22 novembre 2024
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Profession, constitutionnaliste d’un régime autoritaire

OPINION

Profession, constitutionnaliste d’un régime autoritaire

Sid Lakhdar Boumediene

Il y a toujours eu des troubadours des autocraties comme le singulier chanteur Driassa. Il y a toujours eu des journalistes, des intellectuels et des universitaires qui ont soutenu des régimes militaires. Parmi cette armée de soldats, il y a bien entendu ceux qui, sous le couvert d’une expertise adoubée par les militaires, légitiment leur constitution, c’est-à-dire le texte fondamental qui les recouvre d’un habillage légaliste.

Et dans le degré de responsabilité il n’y a qu’une marge bien mince entre ces derniers et ceux qui commettent les crimes. Fatiha Benabou, professeure de droit constitutionnel, n’est pas la seule dans ce cas mais elle est au Panthéon des juristes officiels, haute dignité qu’elle partage avec un autre personnage dont il a été très souvent question dans mes écrits.

Pourquoi cette affirmation si extrême pour une personne qui, dans l’apparence, représente un point de vue universitaire et qui ne porte ni tenue militaire ni ne brandit une carte politique lorsqu’elle s’exprime ?

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Dans une déclaration à El Moudjahid (ce qui est déjà en soi une indication), voici ce qu’elle déclarait : « Le référendum sur l’avant-projet de révision de la Constitution, attendue le premier novembre prochain, constitue un processus essentiel dans l’institutionnalisation du pouvoir ».

Et de rajouter, comme dans toutes les autres interventions : « Le Président Tebboune prend la voie légaliste ».

Normalement, mon article devrait s’arrêter là, il n’y a vraiment rien d’autre à rajouter pour argumenter davantage ma position sur le personnage. L’Algérie connaît depuis longtemps cette catégorie de citoyens compromis et je pourrais répéter leurs discours au mot près tant il s’est sédimenté depuis un demi-siècle.

Ces constitutionnalistes, je les accuse encore plus fortement que les autres compromis, pour deux raisons. L’une n’est que marginale, on ne peut qu’être offusqué par la compromission des professeurs de droit constitutionnel lorsqu’on a étudié le droit constitutionnel comme cela fut mon cas.

Mais l’autre raison, plus profonde, se décline en de nombreux points qui ne sauraient faire preuve d’une quelconque clémence envers Fatiha Benabou.

Lorsque la terreur d’un régime militaire sévit depuis des décennies, il sévirait d’ailleurs depuis bien moins longtemps que cela ne changerait rien au propos, on ne commente pas un texte juridique émanant de ce régime militaire d’une manière académique, on le combat férocement. 

On ne commente pas un seul mot d’un document qui est censé légaliser une horreur absolue, il faut le combattre d’un bloc. Il n’y a rien de plus cynique que s’enrober de grandes déclarations sur la liberté et les droits fondamentaux en les incarcérant à la moindre expression de leur part.

Commenter la terreur organisée avec le langage de la liberté est la science universitaire de cette dame. Fatiha Benabou décortique les articles, analyse et organise avec elle-même un débat intellectuel sur ce qui serait ou pas conforme au droit. En quelque sorte Mme Fatiha Benabou fait un cours de droit constitutionnel entre les murs d’un pénitencier pour opposants politiques afin de les instruire des droits fondamentaux conçus par leurs geôliers.

Elle n’est absolument pas au courant que l’Algérie souffre depuis plus d’un demi-siècle d’une mainmise criminelle des concepteurs de la constitution et que le pays est actuellement au bord de la guerre civile. Elle n’a jamais entendu parler de centaines de démocrates incarcérés pour avoir exprimé leurs idées.                                                                                                                                                                     

Ces idées garanties par le canard que Fatiha Benabou commente, par profession universitaire. Ce bout de papier qui fait sa notoriété médiatique et dont elle a essuyé les larmes et le sang qui coulent de chaque lettre pour pouvoir nous le lire. Fatiha Benabou va encore plus loin, elle félicite le pantin des généraux de « prendre la voie de la légalité » en respectant ce document et en voulant le réformer selon ses propres articles. 

Cette dame me répondrait certainement avec le même argument que toutes les dictatures utilisent depuis si longtemps  : « Le peuple s’est exprimé par les urnes ».                          

Madame Fatiha Benabou, à un ignorant qui argumenterait de la sorte, je ne perdrais pas mon temps à lui répondre juridiquement. Mais vous, même si je ne vous crédite pas d’un niveau de pensée et d’attitude plus élevés, je vous réponds car vous êtes médiatiquement un danger pour le peuple algérien.

Un texte constitutionnel est un contrat d’adhésion d’un peuple à la loi fondamentale d’un pays, celle d’où découlent toutes les autres. Or, Madame Fatiha Benabou, si vous aviez suivi un cours de droit tel qu’il se définit dans un régime démocratique, la terreur par la violence annule tout contrat car obtenu sans consentement réel. 

Le droit des contrats est tout à fait transposable à la constitution même si nous sommes dans les  zones confondues des domaines juridiques et politiques. De ce fait, le consentement éclairé des citoyens (les contractants) est l’un des quatre piliers qui valident un contrat. Un seul des piliers manquerait et s’annule toute légitimité et force exécutoire du contrat. C’est un vice de forme qui entraîne ce qu’on appelle une nullité absolue, c’est à dire qu’elle peut être évoquée par toute personne et sans possibilité de plaider une remise en cause partielle. 

Un enfant de trois ans comprendrait que dans la cour de récréation, tout consentement qui lui serait arraché par la violence n’est pas légitime. Et que s’il consent et se tait c’est par la crainte des représailles. Madame Benabou ne semble pas avoir le même discernement que ce très jeune enfant.

La violence, en droit, peut être physique ou morale. Dans le cas du régime militaire, c’est le cumul des deux. 

Deux autres piliers de la validation, la non existence d’une erreur d’un peuple ou sa tromperie volontaire. Or c’est manifestement deux armes de la dictature militaire, duper et provoquer l’erreur. Le consentement est alors altéré et le contrat s’annule, ce que ce même enfant de huit ans comprendrait. 

Lorsqu’un journal comme Le Matin d’Algérie ou tant d’autres expressions paraîtront librement en Algérie, alors on pourra évoquer le consentement éclairé des citoyens, condition nécessaire pour valider le contrat politique. 

Une opinion n’éclaire pas seule un consentement mais c’est la confrontation libre des idées et des propositions qui le pourraient, en tout cas qui essaieraient. Lorsqu’un peuple est, du matin au soir, depuis l’école jusqu’à la tombe, matraqué de propagande d’État (nationaliste et religieuse) et interdit d’informations ou de débats contradictoires, Mme Fatiha Benabou aura du mal à nous convaincre du consentement éclairé des citoyens.

Elle, dit-elle, ne fait pas de politique. Elle est une professeure de droit constitutionnel et n’a rien à avoir avec toute autre considération partisane. Il est bien connu, dans l’histoire de l’humanité, qu’une dictature militaire est hors du champ de la politique et que ses textes constitutionnels sont hors de la polémique. Qui ne sait pas cela ?

Mme Fatiha Benabou fait continuellement des commentaires de droit constitutionnel comme j’en faisais il y a quarante-six ans sur les bancs de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Mais j’ai grandi depuis et je n’ânonne pas des articles comme le ferait un étudiant de première année ainsi que Mme Fatiha Benabou. 

Surtout, je sais ce qu’est la différence entre un texte constitutionnel et sa pratique avec une farce qui est maquillée grossièrement d’habits démocratiques. À ce niveau de grossièreté je le savais déjà à l’époque de mes vingt ans car je n’avais ni l’âge de la compromission ni la débilité de ne pas m’en apercevoir.

Mais je ne suis peut-être pas aussi légitime que les « douctours » du régime militaire pour parler de la constitution algérienne car j’ai appris le droit avec des impies sur une terre de colons que l’Algérie avait dégagé avec le sang de ses valeureux, selon l’éternel discours de ceux qui dirigent le pays.

Elle est donc certainement plus compétente et sur la « bonne voie de la légalité », selon ses propos sur Tebboune, car elle légitime des textes de liberté et d’humanisme rédigés par des valeureux, toujours en armes depuis un demi-siècle pour défendre la dignité, la paix et la prospérité des Algériens.
 

Auteur
Boumediene Sid Lakhdar, enseignant

 




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