Lundi 11 mai 2020
Les coupes budgétaires opérées par Sonatrach sont expéditives
Il faut signaler d’emblée qu’il n’y a pas que Sonatrach qui passe son budget à la paille de fer. Pratiquement toutes les compagnies pétrolières du monde sont confrontées à la même situation imposée par la crise sanitaire, mais leur réajustement vise à surmonter cette conjoncture sans pour autant toucher leur axes stratégique en attendant l’évolution progressive de la propagation du Covid-19, le déconfinement et la reprise des activités dans le circuit économique mondial.
Les compagnies pétrolières internationales (IOC’s) ont procédé à des coupes budgétaires allant de 5 à 50% sans pour autant toucher aux dividendes de leurs actionnaires parfois pour sauvegarder leur pérennité par la confiance de leur actionnariat.
Comme pour le cas de Sonatrach, ces coupes ont touché aussi bien les capitaux (Capex) que les ceux de l’exploitation (OPEX.) Les producteurs de schiste ont opté quant à eux pour la vente en masse sur le marché spot afin de ramasser des liquidités pour d’abord ne pas fermer des puits, opérations très coûteuses et surtout rembourser les prêts pour ne pas entraîner dans leur sillage tout le système financier notamment les hedge funds comme l’a été le cas lors de la crise immobilière de 2008.
Il est connu habituellement dans la vie d’un gisement l’étape d’exploration représente de 10 à 15% des coûts totaux tandis que le développement va jusqu’à 40% d’où l’importance d’examiner en détail l’amont pétrolier et gazier en cas de difficultés financières d’une entreprise pétrolière.
L’équipe de Sonatrach, semble procéder à des coupes sans vision claire d’un réajustement réfléchie de leur Plan Moyen Terme (PMT) comme si on voulait mettre en valeur plus les dégâts qu’elles causent qu’une solution appropriée du moment.
En lisant le rapport extrêmement anxiogène de l’équipe amont, on a l’impression qu’il s’agit d’une réponse à la réduction du budget ordonnée par les pouvoirs publics lors d’un conseil des ministres.
En effet, on remarque que dans le rapport adressé par le vice président amont à son président directeur général daté du 11 avril qui a certainement permis au conseil d’administration de Sonatrach de valider ces coupes rendues publiques la semaine dernière qu’il s’apparente plus à des solutions des facilités qu’une réflexion en profondeur. Son titre est révélateur « impact sociétal de la réduction forage du plan de charge pour l’année 2020 ».
Il propose pour ce qui reste de l’année 2020 un abandon du plan de charge pour réaliser et terminer 26 puits d’exploration et les 30 puits de développement. La conséquence immédiate sera l’arrêt de 50 appareils de forage. En effet, sur 68 appareils en activité au mois de mars dernier, il ne restera que 18 d’ici la fin de l’année. Le rapport rappelle que cette décision pour uniquement les sociétés de catering et du gardiennage pourrait les contraindre à licencier plus de 5200 agents d’ici la fin de l’année 2020. A cela ajoutent les actions de compression de personnel qui seront opérées dans les effectifs des sociétés de services du groupes Sonatrach comme l’ENSP, BJSP, MIA, BASP, HESP etc. La capacité de ces sociétés du point de vue du personnel et équipements a été dimensionnée sur la base du Plan Moyen Terme (PMT) de Sonatrach alors que les pouvoirs publics leur demandent de revoir ce même plan en évitant justement un impact quelconque sur le volet social comme c’est le cas de nombreuses entreprises en Algérie.
Pour stresser sur la gravité de ce plan que l’équipe Sonatrach a examiné en fonction des circonstances « il craint lit-on même une détérioration du climat social des wilayas du sud ». C’est presque une menace pour faire revenir les pouvoirs publics sur leur décisions alors que le prix du baril dépasse à peine les 30 dollars à ce jour.
Pourtant il n’y a pas que l’amont qui constitue une niche de réduction
Sonatrach n’est pas à sa première expérience dans la gestion des crises et les programmes d’austérité. En 1982, elle s’est attaquée au sureffectif qui lui a été imposé par une restructuration organique et financière basée sur des opinions venues d’ailleurs. Aussi durant cette période, souvent qualifiée de «contre-choc pétrolier » elle a vu le prix du baril de pétrole atteindre un minimum de 10 dollars en 1986. Ce contre-choc pétrolier est ainsi appelé car il fait suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Enfin il y a eu aussi les années 90 et la prise en charge du programme d’ajustement structurel du FMI. Elle s’en est sortie indemne. Pourquoi ? Parce que chaque programme avait un objectif et une « âme».
Or cette fois, on a l’impression que les coupes budgétaires se font d’une manière arbitraire sans aucune réflexion profonde fondée sur des hypothèses crédibles. La première des hypothèses est la nouvelle loi sur les hydrocarbures qui semble, selon le ministre de l’Energie, attirer plusieurs sociétés pour l’exploration et l’augmentation des réserves. Il a cité plusieurs compagnies dont les russes Lukoil, Rosneft Gazprom ensuite occidental Petroleum (OXY), Shell, Chevron, TPO etc. qui ont selon ses propres dires signé des mémorandums d’entente (MoU) et les discussions seraient très avancées. En partant de cette hypothèse, la Sonatrach devra laisser de côté pour le moment tout son programme de forage de wildcats pour l’entreprendre dans le cadre associatif à travers les trois contrats qui sont prévus : de services à risque, partage de production ou éventuellement une participation dans une concession que Sonatrach pourrait obtenir d’Alnaft.
Maintenant si l’on parle des 150 nouvelles découvertes, la loi prévoit dans son article 57 des contrats d’exploitation des glissements découverts sur une période de 25 ans. Etant donné les circonstances, elle doit oublier pour la période 2020/2021, le programme d’exploration en effort propre pour se consacrer à la maintenance des gisements existants et au renforcement du work over.
Rien que pour ce programme, les 121 appareils du groupe resteront debout et ne suffiront pas. Quand bien même ces filiales ainsi que les autres entrepreneurs étrangers foreront 300 puits, y compris ceux repris, elle dépensera moins d’un milliard de dollars, ce qui est largement de ses possibilités avec le budget de 7 milliards de dollars qui lui a été alloué. N’oublions pas que pour le deuxième semestre 2020 et le premier de 2021 les stocks des consommables sont déjà sur place. Elle doit lancer un audit de ses filiales à l’étranger pour récupérer des liquidités pour son programme d’austérité mais aussi un redéploiement vers les gisements existants. « Si le taux de récupération est amélioré de 0,1%, 0,2% à 1% par an, on pourrait récupérer 5 milliards de barils, soit autant que toutes les réserves récupérables de pétrole découvertes en Algérie depuis la loi 86-14 » avait affirmé un ancien responsable de Sonatrach rapporté par Algeria Watch. (01).
Une action impérative auprès des sociétés de service opérant en Algérie pour réduire leur tarifs si elles veulent garder leur plan de charge. De nombreuses compagnies de service ont déjà demandé à leur personnel de mettre la main dans la poche pour la pérennité de leurs activités. Nesr Bahrain, une société spécialisée dans la cimentation et le fishing sur puits a exigé de son personnel sous peine de fin de contrat une réduction de 25% de la prime de zone et travailler un peu plus, soit 6 semaines pour 3 de congé au lieu de 4/4 comme d’habitude, Pourquoi ? Éventuellement pour se préparer à une réduction de ses tarifs comme cela a été fait dans le monde. Schlumberger, Weatherford, Haliburton et bien d’autres sont en phase d’entamer le même processus pour maintenir leur plan de charge.
Sonatrach qui ne peut pas toucher aux salaires de son personnel parce qu’elle en paie moins, devra d’abord penser aux activités de la société mère et de ses filiales jusqu’à la fin de cette crise sanitaire.
R.R.
Renvoi
(01)-https://algeria-watch.org/?p=10395