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Monsieur Boudjemaa, vous être le retour du spectre de la mort

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Il y a bien longtemps j’avais publié dans le Matin d’Algérie, un article sous le titre, « En finir avec la monstruosité de la peine de mort ». Un parmi tant d’autres à ce sujet dans la presse algérienne mais certainement le plus complet. Suspendue depuis 1993, voilà que le spectre de la mort légalisée revient avec votre proposition.

Aujourd’hui je ne peux m’empêcher de le faire à travers les arguments que j’avais tant défendus et défends encore à propos de ce déni de l’humanisme. Devant les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN), monsieur le ministre de la Justice, vous annoncez le projet de réactivation de la peine capitale, gelée dans son exécution depuis 1993.

Quelques passages seront repris de mon ancien article dans ce journal car sur un tel sujet il ne peut y en avoir d’autres, ni en contradiction avec sa propre conscience ni avec le souci d’en rechercher de nouveaux. Ce serait renier la profonde conviction que est en moi, dans mon éducation, mon instruction et mon très long et difficile chemin pour construire une personnalité humaine digne de la vie qui m’a été offerte. Ce n’est certainement pas pour demander de la supprimer à d’autres

Le faux argument de l’exemple dissuasif

Si nous reprenons les arguments avancés par les partisans de la peine de mort, il en est un qui est des plus fragiles. Selon eux, la peine de mort serait le risque encouru qui stopperait le bras de l’assassin au dernier moment de son projet criminel. Son envie d’échapper à la mort serait bien plus forte que son irrésistible envie de tuer. 

Si la peine de mort était si dissuasive, cela se saurait  depuis longtemps. Elle n’a jamais eu et n’aura probablement jamais ce pouvoir. De nombreuses études sur la criminalité ont prouvé que la seule raison qui peut éventuellement dissuader l’assassin est le risque d’être confondu et arrêté.  

L’argument de la réduction de la violence criminelle dans la société est donc des plus faux car jamais il n’a pu être validé dans l’histoire humaine. En fait, l’argument se retourne aussi facilement car si nous regardons la carte mondiale des exécutions capitales, c’est presque en symétrie que nous découvrons la présence de la violence civile dans les pays qui maintiennent la peine de mort. Aussi bien dans le cas particulier des États-Unis que dans celui de bien d’autres. Ce qui se passe est tout à fait le contraire et il y a souvent un parallélisme évident entre les deux.

L’argument ne peut tenir en lui-même, sans avoir besoin de recourir à l’évidence statistique. Comment peut-on, tout à fait tranquillement, prétendre qu’exécuter un être humain, surtout lorsque cela est public, dissuaderait du crime ? Pas besoin d’assister à une seule heure de cours de sociologie, d’histoire ou de psychologie pour penser que l’effet pervers obtenu est l’inverse absolu de ce qui est prétendu. 

Donner la mort au nom du droit et de la justice ?

Drôle de façon de concevoir le droit et la justice qui ont été durement arrachés tout au long des siècles à une conception antique et moyenâgeuse. Ce n’est que récemment, au XIX ème siècle, que certains intellectuels ont réagi et combattu ce qui leur semblait être contraire aux valeurs humaines.

Mais il a fallu très longtemps pour que cette évidence apparaisse aux yeux de très nombreux États dans le monde. Hélas il y a encore beaucoup trop d’exceptions et, plus décourageant encore, des pays qui reviennent à la peine capitale. C’est le cas des Etats-Unis.

Donner la mort au nom du droit et de la justice est un reniement de l’humanisme qu’il faut encore et encore combattre.

Les décisions de justice en matière pénale sont rendues au nom du peuple. Une phrase qui ouvre l’exposé de la sentence. Non, monsieur le ministre, ce n’est pas en mon nom qu’on exécute un être humain. Je ne suis pas né sur cette terre pour cautionner une telle abomination.

La loi du Talion, une réponse aux souffrances infligées aux proches ?

C’est là encore un argument des plus avancés et classiques que reprennent les défenseurs de la mise à mort. Vous dites que devant l’explosion de la violence et des crimes, la société réclame le retour de la sanction par la peine capitale.

Ce serait justice qu’appliquer cette sentence en réponse à l’effroyable souffrance des proches des victimes. L’argument est à priori cohérant avec la notion de justice. Le mot trouve son origine dans une racine latine. Justicia, avec le suffixe –itia qui exprime l’état d’être. Au final, être doté de l’esprit de justice me dit le dictionnaire que j’ai consulté.

Mais comme rien ne peut faire revenir l’être cher ou réparer une monstruosité, la peine de mort est inutile pour faire balance entre une abomination et un appel à une autre. Bien d’autres peines sont assez lourdes pour évoquer le bon droit de la justice. La condamnation à perpétuité est déjà une peine qui prive  le criminel d’une très grande partie de sa vie.

Mais, dans la certitude que mon article choquerait beaucoup, je n’irai pas jusqu’à avouer mon opinion qui consiste à dire que la condamnation à la perpétuité est l’équivalent d’une peine de mort (en fait, je viens de le dire). Je suis rassuré que la perpétuité réelle soit inexistante ou rarissime dans son accomplissement.

La justice n’est pas une vengeance et doit répondre à l’inacceptable par de très lourdes peines mais ne pas exiger ce qui n’est pas possible, interdire une vie pour compenser une profonde douleur. La mort ne compense jamais la mort.

La terrible et irréversible erreur judiciaire

Donner la mort est un acte irréversible, que penser d’une erreur judiciaire qui ne pourra jamais être réparée. C’est terrible que cette décision d’enlever la vie à un innocent. C’est l’une des responsabilités les plus lourdes de conséquences que puisse faire la justice humaine. 

On pourrait me rétorquer que dans la majorité des cas, l’aveu ou la preuve détruisent l’argument de l’erreur judiciaire. Et pourtant, ni l’un ni l’autre ne sont une certitude. La vérité judiciaire n’est pas la vérité absolue. 

La justice humaine peut-elle donner la mort dans ce cas, même rare ? Peut-on évoquer la rareté statistique pour jouer aux dés. Un seul cas suffirait pour enlever à la justice son honorabilité. La rareté constatée par les statiques n’enlèvera jamais les exemples d’erreurs judicaires dans le monde et dans l’histoire de la civilisation humaine.

Les pratiques hors de l’humanité de la mise à mort

L’exécution à mort, c’est comme un concours d’innovation pour spectacle, elle est aussi diversifiée que le génie humain lorsqu’il se met au service du mal. En Chine, lorsque l’exécution est publique et massive, on aligne les condamnés, on les agenouille et on leur tire une balle dans la nuque. En Iran, on accroche la corde à son support et on attise la foule qui se réunit autour pour assouvir sa soif morbide de vengeance (ou plutôt de spectacle). Puis on amène le condamné et on lui passe la corde au cou. 

Mais le spectacle ne serait pas si réjouissant si un scénario macabre n’était pas prévu. On fait venir la famille de la victime en pleurs et on lui demande si elle pardonne le crime. Et voilà que le condamné hurle sa demande de pardon avec des gesticulations monstrueusement horrifiantes.

Un suspense fait taire la foule et accélère le pouls des spectateurs, que va décider la famille ? Ce jour-là, pour les besoins d’un reportage télévisé que j’avais vu, on avait préparé le scénario, les parents avaient déjà accordé le pardon. Et lorsqu’ils expriment ce pardon devant la caméra, en direct, voilà que ce pauvre bougre leur cri sa reconnaissance éternelle. Il venait de voir la mort de près.

Mais plus sordide encore, une scène d’un autre reportage vu à la télévision, elle se déroule aux États-Unis cette fois-ci. La responsable de la communication de la prison d’un État installe les membres de la famille dans une pièce où ils sont invités à voir le spectacle à travers une vitre. Pour l’occasion, pas de pardon de dernière minute du gouverneur, il n’y a qu’au cinéma que cela se passe. 

L’homme est réellement exécuté, nous ne voyons pas la scène mais celle du retour de notre charmante chargée de communication. Toute souriante, elle commence par : « Alors, vous avez vu, cela a été magnifique ? » Et je m’imagine, encore aujourd’hui, un dialogue qui aurait pu convenir à la même scène car la dame, propre sur elle, semblait tout autant dire : « Vous n’avez rien raté ? Avez-vous vu les gémissements et le dernier souffle ? Vous n’étiez pas trop loin ? Vous voulez boire quelque chose? ».

Voilà qu’arrive maintenant dans le stade sa vedette, le bourreau. Énorme gaillard, cagoulé même si ce n’est pas la honte qui le fait rougir mais la nécessité de l’anonymat. Fonctionnaire de l’État, il s’en retournera à la maison, l’esprit serein d’avoir bien fait son boulot.

Et bien d’autres scènes qui sortent de la civilisation humaine pour entrer dans autre chose, son reniement.

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous dormir tranquille avec vos paroles même si elles sont dictées par Abdelmadjid Tebboune (puisque vous le dites) ? Dans le premier cas vous êtes un monstre froid, dans le second, un servile complice d’une monstruosité.

Boumediene Sid Lakhdar

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