29 mars 2024
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Idir, tel que je l’ai connu

Idir

Natifs du même village, At-Lahcène dans la commune d’Ath-Yenni, j’ai connu Hamid Cheriet à mon adolescence. Alors que j’étais collégien, il poursuivait ses études à l’université d’Alger. Il avait huit ans de plus que moi.

Idir passait régulièrement ses vacances au village, bien que sa famille vivait déjà à Alger depuis de longues années. Il aimait son village et ses habitants avec lesquels il entretenait des relations étroites empreintes de respect et d’affection réciproques. Très apprécié pour sa gentillesse, sa douce bonhomie qui le distinguait un peu des membres de sa famille de même génération qui fréquentaient peu les gens du village.

Vivant dans une maison somptueuse, à l’écart du village, leur rang social était assez élevé pour la période. Par ailleurs, le statut d’étudiant universitaire et de résidant dans la capitale installait à cette époque une distance de réserve avec la population locale. Ce n’était pas le cas de Hamid. Il fréquentait tout le monde, pauvres ou riches, jeunes ou vieux.

On le voyait souvent déambuler dans les ruelles du village, s’asseoir de longues heures sur les damiers de tajmat à écouter parler les anciens, échanger des idées avec les gens et plaisanter ou partager des jeux avec les jeunes. Les conventions sociales et claniques discriminatoires n’étaient pas dans sa nature. C’était un fils du peuple, il le restera toute sa vie.

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Ami particulier de Moumha, le forgeron toujours noyé dans la suie et la fumée suffocante de sa forge, il était un artiste adhbal (tambourineur) à ses heures qui rythme le son des clarinettes doubles et des danses lors des fêtes du village. C’est probablement avec lui que Hamid eut ses premiers émois pour cette musique rude et saccadée des montagnes de Kabylie.

Idir, l’humble et le phénix

Dès le début des années soixante nous parvenaient au village, grâce au transistor, la musique du monde, la pop musique, le rock, le jazz, le blues, le folk et autres variétés de la chanson française et anglo-saxonne… Notre génération était séduite par ces nouveaux sons modernes, variés et diffusés dans le monde entier.

On rêvait de voir accéder notre musique locale à ce niveau de notoriété et sortir des notes redondantes et des instruments élémentaires qui maintenaient notre culture loin du monde, cloîtrée dans nos montagnes. La musique et la chanson étaient devenues des messagères efficaces et rapides pour affirmer l’existence et l’identité d’un peuple.

C’est dans ce contexte que Hamid nous réunissait le soir près de sa maison pour nous chanter des chansons kabyles avec des arpèges à la guitare au clair de lune. Parfois on se donnait rendez-vous à la zaouïa de Hadj Belkacem et pendant que les gens étaient absorbés par les rituels soufis, nous étions quelques-uns à sortir dans la nature pour écouter la voix mélodieuse de Hamid qui entonnait des chansons pour notre plaisir au milieu de la nuit près de la rivière. Quelques mois plus tard je quittai At-Yenni et ne le revis plus.

Un jour alors que j’étais au lycée Chihani-Bachir d’Azazga, des amis me firent entendre sur les ondes de la chaîne kabyle une chanson surprenante par la nouveauté de sa mélodie exhumée du terroir local, son support musical tenant à la fois du patrimoine et de l’universel, son texte moderne par sa forme et traditionnel dans sa teneur chantée avec une voix originale et envoutante.

Idir où l’oeuvre porteuse d’espoir et de renouveau

En somme, une chanson trait-d’union entre notre culture et le monde, qui répondait parfaitement à nos attentes. Une révélation pour nous ! Elle passait en boucle à la radio dans une émission animée par Ben-Mohamed. Nous l’écoutions sans cesse avec délectation. C’était Avava Inouva d’Idir. Dans les premiers temps, je n’avais pas mis le visage de Hamid sur le nom d’Idir. Il dissimulait son identité comme il le dira plus tard par pudeur et crainte de la réaction de ses parents.

En ce temps-là, la société ne voyait pas moralement d’un bon œil le métier de chanteur. Evidemment, quand je découvris Hamid derrière le pseudonyme d’Idir, je ne fus guère étonné.

En 1977, je le revois sous le nom d’Idir le chanteur lors de son grand concert à la coupole du 05-Juillet d’Alger. Il nous a gratifié d’un spectacle exceptionnel et d’une beauté jamais égalée. Nous eûmes le plaisir d’écouter son répertoire devenu riche avec des compositions chorégraphiques éblouissantes incorporant les diverses danses nord-africaines admirablement exécutées et des projections de diapositives sur grand écran, relatant l’histoire des Berbères à travers ses monuments et ses héros antiques.

La salle était bondée, l’émotion était à son paroxysme et les youyous survolaient l’espace comme un vol ininterrompu d’hirondelles. Ceux qui ont vu ce spectacle ne l’ont jamais oublié. Il était unique.

C’est après ma venue en France que j’eu le plaisir de le revoir en 2014 dans les locaux de Berbère télévision où il venait assister à l’émission dont il était fan : « Club de la presse » animée par Kamel Tarwiht et où j’étais chroniqueur avec Mohand Bakir, Ali Temouche, Ali Aït Djoudi et Arezki Mamart.

Cette année-là, avec deux amis, Nacer Irid qui vivait au Canada et Mehenni Haddadou maire de la commune d’Akfadou, avions projeté d’organiser un festival dans cette localité afin d’exhumer l’histoire de cette région et ses gisements archéologiques oubliés et enfouis dans le passé et sous terre. Nous l’avons appelé « Lumière sur le patrimoine historique et culturel de la Kabylie ».

L’idée d’organiser un festival autour du thème « Lumière sur le patrimoine historique et culturel de la Kabylie » m’est venue de ce constat malheureux que les jeunes de nos villages ne s’intéressent guère à l’histoire de leurs communes, au patrimoine matériel et immatériel qu’elles renferment et à leurs environnements toponymiques. La mise en lumière de ces richesses m’apparut dès-lors comme une nécessité évidente et vitale dans notre combat identitaire.

Ayant une bonne connaissance de la région d’Akfadou, je pris contact avec un ami natif de la région M. Irid Nacer et lui fis part de mon idée. Il contacta aussitôt M. Mehenni Haddadou et lui proposa de s’associer au projet en sa qualité de maire. Ce dernier accueillit la proposition avec enthousiasme.

En préparant les modalités pratiques du déroulement de ce festival, un écueil se dressa devant nous : les finances dont nous disposions étaient drastiquement insuffisantes pour assurer une bonne couverture publicitaire à ce festival.

Une question capitale se posa pour nous : comment donner, selon notre désir, un retentissement régional, voire national à ce festival afin d’inspirer d’autres initiatives de même nature dans le pays ? Notre objectif était de susciter un grand intérêt dans la jeunesse kabyle et plus largement algérienne pour le patrimoine historique et culturel du pays afin de contrecarrer les offensives de dépersonnalisation dont cette jeunesse était la cible privilégiée de la part du pouvoir et de certains courants idéologiques ?

De cette interrogation émergea l’idée de faire parrainer le festival par une célébrité à même d’attirer l’attention des médias et de la population. Le choix fut porté sur Idir pour deux raisons : sa longue absence du pays et sa notoriété.

Je me chargeai donc de le contacter. Le connaissant très peu pour avoir partagé dans un passé lointain quelques brefs moments avec lui dans ma jeunesse, j’hésitais à prendre attache directement avec lui. Je sollicitais alors des personnes qui prétendaient autour de moi bien le connaître. Les semaines passaient, l’été approchait et notre projet risquait d’avorter sans l’indispensable présence d’Idir à nos côtés. Les intermédiaires que j’avais mobilisés me rendaient sceptique par les réponses évasives et parfois nettement négatives qu’ils me faisaient parvenir.

Certains prétendaient qu’Idir était injoignable, d’autres qu’il refusa de s’associer à notre initiative et plus nombreux encore furent ceux qui m’affirmaient du haut de leurs préjugés que cette « star » n’accepterait aucune invitation sans une rémunération conséquente à la hauteur de son statut !

De passage dans les studios de Berbère Télévision où il venait parfois assister en direct à l’émission « Club de la presse » dont il était un fan, je décidai de l’aborder franchement. A peine avais-je formulé ma demande, il me répondit sans hésitation qu’il serait honoré de parrainer ce festival et de nous accompagner dans toutes les activités portant sur la récupération de notre patrimoine historique et culturel.

Depuis, nos liens se resserrèrent et je découvris un homme d’une modestie exceptionnelle, généreux, humaniste et surtout aux antipodes des rumeurs malveillantes qui lui attribuaient un goût immodéré pour l’argent. Je dois dire que de tous les artistes (ils étaient au moins 50) que j’avais invités à participer à ce festival, il fut l’un des rares à ne rien m’exiger.

Alors qu’il souffrait déjà des premiers signes de sa maladie, à aucun moment, il ne se plaignit des programmes éprouvants que nous lui imposâmes durant les deux éditions consécutives du festival (2014 et 2015). Il ne nous exigea rien sur les conditions d’hébergement, il dormait chez des particuliers et encore rien sur la restauration assurée par des bénévoles.

Sa pleine disponibilité à l’égard de la population et des organisateurs du festival était tellement phénoménale qu’on devinait aisément chez lui la grandeur d’âme de l’homme, de l’artiste et du militant désintéressé. Tel était Idir. Entier.

Mokrane Gacem

1 COMMENTAIRE

  1. Bien le bonsoir.
    cet article est d’une importance capitale pour ceux qui savent lire.
    Je n’ai jamais pleuré quelcun comme ce fût le cas pour Idir, et bien évidemment ma douce et défunte mère Paix à leures âmes.
    Idir est mon inspiration depuis ma tendre enfance. Quand ma mère m’écoutais fredonner des airs de Idir… parfois, me faisant écouter les anciens, me dit: toi, c’est Idir que tu préfères, je sais.
    Elle me manque terriblement, mortellement.
    j’ai pleuré Idir 3 jours plus tard…tand je n’avais pas réalisé qu’il nous a quitté à tout jamais. et une fois pleuré, je ne pu me retenir.

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