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Le syndrome linguistique algérien

REGARD

Le syndrome linguistique algérien

Certains écrivent que la langue arabe est la cause du sous-développement de l’Algérie, d’autres lui collent toute la responsabilité de l’échec de l’élite à produire des idées, une culture propre, des créations littéraires majeures, etc.

Quand dans l’autre camp, des douktours (savants) aux faux diplômes, lui donnent un grand prestige et la hissent au-dessus de toutes les langues du monde. « C’est la langue du Paradis » disent-ils, fiers. Non ! Ni les uns ni les autres n’ont raison. Si je maîtrise l’anglais et mon cerveau est en panne, cela va-t-il me remonter ? Va-t-il me mettre au devant de tout le monde ? Va-t-il me rendre intello malgré moi ? Tout ça, c’est de la bêtise à mon sens.

   La langue arabe est une langue comme bien d’autres. Elle est innocente de toutes ces accusations-là ! Elle n’a rien à voir avec notre sous-développement en Algérie. On peut produire en arabe, on peut écrire en arabe, on peut fabriquer en arabe, on peut chanter en arabe, on peut être une vedette de l’art en arabe, on peut même devenir Einstein en Arabe ! Ibn Khaldun (1332-1406), le fondateur de « îlm al-umran » (l’urbanisme sociologique) a écrit les plus belles œuvres de l’humanité en arabe, le théologien Ibn Rochd (Averroès) (1126-1198) a excellé dans la philosophie grâce à la langue arabe et le philosophe-médecin, Ibn Sina (Avicenne) (980-1037), demeure jusqu’à présent une référence en médecine dans les plus prestigieuses universités américaines, grâce bien sûr à la langue arabe. Le problème n’est pas dans la langue alors, purée !

Mais il est ailleurs : dans notre instrumentalisation de l’usage de cette langue, à une époque (l’indépendance), où la majorité des Algériens est analphabète, la minorité, l’élite, est francophone et le peuple dans sa majorité est coupé de ses racines algériennes, c’est-à-dire de sa berbérité authentique ! Une question se pose partout du coup : « si nous sommes Arabes, pourquoi ils veulent nous arabiser ? »

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Voilà pourquoi l’arabisation, à partir des années 1970, a causé une catastrophe sur tous les plans et à tous les niveaux. On ne fait ni ne construit jamais une nation sur une identité de substitution dit l’anthropologie culturelle. C’est de l’arnaque historique ! On peut enrichir son identité et sa langue par d’autres variantes linguistiques, lesquelles vont la consolider, mais non pas la remplacer (notre langue) pour en faire l’original de la copie, alors qu’elles (ces variantes-là) ne sont que les copies de l’original. Quel merdier ! 

J’apprécie personnellement les Égyptiens pour une simple raison : ils n’ont jamais renié leurs origines pharaoniques et coptes. Ils n’ont jamais utilisé la langue arabe classique dans les universités et parlent leur langue populaire, avec un grand romantisme. Même leurs haut responsables leur adressent des discours officiels par leur parler dialectal. C’est cela le bon sens, parler au peuple par la langue qu’il comprend : dans notre cas le Berbère (Tamazight) et l’arabe populaire : c’est cela notre langue, à nous les Algériens et pas aux autres ! Quant à la langue arabe classique, elle n’est qu’une pure importation de l’Orient.

Elle fut imposée, dès l’indépendance, d’en haut pour séparer l’Algérie de son amazighité et de ses variantes linguistiques locales (l’arabe dialectal algérien), en s’accrochant dans une confusion maladive à une espèce d’idéologie baâthiste panarabe « raciste », basée sur des considérations ethnicistes. L’hybridité est telle que ces Baâthistes-là (un courant de laïcs qui est, pour rappel, plus proche d’un arabe chrétien que d’un musulman berbère), se trouvent, côté à côte, avec la tendance islamiste contre le courant « Algérianiste » du gouvernement provisoire (G.P.R.A).

Or, à titre d’exemple, on note qu’à la même période, le philosophe marocain Mohammed Abed Al-Jabri (1935-2010) en était arrivé même à nier cette idée de « l’Arabité », voire celle la « Nation arabe », arguant qu’elle est « une idéologie romantique » souffrant de multiples carences et confusions dans la mesure où elle néglige le Marocain, l’Egyptien, l’Algérien, le Syrien, c’est-à-dire, les entités linguistiques, locales et infra-étatiques (le concept de l’Etat est pris ici au sens de « la Oumma islamique » et non pas au nom de « l’unité linguistique »).

Or, être musulman ne signifie pas « forcément » être Arabe : on peut être un Kurde musulman (qui ne connaît pas un traître mot en arabe), comme on peut être un arabe juif ou chrétien (dont l’arabe est langue maternelle, mais dont la foi n’est pas celle sa propre communauté linguistique). 

Et puis, ce monde dit arabe n’est pas, lui-même, « une réalité objective », cimentée dans l’union et l’idiosyncrasie des langues, des coutumes et des histoires, mais un ensemble de devises et de slogans vides de sens, incapables de cacher ses contradictions internes. Et dont l’objectif n’est autre que la fabrication d’un « destin national de rechange », pour tuer l’africanité et la méditerranéité du Maghreb, et en particulier de l’Algérie.

Cette position est également partagée par le théoricien syro-libanais Constantin Zureik (1909-2000) et le Koweïtien Mohamed Jaber Al-Ansari. D’où le fait que la revendication historique, en 2014, de l’écrivain Kamel Daoud de son « algérianité » sur le plateau de l’émission « On n’est pas couché » de France 2 est éminemment fondée et légitime. Une Algérianité devenue pour longtemps un des tabous fondateurs de notre société au côté de la religion, la politique et le sexe (le fameux Triangle de Bermudes).

L’Algérie , comme tous les pays du Maghreb, a besoin de guérir ses racines, pour vivre en paix avec sa conscience et son identité millénaire. Et cette guérison a besoin du courage pour dire la vérité sur nous mêmes, ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir. 

Auteur
Kamal Guerroua

 




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