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mardi 1 juillet 2025
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Les dockers CGT du port de Fos refusent de charger du matériel à destination d’Israël

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Port de Marseille

Marseille. Dans un geste fort à la portée symbolique et politique, la Confédération Générale des travailleurs (CGT) des ouvriers dockers et des personnels portuaires du Golfe de Fos a annoncé ce mercredi son refus catégorique de charger un conteneur contenant du matériel militaire destiné à l’armée israélienne.

Selon le communiqué publié par le syndicat, il s’agit de 19 palettes de maillons pour fusils mitrailleurs, produits par l’entreprise marseillaise Eurolink. Ce matériel devait être expédié dans l’après-midi via le port de Marseille-Fos à destination du port d’Haïfa, en Israël.

Alertés par plusieurs réseaux, les dockers ont rapidement identifié le conteneur incriminé, qu’ils ont décidé de mettre de côté. « Les dockers et portuaires du Golfe de Fos ne participeront pas au génocide en cours orchestré par le gouvernement israélien », déclare le syndicat.

Fidèles à une tradition de lutte et de solidarité internationale, les travailleurs portuaires réaffirment leur attachement aux valeurs de paix et de justice. « Nous sommes pour la paix entre les peuples. Nous sommes opposés à toutes les guerres. »

La CGT portuaire déplore les conflits armés, leurs conséquences humaines désastreuses et l’exploitation capitaliste qui les alimente. Elle appelle à une mobilisation plus large contre la militarisation des ports français et l’implication indirecte de la France dans les conflits en cours.

Un précédent historique

Ce n’est pas la première fois que les dockers français prennent position contre des opérations militaires controversées. À plusieurs reprises dans le passé, notamment lors des interventions en Irak ou à Gaza, des syndicats de dockers avaient refusé de charger ou de décharger des navires transportant du matériel de guerre.

Dans un contexte marqué par la guerre à Gaza, où les bombardements israéliens sur la population palestinienne ont suscité une indignation mondiale croissante, ce geste des dockers du port de Fos prend un relief particulier.

En France, alors que le gouvernement reste discret sur la traçabilité des exportations d’armes et de composants militaires, cette action vient rappeler que les travailleurs de la logistique portuaire sont aussi des acteurs de conscience, capables de s’opposer, concrètement, à ce qu’ils considèrent comme une participation indirecte à un massacre.

Un appel à la responsabilité

Le syndicat conclut son communiqué par un appel à la paix et à l’arrêt des guerres dans le monde, tout en dénonçant les logiques de profit qui les sous-tendent. « Le port de Marseille-Fos ne doit pas servir à alimenter l’armée israélienne. Pour la paix. Pour une société débarrassée de l’exploitation capitaliste. »

Alors que les mobilisations pour la Palestine se multiplient dans de nombreuses villes d’Europe, ce geste des dockers français pourrait inspirer d’autres initiatives syndicales et citoyennes, en France comme ailleurs.

Djamal Guettala

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L’ex-ministre, Abdelkader Khomri, lourdement condamné

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Abdelkader Khomri,
Abdelkader Khomri,

L’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Abdelkader Khomri (71 ans), a été condamné mercredi à huit ans de prison ferme et un million de dinars d’amende par le pôle pénal économique et financier du tribunal de Sidi M’hamed. Un verdict sévère qui illustre la volonté des autorités judiciaires de s’attaquer aux figures emblématiques de la corruption ayant marqué l’ère Bouteflika.

Cette peine, parmi les plus lourdes infligées à un ancien ministre dans une affaire de malversations, intervient à l’issue d’un procès qui a révélé l’ampleur des abus commis entre 2014 et 2015, période durant laquelle Khomri dirigeait le département de la Jeunesse et des Sports.

L’enquête, fondée sur des rapports accablants de l’Inspection générale des finances, a mis en lumière des pratiques systématiques de détournement de fonds publics, des violations des règles de passation des marchés, ainsi que l’octroi d’avantages indus à des tiers.

Évincé du gouvernement en mai 2015, Abdelkader Khomri s’était depuis retiré de la vie publique. Mais son nom est revenu au cœur de l’actualité judiciaire dans le cadre d’un vaste dossier de corruption lié à la gestion de projets relevant de son ministère. 

Des condamnations en cascade dans les secteurs de la jeunesse et de la communication

Dans la même affaire, plusieurs anciens responsables ont également été condamnés. À l’Agence nationale de divertissement pour la jeunesse, Mohamed Khemisti, ex-directeur général, a été condamné à cinq ans de prison ferme et un million de dinars d’amende. Un autre cadre (F.M.) a écopé de trois ans, tandis qu’une ancienne directrice de la jeunesse au ministère (également désignée par F.M.) a été condamnée à quatre ans de prison et à la même amende.

Du côté de l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP), l’ex-directeur général Ahmed Bousenna a été reconnu coupable et condamné à deux ans de prison ferme et 500 000 dinars d’amende. Des peines identiques ont frappé d’anciens responsables internes de l’agence, dont l’ex-directeur de la publication Lazhari Labter et l’ancien directeur des finances A. Mourad.

D’autres procédures sont en cours concernant la gestion de l’ANEP. Elles ont déjà conduit, en mars 2023, à l’incarcération de deux anciens directeurs, Djamel Kaouane et Amine Echikr  et au placement sous contrôle judiciaire de l’ex-ministre de la Communication, Hamid Grine.

La rédaction

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Jean-Pierre Luminet : aux frontières du cosmos, entre science et poésie

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Jean-Pierre Luminet

Jean-Pierre Luminet, né à Cavaillon, est une figure éminente de l’astrophysique française, dont l’œuvre rayonne bien au-delà des sphères scientifiques. Astrophysicien de renom, écrivain accompli et poète inspiré, il s’est imposé comme une voix singulière à l’intersection de la science, de la littérature et de l’art.

Internationalement reconnu pour ses travaux pionniers sur les trous noirs et la cosmologie, il a occupé des postes de recherche prestigieux, notamment au sein du CNRS en tant que directeur de recherche émérite, après avoir exercé au Laboratoire Univers et Théories (LUTH) de l’Observatoire de Paris-Meudon, puis au Laboratoire d’astrophysique de Marseille.

Scientifique rigoureux et vulgarisateur passionné, Jean-Pierre Luminet s’est illustré en 1979 en réalisant la première simulation visuelle des distorsions optiques provoquées par un trou noir entouré d’un disque d’accrétion, une avancée qui a profondément influencé la manière dont ces objets célestes sont représentés, jusqu’à inspirer des œuvres cinématographiques telles qu’Interstellar. Parallèlement à ses contributions fondamentales en astrophysique, il s’est donné pour mission de transmettre le savoir scientifique au plus grand nombre, en cultivant un dialogue fécond entre science et création artistique.

Auteur prolifique, il a publié près d’une cinquantaine d’ouvrages mêlant essais scientifiques, romans historiques et recueils de poésie. Parmi ses titres phares, L’Univers chiffonné propose une réflexion sur la topologie cosmique, tandis que Le Bâton d’Euclide invite à plonger dans l’histoire de la bibliothèque d’Alexandrie, et L’Invention du Big Bang retrace les grandes étapes de la découverte de l’univers en expansion.

Ces dernières années, il a enrichi sa bibliographie de nouvelles publications qui témoignent de la diversité de ses intérêts et de la richesse de sa pensée. Voyager dans un trou noir avec Interstellar (Dunod, 2025) décrypte les représentations scientifiques du film de Christopher Nolan. Les trous noirs en 100 questions (Tallandier, 2024) répond avec clarté aux interrogations que suscitent ces énigmes cosmiques. Avec L’écume de l’espace-temps (Odile Jacob, 2024), il livre une méditation poétique et scientifique sur la nature de l’univers, tandis que La vie dans le cosmos (Glénat, 2023) explore les conditions de l’émergence de la vie au-delà de la Terre. Il rend également hommage à l’histoire de l’astronomie à travers Histoires extraordinaires et insolites d’astronomes (Phébus, 2023), et aborde les grandes notions de l’infini dans De l’infini (Dunod, 2023), coécrit avec Marc Lachièze-Rey. Son ouvrage Les nuits étoilées de Van Gogh (Seghers, 2023) révèle la profondeur scientifique de l’univers pictural du célèbre peintre, tandis que Le big bang : de l’origine à l’avenir de l’univers (Glénat, 2022) et L’univers en 40 questions (J’ai lu, 2022) proposent des synthèses accessibles sur la naissance et le devenir du cosmos.

Son œuvre est publiée par des maisons d’édition prestigieuses telles que Dunod, Odile Jacob, Glénat, Tallandier, Seghers ou encore Phébus, témoignant de la reconnaissance de son talent par les milieux éditoriaux. À travers une approche multidisciplinaire, Jean-Pierre Luminet construit un pont subtil entre la rigueur scientifique et la sensibilité artistique, ce qui fait de lui une figure incontournable de la culture scientifique contemporaine, à la fois savant, conteur et passeur d’univers.

Dans cet entretien, Jean-Pierre Luminet nous ouvre les portes de son univers, à la croisée de la science, de la littérature et de la poésie. Astrophysicien de renom, pionnier dans l’étude des trous noirs, écrivain passionné par l’histoire des idées, et poète contemplatif du cosmos, il incarne une rare alliance entre rigueur scientifique et sensibilité artistique.

Au fil de cette conversation, il revient sur son parcours, ses recherches fondamentales, ses engagements pour la diffusion du savoir, ainsi que sur sa vision singulière d’un univers qui ne cesse de se réinventer entre l’infini des équations et l’inspiration des étoiles.

Le Matin d’Algérie : Vous avez consacré une grande partie de votre carrière aux trous noirs et à la forme de l’univers. Quelle découverte ou intuition vous semble aujourd’hui la plus marquante ou prometteuse pour la cosmologie du XXIe siècle ?

Jean-Pierre Luminet : J’ai en effet consacré plus de trente années de recherches à ces astres les plus fascinants du cosmos que sont les trous noirs, pièges gravitationnels dont même la lumière ne peut pas sortir. Leur surface, appelée « horizon des événements », est une sphère totalement obscure. C’est donc un défi que de les visualiser. Mais dès lors qu’un trou noir est entouré de matière –du gaz, des étoiles –, il l’influence et la fait briller d’une manière caractéristique. Par des calculs théoriques mettant en jeu les équations de la relativité générale, on peut alors reconstituer l’image virtuelle d’une structure lumineuse quelconque autour d’un trou noir, par exemple celle d’un disque de gaz chaud qui tourne autour, en tenant compte des distorsions d’espace-temps, des déformations d’images et autres effets caractéristiques … J’ai été le premier à faire ce travail en 1978, à l’aide des outils informatiques assez rudimentaires de l’époque, et j’ai prédit que ce type d’image pourrait s’appliquer à un trou noir géant dont on soupçonnait l’existence au centre de la lointaine galaxie M87. En fournissant en avril 2019 la première image télescopique de l’ombre du trou noir M87 et de son disque d’accrétion, le Consortium international Event Horizon Telescope a démontré quarante ans plus tard la justesse de mes calculs. 

J’ai aussi été parmi les premiers à étudier, dans les années 1980, les effets du passage d’une étoile au voisinage d’un tour noir supermassif, montrant que ce phénomène pouvait se traduire par une destruction de l’étoile sous forme de « crêpe stellaire », en raison des effets de marée intenses causés par la proximité du trou noir. Ma théorie des « destructions maréales » (en anglais TDE, « tidal Disruption Events ») a été confirmée à partir de 2004 grâce à des télescopes embarqués sur satellites, qui détectent des sursauts de luminosité provenant d’étoiles brisées par des trous noirs massifs situés au cœur de galaxies lointaines. 

Un autre de mes thèmes de prédilection est la cosmologie – étude des propriétés à grande échelle de l’univers –, et plus particulièrement le vieux questionnement sur la forme de l’espace – est-il fini ou infini, a-t-il des limites, une forme, etc. ? La relativité générale ne suffisant pas, il faut rajouter des hypothèses venant d’une branche de la géométrie pure appelée la topologie, qui étudie les formes possibles des espaces. A partir des années 1990 j’ai donc commencé à explorer les formes théoriquement possibles de l’espace et à les importer dans les fameux modèles de Big Bang, ouvrant la voie à une nouvelle discipline appelée « topologie cosmique ». J’ai traduit l’idée que notre Univers puisse être d’extension spatiale finie mais sans bord par le terme d’« univers chiffonné », et cela m’a conduit en 2003 à interpréter, avec ma petite équipe de collaborateurs, certaines anomalies observées dans le rayonnement de fond cosmologique comme résultant de la signature d’un espace sphérique de forme dodécaédrique. 

Mais pour enfin répondre à votre question concernant les découvertes ou avancées théoriques des 20 dernières années les plus marquantes pour ma discipline, j’en citerai deux. L’une, de nature expérimentale, est la détection longtemps attendue des ondes gravitationnelles. Selon la théorie de la relativité générale, lorsque des corps massifs sont en mouvement dans l’univers, la courbure qu’ils impriment à l’espace-temps se propage de manière analogue à des vagues à la surface de l’eau. On désigne par « onde gravitationnelle » ce type de perturbation, qui se déplace à la vitesse de la lumière.

Einstein avait prédit leur existence en 1916, mais ces ondes sont de si faible amplitude qu’elles sont incroyablement difficiles à mesurer. Un siècle plus tard, les chercheurs ont réussi à mettre au point des détecteurs d’ondes gravitationnelles et en 2016, une annonce historique a rapporté la première détection directe d’ondes gravitationnelles émise par la fusion de deux trous noirs. Lors de cet événement baptisé GW150914, deux trous noirs de trente masses solaires situés à plus d’un milliard d’années-lumière de la Terre s’étaient unis pour former un trou noir unique. Dans la fusion, trois masses solaires s’étaient volatilisées en énergie gravitationnelle en moins d’une seconde. Depuis cette première captation, une centaine d’autres événements de même nature ont suivi, signant les débuts de « l’astronomie gravitationnelle », seule capable de fournir d’irremplaçables données sur les trous noirs et l’univers invisible. 

La deuxième avancée est d’ordre purement théorique. Le rêve des physiciens du XXIe siècle est d’unifier les deux grandes théories du siècle précédent, à savoir la relativité générale décrivant la gravitation qui gouverne l’univers à grande échelle, et la physique quantique décrivant les particules élémentaires.

Malheureusement ces théories sont incompatibles entre elles pour des raisons trop complexes pour être résumées ici. Il faut donc faire preuve de beaucoup d’imagination pour construire une théorie unifiée, dite de « gravitation quantique ». Dans un de mes livres récents, L’Écume de l’espace-temps, je brosse une vaste synthèse du sujet et décris sept approches différentes de gravitation quantique, qui chacune ouvre des perspectives fascinantes sur la nature ultime du cosmos, comme le multivers, l’existence de dimensions cachées de l’espace ou encore l’atomisation de l’espace et du temps.

Pardon d’avoir été un peu long à répondre à votre première question, mais ces sujets m’occupent depuis cinquante ans et ne cesseront de m’occuper l’esprit jusqu’à ma mort. Mais pas que… 

Le Matin d’Algérie : Vous êtes à la fois astrophysicien, romancier, essayiste et poète. Comment parvenez-vous à concilier ces différentes formes d’expression, et en quoi chacune nourrit-elle l’autre ?

Jean-Pierre Luminet : Adolescent déjà, je fourmillais d’intérêts divers et variés. Les sciences et les mathématiques, mais aussi la peinture, la poésie, la littérature et surtout la musique. La vie pour moi, c’est créer, penser, aimer. J’ai conduit ma vie en essayant sans cesse de me surpasser. Le métier de chercheur en physique fondamentale exige beaucoup, notamment en termes de création. Il comporte aussi un côté « aventure intellectuelle » et un aspect ludique qui le rendent très séduisant. Et puis, il y a la notion de risque. Très important le risque.

Aujourd’hui, j’ai l’impression que notre société s’assure pour tout. Je trouve cela insupportable. La vie est une prise permanente de risque. Rien n’est jamais acquis, il faut être prêt à tout.

Les mathématiques m’ont apporté beaucoup de satisfaction parce qu’elles correspondaient tout à fait à mes appétences pour l’abstraction, mais cela ne suffisait pas. Les démarches artistiques, littéraires ou philosophiques utilisent des langages complètement différents, d’autres façons de voir et de comprendre le monde qui nous entoure. J’ai malgré tout opté pour la profession de chercheur quand j’ai compris que la recherche théorique était tout aussi créative, faisant appel à toutes les ressources de l’imagination.

Mais loin d’abandonner mes activités artistiques, je les ai au contraire renforcées, notamment en essayant de tisser des liens entre art et science. Pas toujours de manière très consciente, d’ailleurs. Je me suis aperçu qu’il y a souvent eu des influences souterraines, des « fertilisations croisées ». Ces autres approches — musique, arts plastiques, poésie, écriture — nourrissent une forme de transcendance. Cela permet d’aller au-delà de ce que la science peut nous révéler. Selon moi, la science ne dit pas tout sur le monde. Mais cette opinion n’est pas universellement partagée. 

En tout cas, mes activités apparemment disparates forment vraiment un tout dans mon esprit.

Le Matin d’Algérie : En tant que scientifique et humaniste, quel regard portez-vous sur notre place dans l’univers ? Le progrès des connaissances a-t-il modifié votre propre rapport au sens ou à la spiritualité ?

Jean-Pierre Luminet : Même si j’ai été éduqué dans un collège privé catholique, à l’âge adulte j’ai pris du recul et je ne crois plus en aucune religion instituée. Cependant, on fait souvent l’erreur de croire que l’athéisme et le matérialisme évacuent la spiritualité.

Pour moi, la forme la plus haute de la pensée humaine est bien la spiritualité, mais une spiritualité qui ne passe pas forcément par la croyance en un Être supérieur, un Dieu ou un Grand architecte, appelez-le comme vous voulez. La vraie spiritualité se manifeste par les actes d’amour, de bonté, de tolérance, de générosité, de bienveillance envers autrui. Et plus particulièrement dans la vie sentimentale, dans la vie de couple et de famille, où la spiritualité consiste à donner tout ce l’on pense être le meilleur de soi : le soutien affectif, le dévouement, la bienveillance, le partage. On se rend compte que ce n’est pas si facile.

Chaque individu a sa propre histoire, ses limites, il ne perçoit pas toujours bien les demandes de l’autre, ou bien cet autre n’est pas forcément en mesure d’accepter le don et de le rendre, ce qui peut engendrer beaucoup d’incompréhensions et rendre les choses compliquées. Voilà pour moi les plus hautes formes de spiritualité, parfaitement compatibles avec le matérialisme et l’athéisme. En un certain sens je suis « mystique », mais pas au sens traditionnel du terme ! Encore que je me souvienne qu’entre mon adolescence et la trentaine, ayant quitté mes croyances catholiques, mon tempérament me portait vers les interrogations au-delà du monde matériel. J’ai lu nombre de livres sur les philosophies orientales, j’ai lu aussi les œuvres des grands mystiques comme Jean de La Croix et Thérèse d’Avila, je me suis même intéressé de près à l’ésotérisme, à l’hermétisme et à l’alchimie. La question que je me suis posée – et que je me pose encore parfois – c’est de savoir si, à travers leurs récits d’une bouleversante profondeur, les grands mystiques ont eu la chance d’accéder à quelque chose qui m’a échappé, ou bien s’il s’agissait d’un état de conscience altéré produit par un fonctionnement particulier de leur cerveau. 

Le Matin d’Algérie : Vous avez souvent collaboré avec des artistes et des compositeurs. Pensez-vous que la science a quelque chose à apprendre de l’art et inversement ?

Jean-Pierre Luminet : Il y a une véritable fascination de certains écrivains – poètes, philosophes, romanciers – et artistes – plasticiens, musiciens, architectes – pour le ciel et les étoiles. Un mélange de beauté et d’émerveillement. Mélange qui, aujourd’hui, tend malheureusement à disparaître : avec les lumières de la ville, on ne capte plus la beauté du ciel. Jean Giono évoquait souvent la nuit étoilée parce que, vivant à Manosque, il avait sous les yeux un ciel d’une extraordinaire pureté. Pensons aussi au bouleversement de Vincent van Gogh lorsqu’il a découvert la beauté des nuits provençales – je lui ai d’ailleurs récemment consacré un livre entier ! 

Derrière cette fascination pour les choses du ciel, il y a certes une part esthétique, mais il y a surtout un « étonnement philosophique ». Ainsi Gaston Bachelard faisait-il souvent allusion aux abîmes et profondeurs de l’âme humaine, en résonance avec la vertigineuse grandeur de l’espace cosmique. Cette résonance est profondément ancrée en nous : l’homme qui pense et réfléchit, y compris sur sa propre destinée, a tendance à jouer le jeu du miroir entre ce qu’il perçoit dans un monde très lointain et ce qui l’entoure dans son monde intime. Nous cherchons dans le ciel étoilé quelque chose qui dépasse la condition humaine, une sorte de correspondance avec nos abîmes intérieurs – tout aussi insondables. Les poètes les plus profonds sont ceux du sentiment cosmique, c’est-à-dire ceux qui retranscrivent le miroir entre leur propre univers et l’Univers qui les entoure. 

Aussi majestueuses soient-elles, les interprétations artistiques ou littéraires du cosmos ne font cependant pas avancer l’état de la recherche scientifique, du moins de façon directe. Mais les poètes, les philosophes et les romanciers aident à nourrir une certaine esthétique, qui me semble fondamentale pour les scientifiques. Ces derniers ne s’inspirent pas de leurs écrits pour élaborer une théorie scientifique, mais, à l’inverse, ils corroboreront peut-être des intuitions d’artistes. L’influence de l’art sur la science est surtout souterraine : les artistes permettent aux scientifiques de baigner dans une culture générale indispensable au développement d’une esthétique. 

Or il faut bien comprendre que, quand on est scientifique (je pense surtout aux physiciens théoriciens, qui élaborent des théories à partir de concepts), l’esthétique joue un rôle fondamental. C’est en effet un pari de la science, et en particulier de la physique, que de supposer que l’univers obéit à des lois organisatrices. Le pari pythagoricien ou platonicien consiste à croire que l’univers obéit à une certaine organisation – fruit du hasard ou d’une intelligence supérieure, mais cela est un autre problème… – et que cette organisation possède ses lois, les plus unitaires possibles : s’il y a une loi particulière pour chaque phénomène de la nature, alors ce ne sont pas des lois générales. Le pari du scientifique consiste à chercher des lois organisatrices et unificatrices. 

C’est ce pari qui fonde la physique depuis vingt-cinq siècles. Et ça marche plutôt bien, même si ces lois changent au cours du temps et deviennent de plus en plus invisibles.  Mais elles expriment toujours par des préceptes de symétrie, d’arithmétique, de géométrie… C’est précisément cela qui forme une esthétique, une élégance. Je rappelle que le mot «cosmologie» a la même racine que «cosmétologie», et renvoie à l’ordre, à la beauté, à l’arrangement. 

Pour en venir enfin à mes nombreuses collaborations avec des artistes (musiciens, graveurs, plasticiens, écrivains, architectes), je citerai notamment celle avec le compositeur Gérard Grisey, avec qui j’ai conçu le spectacle musical et astronomique Le Noir de l’Étoile, pour six percussionnistes, bande magnétique et retransmission de signaux astronomiques. L’œuvre, créée en 1991, intègre les battements métronomiques de pulsars captés par un radiotélescope dans une musique écrite pour percussionnistes humains. Plus récemment (2018), j’ai aussi eu la chance de collaborer avec le compositeur catalan Hector Parra, qui a composé une vaste pièce d’orchestre intitulée Inscape et décrivant un voyage imaginaire à travers un trou noir géant, ainsi qu’avec le compositeur franco-américain Gerard Pape dans une pièce pour voix, flûtes et électronique intitulée Atomes d’espace de temps (2024).

Le Matin d’Algérie : Dans un monde saturé d’informations, comment redonner aux sciences fondamentales la place qu’elles méritent dans la culture générale ? Que diriez-vous à un jeune qui hésite à se lancer dans une carrière scientifique ?

Jean-Pierre Luminet : Les méthodes de la physique fondamentale n’ont presque rien en commun avec celles des sciences du vivant, comme la biologie, et encore moins avec les sciences médicales, qui ne sont pas vraiment des sciences fondamentales mais plutôt des recherches empiriques. Chaque domaine a ses spécificités, et appliquer une prétendue méthode scientifique universelle à tous ces champs ne mène pas toujours à des résultats pertinents. Un glissement se produit quand on oublie cette variété et qu’on tente d’uniformiser ou de généraliser des principes qui ne sont pas adaptés à chaque discipline. C’est là que naissent des malentendus et des critiques envers certains secteurs relevant normalement de la science, qui peuvent affaiblir la confiance envers la science dans son ensemble.

On tend à sacraliser la science, oubliant qu’elle peut être détournée de son essence pour servir des objectifs idéologiques ou politiques. Ce n’est pas une nouveauté ; des exemples comme la science de Trofim Lyssenko sous le communisme montrent comment des idées scientifiques ont été manipulées pour soutenir une doctrine. Certains dévoiements actuels de la science obéissent à une logique similaire : transformer un contenu scientifique pour promouvoir une politique ou une gouvernance.

J’ai tenté de lutter contre ce type de dérive en optant pour une prise de parole publique et assumée. Durant la pandémie de Covid par exemple, j’ai tenu un journal où j’ai exprimé mes doutes et ma colère face à la manière dont toute réflexion divergente était systématiquement écartée ou caricaturée comme complotiste. Je ne me suis donc pas exprimé pour soutenir une idéologie, mais pour défendre l’idée fondamentale que le seul progrès repose sur le dialogue, sur l’écoute des points de vue différents et sur le respect de l’altérité de la parole. C’est dans cette confrontation constructive que les idées mûrissent et s’affinent.

Ces prises de position m’ont valu de me faire des ennemis dans certains cercles scientifiques, mais aussi des soutiens inattendus. Des collègues m’ont avoué que j’exprimais tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, mais qu’ils n’osaient pas dire pour préserver leurs carrières. Cela m’a conforté dans l’idée qu’il est essentiel de défendre une liberté d’expression éclairée, même dans des contextes tendus.

Selon moi, nous sommes encore dans les balbutiements du savoir. Même si, au moins dans les sciences de l’univers, nous disposons d’outils et de théories extraordinairement sophistiqués pour décrire l’évolution des étoiles, l’expansion de l’univers, les trous noirs et autres phénomènes extraordinaires, nous restons encore aux prémices de la compréhension de cet univers dans lequel nous sommes.

Je pense par exemple que nous progressons très lentement dans les sciences du vivant. La biologie reste une discipline largement empirique, non formalisée et non mathématisée, parce qu’elle est bien plus complexe que la physique de la matière et de l’énergie. Nous y trouvons presque tout de ce qui touche au fonctionnement du corps humain.

A un jeune qui veut se lancer dans une carrière scientifique, au-delà de l’encouragement que je peux lui donner je l’avertis aussi d’un certain nombre de difficultés, pas seulement celles venant du haut niveau de compétition internationale que cela exige, mais aussi celle des salaires scandaleusement bas – particulièrement en France, du risque d’endoctrinement dans des doxas dictes par d’autres intérêts que ceux de la science, etc…

Mais comment ne pas encourager un jeune à s’engager dans la fantastique aventure que constitue le questionnement scientifique ? À l’origine de l’humanité, c’est le regard que l’homme des cavernes a porté sur la nuit qui a probablement suscité les premières grandes questions métaphysiques. Comment l’Univers est-il organisé ? Quelle est notre place en son sein ? Existe-t-il un Dieu qui a créé cela ? De ces questions procède la démarche de la science pour élaborer des réponses et d’autres approches plus philosophiques, métaphysiques, poétiques, qui toutes tentent de percer le mystère de la nuit et de comprendre le rapport entre l’homme et l’Univers.

Or, le risque est grand aujourd’hui d’une perte de contact collective avec l’univers dans lequel nous vivons. 

L’éclairage urbain efface peu à peu le panorama de la nuit et provoque une gigantesque perte de sens, ce que j’appelle le « sentiment cosmique ».Il y a des citadins, notamment les jeunes des banlieues, qui n’ont jamais vu la Voie lactée. Celui qui n’a jamais contemplé le ciel tel qu’il est réellement a-t-il conscience qu’une dimension fondamentale de l’expérience humaine lui échappe ? 

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il un moment-clé, un livre ou une rencontre qui a orienté votre vocation scientifique ? Et si vous deviez résumer votre parcours en une image ou une métaphore, laquelle choisiriez-vous ?

Jean-Pierre Luminet : Je me souviens notamment avoir lu à l’âge de 15 ans une encyclopédie générale du savoir humain, dont un volume consacré à l’astronomie et la dernière page à la relativité générale d’Albert Einstein. Une phrase m’avait alors profondément marqué, disant que dans cette théorie « l’espace-temps a la forme d’un mollusque ». L’image m’avait stupéfié : comment pouvait-on parler d’un mollusque d’espace-temps ?  Cette formulation pittoresque a résonné très fort dans mon imaginaire, et allait plus tard guider toutes mes approches tentant de comprendre l’anatomie de ce mollusque, à savoir les formes de l’espace-temps et les distorsions engendrées par les trous noirs ou la topologie cosmique. Voilà comment une petite phrase d’apparence anodine peut susciter trente années de recherches ardues ! 

Un peu plus tard un autre livre a joué un rôle capital, une Introduction à la cosmologie, dans laquelle l’auteur (dont j’ai fait plus tard la connaissance à l’Observatoire de Paris) décrivait les modèles de Big Bang, dont à l’époque on discutait encore la pertinence. J’avais lu cela avec passion, et ce livre m’a fait comprendre que l’outil mathématique avec lequel j’étais plutôt à l’aise pouvait servir à mettre en forme logique les idées un peu vagues que je me faisais sur la nature de l’espace dans lequel baignent les étoiles. Les outils de la géométrie pouvaient ainsi aider à répondre à de grandes questions métaphysiques comme « l’univers a-t-il un début, une fin ? L’espace est-il fini, infini ? Le temps est-il éternel ou non ? ». Parmi toutes les activités créatrices que je pratiquais à cette époque, je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie, devenir écrivain, musicien, peintre… Ce livre a été le véritable déclencheur de ma vocation de chercheur.

Le Matin d’Algérie : Dans ce monde en ruine, consumé par la soif de destruction, où la science chancelle sous le poids des intérêts et des lobbys, quel avenir accordez-vous à la connaissance et à l’esprit critique ?

Jean-Pierre Luminet : L’un des plus grands fléaux de notre époque est la marchandisation de toutes choses.  Elle a certes toujours existé, mais sous des formes et à des degrés moindres, par rapport aux outils de l’ingénierie sociale dont nous disposons aujourd’hui. Prenons l’exemple de la pandémie de COVID-19. On a entendu tout et son contraire, des mesures souvent aberrantes et néfastes, et des injonctions contradictoires. Cette période a révélé une méfiance légitime envers des discours scientifiques téléguidés par des autorités sanitaires dont les motivations n’étaient pas scientifiques, mais politiques, financières et économiques.

La marchandisation autour des vaccins a à juste titre renforcé une certaine méfiance envers la science dès lors que cette dernière paraissait détournée de ses vrais objectifs – en l’occurrence, soigner les malades ! Dès que la science perd son indépendance et se soumet à des pressions extérieures, la défiance devient justifiée. Cependant, il faut faire attention à ne pas sombrer dans les excès du rejet systématique.

Cette méfiance est différente de celle qu’on pouvait observer autrefois, lorsque les religions s’opposaient frontalement aux découvertes scientifiques. On n’est plus dans le même registre. Mais les discours scientifiques dévoyés, qui se prêtent à des manipulations, risquent de généraliser cette défiance à l’ensemble du domaine scientifique, ce qui serait une dérive inquiétante pour l’avenir.

Ceci dit, le doute doit être au centre de toute approche scientifique. Le doute est profondément enraciné dans ma nature même. Il a été ensuite conforté par la lecture des essais de Montaigne, notamment dans un chapitre extraordinaire, l’Apologie de Raymond Sebon ; dans lequel Montaigne discute des vertus du « scepticisme », c’est-à-dire ne jamais accepter la parole des « autorités » sans la discuter. Montaigne, justement, à son époque, faisait allusion à la théorie copernicienne. Il n’était pas astronome, il ne prenait pas parti, mais il expliquait qu’au moins, on ne devait pas la rejeter a priori sous prétexte qu’elle allait à l’encontre de l’enseignement d’Aristote ou celui de l’Église. Il proposait de mettre en œuvre un mode de pensée sceptique : on examine un objet, on réfléchit dessus, on pèse le pour et le contre.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Jean-Pierre Luminet : Toute ma vie j’ai fourmillé de projets divers et variés, dont je n’ai évidemment pu réaliser qu’une petite partie.  Même chose pour les quelques années à venir qui me restent. Je me contenterai de mentionner mes deux prochains ouvrages en cours d’écriture. L’un est une vaste anthologie de récits cosmogoniques – portant donc sur les origines du monde – , allant des mythes et légendes des différents peuples jusqu’aux cosmogonies relativistes et quantiques du XXIe siècle, en passant par les grands textes de penseurs et philosophes comme Platon, Lucrèce, Leibniz, Descartes, Kant, Laplace, etc –  sans oublier des poètes visionnaires comme Edgar Poe ou Raymond Queneau.  L’autre est une analyse détaillée de quarante œuvres d’artistes de tous temps et tous pays ayant voulu représenter-à leur manière leur perception intime du cosmos. 

Bien d’autres projets littéraires sont dans des cartons, mais il est impossible de savoir à l’avance si j’aurai le temps de les concrétiser. Maintenant, les vrais projets de vie sont ailleurs. Ils portent sur l’éducation et l’épanouissement de mes deux plus jeunes enfants (j’en ai eu cinq en tout dans ma longue vie quelque peu mouvementée…), afin qu’ils soient bien armés culturellement et intellectuellement pour affronter le monde un peu dingue qui est en train de s’instaurer, et où l’essentiel des valeurs culturelles, éthiques, morales qui ont tissé ma propre existence auront disparu. 

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Jean-Pierre Luminet : On doit se demander pourquoi le savoir en tant que tel (et son enseignement) est trop souvent pratiqué de façon froide, dépourvue d’émotion. Or, la connaissance touche à l’émerveillement, à l’enchantement au monde. Pourquoi alors ne pas essayer de rapprocher le savoir et l’émotion ? Cela demande en fait toute une maturation personnelle, sans doute à cause des habitudes « réductionnistes » dont nous sommes encore imprégnés. L’émotion est souvent donnée par la surprise. Pensons à la surprise amoureuse ! Or, tant dans la recherche artistique que scientifique, la surprise est motrice. Celui qui n’est jamais surpris est atrophié et stérile, quel que soit son domaine d’activité. Finalement, le créateur idéal est peut-être l’enfant. L’enfant est par nature un artiste et un scientifique primitifs, soumis à une dévorante curiosité pour le monde. Il vit passionnément, pose toutes sortes de questions, il crie, il chante, il peint, il sculpte, il construit. Souvent, à l’âge adulte, presque tout est balayé. L’esprit se ferme à l’interrogation, excepté à une gamme d’expériences extrêmement réduite. « Chez l’homme, c’est le papillon qui devient souvent un ver », écrivait Montherlant. 

Pour conclure, je vous remercie de m’avoir posé des questions si pertinentes et de m’avoir permis d’y répondre, parfois un peu trop longuement !

Entretien réalisé par Brahim Saci

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Algérie : une économie toujours exposée à la volatilité des prix énergétiques, selon la BM

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Raffinerie

Le dernier Rapport de suivi de la situation économique – Printemps 2025 de la Banque Mondiale (BM) dresse un état des lieux particulièrement contrasté de l’économie algérienne.

Si la croissance hors hydrocarbures montre des signes encourageants, la dépendance persistante aux recettes issues du secteur énergétique continue de rendre l’économie nationale vulnérable aux fluctuations du marché mondial.

Une croissance hors hydrocarbures solide mais fragile

En 2024, le produit intérieur brut (PIB) hors hydrocarbures a progressé de 4,8 %, soutenu par l’investissement public et la consommation des ménages. Cette dynamique reflète une certaine résilience de l’économie intérieure, en particulier dans un contexte de réformes encore limitées.

En revanche, le secteur des hydrocarbures a enregistré une baisse de 1,4 % de son PIB, sous l’effet des quotas de production de l’OPEP+ et d’une hausse de la consommation domestique qui a réduit les exportations.

Des déséquilibres macroéconomiques persistants

Le rapport souligne également une dégradation des équilibres extérieurs et budgétaires. Le compte courant est redevenu déficitaire (–1,7 % du PIB), après deux années d’excédent, en raison d’une baisse des exportations (–10,2 %) et d’une hausse des importations (+9,7 %). Le déficit budgétaire s’est élargi à 13,9 % du PIB, principalement couvert par les ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR).

L’inflation, quant à elle, a ralenti pour s’établir à 4,0 %, contre 9,3 % en 2023. Cette baisse s’explique en partie par une stabilisation des prix agricoles et une ouverture accrue aux importations de produits alimentaires.

Des perspectives 2025 soumises à de nombreuses incertitudes

Pour l’année 2025, la Banque Mondiale prévoit une croissance globale de 3,3 %, portée par un léger redressement du secteur des hydrocarbures (+1,6 %) et une progression plus modérée du PIB hors hydrocarbures (+3,6 %). Toutefois, les déséquilibres devraient s’accentuer : le déficit budgétaire pourrait atteindre 14,5 % du PIB et le déficit courant se creuser davantage (–6,6 %), en raison notamment d’une baisse anticipée des prix pétroliers et de la poursuite de la contraction des réserves de change.

À cela s’ajoutent des incertitudes d’ordre géopolitique et commercial, qui pèsent sur les perspectives du marché énergétique mondial.

Des réformes structurelles jugées indispensables

Face à ces défis, la Banque Mondiale appelle à une accélération des réformes économiques. Elle recommande notamment d’améliorer l’environnement des affaires afin de stimuler l’investissement privé, de renforcer la productivité dans les secteurs non énergétiques et de favoriser l’emploi dans des domaines à plus forte valeur ajoutée.

En matière de finances publiques, le rapport souligne l’importance d’une meilleure qualité des dépenses, en orientant les ressources vers les secteurs prioritaires et en instaurant une gestion plus rigoureuse des subventions.

Enfin, la transformation structurelle de l’économie passerait par la modernisation des politiques sectorielles et le renforcement des compétences de la main-d’œuvre, éléments jugés essentiels pour accroître la compétitivité et soutenir l’innovation.

Entre résilience et nécessité de changement

L’économie algérienne montre des signes de résilience, mais demeure structurellement dépendante des revenus énergétiques. Ce qui constitue une sérieuse faiblesse. Pour assurer une croissance durable et atténuer les risques liés à la volatilité des cours, la Banque Mondiale estime que des réformes économiques profondes sont désormais indispensables.

Samia Naït Iqbal

Source : Rapport de suivi de la situation économique – Printemps 2025″ de la Banque Mondiale

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Algérie : entre arbitraire et paralysie

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Tebboune

L’Algérie avance à reculons. Chaque année qui vient s’avère pire que la précédente. Tandis que les discours officiels de Tebboune et ses porte-voix continuent de promettre un avenir radieux, le pays s’enlise dans une crise politique et économique profonde, alimentée par une gouvernance autoritaire, des décisions irrationnelles et un immobilisme institutionnalisé.

Dépourvu d’imagination et sans courage politique, le régime de la diarchie Tebboune-Chanegriha a renforcé sa mainmise sur toutes les sphères de la décision, muselant l’opposition, neutralisant la société civile et criminalisant l’expression libre.

Avec près de 250 détenus d’opinion, un nombre indéterminé d’Algériens placés arbitrairement sous interdiction de quitter le territoire national, une presse vouée à louer les réalisations imaginaires de Tebboune et compagnie.. on ne peut pas dire qu’on est toujours dans une démocratie. Bien au contraire, on macère dans une démocrature dangereuse.

L’arbitraire est devenu la norme. La punition des voix dissidence une gouvernance. Le cynisme un état d’esprit assumé. Dire que des militants pacifiques, des journalistes, des lanceurs d’alerte se retrouvent derrière les barreaux sous des prétextes fallacieux relève désormais d’une banalité renversante.

Les institutions, censées jouer un rôle d’équilibre et de contrôle, ne sont plus que des coquilles vides, entièrement soumises au pouvoir. La justice, instrumentalisée, n’assure plus ni indépendance ni équité. Sous Tebboune, elle est devenue un instrument de vengeance sur la société. Le pacte social, déjà fragile, se délite face à une population de plus en plus désabusée.

L’économie, quant à elle, est en état de paralysie. Aucun investissement sérieux. Malgré la manne énergétique toujours précieuse, aucune stratégie cohérente de diversification n’a vu vraiment le jour. Tebboune annone les mêmes annonces à chacune de ses sorties: développement de l’agriculture, soutien aux startups, relance industrielle. Mais sur le terrain, c’est l’inertie. Le vide abyssal.

L’administration est sclérosée, corrompue. Les banques ne jouent plus leur rôle. L’investissement privé découragé par une instabilité réglementaire chronique, un accès au crédit verrouillé et une fiscalité dissuasive. À cela s’ajoutent des décisions absurdes qui révèlent le décalage inquiétant entre les dirigeants et les réalités économiques : fermeture soudaine de marchés, restrictions commerciales contre-productives, lois improvisées sans consultation ni évaluation d’impact.

La jeunesse, quant à elle, n’y croit plus. Elle n’a qu’un seul horizon : quitter le pays à tous prix. Quitte à jouer sa vie sur une barque de fortune en Méditerranée. Les promesses de réformes structurelles, d’amélioration du climat des affaires ou de modernisation de la gouvernance ne se sont que chimères. L’exode continue, et le chômage massif pèse comme une chape sur l’avenir. À force d’attendre, beaucoup ont renoncé.

Dans un contexte international marqué par l’instabilité géopolitique, un Sahel particulièrement fragilisé, le repli nationaliste et les bouleversements énergétiques, l’Algérie pourrait jouer un rôle stratégique. Elle en a les moyens. Mais encore faut-il une vision claire, un État de droit effectif, et un pouvoir qui accepte de partager le destin du peuple plutôt que de le confisquer. Or, en 2025, rien n’indique que ce tournant soit amorcé. Bien au contraire, le pays s’isole. Il incarne désormais l’absurdistan.

C’est indéniable. L’Algérie est en panne de gouvernance. Le sursaut viendra, mais à quel prix, et quand ? Voilà la véritable question que tout Algérien se pose.

Rabah Aït Abache

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Mali : plus de 100 militaires tués à Boulikessi par les jihadistes du Jnim

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Armée malienne
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Au Mali, le Jnim, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans lié à al-Qaïda, a diffusé pendant la nuit de nouvelles images et un nouveau bilan de l’attaque du camp militaire de Boulikessi survenu dimanche 1er juin dans la région de Douentza, dans le centre du pays.

Le Jnim revendique plus de 100 militaires maliens tués lors de l’attaque et 22 capturés et retenus en otage. RFI a pu recouper ces chiffres auprès de sources locales, notamment sécuritaires maliennes. L’armée et les autorités de transition demeurent silencieuses sur le nombre de soldats tombés au combat. 

« Le nombre de morts est intolérable, commente une source sécuritaire malienne. La pression n’a jamais été aussi forte. » Cette source confirme le bilan du Jnim, avec plus de 100 militaires tués à Boulikessi. Au lendemain de l’attaque, cette même source évoquait déjà « plus de 90 corps ramassés ». Depuis, d’autres dépouilles ont été retrouvées aux alentours du camp. Des supplétifs russes de Wagner figureraient parmi les victimes, selon plusieurs sources sécuritaires et civiles maliennes. Wagner a habituellement des hommes stationnés à Boulikessi et patrouille régulièrement dans la zone. Aucun corps de mercenaire russe n’a cependant été exhibé dans les publications du Jnim qui a égrené ces derniers jours des vidéos effroyables. 

22 soldats capturés

Les jihadistes affirment également détenir 22 soldats maliens capturés dimanche et retenus en otage depuis. Des vidéos montrent ces soldats par petits groupes. Ils s’ajoutent aux autres militaires déjà capturés lors de précédentes attaques dont le nombre précis n’est pas connu. Le Jnim détient aussi, parfois depuis des années, plusieurs dizaines de civils – administrateurs de l’État, humanitaires, professeurs ou encore habitants de villages refusant de conclure des accords locaux. Le groupe jihadiste diffuse enfin des images du butin pléthorique récupéré à Boulikessi : des armes et des munitions notamment mais aussi plusieurs véhicules. 

Doctrine du silence

Devant l’ampleur de la tragédie, l’armée malienne avait reconnu dimanche l’attaque de Boulikessi et la mort de soldats ayant « combattu jusqu’à leur dernier souffle » mais sans donner aucun bilan. Quant à l’attaque du camp de Dioura, le 23 mai, qui avait fait une quarantaine de morts, elle n’a jamais été reconnue par les autorités. Officiellement, cette attaque n’existe pas. 

Au lendemain de la prise du camp de Boulikessi, lundi 2 juin, le Jnim menait une série d’actions simultanées contre des cibles militaires à Tombouctou. Le Jnim a revendiqué « une dizaine de morts et de blessés » dans ces attaques. L’armée s’est félicitée d’avoir « déjoué une tentative d’infiltration » à Tombouctou et « neutralisé 14 terroristes » sans évoquer le nombre de militaires tués. Le dernier communiqué de l’armée, publié ce mercredi, est consacré aux « lourdes pertes » qui auraient été infligées aux « terroristes » dans le secteur de Diafarabé. Sollicitée par RFI, la communication de l’État-major n’a pas donné suite.

Cette doctrine du silence sur les soldats tombés au combat est clairement assumée. Par le passé, des responsables militaires ou politiques ont déjà expliqué qu’il s’agissait de ne pas faire le jeu de l’ennemi et de ne pas saper le moral des troupes, dans un contexte de guerre antiterroriste.

Transparence et funérailles

Dans la population malienne, certains estiment que les citoyens n’ont effectivement pas à être informés de ces réalités sensibles du terrain et jugent que c’est l’affaire de l’État et de l’armée, à l’œuvre pour la sécurité du pays et la souveraineté nationale. 

D’autres jugent que le régime en place cherche uniquement à cacher aux Maliens la réalité de la situation sécuritaire du pays pour se maintenir au pouvoir et réclament plus de transparence. Ces Maliens souhaiteraient également que les militaires tombés au champ d’honneur aient droit à des funérailles officielles et que les familles n’aient pas à attendre parfois plusieurs semaines avant d’apprendre la mort d’un fils ou d’un mari – RFI a reçu plusieurs témoignages en ce sens. Des demandes qui s’expriment moins ouvertement : ceux qui osent évoquer le sujet sont traités d’« apatrides » par les soutiens des militaires au pouvoir et violemment disqualifiés pour leur prétendu « manque de patriotisme ». 

RFI

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Nassima Bouheraoua : « Il y a désormais un avant et un après l’IA »

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Nassima Bouheraoua
Nassima Bouheraoua

Consultante en transition numérique et docteure en sciences politiques, Nassima Bouheraoua allie expertise théorique et pratique de terrain. Formatrice au sein de l’Institut euro-méditerranéen de la formation continue (IEMFC). Basée à Marseille, elle intervient dans le cadre de formations consacrées aux mutations technologiques, en particulier à l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans les environnements professionnels.

Depuis un an, elle conçoit et anime des programmes à destination de cadres publics, d’ingénieurs et de dirigeants, en France comme à l’étranger. Ses interventions s’adressent à des structures engagées dans une transformation numérique profonde, aussi bien en Afrique qu’en Europe.

À l’issue de l’une de ses sessions de formation, elle a accepté de répondre aux questions du Matin, revenant sur son parcours, ses motivations, son usage des modèles de langage (LLM), les compétences clés à transmettre, les outils mobilisés, ainsi que les enjeux éthiques qui traversent ces nouvelles pratiques. Elle évoque également sa veille technologique et les échanges qu’elle entretient avec les publics qu’elle forme.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir formatrice ?

Nassima Bouheraoua : Ma motivation à devenir formatrice est née d’une rencontre à l’aéroport de Batna avec le président de notre institut, M. Redha Guerfi. L’opportunité de travailler avec des spécialistes de différents pays, d’échanger des expériences autour de l’intelligence artificielle et de la transition numérique a fortement éveillé ma curiosité et mon enthousiasme pour la formation. Cela s’inscrit dans la continuité de mon expérience de plusieurs années dans le consulting pour les entreprises.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qu’un LLM (Large Language Model) et pourquoi est-il intéressant ?

Nassima Bouheraoua : Un LLM (Large Language Model) est l’une des technologies les plus fascinantes de ces dernières années. Au-delà de son utilisation intuitive, il permet une prise en main immédiate et offre une expérience ludique pour les apprenants. Le plus difficile est finalement de s’en détacher ! Un LLM comme ChatGPT devient un compagnon disponible à tout moment, capable de répondre à toutes sortes de questions.

Le Matin d’Algérie : Quel type de public formez-vous ?

Nassima Bouheraoua : Depuis un an, je forme des cadres de la fonction publique, des ingénieurs et des chefs d’entreprises à l’international. Malgré leurs différences, ces apprenants partagent une compréhension commune des enjeux civilisationnels et de la nécessité de maîtriser une technologie cruciale pour l’avenir.

Le Matin d’Algérie : Quelles sont les compétences clés pour utiliser les LLM ?

Nassima Bouheraoua : Les compétences essentielles pour utiliser les LLM sont la curiosité et la persévérance. Ce domaine connaît une accélération exponentielle, et plus on s’y engage tôt, plus on est capable de l’utiliser à bon escient.

Le Matin d’Algérie : Quels outils utilisez-vous dans vos formations ?

Nassima Bouheraoua : Nous utilisons principalement l’incontournable ChatGPT, ainsi qu’une quinzaine d’autres outils essentiels pour l’étude des intelligences artificielles, tels que Make, N8N, Hugging Face, Deepseek, et bien d’autres. Nous adaptons les formations et les outils au profil des apprenants pour qu’ils correspondent au mieux à leurs pratiques quotidiennes.

Le Matin d’Algérie : Comment abordez-vous les enjeux éthiques liés aux LLM ?

Nassima Bouheraoua : L’étude des enjeux éthiques est incontournable lorsqu’il s’agit de données personnelles. Il serait irresponsable d’utiliser des technologies dites « gratuites » sans comprendre ce que nous payons indirectement pour ces services. Car, en réalité, rien n’est jamais gratuit. Même avec des abonnements payants, les garanties offertes aux utilisateurs restent limitées. L’anonymisation des données, la cybersécurité des systèmes et un investissement sérieux dans la souveraineté numérique sont des sujets cruciaux à développer par les autorités compétentes pour garantir un usage bénéfique.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les enjeux liés à la popularisation des outils d’intelligence artificielle ?

Nassima Bouheraoua : Les outils d’intelligence artificielle ont bénéficié d’un tsunami de marketing depuis trois ans. Les médias, les réseaux sociaux, les politiciens et les PDG de grandes startups diffusent quotidiennement une abondance d’informations. Certains sont même victimes de l’IA, leur image étant utilisée pour propager de fausses informations.

L’enjeu majeur est d’apprendre à distinguer l’information de la propagande pour saisir les bonnes opportunités au bon moment. Beaucoup d’apprenants craignent d’être remplacés par l’IA dans leur travail. Certains secteurs connaîtront sans doute une réforme profonde due à l’automatisation de certaines tâches, et il faudra être prêt à évoluer aux côtés de ces nouveaux outils.

Le Matin d’Algérie : Quel impact l’IA a-t-elle sur les pratiques professionnelles et personnelles ?

Nassima Bouheraoua : Il y a un avant et un après l’IA. Conçue par des techniciens, mais aussi des psychologues, des linguistes et des spécialistes en neurosciences, l’IA est intuitive, utile, sympathique, mais surtout extrêmement addictive. Une fois maîtrisée, elle devient indispensable, à l’image de l’ordinateur portable ou du téléphone connecté à la 3G. Les structures avec lesquelles je travaille constatent une amélioration de la productivité et des résultats financiers indéniables. Une bonne transition numérique permet d’optimiser les processus, de cibler le marketing et de satisfaire les clients. Tout cela me rend très enthousiaste pour l’avenir.

Le Matin d’Algérie : Comment suivez-vous l’évolution du domaine de l’IA ?

Nassima Bouheraoua : Il est crucial de suivre l’évolution de l’IA au quotidien pour en optimiser l’utilisation. Les revues et publications universitaires, comme celles du MIT, permettent une veille sérieuse et efficace. Les publications des principaux fournisseurs d’IA, tels que Google, Microsoft ou OpenAI, sont également précieuses. De plus, les expériences partagées par des spécialistes renommés, comme Ethan Mollick (conseiller en cybersécurité à la Maison Blanche) ou Lee Boonstra (ingénieur logiciel chez Google), sont très enrichissantes. Comme le dit Elon Musk à propos des universités américaines : « Le savoir est disponible sur Internet, l’école n’est qu’un lieu de socialisation. »

Entretien réalisé par Djamal Guettala  

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L’échec sous influence !

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Manipulation
Image par Gerd Altmann de Pixabay

Je suis effondré lorsque le temps mis dans un gros investissement, dans une lutte acharnée pour contribuer modestement à l’effort collectif de la société afin d’améliorer l’élévation intellectuelle des jeunes, s’écroule dans une grande déflagration. 

Les colères, les accusations, les indignations et les désespérances, je les ressens comme tout le monde. Mais il est des circonstances, lorsque la déroute creuse un trou abyssal, en face desquelles je reste sans voix et sans réaction.

Il n’y a pourtant que banalité dans le métier d’enseignant de le constater chaque jour. Si nous excluons les élèves et étudiants qui s’arrachent dans les efforts et dont les résultats restent hélas insuffisants, il en est d’autres qui constituent une réalité quotidienne de l’échec par le comportement.

L’enseignement n’est pas un miracle lorsque le moindre effort est absent. C’est une légende de penser que dans ces conditions extrêmes les enseignants les plus formés et les plus pédagogues réussiraient plus que d’autres. En tout cas pas dans une proportion qu’on essaie de nous le faire croire.  

Mes chers lecteurs, malgré ce recul que je viens d’exposer sur des fatalités d’échec, il en est un pour lequel je ne peux garder ma sérénité et mon obligation de recul. Celui dont je vais vous parler menace toujours mon calme, même s’il reste contenu par la stupéfaction comme je l’avais précisé.

Je ne l’exposerai qu’à travers l’exemple des jeunes filles car je n’ai rencontré que ce cas. Il est bien entendu de ma connaissance que c’est aussi valable pour les jeunes garçons. Cela doit être aussi inquiétant pour l’analyse qui va suivre. 

Commençons par une anecdote. Les étudiantes sont, comme pour toute la jeunesse dans le monde, accaparées par Tik Tok et autres immersions profondes. À chaque fois, par provocation malicieuse, je pose la même question, c’est une influenceuse, non ?

Et comme à chaque fois la réponse est oui, c’est une star parmi les influenceuses. Et bien entendu à chaque fois je pose une autre question, c’est un métier ? Vous semblez êtres plus fascinés par la demoiselle que par le produit qu’elle présente ou le conseil qu’elle prodigue.

Le drame est dans leur réponse la plus commune, celle-là est très célèbre. Elle a des centaines de folowers (là, je fais mon intéressant en répétant ce mot des jeunes) et gagne beaucoup d’argent. 

C’est à ce moment, mes chers lecteurs, où je reste sans voix, celui où je vois tout s’écrouler. Avec un travail et des moyens gigantesques de la société à leur destination, voilà ce que devient le but des élèves ou étudiantes. Faire le pitre dans une vidéo et détruire, pour ma part, quarante ans de trime à faire mon métier du mieux que j’ai pu.

Dans l’écran qui est entre leurs mains, je perçois tout l’échec du monde à travers ces jeunes filles. Tout d’abord par un langage très approximatif, pour ne pas dire catastrophique, et une gestuelle  qui sont la signature reconnaissable de l’échec scolaire. Nous les reconnaissons et nous les débusquons au premier mot entendu et geste vu. L’expérience ne se trompe jamais à ce sujet. 

Comment se fait-il, après des années, depuis le primaire, des élèves et étudiantes continuellement scolarisées en arrive-t-elles à ce point de régression et de désastre que sont les influenceuses ?

Comment en sont-elles arrivées à ce niveau de langage, de réflexion et d’exposé oral qui n’atteignent même pas le niveau de langage de nos anciens qui étaient pourtant illettrés et n’avaient pas cette chance de bénéficier de ce que ces jeunes filles ont eu à leur disposition (c’est un fait que je rappelle souvent dans mes chroniques) ?

Voilà ce qu’elles ont retenu des rêves promis par l’instruction scolaire, des lectures de  romans qui sont de merveilleux moments d’évasion et de culture, des connaissances fantastiques de l’histoire et géographie, de la magie profonde des mathématiques (bon, pour cette dernière discipline, je suis mal placé pour donner des leçons) et ainsi de suite.

De toutes les valeurs intellectuelles qui sont notre travail pour les leur inculquer, voilà le résultat. Des prestations qui me tétanisent tant elles se retrouvent au fond du trou, à des années lumières des promesses d’avenir si élevées de leur parcours scolaire.

Un show qui n’a qu’un objectif, la célébrité et l’argent obtenus en fascinant  des jeunes filles qui les écoutent en espérant obtenir la clé d’entrée dans leurs ténèbres. La vitesse de propagation de l’épidémie est vertigineuse pour celles qui veulent être à l’égal des déesses Tik Tiktoniennes. C’est la course aux likes et à l’exubérance pour entrer dans le Panthéon des charlatans de haute lignée.  

Des désespoirs identiques ont toujours existé. Comme les footballeurs qui abandonnent leurs études pour des gains faramineux, des rappeurs qui en gagnent autant en dédaignant tout ce qui avait été construit pour leur élévation intellectuelle et ainsi de suite.

Que les lecteurs ne se méprennent pas, la réussite au football ou dans le rap n’est pas à remettre en cause ou à insulter, je serai le dernier des imbéciles. Ce qui est en cause est l’image exclusive de la notoriété et de l’argent qu’ils inculquent aux jeunes. L’excuse d’être les incitateurs à faire du sport pour l’apport mental et physique est elle aussi une légende.

Voilà la raison, mes chers lecteurs, pourquoi de tous les échecs, c’est celui de constater le drame de la nouvelle terre promise par les influenceuses qui me bouleverse. Par la maturité, par la fatigue de ma désespérance de toutes les autres catastrophes précédentes et tellement banales ? Je ne sais pas.

 Je sais, je sais, une personne qui se prétend vouloir être ouvert d’esprit, surtout un ancien enseignant, ne devrait pas dire cela ni le penser. Mais je ne peux pas, c’est irrésistible, dès que j’en vois une par-dessus l’épaule d’un jeune dans le métro ou ailleurs, je ne peux pas me contrôler. Je demande pardon à ceux qui ont tellement trimé dans le système scolaire, pour m’enseigner le recul et l’ouverture d’esprit. Je n’y arrive pas pour les influenceuses !

Non, je n’y arrive pas !

Boumediene Sid Lakhdar

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Des avocats dénoncent l’information judiciaire infondée visant Karim Tabbou

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Karim Tabbou
Karim Tabbou, victime du harcèlement judiciaire.

Le collectif de défense de Karim Tabbou a rendu public un communiqué sur l’arbitraire qui touche le porte-parole de l’Union démocratique et sociale (UDS).

M. Karim Tabbou, opposant politique, fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires depuis 2019.

La dernière a été enclenchée à son encontre en date du 25 mai 2023.

À l’issue de son audition de première comparution effectuée ce même jour, le juge d’instruction en charge du dossier, validant le réquisitoire du parquet, l’a placé sous le régime du contrôle judiciaire, assorti de dispositions lourdes et inédites.

Des conditions qui entravent gravement sa liberté :

1. Interdiction de quitter le territoire national

2. Confiscation de son passeport

3. Obligation de se présenter pour émargement chaque lundi dans une caserne relevant de la direction de la sécurité intérieure

4. Interdiction de participer à des regroupements politiques ou à des conférences de presse

Le but évident est d’empêcher l’homme politique d’exercer toute activité, en le privant de sa liberté de parole et de circulation.

Le 19 août 2024, le militant Karim Tabbou a été retenu pendant plusieurs heures dans une caserne, puis reconduit par des agents de la sécurité intérieure pour être présenté devant le juge d’instruction, qui a ordonné un durcissement des obligations liées à son contrôle judiciaire.

Par ordonnance datée du 19/08/2024, il a été signifié à notre mandant l’interdiction de participer à toute conférence de presse ou prestation médiatique, ainsi que toute activité (publication ou diffusion) sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook.

L’homme politique Karim Tabbou s’est également vu interdire de quitter le territoire de la cour de Tipaza, à l’exception du lundi de chaque semaine pour s’acquitter de l’obligation d’émargement, telle qu’imposée par l’ordonnance du juge d’instruction du 25/05/2023 précitée.

L’appel introduit à l’encontre de cette ordonnance a été vain.

Le 25 septembre 2024, la chambre d’accusation a confirmé les interdictions imposées à notre mandant, se contentant d’annuler l’obligation de ne pas quitter les limites du territoire de la cour de Tipaza.

De toute évidence, cette mesure de mise sous contrôle judiciaire, imposée à M. Karim Tabbou depuis plus de deux ans, est en totale contradiction avec les dispositions de la loi fondamentale, qui consacre clairement le principe de la présomption d’innocence.

Elle est également en parfaite contradiction avec les dispositions légales encadrant cette matière, ainsi qu’avec les conventions internationales dûment ratifiées par l’État algérien.

En l’espèce, il est particulièrement regrettable que les dispositions légales aient été superbement ignorées (article 125 bis 01 du Code de procédure pénale).

En effet, les interdictions imposées à notre mandant ne sont pas prévues par cette disposition.

La durée légale de cette mesure de contrôle judiciaire est, elle aussi, largement dépassée depuis fort longtemps…

Au-delà de son caractère injuste et injustifié, ce contrôle judiciaire, qui perdure depuis deux ans, se révèle être un véritable moyen de chantage et de persécution judiciaire et politique.

La volonté manifeste d’entraver par des moyens “judiciaires” les activités politiques et militantes de M. Karim Tabbou n’est plus à démontrer.

L’instruction judiciaire diligentée à son encontre, homme politique et personnalité publique, viole les règles élémentaires de droit. Pis encore, elle a été engagée et prolongée depuis deux ans, en totale défiance des règles de procédure.

Bien que le juge d’instruction ait déclaré l’instruction close par une ordonnance de renvoi en date du 07/01/2024, la chambre d’accusation a ordonné sa poursuite.

Il est inutile de préciser que, depuis cette date, aucun acte de procédure n’a été accompli.

Par la présente, nous, collectif d’avocats défenseurs de Karim Tabbou, militant et opposant politique, déclarons solennellement que notre mandant est soumis à une information judiciaire infondée, doublée d’un contrôle judiciaire d’une rigueur exceptionnelle et d’une longévité dramatique.

L’objectif de cette manœuvre éhontée ne fait plus de doute : exercer une pression sur cet homme politique engagé, pour le faire renoncer à ses convictions.

Ainsi, au lieu d’assurer la garantie des libertés et le respect de la loi, l’appareil judiciaire a été transformé en outil de pression, de chantage et d’intimidation.

Nous affirmons notre ferme conviction : le combat pour l’avènement d’un État de droit mérite notre soutien et notre engagement.

Par ailleurs, nous restons persuadés que malgré le fait que la justice a été détournée de sa mission première qui est celle de protéger la société, les libertés et les droits, la répression ne pourra venir à bout du combat des voix libres éprises de justice et de liberté.

Le collectif de défense de Karim Tabbou

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Le mouton algérien : animal sacré ou idole des files d’attente ?

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Moutons

Ah, le mouton de l’Aïd en Algérie… Au départ, simple offrande pieuse, humble bête à sacrifier, il est devenu la star de la scène nationale. Et pas n’importe quelle star : une créature divine, vénérée par les annonces ministérielles, promise à la grandeur des chiffres officiels.

Cinq millions de têtes, disaient-ils au début. Puis un million aujourd’hui. Une générosité qui, comme par magie, se contracte au fil des semaines. Sans doute un miracle administratif. Les chiffres changent au gré des micros, mais le désespoir, lui, reste fidèle au rendez-vous.

Les Algériens n’ont plus le luxe de la patience. Ils campent la nuit entière, lampadaires pour seuls témoins, sacrifiant leur sommeil et parfois leur dignité. Les files d’attente s’allongent comme des processions macabres, où l’agneau est plus précieux que l’oxygène. Certains y voient une communion de la foi ; d’autres, un cirque où le mouton est le roi.

La scène est digne d’un théâtre de l’absurde : un mouton à trois ou quatre millions de dinars, offert en priorité aux fonctionnaires. La justice sociale s’écrit en bélier gras et en cornes dorées. Mais qui est vraiment sur la liste ? Qui se cache derrière ces cartons d’invitation dressés à l’entrée des enclos ?

Le gardien, lui, change de rôle. Le jour, il est l’humble serviteur de l’État. La nuit, il devient le « Rabb » des lieux, le dieu des moutons. Sa parole est loi, son silence est trahison. Il décide qui repartira avec un mouton et qui n’aura même pas un soupçon de laine à se mettre sous la dent. Ses poches, elles, se remplissent plus vite que l’enclos. Et le peuple, la tête baissée, attend un signe de clémence.

Pendant ce temps, les bras longs s’activent. Ceux qui n’ont jamais connu la queue ou la frustration. Ils arrivent, un signe, un sourire, et hop : le plus beau mouton dans le coffre, les meilleurs morceaux pour les meilleurs contacts. Le reste ? Il finira au barbecue des pauvres, si jamais il reste un peu de viande.

La générosité de l’Aïd, dans ce théâtre d’ombres, se transforme en spectacle de rapine. Une foire où les voix des gradés sont plus puissantes que les cris des agneaux. Les barons de la liste s’en sortent toujours. Les petits, eux, se battent pour un espoir, un os, un peu de foi.

À la fin, un bilan officiel sera fièrement annoncé. On dira combien de moutons ont été distribués. On racontera les beaux discours, les images d’archives d’une solidarité retrouvée. Mais la réalité, elle, est ailleurs. Elle est dans ces files d’attente interminables, dans ces nuits passées à supplier pour un agneau. Dans les visages fatigués, les voix qui s’élèvent et les poings qui se serrent.

Car en Algérie, la charité est un sport de combat. Le mouton de l’Aïd, censé rassembler les cœurs et les familles, devient le symbole d’un système où même la foi se négocie. Le sacrifice, autrefois geste d’unité, est détourné par les petits dieux de l’enclos.

Et, pendant que les gradés remplissent leurs congélateurs, le petit peuple, lui, reste en plan. Dans ce pays où l’agneau est plus qu’un animal, où l’État devient le marchand et le peuple son client captif, le mouton de l’Aïd n’est plus une offrande. Il est la rançon d’une générosité piétinée.

Zaim Gharnati

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