27 avril 2024
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Salah Abdeslam, la perpétuité réelle n’existe pas en droit

Khaled Abdeslam

 

Salah Abdeslam vient d’être condamné à la « perpétuité incompressible ». Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Sans tomber dans l’analyse juridique d’érudition, il est utile de comprendre le sens de cette condamnation qui est au centre d’un débat juridique et sociétal important.

Juste en traduisant dans sa proposition littérale, soit une condamnation à perpétuité sans possibilité de diminution de la peine, on est déjà dans une grande ambiguïté et même, dans l’erreur.

C’est donc, comme souvent, la sémantique qu’il faut interroger. Elle est manifestement la première cause d’erreur, bien avant la non-connaissance du droit.

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Pour convenir au principe de la pédagogie, il faut prendre les choses pas à pas, avant de comprendre les enjeux du débat judiciaire, politique et sociétal.

Une sémantique trompeuse

Le seul mot perpétuité, détaché de l’expression entière, pose déjà un petit souci car il n’est pas dans le sens commun mais pris dans celui de la vie entière d’une personne, depuis sa condamnation jusqu’à son décès. Cependant, à cette première étape, le public ne peut être trompé car il sait que c’est une perpétuité relative à la vie d’un être humain. On ne peut retenir éternellement en vie un incarcéré pour lui faire subir sa peine, c’est évident pour le public.

Puis si nous continuons l’exploration sémantique, il y a une autre ambiguïté qui ne trompe pas non plus le public. Il sait que la détention jusqu’à la fin de vie n’est pas la réalité observée sauf si le condamné décède en prison. Nous dirons, cela sera vu dans le paragraphe suivant, qu’il n’y a pas de « perpétuité réelle ».

Mais si le mot perpétuité est ambiguë tout en ayant peu de chance de tromper le public, il en est autrement lorsqu’il est suivi d’un adjectif qui le qualifie, le précise.

Le mot perpétuité suffit en principe à sa définition. Cette perpétuité n’est ni petite, grande, ou extensible si nous nous en tenant au sens strict et objectif du temps. On se risquerait inévitablement de tomber sur un oxymore, c’est-à-dire deux mots apposés qui ont une signification contraire.

Il en serait autrement si les adjectifs ne sont plus en relation avec le temps mais avec une appréciation subjective de la peine comme, pénible, sévère, injuste, etc.

Et c’est là l’ennui car la sentence rendue est la « perpétuité incompressible », l’adjectif est ici rajouté pour qualifier le temps et pas une appréciation qualitative de l’incarcération. On arrive à une redondance, la perpétuité est par définition incompressible, pourquoi le répéter par deux mots.

Il est donc nécessaire d’avoir quelques connaissances en droit (vraiment simples) pour éviter l’ambiguïté sémantique lorsque le mot perpétuité a une extension qualificative qui est relative au temps.

«Perpétuité réelle » et « perpétuité aménageable »

C’est pour cela qu’il faut trouver d’autres expressions pour comprendre le débat. Au vu de ce que nous venons de dire, le public sait que le coupable ne restera en prison indéfiniment que s’il décède durant l’incarcération.

Alors, on dirait « perpétuité réelle » si la condamnation ne prévoit aucune sortie jusqu’à la mort. Il faut savoir que la perpétuité réelle n’existe pas dans le droit français. Salah Abdeslam ne restera jamais en prison jusqu’à sa mort sauf s’il décède avant le délai de l’aménagement possible de la peine.

Le code pénal prévoit des aménagements, sous certaines conditions, à partir d’un certain temps purgé par le condamné.  Ainsi, au bout d’un certain nombre d’années, il peut demander au juge de l’application des peines une révision de la peine qui peut être « aménagée ». Cet aménagement peut aller depuis des autorisations de sorties temporaires jusqu’au travail à l’extérieur pour, un jour, déboucher à une libération.

C’est le juge qui apprécie les conditions, notamment par le comportement et les garanties extérieures (contrat de travail, stabilité familiale, etc.).

La perpétuité réelle n’existe donc pas en réalité et le condamné peut toujours demander une révision pour un aménagement de sa peine. La question est de savoir quel est le temps minimal que doit effectuer en prison le condamné avant de pouvoir demander l’aménagement de sa peine.

C’est cette question qui va nous rapprocher de la compréhension de la perpétuité incompressible à laquelle vient d’être condamné Salah Abdeslam.

Le verrou de la « période de sureté »

L’explication est très simple si nous nous en tenons à une approche pédagogique. Le temps minimal à partir duquel le condamné pourra demander un aménagement de sa peine est prévu par la loi. Mais le juge peut prononcer un temps incompressible avant la demande.

Si le lecteur non averti du droit consulte le code pénal ou les sites officiels concernant la justice, il devra prendre une bonne dose de Paracétamol. Les cas sont si multiples et complexes.

C’est la raison pour laquelle il ne faut retenir que la définition de la période de sureté, ce que nous venons de présenter, et la constater avec la lecture du verdict. Elle est de trente ans pour Salah Abdeslam, soit la peine la plus lourde prévue par le droit pénal français.

Ainsi on définira une peine incompressible lorsqu’elle ne peut ouvrir le droit à aménagement qu’à partir de trente ans. L’incompressibilité est relative à  cette période de trente ans.

Mais Salah Abdeslam n’est absolument pas sûr de voir sa peine aménagée, encore moins d’être annulée, au bout de trente ans. Voilà pourquoi on parle de perpétuité, cela veut dire qu’il n’y a pas de date de fin fixée par l’arrêt de condamnation.

Reste à comprendre pourquoi une peine de sûreté ? Là encore il faut sélectionner les raisons les plus importantes, celles qui sont nécessaires à la compréhension générale.

Le débat pénal, politique et sociétal

Même si le débat est bien plus ancien, c’est en 1981 qu’il faut remonter pour sa lecture actuelle.

Nous le savons, à cette date le Président François Mitterrand avait fait voter la loi historique de l’abolition de la peine de mort. La majorité de la population française de l’époque était pourtant hostile à l’abolition (Mitterrand avait pris ce risque et a vaincu les fortes oppositions et résistances).

Si nous excluons le noyau dur de ceux qui s’opposaient à l’abolition, de nombreux abolitionnistes partageaient un souhait commun.

Il fallait une peine de substitution qui soit à la hauteur du crime horrible et barbare. Or, dès cet instant se posa le problème de la perpétuité réelle. Elle apparaissait évidemment aussi lourde que la peine de mort, voire pour certains, encore plus sévère.

On ne pouvait remplacer la peine de mort par une peine qui revenait quasiment au même. Il fallait donc que la perpétuité prononcée soit aménageable au bout d’une certaine période, progressivement, jusqu’à la libération définitive.

Cette solution rejoint un fondement de la justice, l’emprisonnement n’est pas seulement une sanction mais aussi la perspective de donner l’espoir d’une réinsertion future au condamné. C’est un double objectif de la sanction pénale lourde, il ne faut jamais l’oublier.

Mais la loi, comme le juge, sont partagés entre cette philosophie et la réticence de la société, des victimes et des familles des victimes à voir sortir un jour le condamné alors que la victime a perdu la vie ou été foudroyé par un dommage qui a ruiné sa vie et celle des familles.

La période de sureté est ainsi un compromis entre toutes ces demandes, le meilleur possible.

En conclusion, Salah Abdeslam a été condamné doublement. Par le fait d’une peine très lourde qui sanctionne son acte barbare mais aussi par la société qui lui répond par son humanisme.

En fin de compte, Salah Abdeslam est en échec car la barbarie de la justice humaine l’aurait conforté dans la légitimité de la combattre par la justice de Dieu dont il se réclame être le combattant.

Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant

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