Le refoulement de Nassera Dutour, militante des droits humains, présidente de l’association des familles de disparue en Algérie et mère d’un disparu de la décennie noire, à son arrivée à l’aéroport d’Alger, relance un débat fondamental : un État peut-il interdire à ses propres citoyens de fouler leur sol ? La pratique, rarissime ailleurs, semble s’installer en Algérie. Après l’expulsion forcée du journaliste Farid Alilat en 2024, ce nouvel épisode soulève une vague d’indignation, y compris au sein des institutions.
« Refuser l’accès à son propre pays est un acte inédit dans le monde, incompatible avec les principes d’un État de droit », martèle Abdelouahab Yagoubi, député du Mouvement de la société pour la paix (MSP) représentant l’émigration.
Déjà en avril 2024, face au ministre de l’Intérieur, il avait dénoncé ce qu’il qualifie de « pratiques illégales » et « dérives sécuritaires » en totale contradiction avec la Constitution.
Un droit fondamental piétiné
L’article 49 de la Constitution de 2020 est pourtant explicite : « Tout citoyen jouit de la liberté de circulation. Il a le droit d’entrer sur le territoire national et d’en sortir. » Seule une décision judiciaire motivée peut en restreindre l’exercice, et ce, pour une durée déterminée. Plus largement, l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Algérie, affirme qu’« nul ne peut être privé du droit d’entrer dans son propre pays ». Ce qui est clair : le régime instrumentalise le droit et la loi à sa guise. Dont remet en cause gravement l’Etat de droit.
En bafouant ces principes, « l’Algérie sape sa propre crédibilité et envoie un signal négatif à ses citoyens, qu’ils vivent à l’intérieur ou à l’extérieur du pays », poursuit Yagoubi, qui appelle à « une enquête transparente » et à « un engagement clair pour que cela ne se reproduise plus ». En même temps, le régime invoque les lois pour terroriser le peuple et classer comme organisation terroriste qui il veut.
Une dérive sécuritaire sans base légale
Ces refoulements, opérés sans décision de justice ni explication publique, révèlent un fonctionnement opaque où les considérations sécuritaires semblent primer sur le droit. Mais au-delà de l’illégalité, ils révèlent une faille politique : la peur d’une voix dissidente suffit désormais à justifier l’exclusion.
Dans un pays qui se réclame d’un État de droit, cette logique interroge. Que vaut la Constitution si elle peut être suspendue sans justification ? À quoi servent les engagements internationaux si les pratiques les contredisent ? A rien sinon à fouler au pied les textes fondamentaux du pays.
Un test pour l’État algérien
« La solidité d’un État se mesure à sa capacité de garantir les libertés fondamentales et de traiter équitablement tous ses citoyens, au-delà de leurs opinions ou sensibilités », conclut Yagoubi. Mais tout porte à croire que l’Etat version Tebboune-Chanegriha ne peut être que celui de la terreur, de la manipulation et d’une mise sous cloche des ressorts de la démocratie.
En même temps, on ne peut raisonnablement demander à un régime de respecter l’Etat de droit quand il embastille des centaines d’Algériennes et fait de la presse de simples outils de propagande.
Sofiane Ayache