Vendredi 10 avril 2020
Le nouvel ordre mondial sera-t-il d’abord individuel ?
Pour l’Algérie, l’épidémie du coronavirus survient dans un contexte de crise économique, politique et sociale térébrante, portant à leur pinacle des tensions qui tenaillaient depuis fort longtemps un corps déjà bien mal en point.
Juste avant cette pandémie, le Hirak pouvait, à lui seul, faire décliner ces tensions, mettre le doigt sur la plaie et dire les chances que l’Algérie a ratées depuis l’Indépendance en matière de développement, de bonne gouvernance, de liberté et d’exercice de la citoyenneté. La suspension de ce mouvement, en raison du coronavirus, était un acte intelligent et responsable qui s’imposait de lui-même. Dans la foulée, un grand nombre de jeunes se sont convertis dans les actions de sensibilisation pour prévenir la propagation de la maladie et gérer le confinement dans les villages.
Le gouvernement lui-même s’est inspiré du travail honorable accompli par ces jeunes dans plusieurs régions de Kabylie, en instruisant les walis et les collectivités locales d’organiser les quartiers des villes sous forme de comités devant assurer les missions de sensibilisation et d’organisation auprès des populations, en apportant leur assistance aux pouvoirs publics dans cette conjoncture bien complexe. Il est évident que le retard que connaît la société en matière d’organisation et de prise en charge autonome ne peut être rattrapé en quelques jours, même si, ça et là, de louables initiatives commencent à être prises.
Dans une situation inédite, comme celle que nous vivons aujourd’hui, où l’humanité est menacée dans son être et son essence- sans doute, pour la première fois à l’échelle de vie de l’homo sapiens-, les gens – les Humains, devrons-nous dire – ne peuvent être qu’abasourdis par cette lame de fond qui a commencé sa course à Wuhan, en Chine, en décembre 2019, et qui s’est propagée comme un feu roulant, embrassant tous les recoins de la planète.
Les historiens des sociétés peuvent avancer des comparaisons avec des périodes passées de la vie de l’humanité où, parfois, des millions de personnes étaient emportées par des épidémies (la peste du Moyen-âge en Europe, la grippe espagnole du début du 20e siècle, le typhus des années 1940,…etc). Peut-être, la première différence qui saute aux yeux de l’observateur d’aujourd’hui, c’est la localisation géographique de la maladie.
En effet, aucune des épidémies des siècles passés n’avait dépassé un certain seuil géographique (sous-continent, région limitée par la mer ou l’océan, plusieurs pays contigus formant un ensemble régional, quelques provinces,…). D’autre part, l’on sait que certains cataclysmes naturels ont fait plus de morts que l’actuelle pandémie de coronavirus. L’un des exemples les plus récents est ce tsunami, consécutif à un séisme, qui frappa, avec près de 250 000 morts, la région de l’océan indien (Indonésie et Sri Lanka, en particulier).
La civilisation de l’homme ébranlée
Mais, l’actuelle pandémie est appréhendée par l’ensemble de l’humanité comme un phénomène unique, qui vient ébranler la civilisation de l’homme sur l’unique planète qu’il colonise. Les esprits sont profondément frappés par ce qui, naguère, relevait d’une spéculation de science-fiction ou de quelque projection fumeuse de milieux militaristes qui ont envisagé une probable guerre bactériologique.
Dans tous les cas de figure, le mal qui continue à faire des milliers de victimes par jour- la sommet de la courbe se trouve aujourd’hui aux États-Unis d’Amérique- arbore pour l’humanité les conséquences d’une donnée vue, un certain moment, comme une énorme avancée dans la marche de l’homme, de l’économie et des société: la mondialisation. Ce qui fut présenté, en 1967 par Mc Luhan, comme le « Village planétaire »- mondialisation des médias et des technologies de l’information et de la communication- a acquis une nouvelle vitesse, un autre contenu: mondialisation des échanges, délocalisation des entreprises, et mobilité extraordinaire des hommes à travers les continents, malgré l’avancée du télétravail. Il s’ensuit une forme d’interdépendance et une aggravation des risques, aussi bien financiers- à l’image de la crise de 2008 des subprimes aux USA, qui affecta gravement l’ensemble des système financiers du monde (principalement l’Europe et l’Asie)- que sur le plan sanitaire, comme on le voit aujourd’hui avec la coronavirus qui vient de faire le tour de la planète.
Un monde aussi interdépendant semble s’exposer à tous les risques que peut engendrer l’enchevêtrement des intérêts capitalistiques, sans grand souci de développer les solidarités qui en seraient logiquement attendues. Le philosophe Edgar Morin écrit à ce sujet: « Le virus nous révèle ce qui était occulté dans les esprits compartimentés formés dans nos systèmes éducatifs, esprits dominants chez les élites techno-économiques-financières : la complexité de notre monde humain dans l’interdépendance et l’intersolidarité du sanitaire, de l’économique, du social, de tout ce qui est humain et planétaire. Cette interdépendance se manifeste par des interactions et rétroactions innombrables entre les diverses composantes des sociétés et individus.
Ainsi les perturbations économiques suscitées par l’épidémie en favorisent la propagation. Le virus nous dit alors que cette interdépendance devrait susciter une solidarité dans la prise de conscience de notre communauté de destin » (Libération du 12 mars 2020).
Ce que sera l’après-coronavirus
Un grand nombre d’intellectuels se sont exprimés ces dernières semaines pour envisager ou dire ce que pourra être l' »après-coronavirus », aussi bien à l’échelle des gouvernements et des grandes organisations régionales ou mondiales, qu’à l’échelle individuelle. Parallèlement à ces analystes, et comme à l’occasion de toutes circonstances aussi dramatiques, une pente glissante vers des supputations et ratiocinations de type religieux s’offrent à tous les esprits paresseux et rentiers, comme en compte l’Algérie. Du châtiment divin contre des peuples qui n’auraient pas suivi « la juste Voie » jusqu’à la remise en cause de l’existence du virus lui-même, la voie reste ouverte pour l’exploitation maximale de l’ignorance et de l’analphabétisme qui ont ravagé le corps d’un grand nombre de peuples musulmans.
Restent toutes ces réflexions et projections qui nous placent dans l’après-coronavirus et que l’on ne devrait pas rejeter d’un revers de main, malgré les grandes incertitudes qui pèsent sur la reprise économique et sociale après le dé-confinement. Le coût sera logiquement très fort pour l’ensemble des économies du monde.
Certains évoquent la crise de 1929 après le crash boursier. Ce fur là un des facteurs déterminants dans la montée du nazisme en Europe. D’ailleurs, certains analystes n’excluent pas que la gestion de l’après-coronavirus risque de virer à la montée en puissance des dictatures. D’autres y voient, au contraire, une voie ouverte vers une remise en cause générale de l’ultralibéralisme et de la transformation en profondeur des économies et des sociétés.
Les transformations auront lieu à l’échelle des pays, des organisations régionales (à l’image de L’Union européenne), des entreprises, des multinationales et…des individus. L’individu, écrasé par une logique mercantile et consumériste qui est allée au-delà du supportable et de l’imaginable, est appelé à se repenser à l’échelon de sa personne, de sa famille et de sa société.
Dans ce cadre, je tiens à faire connaître au lecteur une contribution de grande portée postée sur Facebook par son auteur, Ahmed Radja, ingénieur agro-économiste et gérant d’un bureau d’études, et intitulée « Le Jour d’après ».
Le jour d’après
« Il faudra prendre le temps d’apprendre la leçon que nous dispense cette pandémie pour nous construire et construire notre relation avec notre biotope, d’une autre façon.
Il y a d’abord l’habitat.
Il est inconcevable de ne pas doter son habitat de moyens pour le rendre autonome en cas de rupture dans l’alimentation en gaz, électricité et eau potable.
Des panneaux solaires, une bâche à eau (pour stocker les eaux de pluies) et une installation pour la production de biogaz à partir des sous produits animaux et végétaux, installées dans les maisons individuelles, réglera définitivement le problème.
Pour ceux qui habitent dans des logements collectifs au niveau des centres urbains, il peut être envisagé de réaliser des infrastructures collectives par bâtiment, quartier ou îlot pour répondre aux besoins des citoyens en cas de rupture dans l’alimentation en ces produits. Il y a, ensuite, le jardin potager.
Ce dernier est le moyen le plus indiqué pour assurer l’autonomie et la sécurité alimentaires des ménages et des communautés en cas de pandémies majeures qui risqueraient de survenir dans le futur.
Cultiver son jardin sera donc un devoir pour toute personne disposant d’une parcelle de terrain cultivable. Il permet, de ce fait, d’alléger la pression sur les réseaux d’alimentation des cités par l’écoulement de leurs excédents dans les marchés de proximité.
Les montagnards et les habitants des oasis ont survécu grâce à une exploitation intelligente des jardins potagers, des petits élevages, et du séchage de certains légumes et condiments tels l’ail, l’oignon, le piment et autres plantes comestibles.
Il est temps de retourner à nos anciennes pratiques. Elles ont l’avantage d’être des thérapies dans la lutte contre le stress et les maux de la vie moderne. Elles ont aussi l’avantage de nous procurer des produits sains, sécurisés et exempts de pesticides et autres engrais chimiques.
Il est temps d’intégrer le mode de vie paysan dans notre vie quotidienne. Il est temps, aussi de penser à l’enseigner dans les écoles afin de construire de nouvelles générations sensibilisées à l’agro-écologie et au développement durable des territoires. Il est temps de réfléchir et de penser l’avenir d’une autre façon ».
A. N.M.