4 décembre 2024
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L’huile d’olive – Zit u zemur en Kabylie

Olives

En Kabylie, nous parlons communément de ‘’zit u zemur’’ (l’huile d’olive) comme s’il n’y en avait qu’une seule et, qui plus est, ne pouvait provenir que de nos villages. Tout le reste étant bien sûr coupé ou mélangé ou frelaté et que sais-je encore comme suspicion d’impureté ?

Bien sûr, l’huile d’olive de Kabylie est au top mondial de ce qui se fait en la matière et, celle de la Grande Kabylie est meilleure que celle de la Petite (et vice et versa selon d’où l’on est originaire). Celle de la commune d’en face est moins bonne que celle de sa propre commune ; celle du village d’à côté est moins « goûteuse » que celle son propre village…et peut-être même plus acide. Je n’irai pas jusqu’à parler de l’ubac ou de l’adret (amalu negh assamer) de la même parcelle familiale car, là, il peut y avoir du vrai du fait de l’incidence de l’exposition au soleil.

Le moulin de mon grand-père ou Lmaɛnsra n Dda Chabane

Bref, pour le récoltant qui exploite péniblement quelques oliviers sur les flancs escarpés de nos montagnes, il ne peut y avoir qu’une seule vraie huile d’olive : celle qui est tirée de ses propres olives qu’il a ramassées une à une puis emmenées au moulin le plus proche, généralement à dos de baudet et qu’il a faites broyer par des meules en grès centenaires (ighuraf), bien sûr en sa présence le jour J.

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Ce jour J est dicté par le volume du tas amassé (inchel) qui, idéalement, doit représenter une presse au moins, soit l’équivalent de 36 scourtins (tiquftin). En poussant un peu plus le détail, on peut dire que la contenance de ces 36 couffins représente environ 12 hottes en tiges d’oléastres (ahechad), de fabrication locale.

Donc, après avoir broyé, malaxé, trituré, pressé les fruits, le moulinier extrait un liquide couleur café qui, par décantation permet à l’huile, plus légère que l’eau et qui ne s’y mélange donc pas durablement (émulsion instable), de remonter en surface. Après ce périple ayant permis l’extraction d’un jus couleur or et presque aussi précieux pour qui a suivi toutes ces étapes, on laisse au fond de la cuve (tahdhunt), les margines (amuredj).

Il est à noter cependant que ces effluents ne doivent en aucun cas, en théorie, être rejetés dans la nature car les phénols et polyphénols qu’ils contiennent, ont une incidence néfaste sur l’environnement. Par le passé, les anciens ont pu imaginer des pistes de recyclage dont le succès n’est pas forcément avéré (Biocombustible pour le chauffage ; insecticide ; herbicide ; traitement des oliviers voire du bétail etc …). Aujourd’hui encore de nouvelles pistes sont avancées ici où là.

C’est sûr qu’après tant d’efforts, l’huile du pays ‘’zit n’tmurt’’ ne peut être que la « meilleure » de toutes car imprégnée de ce goût si particulier de l’effort et de l’attachement aux racines propre aux nôtres (allez donc faire vendre ses terres à un Kabyle!).

À l’heure de la mondialisation effrénée que nous vivons, on peut quand même admettre que d’autres choses se font en la matière (et se font souvent bien) dans le reste du monde ou, à défaut, dans le bassin méditerranéen qui concentre la presque totalité de la production oléicole mondiale, le plus grand producteur étant l’Espagne. On peut même admettre qu’il y a plusieurs huiles d’olives et qu’elles ne se valent pas toutes.

Aussi, au risque de décevoir les montagnards de Kabylie, et de mon village en particulier, mais tout en étant sûr qu’ils ne changeront rien à leurs habitudes et à leurs convictions, je me dois de rapporter que l’huile d’olive est excellente partout, dans le bassin méditerranéen, de par ses effets bénéfiques pour la santé, bien avant son goût du terroir qui, souvent, relève de la fierté du paysan.

Sans doute en est-il ainsi du paysan grec, espagnol, italien, … ?

En élargissant un peu notre angle de vue et en écartant un peu notre chauvinisme, on trouvera dans les supermarchés européens, différentes appellations et, par conséquent, des étiquetages différents et rigoureusement contrôlés (règlement CEE n° 356/92 du Conseil du 10/02/1992 et/ou COI/T.15/NC nº 3/Rév. 19 Novembre 2022) :

  • L’huile d’olive vierge (3 catégories) :
    • vierge extra (dont acidité libre exprimée en acide oléique est au maximum de 0,8%) ;
    • vierge (entre 0,8% et 2%) ;
    • courante (maximum de 3,3%),
  • L’huile d’olives lampante,
  • L’huile d’olive raffinée,
  • L’huile d’olive (obtenue par le coupage des deux précédentes),
  • L’huile de grignons d’olive brute (ighès),
  • L’huile de grignons d’olive raffinée,
  • L’huile de grignons d’olive (obtenue par coupage des deux précédentes).

Toutes ces appellations ne sont pas encore utilisées chez nous. Nous nous en tenons pour l’heure à ‘’l’huile d’olive’’ (première pression) qui revient en grande partie au récoltant et ‘’l’huile des grignons’’ (deuxième pression) qui revient au moulinier. Et puis, il y a bien sûr ‘’zit ur nsâa aman’’ (textuellement : ‘‘l’huile qui n’a pas d’eau’’) qui, comme son nom l’insinue, celle qui n’est pas entrée en contact avec de l’eau lors du processus (pour ainsi dire, c’est de l’extrait d’huile). Cette dernière n’est pas commercialisée. Elle est parfois offerte, avec parcimonie et à petites doses, pour être utilisée comme médicament… nos grands-mères vous diront certainement mieux que moi dans quels cas l’utiliser.

Au-delà de toutes ces appellations et mis à part le procédé d’extraction, le seul élément probant de différenciation de ces huiles reste leur degré d’acidité, le top devant être inférieur 0,8g/100g. C’est sur ce point que pêche peut-être, parfois encore, l’huile d’olive de nos montagnes.

Aussi, si l’on fait abstraction des procédés d’extraction souvent rudimentaires et les délais souvent trop longs entre la cueillette et la ‘’trituration’’, elle est garantie 100% Bio. Preuve en est, elle est régulièrement primée à l’internationale (Paris ; Athènes ; Tokyo ;…). Et, ce n’est pas l’envolée de son prix, qui atteint des sommets ces derniers temps (+30% à +40%), qui va nous contredire. Cette flambée des prix, comme tout le monde le sait, est le résultat direct du réchauffement climatique, d’une part, et des récents incendies en Kabylie, d’autre part.

Mouloud Cherfi

(*) Cet article a été publié en janvier 2016 par « Le Matindz ». Il est proposé aujourd’hui aux lecteurs d’Ath Yenni Assa après quelques mises à jour de l’auteur.

 

3 Commentaires

  1. Les vrais problèmes concernant les huiles d’olive de Kabylie sont liés aux méthodes d’extraction demeurés archaïques et non conformes aux normes édictées par le Conseil Mondial Oléicole.
    Pour qu’une huile soit reconnue extra vierge, elle doit être de première pression, à froid. Cela n’est pas le cas du fait que pour un problème d’efficacité d’extraction, les mouliniers déversent de grandes quantités d’eau bouillante sur la colonne de scourtins et donc que le produit-mère obtenu n’est plus de l’authentique jus de fruit.
    De plus, la norme d’une teneur en acide oléique inférieur à 0,04 grammes par litre est difficile à atteindre en raison de l’infestation de l’oliveraie kabyle par un parasite nommé dacus (mouche blanche de l’olivier) qui a pu étre éradiqué dans les plaines et les hauts-plateaux de l’Ouest par épandage d’insecticides à l’aide des avions du « travail aérien » mais qui n’a pas été utilisé en Kabylie, en raison, nous a-t-on dit de la configuration escarpée des plantations et leur éparpillement.
    Quant aux sous-produits, tirés de l’exploitation des grignons et des margines, elle reste confidentielle en raison de la faible faible capacité des moulins traditionnels. Depuis des temps immémoriaux, les grignons servent de combustible d’appoint et les margines sont déversées directement dans la nature, contribuant ainsi à la pollution des sols.
    Si l’Etat voulait réellement contribuer au développement de l’oléiculture de Kabylie il me semble utile de donner quelques axes qui pourraient donner des résultats probants et permettre à toute une région de sortir de son sous-développement endémique ;
    1- Lancer une campagne de grande envergure de réimplantation d’une oliveraie déjà drastiquement réduite par les incendies répétés dont la région à été victime depuis le début des années 80. Pour cela il faudrait mettre, au niveau des DSA des plants gratuits d’oliviers au profits des oléiculteurs.
    2 – Monter une opération héliportée d’éradication du dacus de la wilaya de Bou Merdès à la wilaya de JIjel.
    3 – Equiper chaque Commune d’un moulin moderne alimenté par une vis sans fin en respectant les normes du CMO.
    4 – Equiper les producteurs qui le souhaitent d’extracteurs par centrifugation et les leur fournir à des prix abordables.
    5 – Etre à l’écoute des producteurs, seuls à même d’évaluer leurs besoins.

  2. «allez donc faire vendre ses terres à un Kabyle!»; certes, dans un pays qui a vécu pendant plus de 2000 ans de l’agriculture paysanne, vendre ses terres relève de la folie, mais cela ne tient pas qu’à la seule valeur utilitaire.
    La terre et le domicile familiale relève de la religion. Ça ne fait pas longtemps que l’on enterre les anciens sur ses terres, et plus encore, au sein du domicile; d’où la pratique des offrandes et des vierges qu’on allume au domicile pour les anciens. Or, dans la religion des ancêtres, l’ancêtre est vénéré. Et vu qu’on ne vend pas la tombe son ancêtre, on ne bend pas la terre où sont enterrés les ancêtres. Ne dit-on pas de la terre et du domicile «ur ittnuz ur irehhen» ?
    Quand aux pratiques liées à la culture de l’olive, égraine remontent au moins à l’époque romaine. Ils suffit de se documenter pour retrouver parfois le même matériel, les mêmes techniques. Sauf que depuis que les saints poussiéreux musulmans nous ont libéré de nous mêmes, il n’est plus indiquée de rechercher quelques racines de cette époque là. La reprise des conquêtes au 20e siècle, en plein progrès de l’agriculture dans le monde, au lieu de donner au paysan les moyens techniques et, éventuellement matériels pour qu’ils développent leurs activités, je disait la renaissance de la folie à préféré zzit n ssango et le blé subventionné acheté à prix du dollar pétrolier. Et, telle est la folie, ce n’est pas jamais fini.

  3. Le problème en somme se situe entre archaïsme et modernité. Archaïsme des techniques culturales, des procédés d’extraction, des mentalités et, surtout, des modes de gouvernance. Je suis certain que si on mettait en place un arbre des contraintes pour sérier ce qui bloque en Algérie, dans tous les domaines, on verrait que l’obstacle numéro Un est le semblant d’Etat que nous avons construit après l’indépendance. Ce non-Etat est à l’origine de 80% de nos difficultés.

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