Vendredi 28 mai 2021
Les ingrédients d’une dictature
Le pouvoir ne s’octroie pas. Il s’arrache, parfois à un prix élevé. C’est une donnée cardinale que ceux qui ont émergé depuis février 2019 ont ignorée.
Pour ne l’avoir pas compris, ceux qui se voyaient déjà sur le perron du pouvoir au début du Hirak doivent se mordre les doigts aujourd’hui. Aussi formidable qu’est le mouvement de dissidence populaire né en février 2019, il n’a malheureusement pas permis l’émergence de femmes et d’hommes à hauteur de la gravité de la situation.
La raison est certes en partie à chercher du côté du pouvoir, mais en partie seulement car l’incapacité manifeste des partis, syndicats et autres électrons libres du mouvement à se rassembler autour d’une feuille de route ferme, claire et déterminante a largement contribué au ressaisissement du régime.
Passée la panique du premier printemps de colère, le pouvoir a repris la main de son destin. Gaïd Salah a déployé le premier cordon sanitaire pour maintenir en vie le vieux système bien en place. Ceux qui sont venus après lui sont en train de renforcer ses assises au prix d’une impitoyable répression.
Le bruit sourd des matraques qui hachent impitoyablement de pauvres citoyens a remplacé les sourires et les youyous du printemps 2019. Les derniers manifestants courageux qui bravent la répression ne savent pas si le soir venu, ils ne passeront pas la nuit dans un commissariat ou un hôpital.
Que restera-t-il de cette bataille menée contre un peuple qui cherche à s’affranchir d’une tutelle autoritaire ? Un pays désarticulé, plongé dans le doute et la terreur, un peuple désespéré de ses gouvernants et une situation économique particulièrement désastreuse.
Rien ne pansera les blessures et humiliations faites au peuple. La fracture est profonde entre ceux qui tiennent encore le pays et ces millions d’Algériennes et d’Algériens qui ont exprimé sans nuance leur folle volonté d’une nouvelle gouvernance.
Le problème avec le pouvoir en place, c’est qu’il se croit éternel. Pourtant bien de ses illustres défenseurs se sont retrouvés, par la grâce de redistribution de cartes, derrière les barreaux.
Ceux qui sont aujourd’hui aux affaires sont tout aussi sûrs que l’étaient les Ouyahia, Sellal, Saïd Bouteflika et autres tout-puissants généraux aujourd’hui embastillés qu’ils n’iront jamais en tôle. Nous ne le leur souhaitons pas, mais l’histoire réserve parfois des accélérations dont la puissance dépasse toute capacité d’anticipation des événements. Nul ne peut dire que je ne le savais pas.
N’en déplaise aux thuriféraires du système et autres politiques à la petite semaine, le pays ne sortira pas indemne de ce sombre épisode. L’ordre arbitraire ne peut être la solution, mais l’ultime moyen de tenants de la décision sans imagination. Demain déjà, ils seront comptables du sort des Algériens aujourd’hui arbitrairement humiliés, insultés et jetés en prison.
Ne nous leurrons pas. C’est une dictature à bas bruit qui se met en place. Les interdictions de la pratique politique, de toute manifestation pacifique, la censure, le contrôle des médias publics, les arrestations arbitraires, les condamnations pour délit d’opinion, la coupure d’internet, de moyens de transport… ne sont pas les ingrédients d’une démocratie qui se respecte. Mais ceux d’une dictature. Alors parler d’élections dans ces conditions, c’est nous faire prendre des vessies pour des lanternes.