Vendredi 22 mars 2019
Plate-forme ou slogan : «Dégagez» sans un plan directeur ?
Dans un article récent, j’ai souligné la responsabilité de l’opposition de présenter son propre feuille de route car le «Dégagez» n’est ni un programme politique ni une fin en soi. Le pouvoir a tout fait pour abîmer l’opposition.
Mais cela ne dispense pas cette dernière de ses responsabilités dans cette période charnière de l’histoire de l’Algérie. Elle doit reprendre l’initiative et montrer qu’elle est aussi une opposition de proposition et de gouvernance, c’est-à-dire capable de gouverner. Elle doit présenter sa vision de l’avenir. Gouverner c’est prévoir et anticiper, et l’état final recherché n’est rien d’autre que l’édification d’un Etat démocratique moderne. Cette contribution souligne ceci : être trop critique du pouvoir n’est une raison pour être trop indulgent et trop tempérer l’opposition, qui elle-aussi n’a pas à hauteur. Il ne s’agit pas de changer pour changer, mais pour que les Algériens s’offrent enfin des dirigeants dignes de les représenter, et capables de leur offrir des perspectives meilleures pour eux et leurs enfants.
Dans ce moment historique, il s’agit d’être à la fois déterminé vis-à-vis du pouvoir et exigeant de l’opposition. A quelques jours de date de départ fixée au président, l’opposition a la responsabilité d’être concrètes et cohérentes dans ses propositions. Il faut un plan d’action et non slogan. Pourquoi je me focalise sur l’opposition ? Parce que la responsabilité du régime est évidente et elle est largement abordée.
En outre, tout porte à croire que le « régime » fait partie du passé (un mauvais souvenir) alors que le rôle de l’opposition semble croissant. Et comme nous sommes tournés vers l’avenir, les Algériens doivent s’assurer de faire le bon choix et être exigeants de l’opposition et ceux qui vont les gouverner. Faire partie de l’opposition n’est un critère suffisant pour être élu et représenter les Algériens. Il s’agit de commencer cette transformation par mettre en avant la valeur du travail et la culture du mérite.
L’article appelle aussi à ne pas perdre de vue l’essentiel et le long terme c’est-à-dire la dimension institutionnelle. La focalisation sur le président Bouteflika (les individus) éclipse les questions fondamentales (les institutions). La responsabilité du FLN par exemple est partiellement soulignée durant ces manifestations alors que le FLN est, en soi, un sous-système autour de lequel gravitent d’autres composantes du système algérien.
Si des membres du FLN commencent à exprimer leur soutien au mouvement populaire, le système-FLN comme un appareil politico-idéologique tentaculaire n’est jamais remis en cause. Mais que signifie la déclaration de Mouad Bouchareb : «Les militants du FLN soutiennent le mouvement populaire». Elle signifie que le parti redéploie ses troupes pour réinvestir l’espace public.
Soyons clairs, la transition démocratique n’a aucun sens sans sceller le sort de le FLN : il a été au cœur du régime algérien depuis l’indépendance et pas seulement du système Bouteflika. En d’autres termes, négliger l’aspect institutionnel (et se focaliser sur les individus) c’est rater l’occasion historique d’assainir le système algérien. Sont ces institutions et organisations comme le FLN, RND, UGTA, etc. qui produisent et maintiennent un système clientéliste.
Seul l’assainissement structurel pourrait entraîner un changement irréversible. Le FLN n’est pas un parti politique ordinaire. Il est l’un des noyaux durs du système algérien. Donc que signifie le départ de Bouteflika si le système FLN reste intact. On insiste sur le départ de Ramtane Lamamra et Lakhdar Brahimi, mais, en fin, que pèsent-ils vraiment par rapport à cet appareil politico-idéologique que constitue le FLN. Rien.
La preuve : il y a quelques mois, Ramtane Lamamra a été éjecté des Affaires étrangères. C’est là justement le cœur du problème. A l’exception de la courte période coïncidant avec la création du RND, le système algérien s’est toujours appuyé sur le FLN comme un appareil politico-idéologique de légitimation, d’intimidation, de coercition et de cooptation. Il est difficile d’envisager une transformation profonde irréversible le rôle de ces sous-systèmes participant au clientélisme.
Le FLN a en quelque sorte essayé de reproduire l’expérience du parti communiste chinois. Durant les années 1980, sous la direction de Deng, le parti a autorisé des zones économiques spéciales pour prendre les devants dans un certain nombre de provinces du Sud, permettant un accès plus libre aux marchés internationaux et l’allégement du contrôle de l’Etat sur les prix, la fiscalité, et les quotas de production –une expérience étendue et reproduite par la suite et a poussé vers l’adoption d’un marché plus ouvert.
Ainsi, le nombre des entreprises privées en Chine a augmenté de 90.000 en 1989 à plus de 1,5 million en 1999, et le secteur public a diminué de 77% en 1978 en terme de la production économique à seulement 33% en 1996. Vu l’influence grandissante de la communauté des affaires, le parti a, en 2001, officiellement modifié ses règles et commencé à recruter ouvertement des « capitalistes » dans ses rangs. Alors que les entrepreneurs y adhérent en nombre important, il s’avère que le PCC utilise l’accès aux institutions formelles comme un moyen de susciter un soutien politique. La cooptation pourrait même ne pas être nécessaire car 28% seulement étaient en faveur concurrence multipartite, et 13% seulement sont opposés à l’actuel parti unique. Environ 80% des entrepreneurs privés soutenait la démocratisation du parti lui-même, en privilégiant un seul parti, les élections à multi-candidate au échelons locaux et l’élite du gouvernement.
Le phénomène Baha-Eddine Tliba et « Chkara » répondait à la volonté du parti de renouvellement de sa base idéologique après que la légitimité historique commençait à s’évaporer progressivement. C’était aussi pour élargir sa base et consolider ses rangs en intégrant la nouvelle bourgeoisie-affairiste – une démarche qui coïncide avec l’ouverture et l’adoption de l’Algérie de l’économie de marché. C’est là qu’il faut chercher l’origine de ce que l’on appelle désormais les « forces anticonstitutionnelles ».
Chihab Seddik, par exemple, déclare ceci : « L’Algérie a été gérée par des forces non-constitutionnelles […] Nous nous sommes trompés. Nous avons manqué de perspicacité ». La traduction pratique de cette déclaration est la suivante : Nous avons été opportunistes et nous continuons à l’être, et nous changeons simplement de discours. A vrai dire, devant une telle déclaration d’un haut responsable politique, les Algériens attendent une démission et non pas un mea culpa. Il s’agit là d’une tentative de se dédouaner et se fondre dans la masse.
Pour l’instant, il y a un consensus sur l’objectif, mais pas sur le moyen et la méthode d’arriver. En lisant la « Plateforme pour le changement en Algérie » qui recueille les premières signatures de personnalités politiques, je me suis dit ; c’est un début, un premier pas. Je me suis dit également, nous avons un slogan, un bon slogan pour commencer. Mais un bon slogan ne remplace pas une stratégie. Les signataires sont des personnalités politiques respectables, et leur démarche est noble autant que le sont leurs objectifs.
Leur parcours parle à leur place. Mais cela ne change pas le fait que la plate-forme est trop vague pour constituer une base d’un projet. La proposition de M. Ahmed Mahieu paru dans El Watan était limpide. On peut être pour ou contre, mais elle a le mérite d’être claire et cohérente, suffisamment élastique pour l’adapter et suffisamment étroite pour encadrer les contours de ce projet transitionnel. C’est ce type de proposition dont l’Algérie a besoin en ce moment. Appeler à une transformation radicale du système n’implique pas donner carte blanche à l’opposition. Autant il faut être déterminé à changer le système, autant il faut être exigeant de l’opposition.
Forger un consensus ne sera pas une tâche facile. C’est une question de temps pour assister à l’émergence d’un autre slogan « il ne me représente pas » à côté de « Dégagez ! ». Ce qui est normal. L’homme politique doit tenir compte de ces contraintes. Et à 40 jour de la date fixée du départ du président Bouteflika, pour être crédible ; les propositions doivent être plus ou moins concrètes et non pas des déclarations générales. Aujourd’hui, il y a des choix à faire et qui nécessitent beaucoup de courage politique.
Il faut une stratégie de sortie. Pour simplifier, on peut envisager cette stratégie comme une table avec trois pays : 1) Le premier représente les objectifs à atteindre (le pourquoi) ; 2) Le second représente les moyens et les ressources à notre disposition (le quoi) ; 3) Le troisième représente les méthodes (le comment ou la façon d’y parvenir). S’il n’y a pas de symétrie entre les pieds, la table risque de tomber sinon perdre son équilibre. Il en est pareil pour la stratégie. S’il y a un décalage entre les objectifs, les moyens et la méthode, la stratégie proposée conduit nécessairement à l’échec. Voilà ce à quoi doit correspondre une proposition de sortie de crise à quelques jours de la fin du dernier mandat du président Bouteflika.
Lorsque l’on étudie le fonctionnement des institutions, il paraît clairement que 40 jours sont insuffisants pour mettre en place l’équipe de prendra la relève. En outre, il ne s’agit pas d’aborder cette transition en terme de confiance (bien que nécessaire), mais de rapport de force. Le mensonge fait partie de la vie politique même dans les démocraties avancées. Des études montrent que les gouvernants mentent davantage à leurs citoyens qu’aux gouvernements étrangers. Par essence, les Etats ne se font pas confiance.
Une plateforme si vague aurait un sens, si le président Bouteflika part 28 avril 2020, par exemple. Il y a le facteur temps-ressources a en tenir compte. Cette modeste contribution participe au débat en cours. Elle ne s’enferme pas dans le « dégagisme » par principe. Le régime avait le temps et l’opportunité d’organiser cette transition, mais il n’a rien fait. Le régime a sombré dans le dysfonctionnement et aujourd’hui les Algériens doivent composer avec cette délicate situation. L’échec n’est pas une option. Toutefois, ayant travaillé sur le contexte conduisant l’Amérique à intervenir en Irak, il semble vital de garder le débat ouvert sans remettre en cause l’engagement et le patriotisme de chacun parce que sa vision est différente. Les Américains qui se sont opposés à la guerre en Irak ont été marginalisés dans le débat public et traités comme non-patriotes. Aujourd’hui, tout le monde regrette cette aventure. Il y a eu des mea culpa, mais le mal est fait. Donc gardons toutes les options sur la table pour atteindre cet objectif de l’édification d’un algérien moderne.
La « transition démocratique » n’est pas un processus rationnel, mais un processus politique impliquant des compromis. A vrai dire, un accord durable est un accord où aucune partie n’est entièrement satisfaite. Des concessions doivent être faites par toutes les parties prenantes. Par «Rationnel », nous voulons dire : atteindre le maximum d’objectifs avec le minimum d’effort. Dans cette image, on peut supposer la « transition » comme un plan d’action formulé par les dirigeants (par nécessairement du gouvernement) de la nation avec l’aide de personnels qualifiés.
Dans cette image idéalisée, les dirigeants nationaux rassemblent un groupe d’experts pour identifier et prioriser les défis à travers la scanographie du contexte interne et externe, et l’élaboration d’un répertoire de réponses permettant de maximiser les opportunités et minimiser les risques. Un tel groupe d’experts provenant des différentes secteurs (juristes, économistes, acteurs de la société civile, militaires, politiciens, etc.) est prévu pour mener de vastes consultations avec les parties prenantes importantes, aussi bien au sein qu’en dehors du gouvernement. Après des arbitrages, les planificateurs présentent un projet dans un document qui constitue la base pour les stratégies des différentes bureaucraties et organisations nationales. Ensuite, la meilleure proposition parmi le répertoire des réponses sera adoptée, et qui répond à l’objectif d’atteindre le maximum d’objectifs avec le minimum d’effort. Il s’agit là de simplifier le processus décisionnel pour noter la complexité de la tâche.
Le souci c’est que la transition démocratique n’est pas le produit de ce type de schéma. Dans la situation de l’Algérie aujourd’hui, pour réussir cette transition, les Algériens sont amenés à choisir non pas la meilleure proposition, mais la proposition la moins mauvaise. L’essence de la planification de la transition démocratique peut être décrit ainsi : le projet de la transition démocratiques (comme les autres programmes et grandes politiques) n’est pas le produit de planificateurs d’experts, qui déterminent rationnellement les actions nécessaires pour atteindre les objectifs souhaités. Il est le résultat de controverse, de négociation et de marchandage entre les fonctionnaires et les groupes ayant des intérêts divergeant et des perspectives différentes.
Agir signifie tenir compte des contraintes culturelles et institutionnelles. En d’autres termes, il n’est pas possible de formuler une stratégie sans parler de la mise en œuvre. C’est une chose de concevoir et d’élaborer une feuille de route ; c’en est une autre de la mettre en œuvre à travers un réseau complexe d’institutions et d’organisations nationales.
Elle peut naître dans les débats au plus haut niveau de pouvoir de l’opposition et des représentants de la société civile, mais elle vit ou meurt dans l’action concertée d’une myriade de fonctionnaires subalternes. C’est à travers les institutions que les stratégies sont finalement mises en œuvre, réussisse ou échoue. Les groupes aux intérêts concurrents veillent à ce que toute stratégie soit modifiée en fonction de leurs intérêts particuliers. Les États sont constitués de formations politiques qui se prêtent à un jeu politique. La complexité du processus décisionnel fait que les politiques publiques sont souvent le résultat de pressions concurrentes plutôt que d’une logique entraînée par des visions d’un « acteur rationnel ».
Dans le cas du système politique algérien (démocratie ou pas), il y aura toujours des différences durables entre les principales parties prenantes (bureaucraties, groupes de la société civile et les partis d’opposition) dans les valeurs, les ressources, les croyances, l’information, les intérêts et les perceptions de la réalité. Pourquoi dirais-je cela ? Parce que l’opposition doit connecter son discours actuel de contestation à un discours de gouvernance. Il faut qu’il y ait un pont entre les deux discours. On mobilise pour se faire élire, et on mobilise pour gouverner et appliquer son programme car le consentement des populations est l’essence du système à édifier.
La feuille de route (comme la stratégie nationale) est une symphonie produite par de nombreux joueurs. Elle n’émane pas à partir d’une seule vision unifiée du monde. Pour commencer, il faut déjà commencer par clarifier les concepts. L’utilisation de termes définis avec précision est essentielle dans n’importe quelle profession et ce n’est pas une question sémantique. Dire que les termes doivent utilisés et compris correctement n’implique pas que leurs significations soient définies dogmatiquement.
Un grand soin doit être affiché dans l’évolution des significations. Par exemple, il est plus intéressant d’utiliser l’expression « projet de la transition démocratique » que le terme « transition démocratique ». Pourquoi ? Transition ? Mais vers où ? « Transition » suppose un mouvement sans contrôle ; elle suppose passivité des acteurs alors qu’elle exige proactivité. « Projet », par contre, suppose un contrôle sur le processus.
Pareil pour « révolution ». Il vaut mieux utiliser « transformation » de la société algérienne. L’avenir des révolutions n’est pas connu d’avance ; c’est comme si on se dirige vers quelque chose sans avoir un cap ni un contrôle sur le processus. Mais ce n’est pas ce que nous voulons. Par contre, « transformation » suppose l’existence d’un projet ou d’un plan avec une direction claire et un point d’arrivée. Transformation suppose proactivité (et non pas passivité ou réactivité). D’autres exemples peuvent être cités. C’est important. Les concepts ont un sens et la politique est souvent faite par des discours.
C’est à travers le discours que les dirigeants se placent dans le monde. Lorsqu’ils agissent, leurs discours constituent simultanément des masques, des boucliers et des contenants de valeurs. Le discours a trois caractéristiques qui décrivent sa fonction dans la vie sociale : «façons d’être», «façons d’agir» et « façons de représenter». Ensemble elles font du discours une « partie de l’action ». Sans être passif, le discours est un moyen d’«identification», d’«action » et de « représentation ». Les discours comprennent des représentations de la façon dont les choses sont et ont été, ainsi que des imaginaires – des représentations de la façon dont les choses pourraient ou devraient être.
Les discours comme des imaginaires sont adoptés pour encadrer de nouvelles façons d’agir et d’interagir, et peuvent inculquer de nouvelles façons d’être c’est-à-dire de nouvelles identités. Celles-ci sont « constituées dans et par les discours » et la construction des identités est un processus intrinsèquement politique et dépend de discours hégémoniques et contre-hégémoniques concurrents. Les interconnexions entre le langage et le pouvoir dans le contexte de la politique identitaire sont évidentes.
Langage, textes, communications, etc. doivent toujours être considérés dans leur contexte social ; à la fois ils influencent et sont façonnés par des processus plus larges de la société. Le discours « est façonné socialement, mais il est aussi façonnant ou constitutif socialement». Le discours ne se contente pas d’informer passivement sur le monde, mais il l’imprègne de sens, le fabrique, et façonne les perspectives. Il est un instrument de la construction sociale de la réalité. C’est un « processus créatif et productif, un acte par lequel rien n’est copié mais quelque chose de nouveau vient d’être — un nouveau monde est décrit ». En d’autres termes, l’opposition doit élaborer un discours structurant.
Maintenant, revenons à la « Plateforme pour le changement en Algérie ». Les propositions pourraient être appliquées dans certains contextes, mais pas le contexte actuel. Il est difficile de la mettre en place en 40 jours puisqu’elle prévoit « le retrait du Chef de l’Etat à l’issue de son mandat actuel le 27 avril 2019 ». Les propositions nécessitent un investissement important qui ne peut pas être réalisé dans une courte période. Prenant brièvement les quelques propositions une après l’autres :
«L’entrée dans une phase de transition qui permettra au Peuple de concrétiser son projet national ; » D’accord. Mais comment ? Que signifie concrètement ?
«La mise en place d’une « Présidence collégiale » composée de personnalités nationales dignes de confiance et s’engageant à ne pas rester au pouvoir à la fin de la transition ; » D’accord. Mais quelles sont ces personnalités ? Je dirai c’est large. Une telle proposition aurait un sens si le président part dans une année par exemple. Dans ce cas, on peut reporter la réponse à plus tard. A 40 jours de son départ (17 avril 2019), il faut une liste de ces personnalités. 40 jours semblent une période insuffisante pour atteindre cet objectif sans qu’il ait des conséquences.
«La mise en place d’un « Gouvernement de salut national » nommé par la présidence collégiale, chargé de gérer les affaires courantes de l’Etat ». La mise en place d’une présidence collégiale est signe de divergence qu’il n’y a pas de consensus autour d’un leader bénéficiant d’un large consensus. La mise en place de la présidence collégiale et du «Gouvernement de salut national» pourrait se faire, mais les secousses seront ressenties, et se prendra plus de temps que prévu.
«Un débat national inclusif qui définira les modalités pratiques d’une révision constitutionnelle ainsi que l’organisation d’élections à l’issue de la phase de transition ; » Intéressant, mais trop vague. La tâche sera difficile dans un pays n’ayant pas une tradition démocratique fortement ancrées, alors que le régime a abimé toutes les institutions capables de jouer ce rôle. Il faut certainement une période durant laquelle ces institutions et organisations de la société civile se régénèrent. Une période où ces institutions ne seront pas opérationnelles à 100%.
«L’engagement de l’Armée Nationale Populaire et des services de sécurité à assurer leurs missions constitutionnelles sans interférer dans les choix politiques du Peuple ». Contradiction, le principe civilo-militaire impose la subordination de l’armée au civil. Il y a quelques mois, l’opposition demande l’intervention de l’armée et aujourd’hui on demande à l’armée de respecter « ses missions constitutionnelles» d’autant plus la plate-forme indique plus haut ceci « Bouteflika vient de piétiner la constitution actuelle, qu’il avait imposée, […] ». Le terme « imposée » signifie que la constitution n’a pas eu consentement du peuple c’est-à-dire n’a pas de légitimité. Donc on demande à l’armée de respecter « ses missions constitutionnelles » définies par une constitution qui n’a pas le consentement du peuple.
Où voulais-je venir ? Discuter de la constitutionnalité de la démarche du clan présidentiel n’a pas sens. Car la légitimité de la constitution elle-même est remise en question. La responsabilité du pouvoir dans la crise que traverse l’Algérie aujourd’hui est indéniable. Le tribunal de l’histoire rendu son jugement : le régime est coupable. Aujourd’hui ; les Algériens sont face à des choix difficiles et sont amenés à choir la solution la moins mauvaise. L’opposition doit changer de logiciel.
Au lieu d’être « une opposition d’opposition » (si je puisse utiliser cette expression), elle doit devenir une « opposition de proposition », une « opposition de gouvernance » et montrer sa capacité à gouverner.
Un homme ou parti politique doit mobiliser pour se faire élire et appliquer son programme ; il doit aussi être en mesure de mobiliser pour gouverner – la tâche est encore plus difficile lorsque l’on est aux commandes. Dans un sens, l’opposition n’a pas encore intégré les changements en cours dans son logiciel ; si c’est le cas, elle aurait déjà établi un discours de gouvernance. Son discours est resté un discours de contestation, alors qu’elle doit le connecter à un autre temps politique, puisque plus que jamais l’alternance au pouvoir n’est plus un rêve en Algérie. Peut-être parce que l’opposition est consciente de sa faiblesse, et c’est pour ça qu’elle ne se projette pas dans l’avenir.
A vrai dire l’opposition est aujourd’hui otage de la Rue parce elle-aussi n’a pas joué son rôle. La preuve : Aucun parti politique ne peut prétendre que c’est lui qui a mobilisé la Rue. L’opposition a en fait rejoint la rue. Tout en étant conscient de l’impopularité de l’idée d’une transition négociée, il me semble qu’il est important de prendre le temps d’étudier une telle option. Car si l’on se trompe, les conséquences sont concrètes. Il s’agit d’agir dans le monde réel. Il ne s’agit pas d’une analyse académique que l’on peut corriger avec un autre article. Faire la politique c’est aussi discuter avec ses adversaires. A 40 jours fixés au président, il n’y a pas de proposition concrète envisageant la façon d’organiser la transition. Comme dit le proverbe, soit avoir la philosophie de ses moyens, soit créer les moyens à sa philosophie.
En d’autres termes, soyez idéalistes dans vos idées, mais réalistes dans vos moyens. La plateforme citée entraîne plus de questions que de réponses. Les populations demandent plus liberté, mais aussi plus d’efficacité. Par le passé, des citoyens algériens sortaient dans la Rue pour demander de retirer la gestion des écoles ou Kofat Ramadan, par exemple, des communes à cause d’une mauvaise gestion, et les confier aux services des Daïra ou de des Wilaya. Ce qui est une régression démocratique. En outre, le retour des membres des régimes de Ben Ali et Moubarek au pouvoir est en partie dû à l’incapacité et les erreurs à gérer efficacement la période post-Ben Ali et post-Moubarek.
Tout le monde est d’accord sur l’impératif d’une restauration profonde du régime algérien et aller vers une deuxième république, mais il y a plusieurs manières d’y arriver. Si on tue le débat, on risque de sombrer dans le conformisme. On risque de créer même climat qui a conduit l’administration Bush à intervenir en Irak. Tout le monde devient « dégagiste » (Dégagez !) et on oublie l’essentiel c’est-à-dire faire la politique et chercher des solutions. Tous les opposants à la guerre contre l’Irak ont été discrédités comme non-patriotiques.
Finalement, les Etats-Unis sont allés en guerre, et on s’est rendu compte que c’était une erreur monumentale. Evitons donc un tel climat. Le débat politique a besoin d’être aéré. Accepter de discuter de la proposition du gouvernement n’est pas lui apporter un soutien. Il n’y a pas à rejeter la proposition de gouvernement par principe. L’important c’est de rester mobilisé en ayant des propositions concrètes et réalistes. A 40 jours de la date fixée au président, tout prétendant à un rôle politique quelconque doit présenter des propositions-projets qui répondent à pourquoi, combien, comment et quand. Si l’opposition n’est pas en mesure de faire émerger une telle proposition, alors qu’elle se donne la peine d’étudier ce que l’on propose sur le marché des idées. C’est une question de cohérence.
Etudier la proposition du gouvernement ne signifie pas renoncement ou faire confiance, mais simplement que l’on n’a pas le droit de se tromper. Pour éviter les erreurs (comme Bush en Irak), il faut libérer le débat et ne pas s’enfermer dans des slogans et des solutions simples. Le régime a amèrement échoué. L’opposition n’a pas le droit à l’échec. Mais s’enfermer dans « Dégagez » n’est pas la solution. Aujourd’hui, l’opposition et la société civile est en position de force, ce que leur permet de conduire le changement et réaliser la quasi-totalité des revendications même avec la proposition du gouvernement. Avant de dire non, testez au moins le gouvernement ; si le régime ne répond pas favorablement, vous pourriez toujours faire appel à la Rue. C’est un processus évolutif qui doit être soutenu par un rapport de force constamment mobilisé.
Personnellement, une transition négociée semble constructive à condition que l’opposition reprenne l’initiative et qu’elle ait le courage politique. En quoi consiste la proposition du régime : une année de transition d’un an (horizon temporel) ; gouvernement de technocrate et conférence nationale inclusive avec la responsabilité de mettre en place l’architecture institutionnelle de nouvelle république. Après tout, il ne s’agit que de proposition que l’on peut enrichir intelligemment et fermement. Faire la politique c’est aussi négocier avec ses adversaires politiques. Si l’opposition et la société civile arrivent à déterminer ses compositions et l’ordre du jour, l’opposition sera en mesure de conduire le changement. Le gouvernement technocrate sera chargé de gérer les affaires courantes. Quelques questions n’attendent la fin de la transition ;
1) la surveillance des frontières contre les fuites de capitaux, un phénomène qui prend de l’ampleur durant les moments d’incertitude.
2) la reprises des grands dossiers de corruptions qui ont suscité une grande polémique ces dernières années sous la présidence Bouteflika. C’est important. Ce sera une occasion de tester la volonté du régime et passer un message clair aux Algériens que la corruption sera bannie. Ce serait l’occasion d’affirmer l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique.
3) accélérer l’élaboration d’un fichier national selon besoins des populations selon leurs revenues pour rationnaliser la politique de subvention. Il faut la rationnaliser d’autant plus qu’elle contribue au système clientéliste. Cette politique de subvention de masse est inefficace économiquement, injuste socialement et dangereuse politiquement.
4) régulariser le champ médiatique (public et privé) en garantissant la liberté d’expression et surtout en mettant des critères transparents sur le financement et la publicité. Les journalistes n’auront pas du mal à apporter des propositions concrètes. Il s’agit de mettre fin au système clientéliste et d’intimidation des journalistes. C’est-à-dire garantir l’indépendance financière du pouvoir politique.
5) assainir le mouvement associatif, parce que nous avons assisté, ces dernières années, à la prolifération d’associations sans une présence réelle sur le terrain dont le rôle est de soutenir le régime en bénéficiant d’énormes aides. Ce secteur fait partie du système clientéliste. Ces mouvements nuisent à un fonctionnement démocratique sain. D’où le besoin de l’assainir.
6) Commencer à réfléchir à la meilleure façon de sanctuariser le droit et le processus électoral. L’adoption d’une nouvelle constitution sans la sanctuarisation du processus électoral n’a pas de sens. Souvent le problème en Algérie a été dans l’application de la loi que dans les lois elles-mêmes.
7) La réactualisation et la mise à jour du Registre national des électeurs pour garantir une transparence et sanctuariser le processus électoral de toute manipulation et fraude.
Ce type de décisions peut être géré durant la transition par le gouvernement technocrate. Il y a évidemment d’autres points. Les organisations professionnelles peuvent apporter leurs contributions. En même temps, la Conférence nationale inclusive continuera ses travaux et réflexions. Peut-être il est également intéressant d’envisager une restructuration de fond en comble du paysage politique algérien.
C’est justifié étant donné le rejet du politique et l’incapacité des partis politique à mobiliser. Dans ce contexte, pourquoi ne pas envisager le renouvellement du paysage politique algérien ; il serait utile que tous les partis politiques s’engagent dans un processus de restructuration impliquant même un changement de nom. Ce qui permettra d’ouvrir la porte aux jeunes et briser le monopole des anciens membres.
Ce qui entraînera nécessairement d’autre façon de faire la politique que la «Chkara ». Ce serait aussi l’occasion pour que les Algériens s’approprient le FLN comme un aspect du patrimoine historique algérien. « Faites confiance, mais vérifiez», disait Ronald Reagan. Dans notre cas, on peut dire : négociez, mais restez constamment mobilisés. Simples propositions. Il y a des choix à faire, mais aussi des sacrifices. Soyons pragmatiques, mais mobilisés.