Vendredi 21 février 2020
«Nous ne sommes pas venus faire la fête, mais pour vous dégager»
Le ciel est bleu azur, les vents sont conciliants, le soleil complice et la police discrète. Les éléments se sont alignés avec le peuple algérien pour cette 53e marche de dissidence contre le pouvoir en place.
Les marcheurs les plus intrépides et les plus tenaces arrivent de tous les coins du pays malgré le blocus fait sur la capitale. Officiellement l’autoroute Est Ouest était fermée au niveau du tunnel de la wilaya de Bouira pour travaux, de mercredi minuit à samedi minuit. Mais le blocus ne s’arrête pas là. Il y a aussi ces dizaines de barrages installés à la périphérie d’Alger, la circulation des véhicules autorisée plutôt « lâchée » durant la marche sur la rue Didouche Mourad et enfin la bénédiction du Président Tebboune au Hirak qui décrète le 22 février journée nationale. C’est dire que le pouvoir aura essayé d’étouffer la dissidence populaire… En vain.
La circulation piétonne est dense à Alger. Elle commence dès la matinée et se poursuit jusqu’à la fin de l’après-midi. Les manifestants sont conséquents et tenaces.
Cinglants messages au pouvoir
Leurs revendications n’ont pas évolué d’un iota depuis le départ de l’ex-président. Ils par groupes ; ils réclament la liberté, la démocratie, l’indépendance, une période de transition et la suprématie au peuple.
Sans se lasser, ils réclament un Etat civil et pas militaire, ils jettent sans discontinuer les généraux à la poubelle et chantent : « les généraux ya el khawana ouallah mana 7abssine, klitou lebled, ezaouali mat rana fil3amin » i. les généraux, les vendus, nous ne nous arrêterons pas, vous avez pillé le pays, le malheureux est mort nous abordons notre deuxième année. Ils redisent que c’est aux clans de quitter la scène et non pas au peuple.
Devant la wilaya, 3ami (oncle) Zohir, une figure de la protesta est interpellé puis conduit au commissariat de Cavaignac. Ce qui provoque l’ire des marcheurs. Ils s’arrêtent et chantent en s’adressant aux policiers : le gang est fière de vous ; « Ya poulicia mazalkoum nia, t3asou 3albandia, na7iou el casketa ouaroua7ou m3ana ndjibou el houria » i.e hé policiers, vous êtes encore naïfs, vous protégez des bandits, enlevez vos casquettes, rejoignez nous, nous arracherons la liberté ; ettelgou 3ami zouhir, maranach rai7in 7ata tetelgouh i.e. relaxer oncle Zouhir nous ne bougerons pas tant que vous ne le relâcherez pas ; ettelgou 3ami zouhir maba3ch el cocain i.e. relâchez oncle Zouhir il n’a pas vendu de cocaïne.
La presse n’est pas épargnée. Un groupe de photographes postés sur une camionnette est houspillé, tandis que deux autres journalistes sont contraints de se faufiler par la rue Ampère (parallèle à la rue Didouche) face aux insultes proférées par les manifestants.
Ils hurlent que l’Etat est composé de voyous et qu’il doit tomber. Ils répètent à l’adresse des gouvernants : « Ntouma mata7achmouch 7naya mana7absouch » i.e. vous, vous n’avez pas honte, nous ne nous arrêterons pas. Ils scandent: « nidam les animaux raishoum Tebboune, sadjnou Karim Tabou outelgou Hanoune i.e. c’est un régime d’animaux, ils ont emprisonné Karim Tabou et relâché Louisa Hannoune.
Ils jurent qu’ils iront pacifiquement au bout de leur révolution et qu’ils écarteront les militaires de la présidence. Un groupe de femmes répète qu’ils ne plieront pas l’échine et ne casseront pas.
Le président Tebboune est au centre de la contestation. Des dizaines de milliers de voix chantent à Alger son illégitimité, sa proximité avec les militaires. Ailleurs sans nul doute aussi.
Un groupe de contestataires arrivé d’Ouargla après plus de 24 heures de route, forme un carré et entonne en rimes :
« Hé Tebboune le peuple de mon pays ne peut être trahi,
Le peuple de la révolution ne peut être trahi, Le peuple d’Algérie ne peut être trahi
L’Algérie est dans les cœurs du nord au sud, de Tlemcen à Annaba, le gang tombera
Du Hoggar à la Soummam, tombera, tombera ce pouvoir
Pas de militaires pas de DRS, notre peuple est l’essentiel
Voleurs, menteurs et ils se disent nationalistes
Vendeurs de cocaïne, départ le départ !
Système servile, départ le départ !
Pacifique, pacifique nos doléances sont légitimes
Martyr, martyr repose en paix tes enfants continuent le combat
Hé système corrompu, la situation aujourd’hui a changé
Hé Tebboune le mal élu, la situation aujourd’hui a changé
Il suffit, il suffit, que tombe ce régime,
Il suffit il suffit, journaliste aux ordres, fils de harki aux ordres,
Ennahar, Echourouk, El bilad aux ordres
Debout, déterminés, de régime militaire nous ne voulons pas
Ce peuple ne désire pas voir le règne de Bouteflika de nouveau
Ce peuple ne veut pas de régime militaire de nouveau. »
En cœur les marcheurs hurlent durant toute la procession ensemble et en chœur : « djina madjabounach ma ma ma, el7afla mafihach i.e. nous sommes venus seuls ma ma ma ma, ne nous n’avons pas été ramenés, ma ma ma ma de fête il n’y en aura point, ou encore madjinach ne7taflou djina bach tera7lou i.e. nous ne sommes pas venus faire la fête nous sommes venus pour que vous vous en alliez.
Après une année de contestation et des millions de kilomètres parcourus, les millions de marcheurs sont plus politisés et plus politiques que jamais.
Les piètres tours de passe-passe, exécutés par des apprenti-magiciens depuis plus d’an, ne semblent pas ni les avoir impressionnés, ni les avoir convaincus. Leur détermination est intacte et les questions de fond restent inchangées.
Ils veulent la liberté, exigent de peser dans les choix à venir et rejettent cette mainmise des militaires sur la vie politique depuis l’indépendance.
Après avoir mené la dragée haute aux tenants du pouvoir depuis plus d’une année, Ils comprennent bien qu’à force de persévérance ils finiront bien pas être entendus et atteindre leur objectif. L’espoir reste chevillé au corps de ces millions de marcheurs. Impressionnants !