’hui, trois ans après sa disparition, c’est de Hamid/Idir qu’il s’agit. J’ai connu l’homme avant l’artiste qu’il était devenu. Je l’ai rencontré, en 1971, dans les cours de tamazight dispensés par Mouloud Mammeri au cœur de l’université d’Alger mais en marge des programmes universitaires. Il faut dire que si ce cours était toléré, il se déroulait dans une absence totale de sérénité parce qu’il était sous l’œil de Moscou particulièrement menaçant.

Vava Inu Va 

Hamid finissait ses études de géologie tandis que je commençais les miennes en sciences économiques. Nous avions des amis communs, ce qui m’a très vite rapproché de lui. Du coup, j’ai vécu directement les péripéties et l’euphorie liées à la sortie de la célèbre et immortelle chanson « Vava Inu Va », un texte de Ben Mohamed auquel il a donné une résonance planétaire.

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Hamid était un jeune homme intelligent et timide. Ses grosses lunettes, ses longs cheveux, sa bouille sympathique lui donnaient une allure d’intellectuel post-soixante-huit. Il ne se voyait pas du tout comme artiste, en tout cas pas interprète. Il faut dire qu’à l’époque, chanter était plutôt dévalorisant. C’était encore, dans la culture collective, une activité marginale réservée aux « troubadours » ou à des artistes « bravent-tout ».

Hamid cachait son talent à sa famille et c’était la raison pour laquelle il avait pris son célèbre pseudonyme Idir. Le destin en a fait donc autrement et le salut est que le statut d’artiste a commencé à avoir une autre signification dans la société, à prendre une autre dimension. L’effet Slimane Azem, Chérif Kheddam, Kamel Hamadi déteignait progressivement et positivement sur la société. Idir, Aït Menguellet et plein d’autres ont fini par consolider ce côté digne donné à l’artiste.

Le succès d’Idir était fulgurant, inattendu. La société a commencé à s’émerveiller devant le talent de cet enfant d’Alger et des At Yanni. Il a su triompher des épreuves insupportables imposées à la société par un pouvoir dictatorial qui voyait mal la culture amazighe prendre son essor sous quelque forme que ce soit.

Face au visage hideux de l’Algérie officielle factice, Idir, militant pacifique d’une culture berbère opprimée, donna une image redorée à l’Algérie réelle. Je me souviens qu’il venait assidument, comme la majorité des étudiants de Mouloud Mammeri, aux excursions que le groupe organisait sous le patronage de notre maître, notre mentor.

D’autres artistes comme Chérif Kheddam, Hassan Abassi, Mhenni Amroun, Abderrahmane Si-Ahmed, Ferhat Mehenni et le poète Ben Mohamed ou le professeur Mohamed Lahlou étaient de la partie. Sous les apparences de promenades festives, nous apprenions beaucoup sur notre langue, nos traditions et nos belles lettres. Beaucoup de pages de nos histoires personnelles ont été écrites dans ces circonstances-là et des pans entiers de notre histoire collective nous furent révélées.

Par bonheur, Idir, l’artiste, arrive à ces moments du sens. Les vexations, les blessures que nous infligeait un pouvoir anti-amazigh, allaient se transformer, avec éclat, en un capital de résilience collective dans et avec l’œuvre d’Idir.

Parti en France en 1975, notre jeune artiste allait devenir l’ambassadeur incontesté de l’amazighité, le porte-parole de nos luttes. Il a conquis le monde avec douceur, maestria et détermination et le monde le lui a bien rendu. Merci Idir, tu restes vivant et triomphal pour nous et immortel dans l’une des plus belles places du panthéon des hommes libres, dans le continent ressuscité de nos ancêtres.

Hacène Hireche, consultant

3 Commentaires

  1. « Le premier était linguiste, anthropologue, poète et écrivain de renommée, le second islamologue mondialement incontesté… ». Et dire qu’en 1980, un certain journaliste d’El Moudjahid (Kamel Belkacem) a traité le premier de donneur de leçons dont la seule contribution à son pays n’a consisté qu’à « rédiger un travail de création intellectuelle sur la culture aztèque ». Quant au second, il fut purement et simplement chassé d’un séminaire de la pensée islamique tenu en 1985 et au coeur même de la Kabylie (Vgait). Par qui? Par l’égyptien cheikh El Ghazali qui vivait alors au crochets de l’Algérie par la grâce de Chadli et de l’Association des Oulémas. Non content de chasser sans ménagement Mohamed Arkoun de la salle, ce cheikh (sans provisions) a été jusqu’à le traiter d’apostat. C’est dire toute la reconnaissance qu’avait l’Algérie officielle pour ces génies dont les oeuvres, n’en déplaise à leurs pourfendeurs d’hier et d’aujourd’hui, continuent d’avoir un rayonnement international. Quant à Idir, ce chasseur de lumières, son succès planétaire et incontestable a cloué le bec des plus virulents ennemis de Tamazight.

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