27 avril 2024
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Révision constitutionnelle : une de plus et pour quelle utilité ?

TRIBUNE

Révision constitutionnelle : une de plus et pour quelle utilité ?

Beaucoup d’encre a coulé ces derniers temps et se poursuit encore. Il va sans dire que le moment est plus que mal choisi pour un tel projet, ou plutôt délibérément choisi par les tenants du pouvoir actuel qui poursuivent imperturbablement leurs pratiques obsolètes de domination sans partage depuis que l’Algérie s’est libérée du colonialisme.

A l’issue de la mascarade électorale de décembre dernier, les potentats du régime ont repris les mêmes et recommencent au mépris des revendications du peuple depuis plus d’un an de protestation pacifique inédite.  Ils veulent à tout prix faire du neuf avec du vieux ! Sous l’épée de Damoclès que constitue la puissance militaire, chacun des vieux routiers du régime s’est refait une virginité en trompe l’œil et ce, toujours au mépris des revendications du peuple, tant les appareils répressifs sont des plus musclés au monde pour réprimer toute protestation.

On ne compte plus le nombre de voix qui s’expriment aujourd’hui dans un contexte délétère pour s’interroger sur cette énième manœuvre du pouvoir qui consiste à duper le peuple une fois de plus. L’actuelle Constitution ne contient-elle pas des dispositions générales, par exemple, qui permettent peu ou prou la liberté d’expression, notamment celle de la presse, la reconnaissance de la culture amazighe,  la liberté du culte, pour n’en citer que celles-là, mais qu’en est-il sur le plan pratique y compris quand des lois existent et qui sont conformes au cadre constitutionnel, sur lesquelles les magistrats sont censés s’appuyer dans les tribunaux pour rendre justice ? Il n’en est rien. Elles sont même régulièrement bafouées et par l’exécutif et par le judiciaire !

Dans son article publié le 17 mai dernier, dans le journal Le Matin d’Algérie, sous le titre : « L’Algérie a-t-elle besoin d’une constitution ? » Nouredine Boukrouh pointe, analyse et arguments à l’appui, l’inutilité de cette constitution qui n’aura finalement servi à rien. On peut ne pas être du même bord politique que lui – c’est mon cas- bien qu’il a beaucoup évolué ces derniers temps, mais force est de constater qu’on n’y trouve pas grand-chose à redire.

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La révision de la Loi fondamentale est tout simplement inutile pour le régime, dans la mesure où la législation du pays qui devait suivre et respecter le cadre général, ne l’a jamais fait, en particulier dans le domaine de l’application. Les lois relatives aux champs des libertés (politique, médiatique…) ont donc rarement servi. Soit elles ne sont pas réellement conformes, et personne n’a osé, à ce jour, les contester devant le Conseil constitutionnel, lui-même un rouage lourd du régime, soit elles ne sont pas réellement appliquées, soit enfin elles sont interprétées comme bon semble aux magistrats d’un système judiciaire aux ordres. Bref, la Constitution n’a que rarement servi de référence pour faire fonctionner le pays.

« Pourquoi donc s’encombrer de quelque chose dont l’utilité n’a pas été prouvée ou, pour parler juste, dont la parfaite inutilité a été démontrée à tous les coups ? (…) L’Algérie n’a pas besoin de Constitution car elle n’a jamais été nécessaire à son fonctionnement. Qu’elle en ait une ou n’en ait pas du tout n’a jamais compté(…) », écrit Boukrouh. Cela est d’autant plus vrai qu’on est en droit de s’interroger : quelle garantie pourrait-on avoir pour que dans l’Algérie nouvelle promise, les trois pouvoirs, notamment l’exécutif et le judiciaire, respecteraient les dispositions de la nouvelle Constitution et les lois qui en découleraient sur les libertés politiques et la presse ? Soyons lucides : aucune ! Car dans ce pays il n’existe que des pouvoirs mais des contre-pouvoirs. 

Cependant, il convient de préciser que l’esprit du passage de M. Boukrouh n’est pas un appel à l’instauration d’une sorte de régime dictatorial ou autoritaire. Bien au contraire, il pointe, non sans ironie, le fait que le régime se dote comme tous les Etats d’une Constitution qui lui permet d’exister en affichant une vitrine respectable d’un Etat de droit à la face du monde, tant il est vrai que cela ne mange pas de pain, et n’en faire qu’à sa tête en faisant fi des lois et règlements qu’il a fixés lui-même. 

Une constitution pour une Algérie nouvelle, martèle-t-on. Comment diable accorder la moindre crédibilité à ce fichu de texte revu et corrigé par les vieux routards du régime, tous, sans exception, issus du régime conspué, décrié par la rue et ce, depuis plus d’un an de manifestations pacifiques ? Ce sont les mêmes caciques du régime qui se passent et repassent le témoin depuis l’indépendance du pays. Comment ose-t-on nous vendre une réforme constitutionnelle pour bâtir une Algérie nouvelle alors que la mouture finale sera examinée et votée, avant le référendum (fixé au 1er novembre, encore une troublante date symbolique à la recherche d’une légitimité historique…) par un Parlement (les deux chambres) illégitime puisqu’il s’agit de députés et sénateurs élus selon les méthodes mafieuses et autoritaires de « l’ancien régime » ? N’est-ce-pas là un simple changement dans la continuité au mépris des revendications maintes fois brandies par le peuple depuis des mois!

Profitant de la pause inespérée du mouvement populaire et pacifique de protestation, interrompu par la pandémie SARS Cov2, le régime reprend du poil de la bête et défie les revendications portées haut par le peuple. Les intimidations, interpellations et arrestations des leaders du mouvement populaire se multiplient, les emprisonnements se font à tour de bras, et la Justice, après une lueur d’espoir au début du mouvement populaire de la voir se libérer du joug du pouvoir, est plus que jamais aux ordres. Les chefs d’inculpation supposés sur lesquels les juges se fondent pour mettre des citoyens militants pacifiques sous mandat de dépôt ne sont ni légaux ni légitimes. Ils interprètent les lois à leur guise, tandis que la défense ne semble peser d’aucun poids.

L’essentiel est de satisfaire les commanditaires. On n’est pas loin des citations des monarques absolus dans l’histoire de France. Le Duc d’Orléans, cousin du roi, dit à Louis XVI qu’il voit l’enregistrement d’un édit, relatif aux impôts, comme illégal. Le  roi lui répond : « C’est légal parce que je le veux ». A quelques nuances près, ça se passe comme ça au pays de Tebboune.  Paradoxalement, les magistrats sont les premiers violeurs des lois. En obéissant aux ordres de l’Exécutif, ils s’effacent, discréditent la Justice et portent la responsabilité des souffrances infligées aux victimes incarcérés et à leurs familles.

Là, nous sommes sur un point central de la réforme de la loi fondamentale s’il en est. Faut-il rappeler que la Justice est la colonne vertébrale de toute société humaine. Quand la Justice fonctionne bien, tout va bien. Et les autorités algériennes ne l’ignorent pas, mais pour elles, il n’est pas question de perdre la main et compte garder le cordon ombilical avec les tribunaux, non pas seulement avec les magistrats du parquet, mais aussi avec les magistrats du siège, censés pourtant être souverains. Face à ces tentations d’inféoder les juges et la confusion des rôles que le pouvoir cherche à conserver, le Syndicat national des magistrats, dans sa quête d’existence émet des suggestions fortes et audacieuses estimant, à juste titre, que l’indépendance de la Justice doit être garantie non pas par le Président de la république mais par la loi. Il suggère  également de mettre fin à l’immixtion du ministère de la Justice dans les affaires judiciaires et réclame haut et fort la séparation des Pouvoirs. 

De son côté, le Parti Jil Jadid (PJJ) a fait des propositions au demeurant intéressantes, publiées au journal Le Matin d’Algérie en date du 28/08/2020, notamment en matière de séparation des Pouvoirs, des libertés individuelles et collectives et de sécurité nationale. Mais quelques semaines en amont, son président s’est montré quelque peu conciliant avec le régime, déclarant qu’en matière de liberté il n’y a rien à redire dans ce que prévoit la réforme constitutionnelle en cours. Et à l’issue de sa visite à la présidence de la république, dans le cadre des consultations des personnalités et des partis politiques, il a livré à la presse la primeur d’une information selon laquelle le pouvoir va libérer très prochainement quelques détenus d’opinion, notamment Karim Tabbou et Samir Belarbi. C’est la stupeur générale ! Comme on le sait, ces sorties ont déclenché une avalanche de critiques de toutes parts. Toutes les parties sont  convaincues que si cette information se confirme, ces détenus d’opinion ne seront pas libérés selon la loi mais selon le bon vouloir du régime.

Donc les magistrats font dire à la loi ce qu’ils veulent en fonction des demandes de l’Exécutif. Pourtant la libération de tous les détenus d’opinion a été mise en avant par tous les partis politiques et les personnalités démocrates, y compris le président du PJJ, comme un signe d’apaisement et un préalable au processus de réforme constitutionnelle. Ce chef de fil qui a reçu le prix Pomed à Washington le 16/10/2019 et jouissait d’une certaine notoriété sur la scène politique, paye cher ses sorties, perdant ainsi de son capital d’estime et de sa crédibilité. 

Conclusion

L’Algérie qui a ratifié la Charte internationale des Droits humains, mais aussi un certain nombre de conventions internationales relatives aux droits et libertés des personnes, est censée, en théorie comme en pratique, les respecter en y adaptant sa constitution et ses lois. C’est la définition même du droit international, car les chartes et les conventions internationales sont, dans leur domaine, prépondérantes, aux dispositifs juridiques nationaux. Il n’en est rien. Comme d’autres régimes autoritaires similaires, l’Etat algérien applique de façon sélective selon ses intérêts et tant pis s’il enfreint à la lettre et à son esprit. 

On peut d’emblée affirmer que les grandes lignes de la nouvelle mouture constitutionnelle sont loin d’apporter des réformes crédibles susceptibles d’engager l’Algérie dans une voie nouvelle souhaitée par le peuple. Encore faut-il qu’elles soient traduites par des lois et appliquées par les juges. Bien au contraire, les événements politico-judiciaires de ces dernières semaines assombrissent les perspectives et éloignent l’émergence d’une deuxième République.

Ainsi, depuis quelque temps, les libertés se rétrécissent comme peau de chagrin, tant pour les activistes pacifiques que pour les médias. Ceci a, entre autres,  conduit au déclassement de l’Algérie qui a reculé en quelques mois de 27 rangs dans le classement mondial dans le domaine des libertés. Elle est classée 147e dans le monde. Comparaison n’est pas raison, mais force est de constater que le désarroi dans lequel est plongé le pays est tel qu’il est tentant de regretter le temps d’avant avril 2019.

En vingt ans de règne, le président déchu n’a pas mis autant d’activistes, d’opposants et de journalistes en prison que l’actuel pouvoir en quelques mois seulement. Un record jamais atteint depuis l’indépendance ! Tout ça pour ça ! Les conditions et le contexte politique dans lequel se déroule la révision de la loi fondamentale sont loin d’augurer d’un avenir meilleur en termes de liberté individuelle et collective, de justice et d’égalité devant la loi. Ce n’est pas un hasard si le pouvoir s’acharne sur les citoyens actifs, en particulier les journalistes en les condamnant à la prison ferme pour avoir fait leur devoir d’informer les citoyens ou formulé des critiques envers les détenteurs du pouvoir. C’est une véritable démonstration de force et un message fort qu’il envoie à l’adresse de ceux qui seraient tentés de prendre des libertés pour exercer tout simplement leur métier de journaliste ou leur rôle de citoyens démocrates.

La réforme en cours prévoit même des tours de visse pour contrôler davantage les médias, y compris les éditions en ligne. Les radios libres sont contraintes de revoir leur ligne éditoriale, si elles ne veulent pas subir les foudres du régime. Celles récalcitrantes, installées à l’étranger, ont été purement et simplement rayées de la carte grâce à la pression exercée par le régime sur les fournisseurs qui ont aussitôt appliqué l’ordre reçu.

Sans même les prévenir. C’est dire les capacités du pouvoir à exercer des pressions au-delà même des frontières pour réduire au silence les voix discordantes. Cette situation ne s’est pas produite sous le règne du président déchu. Et toute l’ampleur du mouvement populaire massif et pacifique c’était pour arriver à ce résultat ? C’est sidérant ! Ce même pouvoir, aux pratiques condamnables, cherche encore à faire croire qu’il prépare une réforme constitutionnelle pour construire l’Algérie nouvelle. Mais cela n’engage que ceux qui y croient ! 

Hocine B., Professeur d’histoire, Paris

 

Auteur
Hocine B.

 




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