28 mars 2024
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Réforme constitutionnelle : les propositions de Jil Jadid

TRIBUNE

Réforme constitutionnelle : les propositions de Jil Jadid

Crédit photo : Zineddine Zebar.

Régime politique, équilibre des pouvoirs équilibres, le pouvoir judiciaire, la cour constitutionnelle, le pouvoir sécuritaire… Jil Jadid nous a fait parvenir ses propositions pour le débat sur le projet de constitution que veut mener le chef de l’Etat. 

Préambule 

L’Algérie a besoin de réformes profondes. Le pays doit se préparer à un changement de régime tant dans sa conception que dans sa pratique. Car, au-delà des nécessaires amendements à la Constitution et aux lois actuelles qui organisent la vie publique et politique, il est indéniable que le peuple algérien a atteint un degré de maturité tel qu’il ne peut plus accepter d’être dirigé comme il l’a été durant ce dernier demi-siècle. Le régime qui a régné sur la société n’a plus, de toutes les façons, d’ancrages psychologiques, doctrinaux, moraux et politiques pour pouvoir persister tel qu’il est.

Une nouvelle génération d’Algériens, plus nombreuse, plus instruite, plus ambitieuse et plus compétente a éclos et ne peut être contenue dans les rets d’une pensée politique façonnée par les nécessités de l’histoire mais qui n’a plus ni générosité, ni créativité, ni plus aucun argument raisonnable à proposer pour maintenir un système politique obsolète et dont les « copies conformes » viennent de s’effondrer dans des circonstances dramatiques dans plusieurs pays à culture similaire.

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La nouvelle génération a une façon de voir la vie qui diffère de celle de sa précédente.  Sa vision des faits, ses ambitions, ses désirs et ses espoirs sont nouveaux et actualisés et doivent donc être respectés. Le monde a changé. L’Algérie aussi.

Malgré tout, les Algériens ont pu bénéficier de l’instruction généralisée, des soins abordables et de soutiens sociaux. Cela a été possible grâce à la rente pétrolière et non pas à une quelconque vision stratégique. Mais aujourd’hui, les données ne sont plus les mêmes. L’Algérie doit s’adapter aux nouvelles réalités du monde. Des défis nouveaux nous attendent. L’économie-monde est en plein bouleversement et une ère difficile est devant nous. Des secousses violentes peuvent survenir, à tout moment, autour de nous et donc chez nous.

L’Etat de Non-Droit qui est encore le nôtre, a pu survivre tant que la conscience politique de la population le permettait. Cela est dorénavant impossible à le faire admettre à nos concitoyens. 

L’Algérie a devant elle une opportunité pour tourner pacifiquement une page de son histoire et inscrire d’un même geste ce passé dans la mémoire collective. Elle a aussi, devant elle, le risque de sombrer dans le désordre et le déchaînement des passions.

Le Président de la République et les institutions dans ce pays doivent assumer toute la responsabilité qui est la leur. Ils sont les seuls à être en situation d’engager le pays vers la stabilité car ils sont aux commandes. Ce sont les faits. Seule une réponse claire, volontaire et loyale aux demandes du mouvement citoyen déclenché le 22 février 2019 pourra mener le pays à bon port.

Jil Jadid est conscient de la complexité de la tâche. Cependant, il agira pour une évolution pacifique, réaliste et possible pour notre système institutionnel et notre vie politique et décide de ce fait, de proposer sa contribution pour la réforme constitutionnelle dans la recherche des meilleures solutions, tant que la parole a encore un sens. 

I/ Propositions générales

La Constitution organise l’architecture institutionnelle du pays. Elle répartit les pouvoirs et les organise. Les modèles dans le monde sont nombreux et s’il est bon de savoir comment cela s’organise ailleurs, il est encore meilleur de s’inspirer de notre propre réalité. 

Depuis la théorie de la séparation des pouvoirs (théorie née alors que les monarchies étaient la norme) plusieurs formes de gouvernement ont été pratiquées. Il est encore classique aujourd’hui et y compris dans les Républiques, de faire référence à la séparation des trois pouvoirs : législatif, judiciaire, et exécutif. En fonction de la nature de l’Etat (monarchie ou république) la Constitution -ou la simple tradition- finit par stabiliser un équilibre particulier entre les divers centres de décisions. Le Présidentialisme (ou semi présidentialisme) est objectivement possible dans les seules Républiques. Le parlementarisme va de soi dans les monarchies constitutionnelles, bien plus nombreuses en Occident démocratique que nulle part ailleurs ! 

Cependant, dans tous les cas de figure, les pays développés fonctionnent avec des Etats de droit et selon des principes démocratiques. Mais durant le XXe siècle et surtout en ce XXIe siècle, une autre dimension, s’est peu à peu insinuée dans le fonctionnement institutionnel : la nécessité sécuritaire. Cela est devenu un besoin vitale pour les sociétés modernes assaillies par diverses agressions polymorphes.

  1. Nature du régime politique

Les institutions sont le reflet de l’histoire particulière de chaque nation ; il faudra donc accepter de réfléchir à partir de notre réel et non pas selon des projections théoriques sans liens avec notre société. L’équilibre des pouvoirs est atteint non pas par projection d’un schéma théorique mais par la réflexion sur une pratique au quotidien et qui définit les rapports des institutions entre elles.

L’Algérie, de par son histoire ancienne, ses structures anthropologiques et surtout de par son passé récent, ne pourrait fonctionner selon un modèle parlementaire. Non pas que les Algériens seraient moins démocrates, mais tout simplement parce que le parlementarisme n’émane pas de notre culture. Le parlementarisme a été d’abord l’expression de la démocratie dans des Etats monarchiques. Dirions-nous par exemple que les Américains ne sont pas assez évolués pour adopter un tel système ? Ou, a contrario, que les Anglais ne sont pas assez évolués pour appliquer chez eux un régime présidentiel de type américain ? Non, car tout simplement l’un et l’autre ne correspondent pas aux conditions socio-historiques de ces deux pays.

Au lieu donc de procéder par comparaison, qui n’est pas toujours raison, puis de tirer des conclusions malheureuses sur le peuple algérien, il serait plus profitable d’aboutir à des analyses et à des conclusions en relation avec le développement endogène de la pratique politique du pays.

Dans ces conditions, pourrions-nous choisir le système parlementaire ? Pour nous, la réponse est clairement négative car compte tenu de ce qui précède, de notre pratique politique et de l’état de notre classe politique atomisée suite à plusieurs décennies de privation d’exercice politique libre, cela ne pourrait que se heurter à une multitude de problèmes nouveaux et probablement indépassables. Ce qui nous conduirait rapidement à des crises politiques sans fin.

Il est donc inutile de bouleverser le schéma auquel s’est habitué le peuple Algérien. Le régime semi présidentiel est celui qui semble le mieux adapté à son tempérament. Il est naturel pour lui qu’un homme puisse représenter la nation. Notre culture nous prédispose à déléguer notre confiance à un homme qui représente le peuple. Cependant, il faut introduire des contre-pouvoirs sérieux à l’institution présidentielle et libérer par ailleurs des marges de pouvoir au profit d’autres institutions. Il serait imprudent de laisser le loisir à un homme, quel qu’il soit, d’user de tous les pouvoirs qui lui sont conférés par l’actuelle Constitution amendée en 2016. 

  1. L’équilibre des pouvoirs exécutifs

Le Président de la République, élu par le peuple, doit être le garant du fonctionnement normal des institutions de la République. Il doit pouvoir engager les réformes de fond et sur le long terme et conduire la politique extérieure. Il doit être la clef de voûte du système institutionnel et le Chef de l’exécutif au sens large. De par cette charge, il lui devient difficile de gérer un gouvernement au quotidien.

Il doit, à l’évidence, se faire seconder d’un véritable Chef de gouvernement, lui-même responsable face au parlement (donc choisi par le Président de la République avec l’aval de la majorité parlementaire – vote de confiance). Cela créera une tradition de dialogue entre les acteurs politiques et permettra également de faire émerger de nouveaux hommes et de les préparer pour la relève et la continuité des fonctions de l’Etat. Le Chef du gouvernement doit être nommé et démis par le Président de la République, cela évitera le conflit d’autorité et de légitimité ultime. Le parlement doit approuver le programme annuel du gouvernement ou s’en défier. Il doit également discuter et voter le bilan annuel.

Le poste de Vice-Président semble, par contre, en déphasage avec l’esprit du semi présidentialisme. Un exécutif à deux pôles (Présidence et Chefferie du Gouvernement) répond à des impératifs et à une logique politique. Par contre, un troisième pôle (Vice-Président), pourrait créer des tensions inutiles et des empiètements de prérogatives entrainant plus de confusion que de solutions.

La possibilité que le Vice-Président, désigné par le Chef de l’Etat, devienne lui-même Président de la République jusqu’à la fin du mandat en cas de retrait du titulaire élu, brise l’ensemble de l’échafaudage démocratique des institutions. 

Introduire des dispositions constitutionnelles pour éviter des situations d’instabilité exceptionnelles en renversant les valeurs de principe équivaudrait à annihiler l’esprit de la démocratie. Ce serait un grand mal pour un éventuel petit bien.

La construction de l’Etat de droit doit être un objectif impératif à réaliser dans les quelques années à venir. La limitation des mandats présidentiels et la séparation effective des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont essentielles.

  1. Le pouvoir législatif 

Le parlement (mono ou bicaméral) doit retrouver la noblesse de ses fonctions, de production des lois et de contrôle effectif de l’exécutif dans tous ses démembrements. Il doit recouvrer toute son autonomie.

Des élections libres et transparentes sont la condition sine qua non pour sa crédibilité et pour sa capacité à devenir le moteur de l’évolution du système politique.

L’autorité indépendante pour la gestion des élections devient ici un élément structurel et fondamental pour la dynamique du changement.

Enfin, la majorité qualifiée des représentants du peuple aura la paternité d’un gouvernement démocratique.

  1. Le pouvoir judiciaire 

Enfin, la justice devra être libéré et en même temps protégé contre toute intrusion politique et contre toute déviance interne, son indépendance ne signifiant aucunement sa « privatisation ». Le Conseil de la Magistrature devra être renforcé dans son autonomie et ses compétences. La Haute Cour de Justice doit être installée. La séparation entre l’exécutif (ministère de la Justice) et le Conseil Supérieur de la magistrature est un premier pas vers un meilleur équilibre des pouvoirs. Il devra être renforcé par d’autres mesures à l’avenir.

La Cour constitutionnelle

Son pouvoir de contrôle de la régularité de l’application des dispositions constitutionnelles doit être renforcé. Sa composante équilibrée. Les membres de cette institution doivent provenir selon des processus de désignation incontestables. Les anciens Présidents de la République devraient pouvoir y siéger de droit, à leur convenance. Enfin, le droit de saisine doit être élargi aux élus de la nation en plus de la disposition d’auto-saisine.

La Cour constitutionnelle doit pouvoir saisir le Haut Conseil de Sécurité ainsi que la Haute cours de justice en cas de non observance de la Constitution par le Président de la République. Une procédure en déchéance du Président de la République devrait pouvoir être enclenchée de concert entre ces trois institutions en cas de maladie invalidante ou de conduite pouvant remettre en cause la paix civile ou l’unité du pays. Les élus parlementaires doivent avoir le droit de saisine pour amorcer la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles en cas de suspicion de vacance du pouvoir. 

  1. Le pouvoir sécuritaire

Dans toutes les démocraties, cette fonction s’est développée de façon conséquente et est devenue centrale dans la définition des stratégies des Etats. Pendant que la théorie politique s’était arrêtée aux trois pouvoirs précités auxquels est rajoutée par tradition, le pouvoir de la presse (des médias), la pratique de la raison d’Etat a fini par intégrer la fonction sécuritaire comme un pouvoir à part entière. Dans ce pouvoir, il y a évidemment la responsabilité de la défense armée du pays mais aussi et surtout les moyens de sa sécurité stratégique.

Pour l’Algérie, pays encore fragile, à position géostratégique sensible avec un territoire vaste et riche, cette dimension ne peut en aucun cas rester occultée. Mais d’un autre côté, il serait dangereux de laisser s’organiser des pouvoirs aussi primordiaux sans balises constitutionnelles.

Construire un avenir fertile pour le pays, c’est organiser dans le cadre de l’Etat de droit toutes les institutions détentrices de pouvoirs même si des aménagements réalistes doivent être prévus pour permettre une évolution sans heurts de l’ensemble du système actuel.

Ainsi, de notre point de vue, la Constitution devrait réserver des pouvoirs institutionnalisés renforcés à un Haut Conseil de Sécurité dont la composante et les prérogatives seraient formellement explicitées dans la Constitution, avec des hommes de carrière, de compétence et de sagesse. Cette institution devra être sous l’autorité du Président de la République, mais jouir d’un réel pouvoir de réflexion et de propositions de stratégies coordonnées dans tous les domaines en rapport avec la sécurité nationale. Le Haut Conseil de Sécurité serait chargé de la défense de la République dans les termes de la Constitution, de la protection de la souveraineté nationale, du patrimoine national, ainsi que des missions de sécurité au sens large.

Par ailleurs, la création d’agence spécifique relevant de la dimension sécuritaire (sanitaire, alimentaire, aménagement territorial…), bien que de composante essentiellement civile, pourraient être coordonnées par le HCS.

En retour, les institutions sécuritaires ne devront plus s’immiscer dans la fonction politique ni dans la gestion gouvernementale. La défense de l’Etat ne devant pas être confondue avec la défense du régime. En particulier, les services de sécurité ne devront plus devenir l’instrument politique, de répression ou de manipulation au profit d’une quelconque partie dans sa volonté de conserver ou de conquérir le pouvoir. Ils devront être au service du consensus national, de la paix civile et de la sécurité de l’Etat.

II/ Conclusion 

L’Algérie se trouve à une étape charnière de son existence. La génération de Novembre, celle qui a libéré le pays et qui l’a dirigé jusqu’à aujourd’hui vient de céder le flambeau national. 

Cette étape n’est pas sans risques. L’Etat de droit n’a pas été édifié. Une relève politique sérieuse n’a pas été formée. Le pays n’a pas été mis correctement sur les rails du développement. La corruption a pris une forme culturelle dans le corps de la société et met en danger la sécurité nationale. Notre dépendance à l’égard de l’étranger est dangereuse, notre économie réduite à l’activité de bazar et la production nationale condamnée à sa plus simple expression. 

Par ailleurs, des défis nouveaux pointent à l’horizon : l’inéluctable fin du pétrole, les graves troubles du système financier mondial, la déstabilisation des Etats par le terrorisme, les troubles à nos frontières…

Mais d’un autre côté, des éléments plus favorables apparaissent : le niveau de conscience des Algériens, leur capacité d’adaptation, leur volonté immense de divorcer d’avec le despotisme, la médiocrité, la corruption et la bureaucratie.

Le vent de changement qui souffle depuis le 22 février 2019, nous aide à avancer. Les changements géopolitiques qui vont survenir les prochains mois ou les toutes prochaines années, serviront notre cause. Encore faut-il avoir une classe politique éclairée qui saura prendre les bonnes décisions. Il est impératif que les dirigeants du pays puissent dorénavant se prévaloir d’une légitimité incontestable. Il serait encore mieux qu’ils soient hautement compétents. Seuls l’Etat de droit et la démocratie nous y mèneront !

La réussite des réformes dépendra plus d’un esprit à insuffler à la nation qu’à des changements de la lettre de la Constitution ou de celle des autres lois.

Il faut que la volonté du véritable changement s’exprime au plus haut niveau de l’Etat. Il faut que ces réformes apparaissent comme étant l’expression d’une conviction et non pas celle d’une contrainte subie et que le pouvoir, de ce fait, n’aura de cesse de louvoyer pour prolonger la vie d’un système définitivement condamné !

Ouvrir dès maintenant les médias à toutes celles et à tous ceux qui ont quelque chose à dire serait un signe positif, un appel à la reprise de la confiance.

Parmi les signes positifs, l’intégration symbolique dans le préambule du mouvement citoyen.

Cependant, une rupture psychologique doit être opérée avec le retrait définitif du sigle du FLN de la scène politique. Ce sigle appartient à la nation et à la mémoire collective. Il est cité tant dans le préambule de la Constitution que dans l’hymne national. 

Ce serait le geste le plus fort pour annoncer une République nouvelle. 

Pour Jil Jadid

Le Président, Soufiane Djilali

 




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