29 mars 2024
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Les marchands de la peur 

COMMENTAIRE

Les marchands de la peur 

Au XIXe siècle, un certain Clausewitz énonçait sa vision de la guerre résumée en une  « « continuation de la politique par d’autres moyens ». Une certaine coqueluche médiatique a assimilé la formule dans l’autre sens. La politique serait la continuation de la guerre par d’autres moyens. 

Zemmour, intégré au paysage politique et médiatique avec ses outrances langagières et autres invectives islamophobes et xénophobes, colonise l’espace médiatique et fixe le tempo de la campagne présidentielle. C’est presque à en oublier qu’il y a une gauche et une droite républicaine dans notre pays. 

L’histoire manipulée et la réhabilitation de Vichy

A contre-courant de la réalité historique, il veut réhabiliter, sans complexe, un Pétain pourtant allergique à la république en qui il voit un « bouclier » providentiel durant les périodes sombres de la France occupée. Zemmour c’est aussi un peu un piètre César avec sa célèbre formule remaniée « Veni, vidi, Vichy». Dans La Guerre des Gaules, l’Imperator  est venu, a vu puis a vaincu. Le polémiste lui est venu, a vu et a fait l’éloge d’un régime collaborationniste avec le Troisième Reich. Complice des nazis, responsable de la désolation de la France, du meurtre planifié de millions de Français, de la déportation de millions de Juifs… Ses condamnations par la justice pour provocation à la haine raciale et injures publiques à caractère raciste ne l’arrêteront pas dans son élan. Il n’en a cure. Au contraire, il met en scène sa victimisation : c’est parce qu’il déranger l’establishment, le système, qu’on veut le faire taire. Lui s’adresse directement aux Français qui jugeront.  Et d’ailleurs si selon les sondages « 67% de Français sont inquiets par l’idée d’un grand remplacement», c’est qu’il a raison ! 

Sous prétexte de dénoncer le politiquement correct, ce marchand moderne de la peur met au pilori tous les gouvernants successifs qui ont plongé la France dans la décadence. Sans une action énergique, sans lui, le pays va droit au suicide. 

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Ce provocateur cathodique, stagiaire de la politique, martèle ses lubies et multiplie les outrances. Selon lui la France va à sa perte à cause de l’invasion migratoire et de l’islamisation. La réhabilitation de la grandeur de la France passe par le combat contre des armées fantasmées dont l’uniforme serait la djellaba et le voile. D’ailleurs,  le polémiste en est convaincu : « Pour tous les musulmans les djihadistes sont de bons musulmans ».

Pourquoi s’embarrasser des nuances ? L’islam se résume au djihadisme selon cet excité médiatique. De là à voir en tout musulman un soldat d’une cinquième colonne, inassimilable, dangereux il n’y a qu’un pas qu’il franchit souvent dans ses discours récurrents d’inimitié. Essentialisation malhonnête et périlleuse qui nourrit la stigmatisation et alimente les frustrations, le ressentiment d’une composante sociologique importante de notre pays. 

Aujourd’hui principal acteur du débat politique national, le polémiste met en œuvre une stratégie électoraliste des plus classiques : la théâtralisation de la réaction.  A l’instar d’un Trump il promeut un dogme nationaliste et raciste, convoque la nostalgie du « c’était mieux avant » et capitalise sur la rente mémorielle maurassienne tout en revendiquant l’héritage gaulliste. Rien que cela ! 

Un de Gaulle, « glaive » historique forcé à l’exil, voué aux gémonies puis  condamné à mort le 2 Août 1940 par …le régime de Vichy lui-même !  

La vieille recette du bouc émissaire et le commerce de la peur. Privilégiant le pathos au factuel, il revisite, révise l’histoire pour permettre l’ancrage d’un discours identitaire fort s’appuyant lui-même sur un nouveau bouc émissaire : l’islam, les musulmans, les migrants, autant d’éléments pathogènes consubstantiels du grand déluge annoncé par ce nouveau marchand de la peur, fervent croyant du clash des civilisations. 

L’homme est bien connu depuis des années à travers ses écrits et autres discours qui ne puisent nullement dans le registre de l’amour, de l’humanité ou de la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité ». 

Mais c’est l’écho discursif de ce prophète de malheur qui doit nous interpeller. Un écho qui en dit long de l’autre, celui qui pensait tout bas mais n’osait pas …

Et qui voit une opportunité inédite de se lâcher, de se révéler dans des débats qui n’en sont pas faute de contradicteur, dans des chroniques insolentes, méchantes qui jettent l’anathème sur l’autre, le musulman, l’immigré, la femme voilée, « celui qui refuse de s’intégrer », dont « les valeurs sont incompatibles avec la République » …

La rhétorique zemmourienne emballe, imprègne non seulement ces milliers de personnes l’acclamant dans les meetings. Elle s’empare des esprits de nombreux intellectuels, trouve les relais médiatiques nécessaires, les soutiens financiers, les appuis idéologiques …   Grâce au milliardaire Bolloré, à CNews, et autres idéologues tels que Renaud Camus, Zemmour a pu franchir le Rubicon politicien dans l’attente de prendre l’autoroute de la politique, dans le sens étymologique du terme (polis). Il est loin d’avoir prouvé sa compétence à gérer les affaires de la Cité. Et comme dit l’adage, il y a loin de la coupe aux lèvres. 

Le phénomène Zemmour est surtout symptomatique d’une normalisation d’un certain discours de haine jusque-là plus ou moins maîtrisé. Ce qu’on entend aujourd’hui, même un Rassemblement National sous Marine Le Pen n’osait plus le dire. Le passage du Front National au Rassemblement National soulignait un besoin de «rassembler » la nation. 

Aujourd’hui, les chantres du polémiste revendiquent leur combat contre le politiquement correct au nom même de la défense des valeurs de la France. Ils ont fait sauter les verrous du scrupule, de l’éthique, du respect.  On est passé de la lutte contre le terrorisme (nécessaire) à la lutte contre le « terrorisme intellectuel » des « biens pensants », à savoir tous ceux qui croient précisément à la devise républicaine et rejettent les schémas simplistes, qui croient qu’un homme noir ou blanc a le même sang qui coule dans ses veines, que la fraternité n’est pas la naïveté, que le vivre-ensemble et le faire-ensemble ne sont plus une option dans un monde fébrile face à des défis majeurs. 

Zemmour et ses suppôts sont en passe d’édifier la plus grande entreprise de promotion de la peur. L’insécurité physique et identitaire est corrélée à l’islam, la crise économique aux migrants … Ce discours simpliste fonctionne malheureusement parce qu’il est précisément simpliste et fait l’économie d’une réflexion profonde et d’un véritable programme politique censé répondre aux problématiques réelles de la France. 

La rupture prônée sous prétexte qu´il faut affronter les sujets qui fâchent constitue une imposture intellectuelle en plus d´un danger pour la cohésion nationale. La  chasse sur le terrain des idées xénophobes  et le silence complice ou embarrassé d´une certaine classe politique sont le terreau de la mise à mal de nos valeurs républicaines. La stratégie du «pompier pyromane» est un exercice très périlleux duquel les plus grands stratèges n´en sont pas toujours sortis indemnes et grandis…

Cette mise en scène clownesque irresponsable menée par un chef d´orchestre réactionnaire tend à se populariser dans le pays des droits de l´Homme, sous couvert du respect de la laïcité et  de la réhabilitation de la grandeur de notre pays. Pratiquée par des politiciens de tous bords au nom de la liberté d´expression, le rejet de l’autre devient un créneau politique porteur ! Aujourd´hui, ce sont les valeurs d´égalité, de fraternité et de liberté qui se débattent sur le terrain de la stigmatisation et de l´inimitié.

Les alchimistes d’une zemmourmania portée aux nues prétendent avoir trouvé la pierre philosophale de la grandeur de la nation. Ils vendent du rêve ou plutôt un cauchemar qui risque de transformer une cohésion sociale fragilisée en rupture sociale consommée !

La France ne saurait être pris en otage par des manœuvres démagogiques périlleuses quelconques à la veille d’un scrutin majeur pour l’avenir de notre pays, et encore moins céder aux rites sacrificiels des boucs émissaires conjoncturels. 

On sait ce que de telles logiques du pire sous-tendues par une chasse aux sorcières ont enfanté dans un passé ni éloigné, ni glorieux.

K. M.

(*) Historien, auteur

 

Auteur
Kamel Meziti (*)

 




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