Dimanche 17 janvier 2021
Lounis Aït Menguellet revisité : « Amedyaz » ou poésie sur commande
Crédit photo : Hayet Aït Menguellet.
Tout d’abord, en ce dimanche 17 janvier, souhaitons un joyeux anniversaire à notre artiste. Puisse-t-il vivre encore assez longtemps pour nous émerveiller d’autant de productions et de spectacles que ceux du passé !
En pleine décennie noire, Lounis est, comme tout le monde, décontenancé. Il ne se croise pas les neurones pour autant, mais on sent bien que l’inspiration habituelle des grandes œuvres n’est pas au rendez-vous.
Les trois albums qui suivent «A kwen-yexdeε rebbi » ne reçoivent pas le succès habituel et qu’ils méritent auprès du grand public. Mais nous, les éternels inconditionnels, sommes à son écoute en permanence (1, 2).
Comme tous les Algériens pris entre deux feux, Lounis est profondément touché par ce qui arrive au pays. Le cœur n’est pas vraiment à la fête ou aux questionnements philosophiques. Cette déroute, il la conte à sa façon dans « Amedyaz », un titre de l’album « Siwliyid tamaçahut », sorti en 1997, et dans lequel Lounis fait part de son propre désarroi. Par exemple, au lieu du fameux « qui tue qui », c’est une formule plus sobre « qui brutalise, qui est brutalisé » qu’il utilise.
Il faudra attendre « Tiregwa » (édité en France sous le titre de « Inagan ») pour que Lounis nous offre un album épique de 54 min subdivisé en dix chapitres, sous forme de pèlerinage et d’hommage rendu à son propre parcours, sur fond de nostalgie hyper contagieuse, au seuil de la cinquantaine (Temzi inu t’ada am adu). Du grand Lounis, distribué en France par Blue Silver à l’occasion de l’événement « Algérie j’écris ton nom » en solidarité avec les souffrances de la décennie noire. Le disquaire de la FNAC en avait fait son coup de cœur. Et quelle ne fut notre enthousiasme d’entendre la voix de Lounis résonner dans l’espace en nous baladant dans les rayons du magasin, en 1999 à Rennes !
On ne saisit vraiment le sens de « Amedyaz » qu’en suivant les variations des cadences musicales qui accompagnent la chanson. Comme en version originale, le texte de la traduction s’efforce de se caler sur l’angle et les déviations rythmiques de la musique.
« Amedyaz », le poète
Enthousiaste le poète se mit à écrire
Il consigna un poème
Il l’arrangeât en ces termes :
« La confiance entre les hommes n’est plus
Il n’y a plus personne pour déteindre sur l’autre
Celui que tu interroges te répond
‘’Si tout le monde était comme moi
Tu déborderais de joie’’
Nous persistons à chercher
Nous n’avons pas encore trouvé
Détenteur de vérité
Dis-nous où tu es caché ».
Tous ceux qui l’ont écouté
Se sont insurgés
Avec solennité
On lui intime : change ton poème.
Le poète se remit à écrire
Il change son poème
Il l’arrangeât en ces termes :
« On ne sait plus où s’engouffrer
Les portes sont en acier
Pour une d’ouverte il y en a deux de fermées
Sous la mauvaise étoile nous sommes nés
On ne reconnait plus nos qualités
Que de phénomènes n’avons-nous pas vus
Les mots se suivent sans harmonie
L’inimité nous a brisé
Notre état s’aggrave au-secours bonnes dames ».
Tous ceux qui l’ont écouté
Se sont insurgés
Avec solennité
On lui intime : change ton poème.
Le poète se remit à écrire
Il change son poème
Il l’arrangeât en ces termes :
« On ne sait si c’est la guerre
On ne sait si c’est la paix
Qui brutalise qui est brutalisé
Quand le bon sens est absent
Avec l’autre nul ne s’entend
La force remplace la raison
De partout les armes détonnent
Et nous au beau milieu
Avec nos mains nues ».
Tous ceux qui l’ont écouté
Se sont insurgés
Avec solennité
On lui intime : change ton poème.
Le poète se remit à écrire
Il change son poème
Il l’arrangeât en ces termes :
« Nous critiquons nos gouvernants
Si avec justesse nous pesions
Nos décideurs nous les méritons
C’est nous qui leur donnons
Le feu vert pour n’importe quoi
Leurs coups c’est nous qui les provoquons
Si la faute nous incombe tant pis
Celui qui nous punit
Quel beau bâton nous lui avons remis ».
Tous ceux qui l’ont écouté
Se sont insurgés
Avec solennité
On lui intime : change ton poème.
Dépité le poète est pris de colère
Il jette tout par terre
Pour qu’on lui foute la paix
Il a tout refait en ces termes :
Nos journées sont belles
« Tout le monde il est beau »
Celui qui arrose vous rafraichit
Les fleurs ont éclos
Tout le monde est ravi
Chauffe ton tambour petit Ali.
La confiance entre les gens existe
Nous l’avons toujours affirmé
Celui qui est mauvais
N’a aucune place parmi nous
Tout est merveilleux
Chauffe ton tambour laisse-le s’exprimer.
Nos journées sont belles
« Tout le monde il est beau »
Celui qui arrose vous rafraichit
Les fleurs ont éclos
Tout le monde est ravi
Chauffe ton tambour petit Ali.
Debout nous ne ployons pas
Nous surpassons tout phénomène
Les portes en acier
Quand l’une est fermée deux nous en ouvrons
Que fortune nous méritons
Rentrez dans la danse bonnes dames.
Nos journées sont belles
« Tout le monde il est beau »
Celui qui arrose vous rafraichit
Les fleurs ont éclos
Tout le monde est ravi
Chauffe ton tambour petit Ali.
Personne ne cherche noise à l’autre
Dans notre pays nous sommes tous frères
Raffinez la farandole
Nous serons joyeux parmi vous
Entre canons et paix
Armez donc les carabines.
Nos journées sont belles
« Tout le monde il est beau »
Celui qui arrose vous rafraîchit
Les fleurs ont éclos
Tout le monde est ravi
Chauffe ton tambour petit Ali.
Oh vous qui nous gouvernez
Avec nous venez donc vous amuser
Ample est leur labeur
À trop travailler pour nous
Aujourd’hui ils seront joyeux aussi
Ils nous rejoindront pour la farandole.
Nos journées sont belles
« Tout le monde il est beau »
Celui qui arrose vous rafraichit
Les fleurs ont éclos
Tout le monde est ravi
Chauffe ton tambour petit Ali.
Kacem Madani
Notes
(1)https://lematindalgerie.comlounis-ait-menguellet-revisite-amusnaw-lerudit
(2) https://lematindalgerie.comlounis-ait-menguellet-revisite-tarewla-la-fuite