A l’aéroport d’Alger fraîchement baptisé Houari Boumediene suite à son décès, ils languissaient d’impatience pour fouler le sol de ce pays alors mythique pour eux.
Certains des négociateurs Algériens pour l’indépendance n’y avaient-ils pas séjourné ? Ainsi d’ailleurs que d’autres personnages illustres que l’on continue d’appeler « historiques ». Confiants, ils l’étaient. Trop même. Loin de se douter de ce qui allait leur arriver. Ils espéraient assouvir quelque peu leur soif de voir de près ce pays réputé être propre. Ils n’en franchirent même pas le seuil de l’aéroport. Dès leur descente d’avion, ils firent la queue, la chaîne comme on dit en bon Algérien. Après présentation de leurs passeports, l’agent douanier leur demanda de se mettre de côté, ainsi que deux autres personnes d’apparence arabe au faciès.
Omar eut la désagréable surprise d’observer que beaucoup de passagers d’apparence européenne passaient sans difficulté aucune. Il eut l’appréhension de se voir, non pas refoulé, mais interrogé. Ils se disaient qu’après explications, ils pourraient sortir ; après tout, ils avaient un pécule pour leur séjour de quelques jours. Et ils étaient fraîchement sortis de la plus prestigieuse école du pays. Peine perdue. Aucun de ces arguments à leurs yeux essentiels n’émut le préposé aux douanes. Il leur signifia qu’ils ne pouvaient entrer dans son auguste pays.
Dès demain, ils pourront regagner leur chère patrie. Ils étaient refoulés. Et ils passèrent la nuit dans l’aéroport, leurs passeports confisqués comme il se doit. Avec leurs compagnons d’infortune, ils se contentèrent d’un sandwich. Ils eurent l’idée d’appeler leur consulat. En vain. Leur cher consul d’alors ne daigna ni se déplacer, ni dépêcher quelqu’un pour les écouter et défendre leur cause. Ils réalisèrent, à leur grand regret, qu’ils étaient peu de choses venant d’Algérie. Y compris pour leurs représentants. Ils n’étaient pas des citoyens au dessus de tout soupçon…
Cette triste mésaventure lui permit de comprendre que les discours qu’on nous servait chez nous sont plus de la rhétorique qu’autre chose. Et ne le découragea pas de revenir à la charge de la citadelle Europe. Avec l’un de ses compagnons d’infortune, et sur leurs propres deniers, ils prirent le chemin de la Tunisie de Bourguiba, le pays de Habib le bien nommé. Le pays frère. Sans encombre, ils passèrent quelques jours à Tunis. Somme toute, agréables.
C’était l’été. Il faisait beau. Ils étaient jeunes, frais émoulus. Tunis était une petite ville qui leur rappelait Alger. En plus petit. Nos frères tunisiens plus accueillants. Plus inventifs. C’était les années quatre-vingt. Et la Tunisie amie organisait le tourisme comme l’un des piliers de son économie. Au grand dam de nos technocrates et dirigeants qui suivaient leur lubies de rattraper en quelques années les pays industrialisés.
Ils eurent l’idée de traverser la mer. Pas à la nage ! En bateau. Pour se rendre en Italie. Si l’on peut dire, c’est tout proche. La harga n’était pas encore à la mode. L’Italie du Sud où nos ancêtres durent également se déplacer pour y rester quelque deux siècles et y laisser quelques traces architecturales. Ils jetèrent leur dévolu sur la Sicile. Le mauvais souvenir de l’aéroport de Genève était loin derrière eux. Ils prirent le bateau. Traversée calme. Ils découvrirent la mare nostrum.
La vaste Méditerranée. De nombreuses heures. Sans sommeil. La fatigue du matin les surprit avec la douane italienne. Ils étaient de nombreux jeunes. Déjà. Candidats qui à l’exil qui, comme eux, à la découverte de l’Europe. Il rappela à son souvenir la langue italienne étudiée au lycée. « Ecco il documente », « Ho denari », s’écriaient-il alors à qui mieux mieux pour se faire entendre et se faire admettre au pays de Dante. Après moult palabres et allers-retours du douanier dans un bureau adjacent, celui-ci leur fit signe de sortir. Sans doute convaincus de leur bonne foi, leurs passeports d’étudiants et les quelques devises.
Ils purent alors dire adieu à Genève et à la froideur de son accueil. Ville qu’il finit par voir quelques années plus tard, étant déjà en exil à Paris. Sans rancune, mais sans grand enthousiasme… Leur séjour à Naples et à Trapani leur permit de mesurer la différence d’avec le pays le plus bancarisé au monde. Quelques années plus tard, il apprécia davantage le film « Pain et chocolat ».
Même l’exil d’Européens de l’Italie était difficile dans la citadelle helvétique. Quelques jours de promenade où les statues se découvraient à l’œil nu, dans les rues. Les ruelles de la Sicile, avec les cordes d’où pendait le linge à sécher. Comme à la Casbah ou à El Harrach d’Alger. Ou à Diar En Nakhla de Sétif.
Les filles qui, en été, conduisaient leurs motocycles en ville. Les petits restaurants où ils se sont rassasiés de pasta italiana et de pizzas. L’accueil chez une famille italienne, puis à l’hôtel. Somme toute une découverte d’un monde qui leur était proche géographiquement. Et d’une certaine façon historiquement.
Roma. Belle, même par chaleur estivale. Le soir, dans les rues et ruelles. Dans les terrasses de café. Moments inoubliables dans la ville du colisée. Et les déambulations dans la ville éternelle. Il put converser avec nombre d’Italiens. Lire quelques quotidiens. Voir des films en bande originale. Rester tard le soir à voir la ville s’endormir peu à peu. Les feux des cafés proches de la gare centrale demeuraient cependant éveillés. Quel panache ! Merci Rome d’avoir sauvé l’honneur perdu de Genève dont l’insoutenable arrogance le laissa perplexe de nombreuses années.
Ville riche des comptes généreusement garnis. Certains de nos dirigeants en savent quelque chose. Commissions d’importation, fruit de surfacturations résultant d’achats alimentaires et autres produits manufacturés, déposées dans des comptes protégés par le secret bancaire qui permet bien des accointances douteuses. Qu’importe d’où vient l’argent, pourvu qu’il y ait l’ivresse !
Les gueux qu’ils étaient n’y sont pas les bienvenues. A la table des preux de la corruption ils ne sont conviés. Tant mieux pour eux, mais tant pis pour leur économie mise ainsi en coupe réglée par quelques mains expertes dans des officines tenues secrètes. Et pour cause… (A suivre)
Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat
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