24 avril 2024
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M’hamed Issiakhem vu par Benamar Médiène  


Benamar Médiène a publié chez Casbah Editions «M’hamed Issiakhem, ma main au feu… portrait à l’encre ». Un ouvrage qui nous montre un M’hamed Issiakhem dans son humanité et son art. Eblouissant, complexe et tragique.

Sur la couverture, on ne voit pas le mot essai, ni récit. En vrai, ce livre est un réjouissant mélange des deux, le tout dans une langue enlevée non sans lyrisme parfois.

L’auteur, ami proche et compagnon du peintre, se livre à une plongée saisissante dans l’univers issiakhemien. A 5 ans, M’hamed connaît le premier arrachement quand son père l’enlève à sa mère du village Taboudoucht pour l’emmener à Relizane où il tient un bain maure. Pour le petit M’hamed c’est la fin d’un monde et le début d’un autre. Ce qui fera dire au peintre : « Entre ma mère et moi le pardon a manqué ». Il y aura ensuite le « cataclysme » du 27 juillet 1943. Il subtilisé à l’armée américaine une grenade. Il a suffi d’un déclic pour que celle-ci pulvérise la terrasse et les bambins qui jouaient autour. Ses deux sœurs et un neveu y perdront la vie. M’hamed s’en sort avec un bras en moins.

« Il avait l’impression que son corps a été raboté à vif et diminué de volume.(…) Dans la grande maison désormais vide des agitations enfantines, il buttait contre ses ombres, entendait des voix, s’abrutissait dans le sommeil… ». Il n’était plus le même. Benamar Mediene revient sur l’interminable séjour de M’hamed dans les hôpitaux. Et la détermination dont il avait dû faire preuve pour tracer sa voie à coups du pinceau.  En 1947, le collectif des enseignants de la Société des Beaux-Arts d’Alger déclare que ce « Jeune homme de 19 ans, infirme, est un surdoué un passionné, un révolté à combustion rapide, réfractaire à tout paternalisme et à toute forme de figure artistique imposée ». Pourtant, il deviendra l’un des artistes algériens le plus doué. Rien ne fut facile. Issiakhem couvait une indicible colère. Son trait comme son verbe portait la fureur de vivre. Car, quelque part, l’homme comme sa peinture était habité par les nombreuses déflagrations qu’il portait en écho.

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A l’indépendance. Ecrit Benamar Médiène, « Kateb et d’autres compagnons avaient compris que les grands bénéficiaires de la paix, les futurs conducteurs de l’Etat et du parti, n’étaient pas ceux qui avaient fait la guerre, mais ceux qui l’avaient gérée à bonne distance de la ligne de front ». En effet, Boumediene et Ben Bella prenaient le pouvoir par la force. Trois ans plus tard, premier coup d’Etat. M’hamed Issiakhem et Kateb Yacine qui ne supportaient pas Ahmed Taleb Ibrahimi, le voit devenir ministre de l’Education. « Une longue, farouche et réciproque détestation qualifiait les rapports entre les deux artistes et l’idéologue de l’islam politique ».

En 1966, M’hamed Issiakhem représente dans un tableau intitulé « la Femme sauvage », une « Nedjma désabusée. Une femme amère et vaincue »

L’auteur nous entraîne dans une sorte d’ordalie auquelle était confronté le peintre. L’auteur fait des aller-retour dans le temps pour faire partager des morceaux de vie des discussions que M’hamed Issiakhem a eu avec sa bande d’amis. L’écrivain procède par tableaux qui dépeignent des rencontres, des moments d’amitié, de ruptures, de partage, d’échanges… autant de combats intérieurs qu’Issiakhem avait dû mener jusqu’à son dernier souffre.

Tout est profond, jouissif et tragique en même temps dans ce livre. L’écriture y est éruptive. Puissante marquée au fer d’une longue amitié.

Ce livre est en effet l’illustration d’un artiste à l’amitié contagieuse. Même parfois volcanique, il y avait toujours du monde autour de lui. A chacune des pages, on retrouve son ami, l’intenable Kateb Yacine d’abord, Mohamed Khadda, son épouse Nadia, Djaffar Inal, le journaliste Mohamed Saïd Ziad… toute une tribu d’artistes, d’écrivains, militants s’invite de temps à autre à la noce.

M’hamed Issiakhem ne se départissait jamais de son lyrisme ni de sa gravité. Il y avait dans l’existence de cet homme quelque chose de tragique. Un tragique qui aura néanmoins structuré sa pensée et marqué son art.

Sur la fin de sa vie, M’hamed Issiakhem était rongé par la maladie. Il se battait pied à pied avec le cancer pour faire reculer au plus loin l’échéance fatidique. « Le peintre épuisé, incapable de lever la tête, eut la force d’un ultime sursaut et s’adresse à son ami. Mystérieux aveu : « Oh ! Yacine mon frère, je rêve encore, alors qu’il est trop tard, d’être le peintre primitif d’une époque à venir… J’y entre, en rampant, par la brèche, je creuse dans le noir, j’avance m’éclairant des gouttes de couleurs lumineuses au bout d’un pinceau… ».

Ami de longue date de Kateb Yacine et de M’hamed Issiakhem, Benamar Médiène a enseigné à l’université d’Oran et à celle d’Aix-en-Provence, dans le sud de la France. Il a signé de nombreux ouvrages dont l’inestimable « Les porteurs d’orage » (2003), « Kateb Yacine, le cœur entre les dents » (2006) et le roman « Georges Bouqabrin » (2013).

M’hamed Issiakhem ma main au feu… portrait à l’encre » est aussi une suite logique de « Kateb Yacine, le cœur entre les dents », publié chez Robert Laffont. C’est le cri primal d’un homme blessé. Mais aussi un hommage amical pour un immense peintre algérien.

Hamid Arab

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