S’agissant de la Justice en tant qu’Institution inscrite dans le texte fondamental de la France, la Constitution de 1958 évoque « l’autorité judiciaire » et non un pouvoir à l’instar de l’Exécutif ou le Parlement.
Au surplus, les praticiens du droit – y compris lorsqu’ils sont magistrats- l’apprennent dans le cadre de leur pratique ; ainsi, M. Dominique Barella, ancien magistrat, a pu indiquer :
« Pendant mes six années à l’USM, j’ai eu l’occasion de réaliser à quel point la Ve République, par son caractère bonapartiste, fait tout dépendre du chef de l’Etat. Il préside le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), nomme tous les magistrats par décret, etc. L’onction du suffrage universel tient tellement du sacre que personne ne s’étonne plus de telles particularités. C’est un système qui organise la toute-puissance de l’exécutif au détriment du Parlement et de la justice notamment. Il n’y a pas de neutralité et d’indépendance possibles pour la justice. Certes, ce n’est pas nouveau. Mais, depuis quatre ans, l’instrumentalisation de la justice atteint des sommets…
C’est un système qui joue sur les faiblesses humaines et le besoin de reconnaissance. On ne devient pas un parangon d’indépendance et de courage juste en enfilant une robe de magistrat » (Libération du 27 janvier 2007).
Voilà qui est dit.
Bref historique sur les migrants
Au commencement furent la fin de la seconde guerre mondiale et la relance de l’économie occidentale et japonaise avec le plan Marshall ; d’où un besoin certain en main d’œuvre. Rien qu’au titre du regroupement familial, plus de 1,5 million de personnes seraient entrées en France de 1946 à 1988. Face à la recrudescence des crimes, agressions et attentats, l’Algérie prit officiellement le parti de suspendre l’émigration en 1973 pour protester contre la multiplication de ces « incidents » souvent à caractère raciste.
Il fallait « casser » du bougnoule » venu manger le pain de l’indigène métropolitain. Aussi, de la création du Secrétariat d’Etat à l’immigration, en mai 1974, à la loi dite Barre-Bonnet en janvier 1980, le mot d’ordre fut à la répression d’Etat : haro sur les « clandestins », notamment par un renforcement du contrôle des entrées en France.
Il est caractéristique d’observer la continuité dans cette préoccupation jusqu’au Traité de Maastricht. Inutile d’insister outre mesure sur les renvois massifs par l’aide au retour connu sous le vocale du « million Stoléru » (voir à ce propos le film de feu Mahmoud Zemmouri « Prends 10.000 balles et casse toi »).
Inutile non plus d’évoquer les « bavures » gouvernementales : des jeunes issus de l’immigration débarquent au pays d’origine de leurs parents dont ils ne connaissent souvent que peu de choses. Ainsi, on a pu dénombrer 5000 reconduites à la frontière et expulsions de 1978 à 1981. Les gouvernements successifs ont fait également de cette politique leur préoccupation allant jusqu’à s’imposer un chiffre annuel relativement aux reconduites à la frontière et même, à un moment donné, à instituer un Ministère chargé de l’immigration.
Depuis le 10 mai 1981
Arrive le 10 mai 1981, date importante dans l’histoire française s’il en fut. L’opposition, à la tête de laquelle les socialistes de l’époque, pensaient une fois au pouvoir « pratiquer une politique d’immigration dans la ligne d’un Etat de droit pour éviter l’insécurité juridique », d’une part, et développer les « libertés des immigrés » et l’égalité des droits en matière politique sociale notamment, ainsi que le droit au regroupement familial et à l’identité culturelle, d’autre part. Parmi les 110 propositions du candidat Mitterrand : la lutte contre les discriminations, l’égalité des droits des travailleurs immigrés avec droit de vote aux municipales et d’association, le renforcement de la lutte contre les trafics clandestins de la main-d’œuvre…
Suite à son élection à l’Elysée, l’action la plus spectaculaire à l’égard des migrants fut l’opération de régularisation d’environ 130.000 « clandestins » (comme si la France était un navire sur lequel s’embarquèrent des resquilleurs !).
Parmi les textes notables du premier septennat de la gauche au pouvoir, il faut citer d’abord celui relatif au contrôle judiciaire pour les expulsions et les reconduites à la frontière, ensuite l’accord franco-algérien sur le service militaire pour les binationaux et enfin le titre unique de séjour et de travail (une seule carte).
Tout en proposant une « réinsertion » volontaire au pays d’origine, l’Etat français décréta l’égalité des droits dans le domaine associatif et syndical ; ainsi naissent des radio-libres dont radio soleil, radio arabe, radio beur, radio Maghreb, radio Orient… Toutefois, on ne peut s’empêcher de constater que les reconduites à la frontière ne cessèrent pas pour autant. De même, le regroupement familial confié à un Office national de l’immigration (OMI) subit une baisse sensible : en 1981, 41 000 demandes acceptées, en 1985 seulement 19 099.
De la même manière, le droit d’asile se rétrécit comme une peau de chagrin (cette tendance ne cesse pas à ce jour ; bien au contraire, les textes devenant de plus en plus draconiens).
Quant au droit de vote, il a été renvoyé aux calendes grecques. Face à la recrudescence des discriminations raciales et des crimes impunis (souvent qualifiées de « bavures »), des jeunes issus de l’immigration organisèrent une marche pour l’égalité, sans organiser hélas afin d’influer sur les décisions les concernant avec leurs parents en vue d’une franche égalité.
Mars 1985, retour de la droite au gouvernement. Sa plate forme, après avoir constaté la difficulté de la « cohabitation avec une partie de la communauté de 4,5 millions d’étrangers vivant en France », propose « la maîtrise des flux migratoires » et « le contrat moral pour les étrangers en situation régulière : intégration ou aide négociée au retour ». Ce, non sans avoir pris l’engagement d’affermir « l’identité nationale » de la France « en luttant contre l’immigration clandestine en agissant avec fermeté contre les étrangers qui ne s’affranchissent des lois de la République ».
La pratique est connue via la tristement célèbre loi Pasqua de 1986 (ainsi que celle de 1993 d’ailleurs) sur l’entrée et le séjour des étrangers. L’autorité administrative s’est vue renforcée au détriment du pouvoir judiciaire. La carte de résident de dix ans n’est plus délivrée de plein droit, les catégories d’étrangers non expulsables sont ramenées de 7 à 4. De même, l’octroi du droit d’asile revient au Ministère de l’Intérieur et le rétablissement de l’obligation des visas à l’exception notable des ressortissants de la CEE et de la Suisse. Au jour d’aujourd’hui, les textes rassemblés dans le Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) sont devenus plus restrictifs que jamais.
La politique de la droite
De retour à l’opposition, lors de la « Convention des états généraux » en 1990, la droite indiqua ses objectifs : enrayer le détournement du droit d’asile, limiter le regroupement familial et le droit aux prestations sociales, réformer le code de la nationalité, accroître la coopération avec les pays pauvres pour tarir le flot des réfugiés.
D’évidence, « les clandestins » n’ont plus pour d’autre destin que d’être refoulé manu militari. Les candidats au mariage avec les ressortissants français font également l’objet de contrôle pour éviter les « mariages de complaisance » (ce qui donne lieu souvent à des situations intenables pour les couples qui demeurent séparés des mois, parfois des années).
Le regroupement familial n’a pas également été assoupli puisqu’il faut toujours un « logement adapté » et des « ressources stables et suffisantes ». « Préférence nationale » dites-vous ? Avant l’actuelle « Loi Immigration », la droite –hors même son extrême- la préconisait déjà sans la nommer.
S’agissant de la nationalité, le jus soli (droit du sol) permettait l’automaticité de l’acquisition de la nationalité du fait de la naissance sur le sol du territoire français.
Or, il a été réformé en sorte que cette automaticité n’existe plus, alors même que ce principe a pu être réaffirmé par le Conseil d’Etat, le 30 octobre 1986 (« Le Conseil d’Etat n’a pas discerné les raisons de modifier un système qui est en vigueur depuis près d’un siècle et dont l’expérience n’a pas démontré les inconvénients »). Les contraintes sont depuis lors et jusqu’à ce jour visibles quant aux reconduites à la frontière et les expulsions, les contrôles d’identité s’étant depuis multipliés, l’interpellation de personnes en situation irrégulière donnant parfois naissance à des drames (Cf. le cas du jeune Malien qui y a laissé sa vie). Le droit d’asile continue d’être le parent pauvre du droit des étrangers. Quant au vote des étrangers…
Depuis, les politiques, relayés par les medias, ont parlé d’intégration. Il est vrai que la sémantique relative à l’assimilation est devenue obsolète, voire indécente. Ainsi, à l’occasion des travaux de la Commission de réflexion sur le code de la nationalité, en mars 1990, il a été décidé la mise sur pied d’un Haut conseil à l’immigration.
En clair, les pays d’origine ont perdu tout droit de regard sur leurs propres ressortissants. Il est vrai que, parmi les jeunes de l’immigration ayant opté pour la nationalité française, beaucoup sont exclus des centres de décisions où se joue leur sort, d’où la marginalisation d’une partie d’entre eux et sans doute les « événements » de Vaulx en Velin et Sartrouville, entre autres.
Parmi les axes de réflexion de cette commission : l’école, l’urbanisme et les banlieues. Egalement l’analyse du droit de vote des étrangers aux élections municipales ; plus de pédagogie et moins de répression, l’accès aux médias et aux activités professionnelles selon compétence.
Pourtant, malgré la création d’un Secrétariat d’Etat à l’intégration ayant à sa tête un Français d’origine africaine, M. Koffi Yagname, dans une France devenue par la force de l’Histoire polyethnique, multiculturelle et plurireligieuse (l’Islam y est la deuxième religion), il ne se passe de jours (de semaines et de mois) sans que la question de l’immigration ne revienne sur le devant de la scène. En attestent le problème des banlieues, des « bavures » policières, les crimes passablement réprimés (les victimes étant étrangères), les reconduites à la frontière et expulsions manu militari…
Les couples mixtes
Il est vrai que la question des couples mixtes et leurs enfants représentent une réalité complexe, un phénomène social que l’appareil judiciaire et les chancelleries ne maîtrisent pas toujours, notamment en ce qui concerne l’application des décisions rendues entre les parents divorcés et qui reconnaissent des droits à chacun des ex-époux sur leurs enfants. D’évidence, cette réalité socio-juridique n’existe pas que pour les seuls Maghrébins.
En ce sens, il est heureux qu’existent des téméraires qui, au-delà des déchirements historiques, trouent le voile du passé pour y installer un avenir qu’on peut toujours espérer meilleur. Rien de tel sans doute pour effacer les douleurs et les rancunes accumulées, et surtout pour sortir des sentiers bourbeux de ceux qui prônent la haine ; ce, d’autant plus qu’il y a également lieu d’évoquer le cas des couples mixtes qui réussissent, y compris le cas de Maghrébines avec des Européens.
Et même lorsque l’Algérie traversait une période difficile et passait par moult épreuves accentuées par un certain climat d’insécurité dû, dans certaines villes, à une violence quasi quotidienne, le cas des couples mixtes et de leurs enfants n’a pas cessé.
Il est vrai que les relations entre la France et l’Algérie n’ont jamais été simples eu égard notamment aux circonstances historiques vécues de nombreuses décennies qui demeurent le moteur de toute explication de cet état de fait. Il est vrai qu’après maintes péripéties, une commission mixte algéro-française a mis en place un dispositif permettant aux deux parents de bénéficier tous deux de l’exercice de l’autorité parentale en aménageant un droit de visite et d’hébergement à celui des deux parents qui n’a pas le droit de garde ou de résidence…
Maastricht…
Il est vrai qu’en son temps, il y a eu un grand battage médiatique autour du Traité de Maastricht ; partisans comme détracteurs de ce traité ont fait la part belle aux chapitres relatifs à la monnaie unique, à la défense commune, aux problèmes liés à la question de la souveraineté nationale de chacun des pays contractants… Ainsi, face au bloc économique et commercial nord américain, les gouvernements de la CEE présentent le traité comme un maillon fort d’un processus irréversible qui assurerait à l’Europe la puissance et la paix.
Ce même Traité est sévèrement malmené par ses détracteurs qui le présentent comme un instrument d’un fédéralisme susceptible de susciter un Etat fortement centralisé aux mains d’une armée de technocrates. Toujours est-il que ce Traité a eu, aux yeux d’une grande partie de la classe politique, une grande importance pour l’avenir de l’Europe. Toujours ce sempiternel européocentrisme. Comme si les autres continents n’existaient pas ou si peu car considérés seulement comme d’immenses sources d’approvisionnement en matières premières et un débouché pour les marchandises et produits européens.
Quel en est, en tout état de cause, l’intérêt pour les immigrés d’une manière générale, et pour les Maghrébins d’une façon particulière (la communauté la plus importante après l’entrée des Portugais dans la CEE) ? Il faut dire que la question de l’immigration n’est évoquée qu’à travers le prisme déformant des ressortissants de la CEE, les « autres » demeurent un sujet à agiter lors des joutes oratoires en période électorale.
Le thème récurrent inhérent à la condition des migrants reste le parent pauvre des débats si ce n’est à travers des propos lénifiants, paternalistes ou franchement hostiles, sans aucune emprise sur la réalité. Ce qui frappe, en effet, c’est que parmi les objectifs de politique étrangère et de sécurité commune figurent deux principes contradictoires : d’une part « le renforcement de la sécurité de l’Union et des Etats membres » et, d’autre part, « le développement et le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». On reconnaît là les sempiternelles déclarations d’intention.
Quelques exemples pour illustrer : d’abord, la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, le Traité fait de l’immigration l’une des questions d’intérêt commun en parlant de « la politique d’immigration et la politique à l’égard des ressortissants des pays tiers », des « conditions d’entrée et circulation des ressortissants des pays tiers sur le territoire des Etats membres » et de « la lutte contre l’immigration, le séjour et le travail irréguliers de ressortissants des pays tiers sur le territoire des Etats membres ».
Aussi, la suppression des frontières internes à la CEE s’accompagne t-elle du renforcement des contrôles policiers et douaniers « tout en harmonisant leurs politiques nationales en matière de droit d’asile et de séjour » précise le Traité. Donc à Maastricht, rien de nouveau puisque ces principes étaient définis et mis en pratique dans chacun des Etats membres de la CEE.
Ensuite, l’accord sur la politique sociale. Le Conseil de la CEE statue sur les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier de la Communauté. Ainsi, dit le Traité : « Afin d’améliorer les possibilités d’emploi des travailleurs dans le marché intérieur…, il est institué un Fond social européen qui vise à promouvoir à l’intérieur de la communauté les facilités d’emploi et la mobilité géographique et professionnelle des travailleurs ».
D’évidence, les immigrés sont exclus de l’application de cette disposition car n’étant pas ressortissants CEE. Faut-il s’étonner dès lors que le Traité considère que, dans le cadre de la coopération du développement, la politique de la Communauté consiste pour l’essentiel en « l’insertion harmonieuse et progressive des pays en développement dans l’économie mondiale » ?
Bref, le libéralisme triomphant se mondialise et les « autres » pays non CEE doivent se mettre au diapason de cette nouvelle coqueluche car maillons faibles de la chaîne économique mondiale. Serait-ce là l’application de cette ineptie juridico- politique appelée « devoir d’ingérence » ? Enfin, il faut noter que le droit de vote et d’éligibilité n’existe que pour les ressortissants CEE, municipales et européennes, dans l’Etat membre de résidence.
Est-ce là l’application du principe de « subsidiarité » ( ?) selon lequel la Communauté ne doit se concentrer que dans son champ actuel de compétence « là où son action est plus efficace que celles des Etats ». Elle ne peut donc légiférer dans tous les domaines ; ainsi en est-il des grandes prérogatives « régaliennes » de l’Etat : éducation et justice par exemple. La situation a t-elle pour autant évolué ? Il est permis d’en douter, surtout dans les banlieues.
Ammar Koroghli
Avocat à la Cour de Paris, Ammar Koroghli est docteur en Droit (ancien de l’ENA d’Alger). Auteur d’ouvrages (essais, nouvelles, poésie), il a été enseignant en droit. Contributeur dans plusieurs journaux et revues : en Algérie (El Watan, Le Matin, Le Soir d’Algérie, Le Quotidien d’Oran...) ; en France (Le Monde diplomatique, Libération, Courrier International, Europe…). Ancien rédacteur en chef d’El Badil (L’alternative), il a participé à des émissions sur l’Algérie : RFI, Radio France Culture, BRTV (Paris), TVA3 (Alger).