23 novembre 2024
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Bouteflika et l’harmonie des contraires

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Bouteflika

Bouteflika

Comme depuis qu’il est arrivé à El Mouradia, Abdelaziz Bouteflika continue de mener son monde en bateau. La méthode n’a pas changé d’un iota. Il proclame haut et fort une chose et fait avec entêtement sur le terrain son contraire.

Après 15 ans à El Mouradia, Bouteflika a-t-il encore quelque crédibilité pour mener des réformes qu’il a enterrées soigneusement durant toutes ces années ? Peut-on croire qu’il puisse être ce concepteur d’une Constitution, alors qu’il a allègement trituré à sa guise, foulé et violé la précédente ? Assurément non. On ne peut se draper du manteau de démocrate réformateur au soir de sa vie quand on a été biberonné à la culture du parti unique.

Le mépris des promesses est souverain chez le pouvoir actuel. Au cours du premier conseil des ministres de son 4e mandat, le locataire d’El Mouradia a encore promis monts et merveilles. Exactement les mêmes que celles qu’il avait avancé un certain printemps 2011. Deux ans plus tard, aucune de ses réformes n’a été réalisée. Pire, il nous les ressert avec le même cynisme. Combien de commissions (justice, école, Printemps noir, etc.) mises en place sans qu’aucune des conclusions soit mise en application ?

Qu’importe ! On prend les mêmes et on recommence. Certains voient dans cette débauche d’engagements, un calcul machiavélique pour faire oublier le hold-up politique du 17 avril. Mais le président comme ses soutiens d’ailleurs ne s’encombrent pas de principe.

A-t-il seulement un agenda ? Bien sûr que oui. Celui de finir sa vie au pouvoir. Et passant, pérenniser l’impunité et permettre aux membres de son clan qui trainent des casseroles de passer entre les gouttes de la justice – si tant est qu’une justice puisse un jour mener une enquête jusqu’à son terme. Toutes les autres questions qui viennent alimenter, de temps à autre l’actualité politique, ne sont que poudre aux yeux.

Ceux qui croient que le président va organiser une vraie réforme en vue d’une vraie séparation des pouvoirs risquent fort d’être déçus. Ceux qui attendent une Constitution consensuelle seront certainement eux aussi déçus. Car l’homme n’a jamais été un réformateur, son entourage encore moins. Ses 15 ans au pouvoir en sont la meilleure preuve.

Hamid Arab

« Le rire, ce tombeur des puissants, c’est la vie »

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Ahmed Cheniki et Kateb Yacine.
Ahmed Cheniki et Kateb Yacine.
Ahmed Cheniki et Kateb Yacine.
Ahmed Cheniki et Kateb Yacine.

Entretien avec Ahmed Cheniki, journaliste et professeur d’université.

Abderrahmane Lounes : Qui est Ahmed Cheniki ?

Ahmed Cheniki : Je suis quelqu’un qui aime par-dessus tout la littérature et les jeux intellectuels, les arts et les sentiers escarpés du rire, d’un rire salvateur, c’est-à-dire pas méchant, mais paradoxalement révélateur de l’ignominie et des dérèglements maladifs des hommes qui pensent, alors qu’ils manquent de virilité, d’être les lieux autour desquels s’articulent le monde. Rire de ces gens là, c’est un métier, une vocation, une manière de les dénuder et de les dénuer de pouvoir. Ils n’existent que par le pouvoir, une fois nus, ils ne sont rien. J’ai été formé dans cette logique. Je suis enseignant dans une université trop austère, peu intelligente et où on ne lit souvent pas. J’ai toute ma vie pratiqué avec plaisir, tout en conjuguant la dérision à tous les temps, le métier de journaliste qui t’apprend le risque et l’humilité. J’écris, je n’arrête pas d’écrire. Comme si écrire correspondait à une sorte de désir de mettre fin à une grande timidité.

Comment te définis-tu entre le chroniqueur, le reporter, le journaliste et l’essayiste. N’est-ce pas trop pour un seul homme ?

C’est quelque chose d’extraordinaire de toucher à tout. J’aime beaucoup le métier de journaliste. C’est pour cette raison que même si j’ai arrêté le métier à titre de permanent, je continue d’écrire et de m’amuser en touchant tous les genres et en m’essayant à tous les styles. J’aime beaucoup écrire sur la sexualité des poules et les jeux trop pervers d’une actualité, certes trop asexuée, mais qui est tragiquement comique. Oui, j’arrive à concilier tous les métiers. J’aime beaucoup qu’on se rie de moi. C’est pourquoi que je suis tenté par la mise en scène théâtrale. Finalement, il n’y a plus de frontières entre les genres. Le reportage conduit inéluctablement à la chronique et à l’essai. J’écris des pièces de théâtre. Quand on est journaliste, on est naturellement frustré. Tu n’arrêtes pas de parler des autres et toi, qui va parler de toi ? C’est pourquoi beaucoup de journalistes finissent par se lancer dans l’écriture romanesque et dramatique. Kateb Yacine, Mohammed Dib, Djaout, Garcia Marquez, Albert Camus et bien d’autres sont passés de l’instance journalistique à l’univers littéraire. Un reportage exige une certaine manière d’écrire qui n’est nullement étrangère à la littérature. Dans les deux cas, la jouissance est au bout de la pénétration.

La chronique, la satire, le reportage, le journalisme et la recherche théâtrale, vous y êtes venu par vocation ?

Je crois que j’ai toujours aimé le journalisme. J’ai commencé ce métier à l’âge de vingt ans. J’étais peut-être, à l’époque, le plus jeune journaliste exerçant dans la presse algérienne. C’était extraordinaire, une aventure formidable. Etre en contact permanent avec les grands intellectuels de ce pays, ce n’était pas rien. J’étais très jeune et très timide, mais je crois que j’étais, à cause peut-être de cela, très apprécié par mes ainés. Boudjedra avait, dernièrement évoqué, dans une de ses conférences mes rencontres d’a une trentaine d’années avec lui et d’autres artistes et écrivains. Le reportage donne l’illusion d’être en plein milieu de l’aventure littéraire. C’est l’une des raisons qui m’incitaient à beaucoup voyager et à écrire des reportages. La recherche théâtrale est le résultat de toutes mes expériences en amateur du jeu théâtral. J’ai, il ne faut pas l’oublier, fait également des études en art dramatique. Je compte d’ailleurs commencer à mettre en scène des textes dramatiques.

Peut-on savoir comment vous arrivez à produire ?

C’est simple. Je me mets devant mon micro ou avant, devant ma petite Olivetti, et je me mets à écrire, comme si je refaisais le monde, surtout pour les textes de fiction, mais un article, tu es obligé d’avoir un certain nombre de notes et d’informations. Souvent, tu ne sais pas comment terminer. C’est la première phrase, l’attaque ou l’incipit pour emprunter un mot barbare aux littéraires, qui prend beaucoup de temps et qui oriente tout le travail. C’est un peu comme la séduction, c’est le premier pas, les premiers mots, le premier rire qui sont essentiels. Faire rire rend la chose facile. Si tu arrives à faire rire une femme ou un lecteur, tu as en partie gagné ton pari.

Par vos écrits complètement « hors chemin » et votre « vocabhilare » uppercutant , voire un tantinet vociféroce et provocateur, vous avez dérouté « plus d’un (dé)lecteur ». Pour épater qui ?

Quand on écrit, on fait tout pour séduire le lecteur, le pousser à te lire et à dire à la fin que c’est un bel article. Je cherche tous les artifices possibles pour m’adresser à son intelligence. J’ai eu la chance de travailler dans des hebdos d’excellente qualité avant que ces journaux ne soient dirigés par des pieds nickelés venus tout droit pour les casser. C’est le cas d’Algérie-Actualité, Révolution Africaine et Parcours Maghrébins. Les derniers patrons de ces organes étaient tellement lourds et médiocres, des dizaines de kilos de graisse, apparemment sans culture, débarquant dans un milieu qui leur était étranger. Ils faisaient pitié à voir, ces hurluberlus, en traversant les rédactions en bottes en plastique qui suintent une sorte de glu flasque. Laissons de côté ces kilos de graisse pour dire qu’il fallait trouver un style original pour toucher le lecteur. L’humour et la dérision constituaient des éléments essentiels pouvant démystifier les pouvoirs. C’est pour cette raison que pendant longtemps, on a cherché à censurer le rire parce qu’il est réellement subversif. En écrivant, il faut être provocateur. Il faut chercher à fouiner dans le trou du cul des choses impossibles. Mais il faut toujours garder à l’esprit la nécessité de respecter le lecteur tout en cherchant à le pousser à ses derniers retranchements, à des réactions imprévisibles. Tout ce qui est prévisible s’accommode extraordinaire bien avec le discours totalitaire et dictatorial. Le rire peut, à lui seul, démolir les barrières de la peur et du conformisme qui est l’espace dominant dans toutes les sociétés humaines.

N’avez-vous pas peur, parfois, de ne pas être compris par votre public ?

C’est tout à fait normal. J’ai toujours essayé d’écrire le plus simplement du monde tout en faisant appel à l’humour et à des tournures de phrases où j’intègre des images métaphoriques marquées par la culture de l’ordinaire. Il y a, bien sûr, cette peur de ne pas être compris. Parce qu’écrire, c’est s’adresser à un lecteur collectif se caractérisant par la diversité. D’où la nécessité d’une écriture dense. Cette peur te suit durant tout le processus de rédaction d’un article. On ne sait jamais comment est réellement reçu un texte.

Chez vous, est-ce le chroniqueur ou est-ce plutôt l’iconoclaste ou le «terroricien» du verbe qui domine ?

Vous savez, comme moi, quand on écrit, on s’adresse à un lecteur virtuel qui est en quelque sorte une construction imaginaire, née de conditions de production particulières. Mais à chaque genre son style. Ecrire un essai ou un reportage, ce n’est pas du tout la même chose. Certes, dans tous les cas, la subjectivité traverse radicalement le langage, mais quand on écrit un reportage qui est quelque peu proche de la nouvelle, le « je » est trop marqué, la présence du journaliste est très prégnante alors que dans l’essai ou la critique universitaire, il y aune volonté trop contraignante et peu élégante de dissimuler une subjectivité qui est foncièrement présente malgré ce désir de castrer l’écriture. De nombreux universitaires pensent, à tort, selon moi, que la critique littéraire devrait utiliser un style lourd, médiocre. Ce qui rend d’ailleurs de très nombreux travaux universitaires difficiles à lire. On peut écrire sur la littérature, le cinéma ou les arts plastiques et produire un texte merveilleux qui ne rompt nullement avec les flux de l’affectivité et de la subjectivité. Voyez Bachelard, Barthes, Eco, Foucault ou Derrida par exemple. Je crois que, même si chaque genre convoque un style particulier, le «je» investit fatalement l’écrit.

Pensez-vous être reçu de la même manière par tous les publics ? Votre humour particulier, est-il en quelque sorte, universel ?

C’est tout à fait normal que le journal convoque plusieurs publics qui lisent, chacun en fonction de son bagage et de sa formation, ton texte. Même le recours à l’humour est une tentative de niveler cette lecture, mais sans neutraliser sa pluralité. Ainsi, une blague n’est pas reçue de la même manière par les uns et par les autres. Des surprises extraordinaires apparaissent lors de rencontres avec les lecteurs. J’ai été souvent surpris par la lecture de certains de mes articles par certains lecteurs. Mon expérience de journaliste m’a permis d’appréhender la susceptibilité de très nombreux responsables qui ont une lecture singulière de certains articles. Ils sont marqués par un fort sentiment de persécution. Ce sont des sujets parfaits de la caricature. Quand j’étais à Algérie-Actualité ou à Révolution Africaine, le reproche qui m’était souvent fait, c’était le fait d’utiliser trop d’images métaphoriques et des phrases courtes lues comme des attaques contre les responsables du moment. J’utilisais beaucoup les images tauromachiques et les allusions à la sexualité, ce qui provoquait de petits scandales.

Quand j’écrivais, je partais de situations particulières, mais cela ne veut pas dire que l’écrit n’avait qu’un caractère tribal, clanique. Bien au contraire, l’humour pouvait être compris ici et ailleurs. L’homme est un, mais marqué par quelques singularités et particularités. Je ne crois pas beaucoup à l’embastillement de la parole libre, même si dans notre pays, de très nombreux prisonniers volontaires, sans orgueil ni dignité, tentent de justifier l’injustifiable en se cachant derrière le discours dominant. Cela fait penser à Faust.

Mais si vous voulez vous rallier un plus large public, ne croyez vous pas viser plus bas ?

Je suis contre le misérabilisme. Le beau est apprécié, selon moi, par tout le monde. Donc, il faudrait chercher à bien écrire, à ne pas prendre les lecteurs pour des débiles et des idiots. Certes, nous avons tenté de séduire le public en recourant à des sujets tabous comme la sexualité et en faisant appel à un vocabulaire à connotation sexuelle. Ce qui, il faut le dire, a intéressé un large public. Mais mon expérience m’a appris que le lecteur, s’il daigne te lire, sait ce qu’il fait. J’insiste néanmoins sur une chose : il faudrait éviter les mots barbares, être modeste, et éviter le jargon employé par certains universitaires algériens à tel point qu’il serait bon pour la presse de se débarrasser des universitaires, sauf quand ils font l’effort d’adapter leur discours au jeu journalistique. Le journalisme est un métier qui a ses propres techniques. A lire dans la presse algérienne certains écrits d’universitaires truffés de termes dits techniques, on ne peut pas s’empêcher de dégueuler. En plus, ce qui fait tragiquement rire, c’est que, souvent, on affuble le mot « docteur » devant le nom comme une sorte d’argument-massue. Même les hommes dits politiques aiment énormément ce type de substantifs.

Certains de vos écrits ont fait scandale par leur insolence. Avez-vous des regrets ?

Regretter quoi ? Mais je suis pour une écriture insolente, forte, c’est-à-dire qui tente de dévoiler des vérités, sans méchanceté ni complaisance. J’ai, quand j’étais à Algérie-Actualité, à Révolution Africaine ou dernièrement au Quotidien d’Oran, été insulté par certaines personnes qui n’acceptaient pas que je dévoile certaines choses. On m’a souvent demandé de changer de lunettes. On me propose, je ne sais d’ailleurs pourquoi, de porter des lunettes roses. En 1986, quand j’ai écrit un article sur les événements de Constantine, j’étais, il faut le signaler, le seul journaliste depuis l’indépendance, à voir couvert des émeutes, un responsable m’avait appelé et avait commencé à me donner un cours de journalisme, je lui avais calmement demandé de fermer sa braguette, il n’avait absolument rien compris. Quand on avait des problèmes, les champions de l’insulte et de l’invective d’aujourd’hui justifiaient notre mise à l’écart. Ce qui est extraordinaire, c’est que les écrits restent. En 1980, lors des événements de Tizi Ouzou, j’ai fait publier, au moment où on attaquait Mouloud Mammeri, une enquête dans Révolution africaine considérant que cet écrivain était l’auteur le plus lu en Algérie. Ce qui avait beaucoup surpris l’AFP, le Monde et Libération qui avaient repris l’information. Non, il ne faut rien regretter, même les moments difficiles comme mon licenciement ou mes affectations dans d’autres rubriques pour freiner mon élan. Mais même en sports, il y a des possibilités de subvertir le discours officiel, en traitant de sujets liés à l’actualité. C’est bien entendu, la manière qui importe le plus. Quand on écrit, il faudrait toujours penser en citoyen libre.

Avec du recul, comment vous apparait votre parcours artistique, littéraire et journalistique ?

Je crois que j’ai travaillé en fonction de mes désirs malgré l’absence de liberté qui a toujours caractérisé ce pays. Il faudrait aussi souligner le fait que nous évoluons dans un univers empreint d’hypocrisie et d’opportunisme. L’environnement étant hostile, les petites choses que nous avons faites me paraissent positives. J’ai soutenu des initiatives intéressantes, j’ai défendu des causes justes et j’ai tenté de dévoiler des vérités. J’aurais peut-être fait plus si les conditions m’étaient favorables. Le journalisme est une aventure très risquée, mais très belle. D’ailleurs, je n’ai jamais été aussi à l’étroit qu’en étant enseignant dans une université algérienne, fermée et réfractaire à tout débat. Dans les rédactions d’Algérie-Actualité et de Révolution Africaine, les discussions faisaient partie de la culture de l’ordinaire.

Le fait de parler de villageois ou de familles pauvres qui n’ont pas le droit à la parole est une expérience extraordinaire. Evoquer ces milliers de personnes sans eau, cette multitude de bouches sans nourriture, cette foule de jeunes sans emplois, les passe-droits, c’est contribuer quelque part à révéler les problèmes de notre société. C’est vrai que souvent les dirigeants du pays préfèrent tendre l’oreille ailleurs. Ce qui est désolant et tragique.

On prétend que le journalisme d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était. Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas, mais j’ai comme l’impression que les choses ont changé. Nous étions, certes, très peu nombreux à nous battre avant les changements intervenus en 1990 qui étaient, selon moi, marqués par d’extraordinaires calculs. Aujourd’hui, l’invective, la facilité, la diffamation et l’insulte prennent de plus en plus le dessus. La diffamation domine d’ailleurs tous les espaces, politiques, médiatiques et universitaires. Les «patrons» des nouveaux journaux, s’acoquinant souvent avec des dirigeants politiques et militaires perdent toute initiative, préférant le gain facile et rompant avec tout principe d’équité et d’éthique. Nous avons donc affaire à des journaux sans âme, se fabriquant souvent dans les bureaux, dominés par la culture du trabendo et l’escroquerie à ciel ouvert. L’échelle des valeurs est pervertie, les journalistes et les chroniqueurs sont mal payés, le travail au noir est devenu légal. Il existe de belles plumes, certes rares, mais qui arrivent encore à t’offrir quelques lueurs d’espoir. La médiocrité domine tous les espaces publics. Je ne vois pas comment la presse pourrait-être un havre exceptionnel de probité et de sérieux.

Avant, nous nous battions et nous prenions des risques. Nous étions très peu nombreux à vouloir changer les choses. Ceux qui défendaient par exemple le secteur public sont devenus aujourd’hui les grands chantres du néo-libéralisme. Quelle hypocrisie ! Quelle indécence ! La culture du ventre a eu raison de beaucoup de personnes qui se métamorphosent aujourd’hui en grands démocrates.

On dirait que la « sagesse journalistique » a eu raison de l’enfant terrible du journalisme algérien…

Pas du tout, si tu entends par sagesse une sorte de démission. Je ne renie rien de ce que j’ai fait, même si j’estime que j’ai un peu muri et approfondi davantage ma réflexion. Dans le journalisme, l’important, c’est de réussir à révéler un certain nombre de choses, de dire une certaine réalité en vérifiant et revérifiant les informations et en protégeant au maximum ses sources. Je continue à travailler ainsi en évitant les copinages trop intéressés qui font trop de mal à ce métier. Il y a une logique implacable qui fait que les gouvernants se nourrissent bien, même en le critiquant, du discours des journalistes qui, souvent, oublient qu’une société ne se réduit pas à des appareils. Beaucoup d’amis pensent faire du journalisme en se transformant en juges ou en champions de règlements de comptes ou de petites scènes de ménage entre des dirigeants ou d’anciens dirigeants qui, passés de l’autre côté de minuit, se muent en opposants. Je me suis toujours comporté en citoyen et en penseur libre évitant ces amitiés intéressées avec des dirigeants ou d’ex-dirigeants préférant le compagnonnage des artistes et des intellectuels.

Dans vos écrits, vous utilisez un humour à triple tranchant comme exploration désespérée de la réalité. Quels sont vos rapports avec la satire et l’humour ?

Le rire est humain, il révèle les instances substantifiques de l’homme. Faire rire, c’est arriver en grande partie à susciter l’adhésion de l’autre. C’est vrai que très souvent, j’emploie l’humour et la satire. La satire permet de mettre en lumière les défauts et les fléaux investissant une société ou des appareils. J’ai toujours cherché à créer une sorte de relation de complicité avec le lecteur. Seul le rire est capable d’engendrer cette relation. Bergson l’explique extrêmement bien dans son ouvrage consacré à ce sujet, Le rire.

L’humour doit-il transgresser les tabous ?

Par essence, le rire est réfractaire aux discours conformistes. Si on rit de quelque chose, c’est parce qu’elle transgresse le discours quotidien. C’est tout à fait normal que le rire soit un espace de transgression des tabous et le lieu, par excellence, de la subversion du langage. Faire rire ne veut pas dire être méchant. Bien au contraire. Dans nos journaux, on tombe souvent dans ce travers. J’ai toujours essayé de faire rire en n’oubliant pas le sujet de l’article et en provoquant un feed-back avec le lecteur que je devrais, quelles que soient les conditions, respecter. Il est plus facile, en usant du rire, de toucher les gens et de réussir à mieux transmettre un message.

Est-il vrai qu’un regard humoristique sur le monde est la seule façon de supporter la vie ?

Le rire est une sorte de thérapie. En Afrique noire, dans certaines tribus, on fait appel au rire pour guérir certaines maladies. Des médecins reconnaissent aujourd’hui l’importance du rire dans la guérison de certains patients. Quand on essaye de faire rire dans un article, on commence déjà à rire de ce qu’on écrit. Il faut savoir qu’il est plus facile de faire pleurer que de faire rire. J’estime qu’il est très difficile d’écrire des comédies. Molière n’est pas n’importe qui. Il faisait un travail extraordinaire pour réussir à provoquer le rire chez les lecteurs et les spectateurs.

Y a-t-il un bon et un mauvais humour ?

Ce que je sais, c’est que l’humour est souvent le produit de l’inattendu, de l’imprévu et de l’aléatoire. On rit de quelque chose qui nous parait étrange, inhabituel, extra-ordinaire, c’est-à-dire qui est étrangère à la culture de l’ordinaire. Il existerait peut-être une manière de rire qui me semble inacceptable, rire de certains handicaps, se moquer des faibles et des pauvres en usant de méchanceté. Je n’ai jamais dans mes billets, par exemple, recouru à ce type d’humour trop facile et trop peu correct. J’ai toujours dénoncé cette manière de rire et de faire rire. L’humour, contrairement, à ce qu’on pense, sert à démythifier les puissants, les dictateurs et à révéler les tares de la société. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il y a eu une extraordinaire polémique sur la satire et le réalisme entre Brecht et Lukacs. Faudrait rire les grands auteurs comique comme Aristophane, Ménandre ou Molière. Déjà, à Athènes, il y a plus de vingt-cinq siècles, l’humour était l’espace le plus redouté par les juges de l’époque, c’est-à-dire les responsables de la cité. Aristophane était craint.

De quel humour vous réclamez-vous ? Est-ce que vous vous situez dans une tradition quelconque ?

Tout ce qui touche le rire est inépuisable. Bien entendu, je ne cherche pas à faire rire pour rire, en passant du coq à l’âne, la sotie. C’est bien de reprendre des éléments de la farce ou la pastorale, comme Molière qui a écrit des farces extraordinaires et qui a repris beaucoup d’éléments de la farce en produisant des textes dramatiques extraordinaires. Le billet exige justement une technique qui se fonde essentiellement sur la chute, la clôture. Mais bien sûr, comme dans les textes de Kateb Yacine parus dans Algérie-Actualité et même ses pièces, je préfère la satire qui, dense et profonde, expose les problème de la société en associant parodie et dérision.

Il parait que vous ne voulez plus animer de « page satirique ». Pourtant, personne n’est aussi drôle et teigneux que vous.

Si, j’ai toujours envie d’écrire des papiers satiriques. J’ai d’ailleurs en 2000-2001 animé dans un journal algérien, Le Quotidien d’Oran, une page intitulée «ça me dit» qui reprenait avec humour les questions du quotidien. J’ai, certes, avant dans les années 80, écrit régulièrement durant une très longue période à Algérie –Actualité et Révolution Africaine deux chroniques satiriques : «Autrement dit» et «Patchwork». Maintenant, les journaux me proposent surtout des articles traitant de questions politiques et culturelles.

Est-il vrai qu’il faut être une « langue de vipère » pour faire rire ?

Je n’y crois pas. Le rire ne signifie pas forcément la méchanceté. Il faut lire les textes de Delfeil de Ton ou Escarpit ou les dessins de Plantu, de Reiser ou de Slim. C’est un stéréotype. Mais dans la presse, vous pourriez être « langue de vipère », mais si vous ne maîtrisez pas l’écriture journalistique, vous ne pourriez faire rire personne.

Certains jugent que l’humour algérien se trouve dans une impasse et que seul le dessin de presse tire très momentanément son épingle du jeu. Partagez-vous ce point de vue ?

Je crois que dans la presse algérienne et dans la littérature, l’humour n’est, certes pas très répandu, mais il existe tout de même des plumes très intéressantes, notamment dans le roman et quelques organes de presse. C’est vrai que le dessin de presse se nourrit fort bien de cette situation de crise perpétuelle que vivent le personnel politique et la société algérienne. Il y eut toujours en Algérie des dessinateurs de renom. Aujourd’hui, s’ajoutent aux anciens Slim, Haroun, Maz, Arab et bien d’autres, décédés ou toujours en vie, de nouveaux nom comme Gyp’s, Dilem ou Youb.

Quel regard portez-vous sur la création humoristique – si création humoristique il y a – aujourd’hui ?

Dans une Algérie aussi maussade où domine la mine taciturne et agressive qui a la moue d’un mouton mal égorgé, il est paradoxalement peu de plumes qui ont réussi à donner au rire une dimension importante. Les sorties satiriques de Kateb Yacine, solitaires et denses, semblent perdues dans un univers marqué par un profond spleen. Voyez partout depuis 62, les discours musclés et les manœuvres et contre-manœuvres peuplent terriblement la cité. Comme si nous étions en guerre permanente. Le langage est abrupt, c’est un univers de vrais va t’en guerre, où il est presque interdit de rire. Rire, c’est engendrer une sorte de posture schizophrénique, provoquer un malentendu fait de paranoïa et de colère trop intériorisée. L’Algérie n’a connu que la guerre et un langage de guerre. Mais cette situation a permis à certains romanciers, dessinateurs et hommes de théâtre de croquer une présentation singulière de la réalité. Les travaux de Kateb Yacine, de Rouiched, de Fellag et de bien d’autres ont réinterprété les espaces sociaux en recourant à l’humour, la parodie et la satire. C’est vrai que dans ce moment où la médiocrité investit tous les lieux, le rire semble absent, parce que faire rire exige beaucoup de métier et de génie. Ce qui manque terriblement dans l’Algérie d’aujourd’hui. Il y a une matière extraordinaire à faire rire, mais la compétence manque encore. Normalement, les situations totalitaires facilitent la communication par le rire.

La course vers le profit et le gain facile devient le territoire nodal de la communication sociale et politique.

Yassir Benmiloud, votre confrère, a dit un jour qu’ »on peut rire de tout, sauf de l’humour ». C’est aussi votre avis ?

Rire de tout ? Je ne partage nullement cette position. Comme je l’ai déjà dit, je ne me permettrais jamais de rire de la détresse des gens. C’est quelque chose d’indécent. Rire du puissant, quel que soit son statut, oui, mais se moquer d’un handicapé par exemple non, je ne peux souscrire à cette idée. Je suis trop respectueux des autres pour franchir le cap de la méchanceté. Je ris de ceux qui exploitent et volent les autres. Rire est un combat qui participe de la dénonciation des injustices.

Réalisé par Abderrahmane Lounès (dans le cadre d’un ouvrage à paraitre)

Fraude électorale : mode d’emploi… Par Mohamed Abassa

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Ce que je m’en vais vous conter n’est ni une mauvaise blague à la Sellal ni une anecdote. C’est un fait avéré et vérifiable qui s’est passé dans un lieu dit, appelé El-Gaâda, quelque part entre El-Bayadh et Mechria, dans le Sud Ouest algérien.

Comment gagner à tous les coups

L’histoire m’a été racontée dans le détail par un ex wali, très concerné par la chose et qui n’est pas Si Ahmed; ce grand amateur de Mardoud et de belotte. De siestes peu crapuleuses aussi. Des petites siestes pauvres en émotions. Une autre histoire.

L’évènement renseigne avec précision sur les techniques de fraudes électorales des tontons Makroute du pouvoir algérien. Ce lieu dit, El-Gaâda, n’est rien d’autre qu’un arbre magique et immense qui a élu domicile depuis des siècles en cet endroit désertique et hostile. Il offrait l’ombre, l’eau et les rencontres entre nomades, transhumants et divers voyageurs. C’est en cet endroit, El-Gaâda, que cet arbre solitaire et somptueux, un superbe arganier, dont les huiles sacrées rendent nos femmes plus belles et plus épanouies, notre couscous meilleur, retenait et, aussi, rassemblait des gens de tous commerces, de toutes les contrées, de tous métiers et de toutes aventures, traversant la région: Eleveurs, bergers, transporteurs, nomades, transhumants, commerçants, voyageurs, tous s’arrêtaient à El-Gaâda pour une petite quête de repos forcé, d’alliances, de ripailles, d’épousailles arrangées, de divorces, d’affaires et d’ententes entre tribus éloignées et souvent rivales. A El-Gaâda, entre El-Bayadh et Mechria peut-être, tout s’arrangeait autour d’un thé expédié, d’une zetla collective, d’une prière rattrapée, d’un méchoui improvisé, d’une alliance négociée, d’une résolution forcée d’un dignitaire FLN peu reconnu en quête de mandat, de sollicitations de courtiers avérés véreux- c’est un pléonasme- pour leurs entrées en contact avec les autorités locales et buccales (banquiers locaux, APC, Daïra, Wilaya, Kasma, et tout le tutti-quanti corruptible et corrupteur du coin et de la capitale) qui règlent les problèmes des indigènes à l’aune de l’épaisseur du sachet en plastic noir.

A El-Gaâda, comme dans tous les autres lieux dits où les Algériens du Bled se rencontrent, pour acheter un troupeau, un camion, une vierge d’une tribu riche et influente, négocier les largesses d’un juge ripou, d’un wali bouffeur et bouffon, ou même tomber sur une chèvre rare et généreuse en lait, il fallait prouver sa crédibilité en montrant l’épaisseur de sa bourse de plastic noir. C’est le seul rite reconnu de la sainte Algérie corrompue par le haut et maintenant par le bas. C’est cela l’assise et la notoriété d’El-Gaâda et de toute les contrées d’Algérie en Souk, en Zouk et en conclaves de maquignons pressés, de nomades rusés et divers négociants en tout, où tout s’achète, où tout se vend, sauf l’honneur des tribus vendant ou achetant souvent, c’est selon, des vierges confinées dans la blancheur de l’ombre, des chèvres en liberté, des ânes faméliques, des chameaux de boucherie, des camions trafiqués et des walis jetables, parfois des ministres vendant par courtiers délégués licences et divers agréments de la république des quatre saisons. C’est la réputation établie d’El-Gaâda, en ce lieu dit, perdu du triangle Aïn Sefra, Mechria, El-Bayadh, comme il en existe bien d’autres sur nos vastes millions de Km2 de notre belle et si peu sérieuse république dévoyée. Devenue par l’usure, l’outrage du temps et l’inculture, le système le plus dépravé de la planète. Les Borgia d’Alger moins les arts, les sciences et la culture.

Normal, les ânes n’apprécient pas la cannelle. Les chardons leur suffisent. Mais là n’est pas mon histoire ; elle ne finit pas ici, au contraire, elle commence en ce terrible bled ; un concentré de toutes les Algérie réelles et profondes. Un résumé à ciel ouvert des hontes et des traits hideux du pouvoir régnant.

En ce jour là, à El-Gaâda,un vendredi, grand jour de marché et de grosses affluences, un événement habituel et cyclique s’y produisit : un gros et violent vent de sable qui dura presque une éternité ; dix minutes de désastres et de désolations. Seuls l’arganier, les chameaux, les ânes, les moutons et les humains en sortiront indemnes et intacts de cette violente tornade des sables. La résilience botanique a sauvé l’arbre. L’instinct, l’endurance et l’expérience ont sauvé les animaux. Et devinez par quoi fut sauvé l’homme, l’humain ? Par le burnous pardi ! Cet habit millénaire des berbères du Sud et de toutes les Algérie, si utile en ce genre de terrible circonstance. Et à la fin du cataclysme désastreux, quand les voyageurs sortirent leurs têtes des capes et du burnous de survie, ils ne virent que ruines et désastres autour d’eux ; un vrai champ de bataille: Echoppes, tentes et mobiliers de fortune disparus, aspirés par la tornade, camions et voitures couchés, bêtes affolés, bergers hurlants encore des noms, des colères et des ordres inconnus, enfin tous les ingrédients de l’apocalypse de la minute d’après. Mais pas seulement. Ils ne virent pas que cela. Ils virent pire ; ils virent le sublime et le fantastique comme l’incroyable. Dans le ciel enfin calmé, ils virent l’impossible, la Mouaâdjiza de tous les temps. Du jamais vu.

En ouvrant leurs burnous, leurs oreilles et leurs yeux, ils entendirent de partout des suppliques et des appels pathétiques de Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! Et, en effet, en levant bien haut leurs yeux vers le ciel, bien au dessus de l’arganier, un spectacle féérique et inimaginable s’offrait à eux. Un immense nuage bleu, des milliers de papillons bleus flottaient là haut, très haut au dessus de leurs têtes. Personne ne savait de quoi était faite cette nuée, cet immense nuage mystérieux fait de petites choses volantes bleues qui tremblaient et dansaient dans le ciel. Le miracle dura tout de même quelques longues minutes. Chacun des voyageurs alla de son explication. Des sauterelles bleues venues du Sahel, cria quelqu’un. Non, des extra-terrestres venus voler nos moutons, corrigea un autre ! Mais non, mais non criait un transporteur du nord, plus malin que les autres, c’est tout simplement un mirage qui nous transpose ici le bleu du Chott Ech-Chergui.

Le gros nuage bleu flottait et dansait toujours au dessus de leurs têtes sans que personne ne trouvât d’explication plausible à ce mystère qui avait tout l’air d’être divin. Par peur et par foi, presque tous criaient Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! Les bras étirés vers le gros nuage de ces petites choses flottantes. Mais au fur et à mesure que le vent baissait, le nuage se rapprochait de la terre, se rapprochant des hommes délivrant enfin les tout premiers indices, les premiers échantillons de ce mystère. C’était tout simplement de petits papiers bleus, des bulletins de vote, qui se répandaient par vagues successives se déposant aux pieds des voyageurs ébahis, rendant la place plus bleue que le ciel. Tous ces bulletins ou presque étaient au nom de feu Chikh Mahfoudh Nahnah, patron du MSP, lors des élections présidentielles de novembre 1995. Et l’on s’en doute un peu, il n’a pas manqué de plaisantins islamistes sur place pour haranguer les foules et les prendre à témoins sur ces dons du ciel, cette grâce divine qui inonde la terre de bulletins gagnants islamistes.

– Dieu nous aime, dit-il ; nous sommes les meilleurs musulmans d’Algérie. La preuve, Dieu et la grâce divine nous restituent par le ciel ce que le pouvoir nous a volé par les urnes. Il allait poursuivre son exposé sur cette mystique offrande de Dieu aux ouailles du MSP quand une voix rauque d’un vieux routier lui coupa net le sifflet et la parole…
– Depuis quand camarade, Ya sahbi ! Dieu possède-t-il des imprimeries pour fabriquer des bulletins de vote et vous les envoyer en exclusivité par le ciel ? Silence glacial ; l’explication religieuse comme celle du laser divin du 5 juillet ne tenait pas.

Et comme toujours, la vérité et l’explication viendront d’un enfant sans âge. Il pouvait avoir 12 comme 18 ans. Il dit :
– Non tonton, ce n’est pas Dieu qui a envoyé ces papiers du ciel. Moi je suis berger mais tous les vendredis, je deviens cafetier, marchand de beignets et de cigarettes comme de nombreux cousins et amis ici. Je connais bien ce coin. Voyez-vous, cette caisse, c’est une urne comme vous dites vous, eh bien c’est mon outil de travail. C’est là où je stocke ma marchandise et mes beignets… Savez-vous où je l’ai-je trouvée cette caisse de vote ? A cent mètres d’ici, juste derrière ce monticule. C’est là que sont venus des gens costumés, armés, portant des caisses comme la mienne chargées de bulletins de toutes couleurs. Mais leur dernière livraison, c’était hier dans la nuit, ils n’ont vidé que des caisses avec des bulletins bleus. Juste après leur départ, moi et mes amis, on est passé juste après eux pour être les premiers à déterrer ce qu’ils avaient mal enfoui dans le sable. Ça nous sert d’emballage pour les cacahuètes et les beignets. Tenez, je vous offre ce cornet d’amandes. En défroissant l’emballage, vous remarquerez qu’il s’agit d’un bulletin de vote de Saïd Sadi, d’autres de Boukrouh mais le plus gros c’est celui de Nahnah… Explique-nous maintenant petit futé, comment ces bulletins enfouis dans le sable, se sont retrouvés dans le ciel ?

– C’est très simple, après la violente tornade de tout à l’heure, la force du vent a déterré les enfouissements et aspiré tous les bulletins dans le ciel. Ils auraient pu atterrir plus loin…
– Mon grand-père, racontera le gamin, a vécu le même événement lors des élections précédentes. Mais cette fois-ci, il n’y avait que du Chikh Nanah en l’air… Mon grand père raconte aussi, qu’à la même place et sous le même arbre d’El-Gaâda, dans les années quarante, le vent de sable était si puissant et la spirale si violente qu’elle aspira une chèvre entière qui s’est mise à voler toute seule dans les grands airs au grand émerveillement des nomades éblouis. Personne ne croira leur récit. D’où l’expression populaire qui affirme depuis «Maâza law Tarett» C’est une chèvre, même si elle vole.

A propos, savez-vous comment la halte d’El-Gaâda s’appelle aujourd’hui ? Je vous le donne en mille. Gaadett Nahnah. N’y voyez surtout aucun rapport avec les quotas pré-décidés des urnes, l’enfouissement des contenus des urnes et le mauvais travail de faussaires des Tontons Makroute de papy DOK ; le président gouvernant par télécommande et par chuchotements.

Ce ne sont que de simples reflexes ataviques de malgaches stagiaires. De simples coïncidences entre des tripoteurs professionnels d’urnes, des croyances populaires bien ancrées et les échéances électorales annoncées gagnantes à tous les coups. A part 1991, quand le pouvoir a-t-il perdu une seule élection ?

Excès de vitesse

Lors des dernières élections législatives, un scrutateur représentant d’un parti d’opposition, fort connu dans la région, a été désigné par ses collègues pour suivre le cortège des véhicules de gendarmes qui convoyaient les urnes vers le chef lieu de Daïra pour le décompte final des bulletins. Mais le chef de l’escouade des gendarmes ne voulait pas de cet intrus et ordonna à sa colonne de le semer à tout prix. C’est ainsi que le petit vieux colla au convoi jusqu’à atteindre la vitesse de 180 Km/h, lui qui de toute sa vie n’a jamais dépassé les cents. Devant la folle insistance du vieux à rester collé au convoi, le capitaine ordonna à son escouade de s’arrêter et de lui présenter ce fou du volant.
– Hé papy, on n’est pas au 24 heures du Mans ici ! Savez-vous que nous roulons sur une route départementale où la vitesse est limitée à 100 Km/h, alors pour cette fois je vais seulement vous verbalise et vous obliger à immobiliser votre véhicule pendant au moins deux heures ; Adjudant ! Exécution immédiate.
– Mais Hadharate, je suis avec vous et suis membre délégué pour suivre les urnes jusqu’à leur ouverture… Et puis il n’y a aucune plaque de limitation de vitesse sur cette route.
– Ferme-là et casse toi papy ! De désormais jusqu’à dorénavant, les urnes, ici, c’est moi et seulement moi. Quand à la plaque de limitation de vitesse, je te rappelle que mes ordres sont toujours supérieurs à n’importe quelle plaque.

Mais le petit vieux scrutateur ne voulait absolument pas en découdre et se laisser faire. Il recolla au convoi avec la même hargne et la même résolution. Furieux, le capitaine ordonna à la dernière Toyota de l’escorte, l’application immédiate du plan B pour lequel le gendarme chauffeur était bien entraîné. Il consistait à freiner brusquement de façon à provoquer un choc foudroyant avec son poursuivant. Et c’est exactement ce qui arriva. Le petit vieux qui eut tout de même la vie sauve eut à constater la destruction de tout l’avant de son véhicule. Mais, quelques minutes après s’arrêta pour le secourir, un autre poursuivant ; c’était le maire d’une commune du coin qui connaissait bien Si Tayeb dit l’avion (parce qu’il prétend avoir abattu tout seul un avion jaune avec son fusil de chasse) Rapidement ils se mettent en chasse de la colonne de gendarmes escorteurs d’urnes. De loin, ils virent le cortège des véhicules de gendarmes s’engouffrer dans la seule caserne du coin au lieu de se rendre directement à la Daïra. Arrivés devant la caserne fermée, le maire eut la géniale idée de klaxonner et, comme par miracle, la sentinelle les prenant sans doute pour de gros officiers en civil, leur ouvrit grand le portail avec le salut appuyé des gardes en tenue de parade. Et que virent-ils en direct sous leurs regards ébahis ? Ces mêmes gendarmes transporteurs et escorteurs d’urnes exécutant une opération très singulière : Décharger des urnes et en charger d’autres ; exactement les mêmes. Sauf peut-être ou plutôt et sûrement le contenu. Les deux pauvres et naïfs lurons découvraient à leur corps défendant les rudiments et l’abécédaire de la fraude électorale algérienne. Ils écopèrent l’un et l’autre d’une garde à vue de 24 heures, le temps de cuisiner leurs quotas gagnants. L’histoire ne m’a pas été racontée par une femme et qui n’est pas non plus officier de gendarmerie originaire de Djelfa.

La 3ème anecdote électorale concerne un citoyen algérien, qui a voté pour la même élection, dans son village natal, dans la commune de sa première résidence à Alger et dans sa dernière résidence de Dély-Ibrahim. Ce triple électeur a voté trois fois pour une seule et même élection alors qu’il n’a jamais voté depuis 1962 ! Ce mystérieux électeur, c’est moi. Et des comme moi, ils sont des millions.

C’est pourquoi le pouvoir régnant garde secret le fichier électoral et n’autorise aucun parti d’opposition à y accéder. Normal ; c’est la première arme du crime de la fraude massive. Cette censure unique au monde, leur permet de faire voter des bébés et des morts, faire voter plusieurs fois pour eux –mêmes ceux qui ne votent pas, transvider et travestir des urnes perdantes en urnes gagnantes. Il y a sûrement d’autres qu’on découvrira qu’une fois le pouvoir dégagé. Pour mémoire, on rappellera que le dictateur tunisien, Benali, pour être sûr de gagner à tous les coups ses élections, faisait appel à des experts du FLN et du RND.

C’est pourquoi, la fraude électorale autant que la haute corruption sont les seuls traits caractéristiques et identitaires de ce régime mafieux. Le faire dégager par les urnes qu’il encadre, dirige et contrôle ne semble pas relever de l’évidence ni du possible immédiat. Surtout que les gros enjeux se déclinent en milliards de $ pillés, de prison à vie et, parfois, en pelletons d’exécution. Parce qu’il s’agit du devenir même de l’Algérie qui a failli être vendue dans sa totalité, dans ses racines. Bouteflika et ses complices répondront-ils un jour de leurs multiples hautes trahisons ? Je pense que oui ; parce que le peuple de la rue commence à demander ouvertement et publiquement des comptes. La peur a changé de camp. Merci les jeunes ! Caillassés, conspués et chassés de partout, ils commencent à faire dans leurs frocs ! Leur fin commence à ressembler à celle Ceausescu. Aussi piteuse que celle de Bokassa. Ils oublient tous les leçons immuables de l’histoire : les dictateurs finissent tous de la même manière ; dans le caniveau. Leurs servants dans les poubelles et mezbala de l’Histoire. Finalement à quoi leur auront bien servi leurs milliards volés ?

A rien ; pas même un enterrement de première classe, sans le moindre hommage. Parce qu’on peut rendre hommage à un chien mort dignement en servant son maître mais jamais à un traître ! Bien sûr qu’à cette règle il y a eu des exceptions. On a bien vu des traitres, voleurs, assassins de Boudiaf, entre autres, enterrés en héros épistolaires alors qu’il s’agissait de canailles faisandées, de pourritures toxiques et malsaines, aux mains ensanglantées auxquelles la république des bandits et des voyous rendait les derniers hommage, les derniers mensongers des gueux pour des gueux. Mais non, pour eux-mêmes et pour leurs servants, ils n’auront jamais ni la magnanimité ni la mansuétude des humbles. Trop traîtres et trop lâches pour ne pas finir dans le seul espace qui leur ressemble ; le caniveau. Au mieux, l’oubli et le mépris du «dégage, Pov con» Rentre chez toi ! Au fait, c’est où chez lui ?

Mohamed Abassa

Le DRS se dote d’un nouveau matériel de surveillance d’internet

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Espionnage

Espionnage

Alors que l’insécurité, le terrorisme et autres fléaux sociaux deviennent le lot quotidien des citoyens, les services, dits de sécurité algériens, s’emploient à museler davantage les militants, les journalistes et les artistes.

Ainsi, les services des Renseignements généraux (RG) et du Département de renseignements et de sécurité (DRS) en Kabylie, ont acquis un important lot de matériel sophistiqué pour bien mener leur mission de répression. Ce matériel est utilisé pour faciliter les écoutes téléphoniques, la surveillance vidéo et la traque des militants. Ledit matériel aurait été importé d’Allemagne, selon notre source, sans toutefois préciser le montant de l’enveloppe octroyé pour leur acquisition. «Cela devrait se chiffrer à coups de milliards d’euros», se contente d’indiquer notre source.

L’objectif de cet achat serait d’améliorer et d’augmenter à la fois le nombre d’écoutes téléphoniques, mais surtout de contrôler les comptes des réseaux sociaux des personnes surveillées par les services de répression. Il faut rappeler que plusieurs militants, notamment du MAK, sont victimes d’intimidation et de répression quotidiennement. Plusieurs d’entre eux ont été victimes d’un traitement « inhumain » dans les aéroports. D’autres évoquent des pressions dans leurs lieux de travail, d’autres parlent même de tentative de corruption de la part des services dits de sécurité.

Les appareils ne sont pas mis en service pour le moment, car « cela nécessite un personnel qualifié », ajoute-t-on. Notre source précise que du personnel formé dans le domaine informatique sera incessamment muté en Kabylie, afin d’assurer le bon fonctionnement du matériel. Notre source a fait savoir que la Kabylie est pour le moment la seule région concernée par ce nouveau dispositif. Quel privilège !! « Ils ont acheté la même qualité de matériel en 2005, sous l’ère de Zerhouni. Tizi Wezzu est la deuxième région qui est dotée pour le moment de ce matériel. Ce programme se limiterait seulement à Alger et Tizi Wezzu », notera notre source.

Notons que le nouveau siège des Renseignements généraux de Tizi Wezzu, sis à proximité du secteur militaire et du DRS, sera mis en service juste après le mois de Ramadhan. Le nombre des personnes surveillées par les services de renseignement est plus important qu’on le pense. Les militants de l’opposition, notamment ceux du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie et les défenseurs des droits de l’homme, sont épiés de près et sans l’aval ni de la justice ni du procureur de la république.

Les journalistes n’échappent pas également aux écoutes et surveillance des limiers des renseignements. Rien n’est laissé au hasard. La vie professionnel et intime des militants de la cause démocratique est par ailleurs passée au peigne fin. Certains militants sont même filmés pendant leurs déplacements. Des artistes, des hommes d’affaires et autres personnalités connues en Kabylie sont étroitement surveillées par les services de sécurité qui veillent sur les moindres gestes des défenseurs du peuple kabyle.

Avec Siwel

Saïd Bouteflika signe-t-il des décrets à la place de son frère président ?

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Said Bouteflika

Said Bouteflika

Par décret présidentiel cette semaine et ce depuis Paris, deux militaires lieutenant colonel (chargés d’études et de synthèse) ont été nommés par Saïd Bouteflika. Les cinq autres ont été nommés chefs d’étude alors que, selon notre source certains de fonctionnaires ont été recrutés depuis 2011 seulement.

La proposition de nomination a été faite par le directeur de l’informatique, Bouabana, un très proche de Saïd Bouteflika, et ce juste avant que le président ne tombe malade. Pendant ce temps, notre source proche de la présidence confie que Saïd Bouteflika bloque toutes les autres propositions qui viennent des autres structures, à savoir la direction de l’administration (DAG), la direction de l’information, la direction des télécommunications, la direction des relations publiques etc.

La raison ? Une vengeance du frère du président contre les anciens fonctionnaires qui sont pour quelques-uns à la présidence depuis l’ère de Chadli Bendjedid et d’autres du temps du mandat de Liamine Zeroual. Seuls ceux de l’informatique ou travaillant avec Rougab Sobt sont de fait promus. Les autres fonctionnaires sont bloqués dans leur avancement de carrière sans explication. L’exclusion de ces cadres a créé un malaise profond au sein des services concernés, ajoute notre source.

Pas seulement puisque cet acte est un précédent très grave. Car cette signature à la place du président contrevient fortement à la loi et constituerait une manigance frauduleuse inacceptable puisque l’article 87 de la constitution algérien énonce clairement que le Président de la République ne peut, en aucun cas déléguer son pouvoir dans la mise en œuvre des dispositions prévues aux articles 77, 78, 91, 93 à 95, 97, 124, 126, 127, et 128 de la Constitution. Or l’article 77 cite clairement parmi les pouvoirs et prérogatives qui ne peuvent faire l’objet d’aucune délégation, la signature du décret présidentiel qui, au même titre que le droit de grâce, le commandement de toutes les forces armées de la république ou la nomination du premier ministre, relève strictement de la seule autorité du président de la république.

En se livrant à un si grave subterfuge qui consisterait à faire croire que le président serait toujours en état de signer des décrets, Saïd Bouteflika agit au nom de la stratégie de « stérilisation » e l’article 88 qui précise bien que « lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement. »

La rédaction

« L’histoire secrète du pétrole algérien » : Sonatrach, ses réussites et ses scandales

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« L’histoire secrète du pétrole algérien ». Voilà un ouvrage qui plonge dans l’histoire de la saga du pétrole algérien. Avec ses heurts, gloire et malheurs.

Hocine Malti, l’auteur de L’histoire secrète du pétrole algérien, n’est pas un néophyte de la question. Il a participé à la création de Sonatrach en 1963. Aussi, dans cet ouvrage paru en 2010 dont la version poche vient de paraître chez la Découverte, Hocine Malti nous dit tout. Sans concession. Du début jusqu’à aujourd’hui. C’est sans doute le livre le plus complet sur le pétrole algérien, les hommes qui l’ont marqué et surtout ceux qui ont failli le brader.

Placée sous la tutelle du ministère de l’Economie dont le tuteur était Bachir Boumaaza, la Sonatrach a été créée le 31 décembre, son premier PDG c’est Belaïd Abdesselam. C’est le dessinateur Maurice Sinet, dit Siné, engagé comme pied rouge qui a dessiné le logo de la Sonatrach.

Comme aujourd’hui, le poste a très vite été l’objet de toutes les convoitises de la part des clans. L’auteur estime que Belaïd Abdesselam, « est l’un des rares responsables politiques algériens qui n’ait pas profité des hautes fonctions qu’il a occupées pour s’enrichir ». L’exemple le plus fameux, écrit Malti est celui de Messaoud Zeghar alias Rachid Casa, ami personnel du président Houari Boumediene, qui a profité des largesses des firmes étrangères, américaines notamment, impliquées en Algérie. Selon l’auteur, il y avait une grande complicité entre le PDG de Sonatrach et Boumediene, si bien que la nationalisation en 1968 de bon nombre d’entreprises françaises a été menée « dans le plus grand secret par le duo Boumediene / Abdesselam : aucun autre ministre, ni aucun autre membre du groupe d’Oujda, qui détenait alors la totalité du pouvoir, n’en avaient été informés. » C’est dire l’ambiance et la méfiance qui régnaient au sommet du pouvoir.

Une décision qui a ébranlé et étonné les autorités françaises qui ne s’attendaient pas à une telle décision, car des promesses leur auraient été données que les intérêts français ne seraient pas touchés. Abdesselam, écrit Hocine Malti, était convaincu que c’était Abdelaziz Bouteflika, qui avait fait une telle promesse. « Il a toujours pensé qu’il existait une «cinquième colonne» française infiltrée au sein du pouvoir algérien et que, à l’époque de Boumediene, ses principaux représentants étaient Abdelaziz Bouteflika et Abdellah Khodja, secrétaire d’Etat au plan », précise l’auteur.

C’est avec un luxe de détails que Hocine Malti étale les débuts de Sonatrach, les tensions algéro-françaises des années 70 autour du prix du gaz et quelques années après sur la nationalisation du pétrole décidée par Boumediene.

Hocine Malti raconte dans ce livre particulièrement riche en informations, l’épisode du contrat El Paso en 1969, et les pressions françaises sur les firmes américaines pour les empêcher d’acheter le gaz algérien. On y apprend tout le travail formidable réalisé dans le milieu des lobbys américains déjà par M’hamed Yazid et Chanderli pour porter la voix de l’Algérie, puis le premier ambassadeur Cherif Guellal aux USA, « qui a rassemblé tous les atouts pour être un excellent représentant de l’Algérie indépendante auprès de la première puissance mondiale ».

Malheureusement, ce diplomate, raconte encore l’auteur, sera jeté « comme un chiffon » par Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères. L’autre personnage qui a joué un rôle de premier plan dans les relations algéros-américaines est Messaoud Zeghar, ami et confident de Boumediene. Sur la période des années Boumediene, il y avait une guerre feutrée au sommet de l’Etat entre Bouteflika et Abdesselam. Le chapitre des négociations entre Algériens et Français illustre parfaitement cette lutte empreinte de méfiance réciproque.

Inévitablement, cette nouvelle richesse qu’est le pétrole inaugura une série de scandales. Dont celui dans lequel Messaoud Zeghar a été impliqué en 1971. Ayant perçu une commission de 2,75 millions de dollars pour permettre à Chemico de décrocher un contrat, Zeghar a été dénoncé en 1974. Dans cet ouvrage, l’ère Chadli et l’emprise de Belkheir et Messaadia sur le système ne sont pas oublié. Cette époque a eu de nombreux scandales de corruption et de règlements de comptes que Hocine Malti a sérié avec force détails.

Il y a d’abord celui qui a opposé le général major Mostafa Belloucif au clan pro-français qui faisait pression pour avaliser l’achat d’un équipement militaire destiné à la couverture aérienne. Résultat : Belloucif fut accusé de détournement de fonds. « Limogé par Chadli en 1986, il fut arrêté en 1992, puis condamné à 15 ans de réclusion criminelle. Lors des interrogatoires auxquels il fut soumis, Belloucif déclara aux généraux qui le questionnaient : « Vous m’en voulez parce que moi je n’ai tété la mamelle de la France ». »

L’affaire Brown§ Root-Condor dans laquelle Chakib Khelil a joué les premiers rôles, les milliards que Sonatrach y a perdu, la loi sur les hydrocarbures en 2006 qui avait failli faire perdre à l’Algérie sa souveraineté, l’affaire Orascom sont aussi évoquées dans Histoire secrète du pétrole algérien. Bonus de cette version, une postface signée de l’auteur. A lire absolument.

Kassia G.-A.

Histoire secrète du pétrole algérien. chez les éditions La Découverte. Edition poche : 12,50 euros.

« Ils ont commis un parricide car Boudiaf était trop grand pour eux »

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Nacer Boudiaf

« Ils ont commis un parricide car Boudiaf était trop grand pour eux »

Dans cet entretien réalisé par le journal électronique Dernières Nouvelles d’Algérie ( DNA) Nacer Boudiaf, le fils aîné de Mohamed Boudiaf, réfute la thèse de l' »acte isolé » attribuée à l’assassinat de son père et accuse les services de sécurité et ceux-là mêmes qui l’ont ramené de son exil du Maroc d’avoir commis ce parricide… 

Où étiez-vous le 29 juin 1992 quand le président Mohamed Boudiaf a été assassiné?

Nacer Boudiaf : Le fatidique 29 juin 1992, j’étais à la maison. J’ai appris la funeste nouvelle par la télévision vers 13 heures. Pour avoir le cœur net, je suis monté au siège de la Présidence, dans les appartements du président Boudiaf. Sur place, j’ai vu son épouse Fatiha pleurer au téléphone. J’ai alors compris que tout est fini, que le président a été assassiné. Je ne me suis pas rendu dans les bureaux de la présidence parce que j’ai compris que le coup venait de l’intérieur.

De l’intérieur ?

De l’intérieur, oui. De l’intérieur du système. Les gens qui l’ont ramené de son exil à Kenitra, au Maroc, n’ont pas joué leurs rôles pour protéger le président. A Annaba, le jour de l’assassinat, il y avait 56 éléments qui assuraient la sécurité de Mohamed Boudiaf. Aucun n’a tiré un coup de feu.

Lembarek Boumarafi, le tueur, n’avait rien à faire derrière le rideau d’où il a lâché ses rafales. J’ai eu des échos que lui et quatre éléments du GIS (Groupe d’intervention spéciale) qui dépend du DRS ( Direction du renseignement et de la sécurité) se sont rendus la veille, le 28 juin, au Palais de la Culture de Annaba où le président devait donner son discours et où il a été abattu. Ils sont restés une demi-heure dans la salle avant de repartir. Qu’est ce qu’ils sont partis faire sur place ? Repérer les lieux, certainement. Dans ce cas là, ils ont du recevoir des ordres, des instructions pour le faire.

Aviez-vous pu parler le jour de l’assassinat de Boudiaf avec le ministre de l’Intérieur, Larbi Belkheir ou le ministre de la Défense Khaled Nezzar ou avec d’autres responsables?

Non, le jour même je n’ai parlé à aucun responsable. Cependant, le troisième jour, à l’occasion de la veillée religieuse, le général Nezzar est venu me voir pour me dire que les assassins de Si Mohamed seront arrêtés. Depuis lors je ne fais qu’attendre. Mais à deux reprises, j’ai demandé à être reçu par le général Nezzar, il ne m’a jamais répondu.

Vous vous êtes rendu à Annaba après l’assassinat pour en savoir davantage?

Des responsables de l’hôtel Seybousse où étaient logés les éléments de la sécurité m’ont dit en 1992 que Boumaarafi a quitté sa chambre avec d’autres membres de la garde présidentielle alors que la consigne était de ne pas quitter leurs chambres d’hôtel sous aucun prétexte. Des témoins que j’ai interrogés au Palais de la Culture affirment avoir vu Boumaarafi la veille dans les lieux. Des témoins affirment avoir entendu Bouamaarafi dire à son supérieur : « Ici, chacun fait ce qu’il veut… »

Que s’est passé à l’hôpital Ain Naadja où le corps du président a été évacué quelques heures après les coups de feu?

Déjà le corps du président a été ramené à Alger, à l’hôtel militaire de Ain Naadja après 17 heures alors que sa mort a été annoncée vers 13h 20. Quand il a été admis à l’hôpital son cœur battait encore même si le président a été déclaré cliniquement mort. Quand je suis rentré dans la salle où la dépouille a été exposée, il y a avait des médecins, le personnel de l’hôpital, des femmes… A l’intérieur de la salle, il y avait un silence lourd, à couper le souffle. Personne ne parlait. Je suis resté cinq minutes. Le corps de Mohamed Boudiaf était déjà recouvert d’un drap blanc et son visage ne portait pas de trace de violence. On dirait qu’il dormait. On dirait qu’il souriait.

Pourquoi le corps de Mohamed Boudiaf n’a-t-il pas été autopsié?

L’absence de l’autopsie est une des preuves que l’Etat à travers tous ses services a fait faillite à l’égard d’un homme qui a tant donné à son pays et qui plus était mort à la tête de l’Etat. Pourquoi pas d’autopsie parce qu’ils connaissent la cause et la manière avait laquelle il a été exécuté. Les rapports balistiques et médicaux disent que Mohamed Boudiaf a été gravement atteint à la tête par deux rafales de 5 à 6 balles dont certaines explosives qui ont fracassé la boite crânienne et projeté des lambeaux de chair à même le sol et ceci a provoqué une mort cérébrale.

Ces rapports disent également qu’il y a de très nombreuses blessures aux jambes par éclats de la grenade offensive qui a explosé sous son siège peu de temps avant les rafales.

Fatiha Boudiaf la deuxième épouse du président évoque une balle au thorax ce qui accréditerait la thèse d’un second tireur. Avez-vous des informations sur ces éléments?

Effectivement, quand vous repassez les images de « l’acte isolé », une grande tâche de sang est visible au milieu de son thorax alors que le présumé assassin lui a tiré dans le dos. Ce que Fatiha Boudiaf a rapporté à certains médias est en fait visible et à la portée de la Télévision algérienne. Selon certains médecins à Annaba qui ont été interrogés par la presse, cet orifice pourrait être celui d’une balle. Les rapports médicaux disent que le corps présente une blessure au thorax à 10 centimes en bas à gauche du cœur et de cette blessure sortait de l’air ce qui signifie que le poumon a été atteint. Le problème est que lorsque la femme du président évoque cette thèse, personne ne s’en soucie. Personne ne se soucie de cette thèse développée par Fatiha Boudiaf. Donc, c’est le silence coupable. Quand Fatiha Boudiaf évoque la thèse d’une balle au thorax, les médecins devaient au moins réfuter ses dires dans la mesure où ils n’ont pas indiqué l’existence d’une balle au thorax. Mais là encore personne ne s’en soucie.

Vous aviez dit que ce sont les gens qui l’ont ramené qui l’ont assassiné. Qui sont ces gens ?

J’ai dit en 1992 que ce sont les gens qui l’ont ramené de son exil au Maroc qui sont responsables de son assassinat. Vingt ans plus tard, je n’ai jamais eu de réponses à mes questions, le peuple n’a jamais eu de réponses de la part de ces gens là. Les gens qui ont sorti Mohamed Boudiaf de son exil pour lui confier les destinées du pays sont connus : Ce sont Khaled Nezzar, Ali Haroun, Sid Ahmed Ghozali, le général Touati, Smain Lamari, Mohamed Lamari, le général Mohamed Mediene dit Tewfik, Larbi Belkheir…C’est à ces dirigeants là qui lui ont confié cette responsabilité de s’expliquer, mais certains ne sont plus de ce monde pour en témoigner.

Ont-ils été entendus par la justice ?

D’abord une précision : Boumaarafi est un militaire, il devait donc être jugé par une juridiction militaire or cela n’a pas été le cas. Il a été jugé par un tribunal civil. Ensuite, tous les responsables ont été auditionnés par la commission Bouchaib, même le général Mohamed Mediene. Or personne n’a été poursuivi par la justice. Personne. Hormis l’assassin (le sous-lieutenant Lembarak Boumaarafi a été condamné en juin 1995 à la peine capitale, NDLR), aucun responsable n’a été inquiété. Aucun responsable de la sécurité présidentielle n’a été sanctionné. C’est pour cela que nous parlons d’un complot.

Un chef de l’Etat a été tué en direct à la télévision et aucun responsable ne répond de cet acte. Le travail a donc été bien fait. Il y a eu des défaillances sécuritaires et ils doivent rendre des comptes devant la justice. Boumaarafi ne doit pas porter seul la casquette.

Le rapport de la commission Bouchaib installée quelques jours après la mort de Boudiaf fait état de graves défaillances…

Le 26 juillet 1992 est publié le rapport préliminaire de l’enquête. La thèse du complot y est suggérée. Le rapport dit : «La thèse d’une action isolé ne nous paraît pas des plus vraisemblables… Il en demeure pas moins que les négligences, défaillances, lacunes et le laisser-aller que nous avons pu relever à tous les niveaux des services ayant planifié la visite, organisé son déroulement et assuré la sécurité présidentielle, ont constitué, de manières directe ou indirecte, des éléments ayant facilité objectivement le crime…». Or le rapport de cette commission a été amputé de plusieurs pages, celles concernant les défaillances des services de sécurité.

Qui a amputé ces pages ?

Ce n’est pas à moi de le dire, c’est aux responsables de nous dire pourquoi ces pages ont été amputées, mises sous embargo. La première fois, la commission a conclu que l’assassinat de Boudiaf n’a pas été un «acte isolé». Ensuite, ils se sont faits taper sur les doigts pour rectifier la version et conclure à un «acte isolé».

Qui a tapé sur les doigts des membres de la commission ?

Les décideurs comme on les appelle.

Aviez-vous discuté avec ces décideurs pour connaitre la raison ou les raisons pour lesquelles ces conclusions que vous évoquez sont mises sous embargo ?

Jamais. Ils sont commis un parricide car Mohamed Boudiaf était trop grand pour eux.

Pourquoi Mohamed Boudiaf a-t-il été tué?

Pourquoi Boudiaf a-t-il été tué? C’est la question que le peuple doit poser à l’Etat algérien qui ne fait rien pour établir la vérité. Il a été tué parce qu’il représentait un danger réel. Toutes les balles qui lui ont transpercé le corps n’étaient pas destinées à lui seul, mais à toute personne qui s’imagine qu’il est facile de toucher au système. Un système dont certains sont maintenant devant Dieu et d’autres attendent leur tour.

Vous aviez côtoyé votre père pendant les six mois de sa présidence se sentait-il en danger? Vous a-t-il fait part d’un danger, d’une menace sur sa personne ?

Le danger il l’a senti le jour où il a décidé de revenir. Il l’avait dit à certains: « Je suis revenu pour mourir », car il connait le système depuis l’assassinat de Abane, le colonel Chaabani, Khemisti, Medeghri, Khider, Krim et tant d’autres. Cependant, l’assassinat de Boudiaf a été exécuté en direct à la télévision et à un moment où l’Algérie était à feu et à sang.

On a évoqué un clash avec les militaires sur un voyage au Maroc qu’il voulait effectuer? Vous en a-t-il parlé?

Oui, il devait se rendre au Maroc pour célébrer les fiançailles de mon frère. Ces fiançailles et ce voyage étaient prévus avant même qu’il soit appelé à la présidence. Sur le Maroc, il faut savoir qu’avant d’accepter l’offre des militaires en janvier 1992, l’ambassadeur d’Algérie au Maroc de l’époque, Abdelmadjid Allahoum, lui a suggéré de ne pas informer le palais royal qu’il allait quitter Kenitra pour être nommé à la présidence. Boudiaf s’est offusqué de cette suggestion. Il a dit en substance: « Je vis au Maroc depuis tant d’années, ma famille y réside, j’y possède une entreprise, la moindre des politesses est donc d’informer mes hôtes marocains. » Ensuite, sur ce voyage qu’il devait effectuer pour assister aux fiançailles de mon frère, des militaires dont certains sont encore vivants ont voulu l’en dissuader. C’est mal connaitre Boudiaf. Personne ne lui dicte ce qu’il doit faire, encore moins pour des affaires qui concernent sa famille. Mohamed Boudiaf est un électron libre. Mais les clashs avec les militaires ont commencé le premier jour de son retour en Algérie quand il a refusé de lire le discours qu’ils lui avaient préparé. Lui avait préparé son discours avant même qu’il ne soit installé à la présidence. Il a pu imposer certaines de ses idées. Le dernier clash a été celui de « l’acte isolé ».

A quoi sert la fondation Boudiaf présidé par son épouse Fatiha? Où va l’argent des subventions qui lui sont allouées?

La Fondation Boudiaf n’a de Boudiaf que le nom. C’est indigne de l’appeler Boudiaf et laisser des choses indécentes s’y passer. Fatiha Boudiaf a été corrompue par le système qui a tué mon père et pour la faire taire et maquiller le lâche assassinat, le système l’a inondée de largesses pour lui faire perdre toute crédibilité. Un jour la vérité sur la Fondation Boudiaf éclaboussera tous ceux qui ont trempé dans le sang de Boudiaf après sa mort et notamment tous ceux qui ont porté atteinte à son honneur en dégradant la vie de la Fondation.

Seriez-vous prêt à discuter avec l’assassin de votre père?

Le vrai assassin de mon père n’est pas Boumarafi. Les vrais assassins ce sont les services de sécurité, les responsables politiques, qui ont tout fait pour qu’il tombe aussi lâchement. C’est à eux de savoir s’ils sont prêts à parler avec moi.

Auteur
DNA.

 




Jean Sénac, l’Algérien blessé

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Hommage

Jean Sénac, l’Algérien blessé

« J’ai langui, j’ai séché, dans les feux, dans les larmes ». Jean Racine, dramaturge français (1639-1699)

Décrire la marge, voilà le travail auquel s’oriente l’inspiration de l’écrivain ou du créateur. Dans diverses séquences du film Chronique des années de braises, réalisé par le cinéaste algérien Mohamed Lakhdar Hamina en 1975 dont le scénario a été écrit par Tawfik Farès, couronné par la palme d’or du festival de Cannes, l’on aperçoit bien un fou barbu «Miloud» au milieu d’un cimetière en train de déclamer un discours-fleuve aux morts qui gisent sous les tombes tout en leur distribuant en même temps des tracts qui les invitent à entrer en communion avec les vivants et fédérer leurs forces afin de combattre le colonialisme. L’intensité des sentiments enfouis dans ses mots est tellement forte que l’homme est subitement sorti de ses gonds, devenu extatique et attentif au silence sépulcral en alternant des mimétiques à la fois enragées et enjouées selon ses états d’âme confus, ses souvenirs moroses, et les souffrances séculaires de tout un peuple auxquels il fait référence, «l’humanité, dirait le philosophe Auguste Comte (1798-1857), se compose plus de morts que de vivants». Ce fou-là dont le rôle aurait d’ailleurs été incarné par le réalisateur lui-même, se pare de l’aura mythique du poète pour interroger son destin et celui des siens car personne ou presque n’est vraiment en mesure de prétendre à un tel privilège s’il n’est pas atteint en profondeur du délire démentiel aussi bien de la magie des mots que de la poésie des sens. Jean Sénac (1926-1973), cet algérien blessé, en barde jeté en pâture aux oubliettes par l’Algérie indépendante, aurait mieux que quiconque, compris ce jeu en duo entre la folie et la poésie, la mort et la vie, l’inertie et la création, la sécheresse des esprits et l’art prometteur.

Né à Béni Saf, cette ville enchanteresse du littoral algérien, le poète y passa toute une enfance tourmentée en raison de sa maladie de tuberculose et de pleurésie, pour dévorer ensuite à pleins dents une adolescence à Oran, la ville de «passions simples» comme l’avait décrite le philosophe.

Albert Camus (1917-1960) dans son récit romanesque La peste. L’énigme de ses origines est plus qu’un fardeau qu’il porta sur sa conscience sa vie durant. Bien plus, celle-là n’est qu’un pur euphémisme d’une existence jonchée de souffrances, d’une âme en peine et d’un destin poétique éparpillé en fragments de résistance. Car bercé dès son jeune âge par une éducation catholique dévote d’une mère baroque, et de l’obsession paranoïaque de l’absence du père, Sénac, l’orphelin congénital, encore un autre jeu linguistique pour cacher sa «bâtardise», n’a pu se défaire qu’à-peine de ce tsunami intempestif de la spiritualité. Certes, l’influence du mysticisme occidental de Jean de la croix, de Thérèse de Avila et de Antonin Artaud, le poète de l’amour, du corps et de la sensualité conjuguée aux effets de la culture soufie qu’il a longtemps côtoyée, représentée tout particulièrement par Al-Hallaj, Al-Rûmi et à quelques exceptions près Abu Nûwas, le poète connu en terre arabo-musulmane pour son érotisme euphorique et ses vers qui célèbrent l’amour charnel, n’est pas étrangère à son penchant excessif pour la métaphysique de l’esprit et surtout la concupiscence. Ce qui l’a conduit bien plus tard à s’inscrire dans une logique poétique de «différence», l’ayant mené à sonder les recoins aussi contradictoires qu’impénétrables de l’humanité obscure et ratisser le territoire intime de ses propres hantises.

Tel un Fedrico Garcia Lorca, le poète ibère assassiné à le fleur de l’âge en 1936 par les franquistes revanchards, et qui aurait célébré la grandeur de l’Espagne via sa troupe musicale et poétique «la Barraca» ainsi que ses différents écrits littéraires notamment «El romancero gitano», cette oeuvre magistrale où les thèmes de la mort, de la nuit et de l’angoisse se disputent le droit de cité avec l’amour, la patrie et la vie, Sénac lui, dont le père inconnu est probablement un gitan, aurait ressuscité le soleil algérien sous les armes de la révolte dans son recueil «le Soleil sous les armes» paru à l’aube de l’insurrection nationaliste. Le poète est un éclaireur qui n’a pas droit à l’erreur et qui ne devrait en aucun cas se départir d’un rôle social et civique qui est le sien ; celui de défendre la terre que son âme avait élue «et je répète, écrit-il, dans un texte en mars 1954, à quelques mois du cri des guépards de la Toussaint, un nom toujours le même, celui qu’aucune humiliation, aucune colère n’efface, le tien Mère Algérie, notre inlassable amour[…] Mon peuple m’entoure et murmure […] qu’importe maintenant la haine et l’indifférence de nos pères puisque voici la vérité en route et que je marche dans ses rangs». Ces mots-là, il est vrai, résonnent à la façon d’un appel à l’insurrection d’autant plus que tel un Émile Zola (1840-1902), rebelle et engagé en son temps, et ayant résisté contre vents et marées afin de rétablir la justice dans ses droits en accusant toute la III République de s’être mise aux trousses d’un innocent Dryfus et cultiver de la sorte l’intolérance et d’indifférence vis-à-vis de l’humaine condition, Sénac, le barde illuminé a plus fermement cru en la vérité qui marche sans risque de se faire étrangler et à «la justice de la mère agressée» qu’aux voix discordante des colonialistes revanchards. C’est probablement dans ce sens que l’écrivain et critique français Jean Déjeux décèle et remarque dans la littérature algérienne cinq thématiques obsédantes: les ancêtres, la patrie, la liberté, le peuple bon, et l’homme nouveau. En s’y souscrivant, le flegme poétique en Sénac devient un espace en pointillés, une infinité de repères qui s’élargissent, et une vie qui ouvre ses fenêtres au vent de la solitude, de la méditation mais aussi et surtout de la sensualité. Si l’objectif de la poésie chez le poète surréaliste Paul Eluard (1895-1952) est la recherche de «la vérité pratique», et sa finalité chez le pionnier de la poésie algérienne Jean Amrouche (1907-1962) est «le langage primordial», Sénac, lui, aurait préféré «l’éveil algérianiste» sinon plus «la poésie protestatrice». Il est vrai par ailleurs que l’influence des poètes surréalistes français tels que Paul Verlaine, Louis Aragon, René Char se fait réellement sentir dès que l’on déambule à travers ses vers. Et pourtant, Sénac en «algérianiste» écorché vif aurait rejeté l’intitulé de littérature d’expression française pour revendiquer une simple «graphie littéraire». Car, convaincu du caractère temporaire et passager de la littérature française au Maghreb, il aurait souhaité à plusieurs reprises voir une relève autonome sortir du terreau local et des entrailles linguistiques du petit peuple afin de mieux refléter la vraie condition des masses. A cet effet, il écrit dans son Anthologie de la nouvelle poésie algérienne, parue en 1971 ce qui suit : « Nous transmettons fièrement le relais à nos frères, les poètes arabes de demain ». C’est peut-être pour cette raison que l’enfant terrible de la littérature maghrébine, le célèbre Rachid Boudjedra aurait écrit dans ses douloureuses Lettres algériennes et de manière fort dithyrambique « Jean Sénac nous a toujours aidés lorsque nous avons vingt ans […] Talentueux comme un poète. Généreux jusqu’au bégaiement et jusqu’à l’impudeur, il avait le verbe dru et vaste, les projets plantureux et fastes. Les injures passionnées et ardentes ».

Mais Sénac, ce marginal utopique à l’instar de Jean Genet (1910-1986), ce vagabond sans père comme Aragon, cet autre bâtard bohémien qui aime à mourir le soleil d’Espagne, ce révolté sartrien, ce pied-noir déclassé et cette âme rebelle attachée à ses racines aurait-il pu apprivoiser et dompter cette bête sauvage, cette envahissante sorcellerie, ce mal viscéral ou pour emprunter ses propres termes ce «don maudit» que l’on appelle à tort ou à raison «poésie»? Nul doute, la poésie est une brûlure intime, un jeu perfide, et une harcelante quête de sens qui sème les graines de trouble dans les certitudes, brouille le réel et transporte son locataire sur les nuages de l’imaginaire, elle est «cette folle de logis» comme dirait le philosophe Pascal (1623-1662) qui ne s’exorcise jamais plus. Foin de métaphores, la poésie est, en un mot, un mystère de joie mais aussi un abîme de tristesse que cherchent les sons et les symphonies dans les plis et replis tout autant du vécu que de l’imaginaire de l’existence. C’est pourquoi, la perspective de se lancer dans une aventure d’écriture romanesque chez Sénac s’est avéré être un piétinement monstrueux, un arrachement au soi et une atteinte à son génie. Le roman lui-même en tant qu’oeuvre artistique est perçu comme un océan de désordre qui ne laisse guère place vacante à l’exhibition des blessures et à l’exaltation de la subjectivité. Ainsi l’ivresse créatrice du poète s’est-elle assagie dès lors qu’il s’est mis en tête l’idée d’esquisser son roman «ébauche d’un père» en 1971, deux ans avant son lâche assassinat. C’est sans doute dans cet esprit que l’écrivain Abdelkebir Khatibi parle dans son essai Le roman maghrébin du «délire poétique» des auteurs maghrébins. Mais pourquoi ce compte à rebours, cette course contre la montre, ce saut de pans entiers du parcours de Sénac? Sa vie n’est-elle pas avant tout une complainte d’un enfant abandonné, un hymne de résistance hors pair, une lutte exceptionnelle dans le sillage de Frantz Fanon (1925-1961) contre l’injustice des hommes et une revendication d’une identité collective bafouée ainsi que d’une particularité intime atypique? Tel un Arthur Rimbaud (1854-1891), poète libertin et bohémien à ses heures, errant à travers les contrées d’Orient en quête de sens à sa vie, lui aussi ne s’est aucunement embarrassé d’afficher ses penchants sexuels, il aurait haussé fièrement le ton pour dire que la poésie n’a d’autre message à transmettre que celui de l’amour, du combat et de la lutte. Mais c’est plus sous le prisme de cette dernière dimension que sa quête a trouvé son sens et son pré carré de grandeurs. A ce titre, dans un texte inclus dans le recueil «Matinale de mon peuple», préfacé de la prison de Fresnes où il se trouve par l’intellectuel et nationaliste Mostefa Lacheraf (1917-2007), il a laissé ce vers marquant à tant d’égards «si nos poèmes ne sont pas aussi des armes de justice dans les mains de notre peuple, oh, taisons-nous», l’épanchement lyrique et la verve combattante sous forme d’une rhétorique claire, simple et directe ne lui auraient-ils pas du reste causé d’énormes désagréments durant la guerre de libération? N’a-t-il pas sacrifié tout ce qui lui est proche afin d’embrasser la cause de la justice? Albert Camus, le philosophe existentialiste auquel il s’est lié d’une amitié en or ne l’a-t-il pas lâché au dernier moment parce que celui-ci aurait refusé d’accréditer la «trêve civique» entre les rebelles du F.L.N et les colonialistes? Laquelle thèse était si chère au philosophe de «l’absurde» et au cénacle des salonards parisiens. A dire vrai, Yahia Al- Wahrani, nom local que lui attribuent ses amis algérois, n’aurait ménagé aucun effort afin de hisser l’étendard de l’Algérie au summum de la gloire et n’a jamais regretté ses choix décisifs et aurait même préféré la chaleur du giron patriotique au maillon de l’amitié des salons littéraires de celui qui l’appela non sans un brin de douceur «mi hijo» (mon fils). Hélas, la correspondance qu’il avait entamée avec cet autre fils du pays a fini tristement en eau de boudin. Le deal est rompu car l’amour de l’Algérie fut de par son intensité phénoménale, un geyser de révoltes. Tout au plus était-il en lui-même une chaleureuse poésie qui aurait accompagné en mère-génitrice l’esprit de notre poète pour le réchauffer du givre de la solitude, de l’isolement et de l’exil. C’est pourquoi, Camus s’est transformé en un «père impossible». Pire encore, il s’est paré des habits du «frère ennemi» dès qu’il a prononcé son fameux discours du récipiendaire du prix Nobel à Stokholm en 1960 où les attraits de la mère-patrie agressée en plein jour sont sciemment négligés en faveur d’une certaine justice de pacotille qui met sur un pied d’égalité et sur fond d’un langage de «l’absurde» aux intonations ambiguës, le pilleur-agresseur «dévergondé» et la mère-patrie, méprisée et humiliée. La guerre est dure, la guerre est salace, la guerre n’a pas de cœur ni d’esprit, elle est souvent trahison et haine, lâcheté et partis pris, reniements et mauvais calculs. Mais Sénac aurait-il succombé à ses traquenards, à ses miroitements et à ses pièges? Non et mille fois non. En poète rebelle et aguerri, célébrant «le soleil» et «la fraternité», ses deux comparses au moment des malheurs, il aurait refusé la prise d’otage de l’histoire par les colonialistes, l’institutionnalisation du mensonge et la fabrication des contre-vérités sur le dos d’un brave peuple. S’il a décidé de soutenir les nationalistes-rebelles, c’est parce qu’il était convaincu du bien-fondé de leur cause et tout particulièrement parce que ceux-ci ont «cru à la lumière/ comme remède unique pour l’Algérie/ ils ont formé le noyau/ forcé la nuit/forgé la nation», son activisme révolutionnaire au sein de la fédération de France du F.L.N est plus qu’un gage de bonne foi, sinon, pourrait-on dire plus, une alliance du cœur à la terre nourricière.

Parallèlement à son activité de journaliste de 1957 à 1960 à El Moudjahid, bulletin clandestin de la révolution en France, Sénac a réussi à conserver les premiers exemplaires de la plate-forme de la Soummam (20 août 1956), chez ses éditeurs parisiens et est en même temps parvenu à y installer une imprimerie pour la cause de ses frères combattants. De plus, sa démission tonitruante de la radio Alger en 1954 prenant fait et cause pour l’indépendance d’Algérie fut plus qu’une prouesse, sachant bien qu’une année auparavant il aurait permis grâce à sa revue «Terasses» aux écrivains autochtones: Mammeri, Yacine, Dib, Haddad et autres de s’exprimer et de dénoncer le drame algérien.

Outre le climat d’engagement, les années parisiennes furent également de larges périodes de découverte littéraire, Simone de Beauvoir, Emmanuel Roblès, René Char furent ses premiers contacts. Ce dernier aurait exercé même une influence considérable sur sa son avenir littéraire à tel point que Sénac l’appela «le maître constant». Ironie du sort et des circonstances, Sénac qui est en poésie comme l’on entre en religion, aurait donné sa vie pour la cause de son pays et s’est permis même «une prise de parole au nom de l’état-major des analphabètes» pour paraphraser ses propres dires, s’est vu hélas meurtri dans sa chair, nié dans ses pulsions, écarté de ses délires en plein milieu des siens, à l’aube de l’indépendance nationale. La révolution algérienne à laquelle il a si vivement lié ses rêves, l’a foulé au pied, et lui a jeté de l’opprobre à la figure car la pensée a été mise aux orties et le dogmatisme a desséché les esprits à telle enseigne que le fleuve ait été détournée de son cours. Mais la figure tutélaire du roi numide Jugurtha plane toujours au-dessus des pensées et la résistance contre les fornicateurs de l’histoire s’est accompagnée d’une «quête de vie», chez l’enfant bâtard de Béni Saf, l’obsession du père le harcèle et le pourchasse sans cesse, l’obligeant à se réfugier derrière la barricade du désir. L’amour, l’identité, et le langage traversent comme des éclairs fulgurants sa poésie. Mais le désir n’est-il pas le père de la pensée et l’ancêtre de la poésie?

La sensibilité et le poésie sont à équidistance l’une l’autre chez Sénac et le désir est cette vie mirifique qui construit l’espace des possibles, plutôt dire une fleur avec ses pétales que l’abeille «poésie» butine, cette métaphore n’est pas fortuite car notre poète y a souvent recours «parle ô tranquille fleur tisseuse des promesses/ prélude au sûr éveil de l’orage/ dis que bientôt l’acier refusera la forge et bientôt le douar entamera la nuit» écrit-il dans son recueil poétique «Matinale de mon peuple» en 1961. Néanmoins, cet espoir qu’il entretient avec le printemps, le soleil et les roses s’est usé avec le temps et devenu hélas désespoir inouï «je resterai l’enfant bâtard qui traînerait sa pensée tragique» clame-t-il plus tard aux premiers balbutiements de la liberté du pays, dans un autre contexte, il laisse ces mots émouvants et prémonitoires dans son recueil «la racaille ardente» «J’ai vu ce pays se défaire/ Avant même de s’être fait/ Corruption[…] méchanceté, vulgarité/ les pieds noirs cent fois battus», Sénac fut à la fois dans sa relation panachée à l’Algérie-Mère comme le barde italien Paolo Pasolini (1922-1975) et l’américain Whitman walt (1819-1892), tous deux victimes de convulsions de l’histoire, de mutilation identitaire et de rejet des siens. Le coup d’État de Boumédiène en 1965, édulcoré de douceur et badigeonné d’épaisses couches du «révolutionnarisme» qui sent l’odeur d’un ratage historique fut la deuxième déception plutôt dire le deuxième trépas de «l’enfant triste» de l’Algérie. Éjecté de l’Union des Écrivains Algériens, rejeté par les cercles littéraires parasitaires, Sénac, en dépit de ses émissions radiophoniques qu’il aurait animées, notamment celle de «poésie sur tous les fronts», a pris la marge comme tribune libre, en se recroquevillant sur lui-même, et en s’isolant dans sa cave, là où il aurait écrit une année avant son lâche assassinat «cette nuit dans ma minuscule cave, après avoir franchi les ordures, les rats, les quolibets et les ténèbres humides à la lueur d’une bougie, dix ans après l’indépendance, interdit d’une vie au milieu de mon peuple, écrire…», plus loin encore, il annonce sous une forme lapidaire mais fort prémonitoire, voire prophétique, son future destin «ils me tueront mais je ne quitterai jamais en lâche ce pays où j’ai tant donné de moi-même, ils feront de moi un nouveau Federico Garcia Lorca», «j’institue ma légende» renchérit-il. Son compagnon, le poète Rabah Belamri faisant le parallèle entre Sénac et Lorca écrit justement dans ce sens ce qui suit «opposés à toute forme de discrimination, les deux poètes n’admettaient aucune barrière morale entre les individus […] Ils étaient les frères de tous ceux que la société des bien-pensants marginalise et enferme dans des ghettos de réprobation». Mais quelle rencontre d’esprit entre deux géants de résistance et de poésie!

Ne saurait-on pas justement trouver dans le dernier mauvais présage de Sénac, une pertinente prophétie ? Nul doute, la sensibilité ne ment ni ne bégaie guère, une vingtaine d’années plus tard, l’un des jeunes poètes qu’il avait formé au côté de Youcef Sebti, Hamid Skif, Imaziten, Abdoun en leur consacrant tout un créneau dans son ouvrage «Anthologie de la nouvelle poésie algérienne», qui fut en l’occurrence l’écrivain Tahar Djaout, aurait péri sous les balles des «ennemis de la liberté». Lui, qui s’est d’ailleurs indigné en 1981 de l’assassinat de son maître. Néanmoins, il a pu pérenniser sa fibre patriotique durant presque deux décennies en laissant cette phrase que toute une génération d’algériens aurait apprise par cœur «si tu te tais, tu meurs, si tu parles, tu meurs, alors parles et meurs». Il n’est nullement inutile de dire par là qu’il a y a une véritable connivence poétique intergénérationnelle entre Sénac et Amrouche. Celui-ci aurait déjà sublimé en 1958 dans son recueil «ébauche d’un chant de guerre» dédié exclusivement au martyr-héros Larbi Ben M’hidi, la légitimité du combat humain contre la barbarie en écrivant «aux algériens/ on a tout pris/ la patrie avec le nom/le langage avec les divines sentences de sagesse/ qui règlent la marche de l’homme». En dernier ressort, l’on ne saurait que dire fièrement et à haute voix qu’un grand hommage au courage et à la bravoure des hommes de la trempe de Sénac est plus qu’un devoir patriotique qui pèse lourd sur les épaules de tous les algériens, sans exception ni exclusion.

Auteur
Kamel Guerraoua

 




Un luxe difficile à obtenir de la justice ?

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Vérité sur l’assassinat de Boudiaf

Un luxe difficile à obtenir de la justice ?

Après vingt ans, croire que l’assassin de l’historique a agi seul est une aberration d’esprit, pure et simple.

Après deux décennies, maintenir la thèse de l’acte isolé ayant emporté le novembriste, est un mensonge grossier que nul algérien ne peut gober. N’est-il pas temps messieurs les décideurs d’élucider ce mystère à la veille de ce cinquantenaire de l’indépendance dont feu Mohamed Boudiaf, était un artisan incontestable ? Si Tayeb El watani était bel et bien victime d’un complot qui l’emporta aux environs de 11 heures 30 minutes un certain 29 juin 1992 à Annaba. Il fut assassiné en direct, dans les propres maisons algériennes, pace que la scène y pénétra honteusement à travers à la télévision qui reçut les ordres de transmettre les images de la consternation.

Le peuple doit savoir aujourd’hui et la justice doit être présentement rendue à la mémoire de ce grand homme, à sa famille, aux Algériens et à la démocratie. Car, tant que la vérité n’éclate pas, l’acte ignoble demeure une plaie béante qui ne pourra jamais disparaitre des pages noires de l’histoire nationale. L’humble homme était victime de son Algérie avant tout, de son devoir patriotique et de son désir de changement.

Effectivement le changement était possible avec ce patriote hors pair. N’a-t-il pas redonné espoir en 168 jours seulement de règne ? N’a-t-il pas réconcilié les Algériens avec eux-mêmes et avec leur histoire ? Ne s’adressait-il pas, dans ses discours, dans un langage simple et compris par tous et toutes ? N’avait-il pas commencé à s’attaquer à la corruption qui gangrène le régime ? N’avait –il pas été intraitable avec les intégristes ?

L’homme d’Etat commençait alors à déranger parce qu’il voulait réhabiliter le peuple dans ses droits en l’invitant à rejoindre son rassemblement patriotique. Il était sincère, lui qui déclarait que les algériens se sont laisser faire et un peuple qui abandonne ses droit ne mérite qu’une dictature. Il était partant pour mettre fin à la main mise des militaires sur le pouvoir, lui qui croyait dur comme fer, dans la primauté du politique sur le militaire. Il engageait ainsi un bras de fer avec les décideurs du MDN, lui qui ne voulait pas être la caution politique et civile de l’état major en refusant, en 1961, l’offre de Boumediene transmise par l’émissaire Bouteflika, actuel président de la république.

Mais les visées démocratiques du père de la révolution n’étaient pas du goût des forces ténébreuses. Fort de son caractère têtu, Tayeb Elwatani persistait et résistait : l’état de droit devrait naitre dans le pays. Il envisageait entre autre, le réexamen du dossier du général Belloucif, jugé pour corruption au temps de Chadli, le limogeage du chef du gouvernement Ghozali et son remplacement par le démocrate Sadi. Boudiaf savait que la rue algérienne demandait des comptes et réclamait encore justice pour les victimes d’octobre 88. La vérité et la justice sont souveraines et elles seules peuvent renforcer la confiance entre le Président du HCE et le peuple, pour venir au bout d’une caste militaire.

Mais hélas cette vérité et cette justice restent vingt ans après, un luxe que tout un peuple désire, en demeurant difficile à obtenir. Ceux qui détiennent la vérité ne veulent pas mourir justes en restaurant les faits exacts de l’histoire qui appartient à tout le peuple. Les généraux Larbi Belkheir, Mohamed Lamari et Smain Lamari ont rejoint l’au-delà en emportant des secrets les impliquant dans une crise de vérité persistante. Khaled Nezzar et Mohamed Touati, des généraux en retraite demeurent toujours interpellés mais s’entêtent à masquer la vérité en se prévalant d’un droit de réserve contestable. Quant au général Toufik, son statut de patron incontestable avec un pouvoir absolu, prémunit de toute déclaration renversante. Pourtant, ils ont fait tous partie de la nébuleuse galonnée aux commandes aux moments des faits et que le tribunal de l’histoire convoque pour l’énième fois. Ils doivent rendre justice à un Homme dont la grandeur est immortelle, le parcours est inoubliable et le sacrifice est précieux. N’est-il pas noble de mourir à 73 ans, en plein fonction et au service de l’Algérie. Cette Algérie avant tout qui réclame toujours la vérité : où elle va ? La question demeure posée tant que le mensonge s’éternise !

 

 

Auteur
Zoubir Zerarga

 




Arrêt du processus électoral de 1991 : Chroniques d’un procès (V)

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Nezzar
Nezzar

La parution du livre brûlot de Habib Souaïdia « La sale guerre » aux éditions La découverte en janvier 2001, précédé de celui de Yous Nasrellah « Qui a tué à Bentalha ? » aux mêmes éditions en septembre 2000 va raviver la polémique du « qui tue qui? » longtemps entretenue dans les milieux islamistes et dans les cercles de la maffia.

« La Sale guerre » entre en scène

Il faut dire qu’en revanche, le silence sur les massacres des populations, l’absence d’une stratégie globale et hardie sur le terrain sécuritaire ainsi que la politique de minimisation sur les capacités de nuisance du terrorisme ont jeté le trouble dans l’opinion publique et contribué, par là, à alimenter le Qui tue qui ? Dès la parution de « La Sale guerre », alors que les médias français l’ont promu en best-seller et multiplié des séries d’émission sur différentes chaînes de télévision sur, notamment, la complicité de l’armée dans les massacres islamistes, les autorités algériennes n’ont pas cru devoir répondre à cette fronde qui allait pourtant secouer rudement l’institution militaire.

Dans une longue interview à Courrier international, Habib Souaïdia reconduit ses accusations contre l’Armée nationale populaire (ANP) et reconnaît appartenir au mystérieux MAOL (Mouvement algérien des officiers libres). Les témoignages contenus dans son livre, ceux notamment relatifs aux massacres de civils, viennent pourtant d’être démentis par une enquête menée sur le terrain par la rédaction de la chaîne télévisée française TF1. Dans l’émission « Sept à huit », diffusée le 8 avril 2001 par TF1, un reportage a été consacré au livre témoignage La Sale guerre, du sous-lieutenant Habib Souaïdia, radié des rangs de l’ANP. Des reporters se sont rendus sur les lieux décrits par l’auteur comme théâtre de torture et de massacres commis, selon lui, par des militaires, pour répondre à la question : « Qui tue vraiment en Algérie ? »

L’équipe de TF1, à laquelle les autorités algériennes ont délivré un visa pour effectuer son reportage, a pu s’entretenir avec plusieurs témoins des massacres. Si les médias français, dont TF1, avaient au départ pris pour argent comptant les « révélations » de Habib Souaïdia dans leur intégralité, il s’agissait notamment, dans le cas de cette enquête, d’en savoir plus sur le chapitre le plus controversé du livre, la prétendue implication de l’armée dans les massacres. Un chapitre que la rédaction de TF1 a revu et corrigé, voire même démenti. L’équipe s’est rendue à Zaâtria, un village situé entre Boufarik et Douéra, où Habib Souaïdia a déclaré qu’en mars 1993 un massacre avait été commis par des « militaires déguisés en islamistes« . Les journalistes ont découvert de visu qu’aucun massacre n’a été commis dans le village à cette date. Le seul massacre rapporté avait été perpétré le 1er mai 1995, et avait fait cinq morts au sein d’une même famille. Le père de famille à qui l’on a tendu le micro a affirmé : « Je connais les auteurs de ce massacre, ce n’est pas l’armée. » En somme, le document tire deux conclusions bien distinctes : « Aucune preuve n’est établie au sujet de l’implication de l’armée dans des massacres de civils« , mais celle-ci a eu recours à « la torture sur des personnes accusées de soutenir les GIA« , voire même « commis des assassinats extrajudiciaires. »

Souaïdia a-t-il été créé ?

Dans cet entretien paru sur le site Internet de « Courrier international« , Souaïdia passe d’une position « réconciliatrice » à une attitude qui frise la science-fiction politique. De nombreuses contradictions émaillent son témoignage et davantage ses interventions médiatiques. Même les médias qui ont pris pour argent comptant ses thèses n’ont pas manqué d’en relever des discordances. En effet, à la question de savoir comment sera dirigée la rébellion contre les généraux, il dit être « en contact depuis dix mois avec le MAOL« . Abordant ses rapports avec la presse algérienne, il l’accuse de magouiller avec l’armée et, ainsi, de faire front contre lui. Cette raison invoquée pour fustiger la presse indépendante montre un Souaïdia plutôt sur la défensive.

Il est décalé par rapport à l’évolution des événements, notamment des ripostes à sa thèse, qui se sont exprimées tant en Algérie qu’en France. Pour preuve de ces propos fantaisistes, voire farfelus, dénués de tout fondement, ce deuxième constat qu’il fait sur la presse : « Même quand il y a des massacres dans les rues, la presse n’en parle généralement pas. Personne n’en parle. Parce que toute cette presse sait que ces gens-là soutiennent les groupes armés. Tout le monde sait ce qui se passe et personne n’a osé dire non. Chaque matin, quand les gens sortent, ils trouvent des douzaines de cadavres. Éparpillés un peu partout, à Alger, à Oran, à Médéa. Les gens du quartier, ils savent que c’est l’armée qui a tué. Ils ont peur. » Pour lui, les journalistes qu’il considère comme « honnêtes« , et qu’il dit ne pas connaître, doivent se convaincre de sa thèse, et tous les autres feraient une presse qui ne se vend pas. Souaïdia a-t-il été créé ? La question mérite d’être posée. Illustre inconnu avant La Sale guerre, il déferle d’un seul coup sur les médias français et c’est avec une facilité déconcertante, grâce aux éditions La Découverte, qu’il occupe les devants de la scène politique algérienne dans l’Hexagone.

Dans sa réponse apportée une année après la publication de La Sale guerre, Mohammed Sifaoui, dans La Sale guerre, histoire d’une imposture relève quelques traits du personnage qui ne le prédestinaient nullement à être l’auteur d’un best-seller. La création de Souaïdia vient-elle de François Gèze, directeur des éditions La Découverte et des milieux de l’Internationale socialiste. En tout cas, un fait probant : Sifaoui accuse le directeur des éditions La Découverte d’avoir réécrit sur le fond le manuscrit qu’il a rédigé en recueillant les témoignages de Souaïdia qui, à l’origine, selon Sifaoui, n’abondaient pas du tout dans l’accusation de l’armée algérienne d’être l’auteur des massacres.

C’est, dans ce contexte, que François Gèze, éditeur français du livre La Sale guerre poursuivait en diffamation le journaliste algérien Mohamed Sifaoui. Il reprochait à M. Sifaoui d’avoir dit qu’il avait remanié le contenu du livre afin de mettre à la charge de l’armée, plutôt que des islamistes, la responsabilité des événements sanglants. M. Sifaoui avait exprimé cette opinion lors d’une réunion en janvier 2001, dans un communiqué de presse du 8 février et une interview au magazine Marianne le 18 février de la même année. Réfugié politique en France, M. Sifaoui avait expliqué à l’audience du 5 septembre 2001 avoir signé un contrat d’édition avec M. Gèze le 6 juillet 2000 pour écrire avec Habib Souaïdia, ex-militaire algérien également réfugié, un livre qui serait un témoignage commun. Selon l’éditeur, M. Sifaoui n’avait pas compris que même si le contrat le qualifiait d’ »auteur« , comme Souaïdia, il n’avait pas pour commande d’apporter son propre témoignage mais seulement de mettre en forme celui du militaire qui parlait mal le français. Le conflit était apparu lorsque M. Gèze avait refusé les manuscrits de M. Sifaoui qui ne faisaient pas uniquement état du témoignage du militaire. Devant la résistance de M. Sifaoui, M. Gèze avait pris « la décision de faire lui-même le travail de réécriture et de publier le livre sous la seule signature de Habib Souaïdia. » Le tribunal du TGI de Paris a estimé que « du fait du itige éditorial l’opposant à La Découverte, Mohamed Sifaoui était fondé à s’exprimer publiquement, et il convient de retenir que son expression n’a pas dépassé les limites admissibles en la circonstance. »

Bouteflika alimente le « qui tue qui ?« 

Dans un discours du 9 octobre 2001, le président Bouteflika a demandé aux familles des « disparus » de « faire confiance à l’administration » et de ne rien faire qui « puisse ternir l’image du pays ou des Algériens ». Les représentants du gouvernement ont continué à fournir des statistiques sur les affaires que le gouvernement affirme avoir « élucidé« , sans jamais donner, malgré ces assurances et promesses, la moindre information utile aux familles. Dans son rapport publié en juin, la parlementaire européenne Hélène Flautre signale que le ministre de la Justice, Ahmed Ouyahia, lui a déclaré que sur les trois mille dossiers de disparition traités par la justice, « la clarté a été faite sur mille cas : 833 [disparus] étaient des terroristes quatre-vingt-treize ont été abattus, quatre-vingt-deux sont détenus, soixante-quatorze sont rentrés chez eux et sept repentis bénéficient de la grâce amnistiante de la Concorde civile. »

Les autorités n’ont cependant fourni aux familles aucun élément concret prouvant que certains des disparus avaient rejoint les groupes armés. Sur les milliers de membres des groupes armés qui se sont rendus, on n’aurait retrouvé pratiquement aucun « disparu ». Ces repentis n’auraient pas quant à eux fourni la moindre information corroborant l’hypothèse du gouvernement, selon laquelle de nombreuses personnes présumées « disparues » étaient à leurs côtés dans le maquis.

Il n’y a eu par ailleurs aucun progrès pour retrouver des individus figurant parmi les milliers de civils algériens présumés enlevés par les groupes armés. Très peu de familles ont eu la moindre nouvelle de leurs parents enlevés, malgré la découverte de plusieurs charniers censés être liés au conflit, et la reddition de plusieurs milliers de militants, dont certains auraient pu être au courant des enlèvements.

Selon les avocats des droits de l’Homme, les forces de sécurité auraient continué à torturer les détenus soupçonnés d’avoir participé aux actions des groupes armés ou d’en avoir eu connaissance.

Habib Souaïdia, dans La Sale guerre, ouvrage qui constitue, à ce jour, même après celui de Lyès Laribi Dans les geôles de Nezzar (Ed. Paris Méditerranée 2000) le réquisitoire le plus accablant sur le comportement de l’armée y décrit les méthodes de torture et d’exécution sommaire qui auraient été employées par les unités anti-terroristes à l’encontre des islamistes présumés ainsi que d’autres abus auxquels il affirme avoir assisté, entre 1993 et 1995: « J’ai vu des collègues brûler vif un enfant de quinze ans. J’ai vu des soldats se déguiser en terroristes et massacrer des civils. J’ai vu des colonels assassiner, de sang-froid, de simples suspects. J’ai vu des officiers torturer, à mort, des islamistes. J’ai vu trop de choses (…) Je venais de participer à un massacre. C’était la première fois que je me sentais complice d’un crime Des gens qu’on arrête, qu’on torture, qu’on tue et dont on brûle les cadavres. Un cycle infernal : depuis mon arrivée (…), J’avais vu au moins une centaine de personnes liquidées. »

Dans l’édition du quotidien Le Monde du 8 février 2001, Habib Souaïdia affirme que des militaires déguisés en terroristes ont massacré des civils et que de simples suspects ont été exécutés par des soldats. Il passe donc à une autre échelle en accusant l’armée dans les massacres de populations. Jamais jusqu’ici un officier n’avait livré un témoignage aussi accablant contre l’armée algérienne. Et jamais les chefs de l’armée n’avaient été mis en cause nommément. Les associations de défense des droits de l’homme, principalement Human Right Watch s’en saisissent. Dans son rapport intitulé « Vue d’ensemble sur la situation des droits de l’Homme en Algérie« , l’ONG relèvait qu' »aucun progrès n’a été fait pour localiser ou élucider le sort des milliers d’Algériens enlevés par les forces de sécurité, essentiellement entre 1994 et 1996. Bien qu’il n’y ait eu en 2001 aucun nouveau cas de détention par les forces de sécurité, suivie de disparition prolongée, plusieurs familles se sont manifestées pour signaler des disparitions remontant aux années quatre-vingt-dix. » L’Association nationale des familles de disparus a pour sa part déclaré qu’elle avait enregistré plus de sept mille cas avérés de disparition. Les responsables algériens ont fini par considérer que La Sale guerre s’inscrivait dans une campagne visant à salir le gouvernement.

Le 22 août 2002, Khaled Nezzar annonce dans une conférence de presse à la maison de la presse Tahar-Djaout d’Alger avoir chargé ses avocats du barreau de Paris et du barreau (Alger) de déposer plainte devant la juridiction française compétente pour défendre ses droits et intérêts contre ce qu’il qualifie d' »orchestration médiatique« .

Nezzar contre-attaque

« Qui tue? » Cette question, on s’en souvient, fut posée après les massacres qui avaient ensanglanté l’Algérois à l’automne 1997, que les médias nationaux avaient présenté comme un fait divers trop important pour passer sous silence comme le furent les massacres précédents. À l’époque, de nombreux observateurs évoquèrent la responsabilité de l’armée. Ce faisant, ils s’attirèrent les foudres des autorités d’Alger, mais aussi celles d’intellectuels français qui volèrent au secours du régime algérien avec force reportages et documentaires destinés à prouver que seuls l’islamisme et son bras armé se rendaient coupables de tels crimes. Près de quatre années plus tard, les deux ouvrages publiés en France par le même éditeur, La Découverte, relancent une polémique qui en réalité n’a jamais cessé. La question est simple : le régime algérien a-t-il, oui ou non, manipulé la violence afin de se maintenir au pouvoir ? Pour justifier sa politique de répression vis-à-vis des islamistes, a-t-il encouragé ses propres forces de sécurité à endosser l’habit de groupes armés afin de mieux couper les GIA de la population, mais aussi de recevoir, dans le même temps, un plus franc soutien de la part de l’Occident ?

Toutes ces questions, suscitées il est vrai par la minimisation de la capacité de nuisance par les autorités algériennes, allaient occuper l’opinion public dans un schéma fort simplifié : puisque c’est le système qui a créé l’islamisme et le terrorisme pour se maintenir au pouvoir, la complicité de ce même pouvoir avec le terrorisme est évidente, pensait-on.

Rescapé du massacre de Bentalha, qui, le 22 septembre 1997, fit plus de 400 victimes dans la banlieue d’Alger, Nesroulah Yous apporte un témoignage saisissant sur ce que fut le quotidien de ces dizaines de bourgades entourant la capitale algérienne aux heures les plus noires de la violence. L’auteur, à la différence de Habib Souaïdia qui accuse ouvertement l’armée dans les massacres, le suggère par ses interrogations quant aux auteurs du massacre. Pourquoi, demande-t-il, les populations de Bentalha n’ont-elles pas été protégées ou armées comme elles le demandaient ? Pourquoi, ajoute-t-il, l’armée, pourtant si proche, n’est-elle pas intervenue, alors que le massacre a duré toute une nuit et qu’un hélicoptère a survolé la zone durant le massacre ?

R. M.

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