24 novembre 2024
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AccueilChroniqueQuand le tamazight fut une victime collatérale de la religion  

Quand le tamazight fut une victime collatérale de la religion  

Tifinagh
Des inscriptions en tifinagh trouvées à Abizar en Kabylie.

Pour d’aucuns, les Maghrébins ne sont pas seulement arabophones, comme on l’entend souvent de la bouche d’une grande partie des élites « arabisantes », mais de culture arabe. Ce qui apporte plus qu’une nuance à la question linguistique, déjà combien complexe, de la région nord-africaine en général, et de l’Algérie en particulier.

Il va de soi que cette culture arabe a triomphé de diverses cultures venues de l’étranger et ancrées, au fil des siècles, en Afrique du Nord.

Quel en était le secret? En somme, l’on peut dire que, comme auparavant pour le latin, c’est la religion. Depuis l’antiquité, la langue berbère fut la victime collatérale de la religion des « envahisseurs », des « nouveaux débarqués »  » des entrants », peu importe les qualificatifs que l’on leur donne,  et ce pour des considérations spirituelles. C’était le cas avec le Judaïsme, puis avec le Christianisme, et enfin avec l’Islam. Les Berbères furent un peuple très spirituel et attaché à la croyance, ce qui justifie, au demeurant, le polythéisme dont ils furent célèbres.

En conséquence, malgré leurs résistances du départ, ils embrassèrent vite les nouvelles religions. Avec l’invasion romaine, la romanité, qui avait, elle-même, réduit à sa plus faible expression  la culture « carthaginoise » (pour rappel, la langue punique « commerciale » fut également officielle au côté du latin dans le Royaume numide depuis l’Aguellid Massinissa), était restée l’apanage de la bourgeoisie romaine, installée généralement dans les centres urbains, surtout après la destruction de la cité de Carthage en 146 av. J.-C. Une question s’impose ici : quel est le statut du berbère ?

Force est de dire que cette langue fut circonscrite au domaine de l’oralité et à l’usage populaire. On ne faisait de la politique, la diplomatie, le commerce, l’économie qu’avec le latin et le punique. Empruntant le latin comme langue officielle, le catholicisme a réprimé, à son tour, le berbère. Ce fut dans cet esprit que Saint Augustin, le fils de Thaghast (Souk-Ahras) et docteur de l’Eglise officielle, avait déclaré hérétiques les Donatistes contre lesquels il avait cautionné les persécutions menées par l’Empire jusque dans leurs églises, puisque ces derniers voulaient, parait-il, pratiquer leur culte en berbère, la langue de leurs ancêtres.

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A la base, le Donatisme fut une doctrine « prolétaire », à l’image du Protestantisme, pour la religion chrétienne. Grâce à l’alliance des « Circoncellions » (les Berbères prolétaires), il s’est transformé en une force militaire puissante.

Saint Donat fut plutôt un chef spirituel, à l’image de Martin Luther de la Réforme du XVI e siècle en Europe. En représentant attitré de l’église des pauvres contre l’église officielle de l’Empire, il avait tenté d’imposer une sorte  d’école  de « chrétienneté berbérisée » aux Romains.

Le schisme donatiste reflète, d’une certaine manière, un syndrome atavique :  « l’insoumission permanente des Berbères à l’ordre établi ». Vers 372-275, après avoir tenté de récupérer le mouvement, Iferman, appelé ou plutôt « latinisé » Firmus, allié aux Donatistes, avait échoué de battre le général romain Théodose à cause de la trahison de son frère Gildon. Il finit par se suicider. Malédiction ou atavisme séculaire, les Berbères n’arrivent plus à s’entendre contre les ennemis, mais s’entretuent facilement entre eux-mêmes. L’étranger ou les étrangers chez eux furent, à la fois, source d’un mélange de « fascination », de « crainte » et de « danger imminent ».

L’épisode de l’aguellid Jugurtha avec le « traître » Bocchus est là pour nous rappeler que le sens de la « fraternité » berbère est sujet à de multiples interprétations. Puis vient celui de Saint Augustin contre Saint Donat. Suite à cette confrontation, l’Eglise officielle avait réussi à réduire à néant le Donatisme, quoique l’influence de ce dernier fût pour longtemps prégnante dans les esprits.

Enfin, une chose est sûre, le municipalisme démocratique concentré autour de l’idée de la tribu, de « tadjemâat » (conseil du village) et du repli villageois, avait eu pour résultat d’émietter, durant l’époque romaine, la communauté berbère en de multiples petites agglomérations insignifiantes, incapables de constituer un front commun et uni contre l’envahisseur-occupant.

Mais si le tamazight des villes fut absorbé par la culture romaine, celui des montagnes était resté ancré dans son authenticité, autour d’un legs mémoriel, fait de tradition orale, des us et coutumes ancestrales, gardées des siècles durant, par la femme en tant que garante du foyer et de la mémoire collective. En dépit de tous les aléas du temps et de l’histoire, tamazight  a pérennisé.

En fin de compte, l’on ne pourrait que confirmer un miracle linguistique qui ajoute du panache aux épopées de la résistance dont furent connus les Berbères, depuis la nuit des temps, contre toutes les formes d’invasion étrangère et de colonisation.

Kamal Guerroua

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