20 avril 2024
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Nedjib Sidi Moussa : une critique constructive des limites du hirak  (II)

Nedjib Sidi Moussa

«Fonder un projet politique sur la base d’un héritage historique particulier est peu susceptible d’ouvrir des perspectives émancipatrices pour le plus grand nombre, dans la mesure où l’appropriation de la séquence coloniale s’effectue d’une façon partielle et partiale, par des acteurs qui n’ont pas subi cette domination qu’ils dénoncent sans prendre le moindre risque, contrairement aux anticolonialistes qui n’étaient qu’une minorité active». Nedjib Sidi Moussa, La fabrique du musulman, 2017. (La suite…)

Quand Ali Benhadj rêvait de «parachever» la Révolution algérienne

Durant son premier séjour en Algérie et qui correspondait à « la phase euphorique du mouvement populaire », Nedjib Sidi Moussa s’est efforcé de rechercher les « formes d’auto-organisation » et les différentes mobilisations « des symboles de la lutte anticoloniale par les protagonistes du hirak ». Avec perspicacité, il pointe l’une des faiblesses formelles du hirak qui se traduit dans la référence sclérosante à la guerre d’Indépendance, à ses héros, à ses martyrs et à ses mythes. Si certaines études et analyses savantes ont parlé de la « réappropriation du récit national » comme facteur d’union politique dans la protestation politique, Nedjib Sidi Moussa rappelle, texte à l’appui, que cette « réappropriation du récit national » n’a rien  d’inédit et que, dans les plus sombres moments de l’histoire algérienne, elle a été le fait de ceux qui ont failli mener l’Algérie à sa ruine certaine.

Il cite l’exemple d’Ali Benhadj, l’un des leaders historiques du Front islamique du salut (FIS), qui concevait sa volonté d’ériger un état islamique en Algérie (qui est un projet d’extrême droite…il faut le rappeler !) comme le parachèvement de la Guerre de libération nationale contre la colonisation française, tout en l’inscrivant dans le cadre mythologique – et extrêmement surréaliste – de la résistance de l’Islam contre la prétendue « invasion occidentale ». 

Au journaliste Slimane Zeghidour, Ali Belhadj déclarait ceci en 1990 : « Si mon père et ses frères (en religion) ont expulsé physiquement la France oppressive de l’Algérie, moi, je me consacre avec mes frères, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement, et à en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait vénéneux »

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Il remarque aussi l’absence quasi-totale de la critique de classe, due essentiellement à la décomposition du mouvement ouvrier. Il a aussi remarqué que le pionnier du « nationalisme révolutionnaire [Messali Hadj] n’a pas encore ‘’retrouvé sa place’’ » dans les représentations liées à l’histoire dite officielle de l’Algérie et dans les champs éditorial et médiatique.

Nedjib Sidi Moussa : une critique constructive des limites du Hirak  (1)

Avec lucidité, Nedjib Sidi Moussa remarque que cette supposée « réappropriation du récit national » présente beaucoup de limites qui s’inscrivent « dans une démarche tendant à sacraliser la geste indépendantiste, empêchant toute critique à son sujet, dans une optique résolument unanimiste ».

Il est salutaire de voir ici un jeune chercheur comme Nedjib Sidi Moussa questionner avec raison la pertinence du référent anticolonial dans le mouvement contestataire algérien qui est le hirak. Sommes-nous condamnés à protester anachroniquement contre les spectres d’une colonisation terminée depuis soixante ans ?

Pour l’auteur d’Algérie, une autre histoire de l’indépendance, la reprise de la geste anticoloniale, loin d’être subversive, est souvent vectrice de populisme, de repli sur soi et de xénophobie. Cela aboutit, par exemple, à des situations ahurissantes, et non sans réels dangers, dans lesquelles, chez une frange de la jeunesse algérienne influencée par les thèses islamo-conservatrices, un leader de l’extrême droite islamiste comme Ali Benhadj devient une figure sympathique voire l’incarnation du messie tant attendu pour mettre fin au despotisme du régime

Les limites du hirak

Pour Nedjib Sidi Moussa, le hirak souffre de beaucoup de limites qui affaiblissent sa dynamique contestataire. Parmi ses limites, et dans la perspective de ce qui a été déjà signalé, 1) la permanence stérile dans chaque démarche contestataire du référent colonial ; 2) la reprise par les forces de l’opposition des modalités conventionnelles sur lesquelles  repose le pouvoir en place (la Révolution anticoloniale, la nation et l’islam), creusant par conséquent un abîme avec les objectifs radicaux de la contestation ; 3) son caractère interclassiste qui l’empêche de se départir « de la matrice populiste et nationaliste qu’il partage avec le régime, au même titre que le triptyque identitaire (islamité, arabité, amazighité) ou le drapeau vert-blanc-rouge »

La question de l’aliénation par la mobilisation des affects est aussi abordée et finement analysée par Nedjib Sidi Moussa. Il la questionne par le recours au football comme objet d’analyse et en prenant pour exemple la victoire de l’équipe algérienne de football, dans le cadre du match barrage permettant la qualification au mondiale de 2010, contre sa concurrente égyptienne, donnant ainsi, outre les scènes de liesse collective, inédites dans l’histoire de l’Algérie indépendante, à des vagues de chauvinisme et à un déferlement de haine inouï.

Loin de voir dans le nationalisme agressif de certains supporters algériens un « enchantement sublime, donnant du bonheur aux personnes », Nedjib Sidi Moussa y voit les marques d’une aliénation dans et par le sport, très peu analysées par les oppositions de gauche et souvent passée sous silences par plusieurs journalistes et universitaires, souvent pour ne pas briser le mythe du supporter de football érigé en « parangon du mouvement contestataire », et cela même quand il scande dans l’hypercentre d’Alger « Daoula islamiya harrachiya ! » (Etat islamique d’El Harrach !)

L’affectivité des masses et l’exploitation dont elle fait l’objet, surtout dans l’injonction obsessionnelle à extérioriser les signes ostensibles – devenus avec l’œuvre du temps ostentatoires – du nationalisme algérien comme le drapeau national, s’est présentée à Nadjib Sidi Moussa, en mars 2019, dans le centre de la capitale algérienne : « Lors de ma première marche, un vendeur ambulant m’a interpellé en arabe vernaculaire en me reprochant de manifester ‘’en civil’’, selon ses propres mots, en français cassé, c’est-à-dire sans porter les couleurs nationales ». L’injonction à « faire peuple », afin de ne pas « diviser le hirak »,  au nom des couleurs nationales et au nom de la lutte anticoloniale, ne fait que révéler la face conservatrice d’une grande partie des Algériens, constate Nedjib Sidi Moussa.

Cela s’est essentiellement traduit par la reprise, chez des journalistes, des intellectuels et des militants situés à gauche, du fameux slogan confusionniste « djeich, chaab/khawa, khawa » (armée, peuple/frère) ou par l’absence de toute dénonciation, dans le champ médiatico-politique, des slogans xénophobes et antisémites, renvoyant Abdelaziz Bouteflika à sa supposée « marocanité » et Ahmed Ouyahia à sa « judéité » fantasmée. On ne peut que noter le mérite de Nedjib Sidi Moussa qui, dans le feu de l’action, a vu clair en refusant de cautionner le nationalisme autant que le populisme, ainsi que la notion dogmatique de peuple qui, en Algérie, fait florès par le nombre infinitésimal des délires auxquels elle ne cesse de donner naissance.  (À suivre…)

Faris Lounis

Renvois

1/ Amin Allal, Layla Baamara, Leyla Dakhli, Giulia Fabbiano (dir.), Cheminements révolutionnaires. Un an de mobilisations en Algérie (2019-2020), Paris, CNRS Editions, 2021, p. 224.

2/Ibid., p. 226.

3/ Ibid.

4/Ibid., p. 229.

5/ Ibid., 229.

6/Ibid., p. 230. Il s’agit ici des groupes d’ultras de l’Union sportive Madinet El Harrach.

7/ Ibid.

8/Ibid., p. 232-233.

 

2 Commentaires

  1. Je ne vous dis pas comment Faris Lounis , qui lui porte bien et fièrement son nom, nous a fourgué l’affaire. Sous prétexte que c’eût été mieux dit et plus vendable si Nedjib Sidi Moussa s’était appelé Théobald de Rubempré ou Archibald de Montmorency. Tellement c’est d’un goût que c’est.

     «  L’auteur de cet essai n’a pas choisi son nom qui lui a été donné à sa naissance survenue en 1982 à Valenciennes. » Nous avertit-on .

    Hé ! Vous avez remarqué le « survenue » ? Et dans le « sur-venue » , vous avez remarqué le « sur » ? Même les collabos ne dénonçaient pas leurs voisins ainsi. Même pour la grippe espagnole j’aurais été plus délicat dans sa présentation, moua. Mais moua je suis vraiment trop raffiné , et réservé , pour égratigner des sommités ainsi. Et malgré cela , Faris lounis n’a pas réussi à me le rendre antipathique.

    Wamma ba3d,

    Le Hirak c’est comme Forest Gump : il courrait pour aller partout , sauf que Forest Gump , lui, ne pensait pas que ça allait le mener quelque part.

    Iben moua je pense que cette sophistication scientifique , je dirais même plus : cette scientification sophistiquée de l’analyse, non seulement complexifie la compréhension mais apparaît comme un manque d’égard , un sacrilège, un blasphème, une profanation , une démystification envers tous les apôtres qui ,eux, de l’intérieur ont accompagné le Mouvma ,l’ont magnifié, sacralisé, divinisé et lui ont fait qui une histoire , qui une légende, qui une mythologie. Sous prétexte qu’avec un peu plus de vaseline , comme dirait Céline, cette chtouille sporadique eût fait une pandémie comme la Covid. Le moins qu’on puisse dire c’est que Nedjib Sidi Moussa lui a réussi à nous débarrasser du Hirak, en le déposant comme un objet encombrant en bas de sa porte, sans oser le mettre directement à la décharge. Tout en nous expliquant que le Hirak aurait pu réussir si. Si nos montagnes n’accouchaient pas que de souris, si nos bœufs à force de les traire donnaient du lait, et si nos brebis faisaient des lions.

    Ardjaw, ne vous énervez pas , je vous splike vernaculairement avec des mots faciles.

    Za3ma «  la critique CONSTRUCTIVE » difwa qu’on irait penser , que le Hirak a foiré pour que dalle, alors que si on lui regardait bien la raie, on ne lui trouverai pas que des puces. Sissa , il faut creuser fouiller , bêcher , pour trouver de quoi lui bidouiller une théorie CONSTRUCTIVE. IL faut lui faire un fond d’oeil de l’autre coté de l’iris en passant par le rectum. Il s’agit kamim d’une recto-spective . Tchartchouba !!!

    Alla khati , je ne dis pas qu’individuellement on n’est pas aussi bons ou aussi mauvais que n’importe qui ailleurs dans d’autres pays. Non, individuellement , nous pouvons être brillants et parfois exceptionnels : sdon je parghle c’est de notre société. Safidir Matchi ad hominem , mais dans l’absolu. Abstraitement comme hadou lirahoum itmenyikou.

    Moua, ce que je splike dans mon ânalyse, poètiquement accentuée, sans prétention constructive ni velléité destructive, avec une rigoureuse neutralité objective tellement je m’en bas les kouyes de ce sujet , pour ne pas faire autrement , c’est que même si ce Pouvwar est illégitime , il correspond exactement à l’état actuel de notre société. Et combien même on ndeberait pour qu’il en soit autrement , avec des élections aussi nazihates ou nadhifates qu’on voudra, on en tirera pas autre chose, sinon en pire comme on l’a vu en katarvinzonze.

    Or, on nous dit que que la théorisation de cette branlade pourrait lui procurer à titre posthume ce qui lui a manqué pour réussir.

    Si c’est pas faire injure à tout ce que note piyi compte de plus grands spécialistes du monde. Les meilleurs sociologues : Addi, les meilleurs économistes : Lalmas, les meilleurs Psycho-neuro-linguistes : Hirèche, les meilleurs théologiens : Si Qeddour, les meilleurs cinyast : Akika qui maintenant péripatétitionne chez ingiripataryoutik, et toute la vieille garde politique qui a échoué : Tabou, Abou-Chachi, Bellabas, Belhadj, jtidipas Sadi qui de son Cloud n’a pas lésiné en conseils de kifach on peu réussir son ratage. Sans oublier, les biologistes, les anesthésistes, les virologues, les épidémiologistes, les coatches , les hagiographe qui des minbars de la chaîne des tangos l’on béni et sanctifié à coup de dou3ates et de tmeniyates enadjah.  !

  2. La critique du hirak, c’est (hormis la Kabylie jusqu a maintenant) :
    chute des prix des hydrocarbures, hausses du prix de l’huile à frire, émeutes
    C’est systématique car, en effet, le hirakiens partagent toutes les références de leur etat, car ils ont un état. Les hirakiens, de ce point de vue, comme diaprait Coluche, c’est pouvoiriens qui n’ont pas réussi.

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