10 novembre 2024
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Le plus court chemin est-il le droit chemin ?

REVOLUTION CITOYENNE     

Le plus court chemin est-il le droit chemin ?

Depuis le départ des Bouteflika, les vendredis et les mardis alternaient, donnant rituellement la parole au peuple et au Haut commandement de l’armée sans que rien ne change, tandis qu’on s’approchait avec anxiété de la date limite de l’intérim de M. Bensalah le 9 juillet.

Le discours qu’il a récemment adressé à la nation a levé cette hypothèque et les risques qui lui étaient attachés : il restera en fonction jusqu’à l’élection du nouveau président, fermant la porte à toute autre solution. Ce sera l’élection le plus vite possible ou la reconduction de l’intérim, dût-il durer cent ans. S’il venait à décéder, le président du Sénat en fonction prendrait sa place et ainsi de suite jusqu’au dernier membre du Conseil de la nation, option conforme à ce qui reste de logique constitutionnelle.

M. Abdelkader Bensalah a aussi indirectement répondu au mot d’ordre-phare du «Hirak» («Yetnehaw gâa » ! Partez tous !) : ce sera l’affaire du futur président qui la mènera dans la stabilité et la légalité, de même que l’ouverture du chantier de la nouvelle Constitution et des autres réformes.

Ce mot d’ordre d’essence « twaychiste », je veux dire ici irréaliste, appartient aux mêmes impératifs catégoriques que le Coran désigne par « Koun fa yakoun » et la Bible par « Fiat lux ». Relevant du registre des miracles, il s’apparente plus aux attributs divins qu’aux attributions humaines. S’il avait été possible de dresser une liste exhaustive des responsables à renvoyer et une autre de leurs remplaçants, la chose n’aurait posé aucun problème.

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Mais le système, à l’image du diable, son jumeau, se cache derrière le connu et l’inconnu, dans les détails et les généralisations, sur les cimes et au ras des pâquerettes. Sans oublier qu’il est aussi une culture qui a façonné la mentalité algérienne de haut en bas de l’échelle sociale. Plusieurs de ses visages les plus connus sont déjà en prison, ou en passe de la rejoindre, mais l’opération nécessite pour être parachevée des procédures administratives et judiciaires et un certain temps.

La focalisation du «Hirak » sur le départ des 2 « B » (ce n’est même pas la peine d’évoquer le 3e) n’est plus de mise car les deux hommes ne représentent aucun péril. Ils ne font rien de leur propre chef et ne peuvent servir aucun autre agenda que celui de l’armée qui a accompagné le peuple dans l’éjection des Bouteflika. Ils constituent son « hijab » car elle ne peut pas se montrer à visage découvert en public dans ce rôle. Juste à la maison. Or Mr Bensalah fait partie des « gens de la maison » (« ahl-l-bayt »). Lui et Ouyahia ont été introduits ensemble dans le système par Zeroual.

Si Ouyahia était électriquement « chargé négativement », un être satanique faisant le mal pour le mal, Bensalah était électriquement « neutre », se contentant de faire ce qu’on lui demande à des postes où il ne gère pas les richesses nationales, mais juste les paroles de circonstance. A l’image d’un atome, le système a une « charge nulle », comptant autant d’électrons chargés négativement que de neutrons de « charge neutre » (hauts fonctionnaires et cadres supérieurs qui n’ont fait aucun mal au pays, au contraire).

La révolution citoyenne a jeté à la poubelle de l’histoire le président qui n’aurait jamais dû être Bouteflika. Elle a assisté au retour de l’armée dans le giron du peuple, que nous espérons sincère et définitif. Elle a fait échec à l’élection du 4 juillet qui allait se tenir comme si rien d’exceptionnel n’était arrivé dans le pays. Et elle commence à prendre ses distances avec les « twaychia » qui veulent la mener à l’aventure, et peut-être au retour de la « Issaba » avec d’anciens ou de nouveaux visages.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’en finir avec la révolution citoyenne, mais de l’aider à accoucher pour qu’elle ne meure pas, ni n’avorte. D’où, notamment, mon insistance à la distinguer de la notion de « Hirak » car les deux mots ne sont pas synonymes. Ils sont à vrai dire antinomiques. Dans l’ordre hiérarchique, le « Hirak » viendrait en bas, et la « révolution citoyenne » en haut. Le «hirak » est passager comme une colère, un orage ou une révolte, alors que la révolution citoyenne est un réveil, une prise de conscience irréversible, une transformation intérieure générale, un changement de paradigme.

Là où elle se produit, on ne voit et ne verra plus jamais les choses comme avant. Plusieurs « hirak » peuvent se succéder sans parvenir aux résultats d’une révolution citoyenne, comme on l’a vu et revu avec les révolutions arabes.

Jusque-là, le « Hirak » scandait des slogans et brandissait des mots d’ordre en vue de l’application des articles relatifs à la souveraineté du peuple. Il inscrivait sa démarche pacifique dans le respect de la Constitution et demandait la mise en œuvre de ces dispositions. Mon point de vue personnel depuis le 22 février est que c’est en restant le plus près possible de la Constitution, même dans l’état où l’a laissée Bouteflika, que les revendications de la Révolution seront satisfaites les unes après les autres avec le temps et à travers des mécanismes légaux, parce que le nouveau peuple algérien né de la révolution citoyenne y veillera.

Le moment des « concessions de part et d’autre » dont parlait le chef d’état-major à Tamanrasset est peut-être venu. Surtout pour le pouvoir qui n’en a jamais fait aucune au peuple, alors que ce dernier a fait toutes celles qui lui étaient demandées ou imposées depuis l’indépendance en échange de rien, sinon l’incompétence, la faillite, la rapine et une vie de chien dont il est déterminé à sortir coûte que coûte cette fois.

Un geste, un mot, une concessionnette (que Larousse me pardonne) de la part du pouvoir, et le dialogue deviendra immédiatement envisageable :  annoncer que les quatre partis de l’ancienne alliance présidentielle n’en feront pas partie, car ils sont le corps de bataille du système. Il n’y aurait pas meilleure preuve de ses bonnes intentions, et le chemin le plus court deviendrait alors le droit chemin pour tout le monde. S’il refuse, cela voudra dire qu’il compte emprunter des chemins tortueux pour remettre en selle le système, moins quelques têtes qui seront vite remplacées.

Les Algériens sont vraiment à la croisée des chemins, partagés entre le choix de la bonne direction. Le «Hirak » se comporte comme s’il a fait sien le proverbe malien qui dit : «Le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre n’est pas la ligne droite, c’est le rêve ». Le sage Goethe estimait que «Nul ne s’est jamais perdu dans le droit chemin », tandis que son compatriote, le réaliste Bismarck, professait qu’«en politique, il faut suivre le droit chemin ; on est sûr de n’y rencontrer personne».

A qui se fier ? Le débat est ouvert.
 

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

 




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