1 mai 2024
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Soufiane Djilali : « Il y a une brèche historique pour renouveler la classe politique »

ENTRETIEN

Soufiane Djilali : « Il y a une brèche historique pour renouveler la classe politique »

Crédit photo : Zinedine Zebar.

Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, revient sur les évènements survenus sur la scène politique cette semaine en répondant à nos questions et nous livre sa vision sur les dernières évolutions. Le lecteur aura remarqué que notre invité a fait le choix de participer aux prochaines élections. Il avance ses arguments. Il parle du « nihilisme destructeur » de certains hirakistes.

Le Matin d’Algérie : Le chef de l’Etat a procédé à la dissolution de l’assemblée. Pourquoi avoir choisi ce moment précis ?

Soufiane Djilali : Il y a sûrement, de la part du président, une volonté d’éviter à ce que l’ancienne assemblée, héritée du régime Bouteflika et maintenant dissoute, ne s’immisce directement dans la confection de la loi électorale pour les prochaines élections dont la majorité est détenue par les anciens appareils de l’alliance présidentielle. 

Le Matin d’Algérie : La date de la convocation du corps électoral n’a pas été communiquée, comment expliquez-vous cela ?

Soufiane Djilali : je ne saurai répondre à la place du président. Ce que je peux vous dire c’est que d’une part la constitution accorde un certain délai, une marge de manœuvre, allant jusqu’à six mois pour la réorganisation d’élections législatives en cas de dissolution ou de renouvellement de l’assemblée et d’autre part astreint de tenir les élections 90 jours après la convocation du corps électoral. Le faire aujourd’hui nous amènerait à tenir les élections vers la fin du Ramadhan. Mener campagne durant ce mois sacré peut s’avérer complexe. C’est sûrement pour cette raison que cette annonce a été différée. Il est très probable que le scrutin se tienne vers le mois de juin. 

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Le Matin d’Algérie : Le changement tant attendu et opéré au sein du gouvernement Djerad II, il y a quelques jours, très critiqué pour son manque de proactivité, n’a pas été à la hauteur des attentes de l’opinion publique et n’a pas convaincu les observateurs. Qu’en pensez-vous ? 

Soufiane Djilali : Je crois qu’il y a eu une erreur de casting, si j’ose dire, et surtout de communication. Vous savez très bien que selon la nouvelle constitution, un nouveau gouvernement émanera d’une majorité simple ou d’une coalition qui se dégagera de l’assemblée élue dirigée par un premier ministre ou un chef du gouvernement. Il n’aurait pas été raisonnable de procéder à un remaniement important aujourd’hui à quelques encablures d’une élection parlementaire qui changera la donne.

Déjà que l’Algérie traverse une instabilité institutionnelle chronique, entreprendre des changements en profondeur compliquerait la situation. Il me semble que ce remaniement partiel  a été conçu afin de libérer certains goulots en interne au sein de l’équipe gouvernementale actuelle, de palier à un déficit de fonctionnement de tel ou tel ministre et d’améliorer la coordination entre les différents intervenants. Il faut plus l’observer d’un point de vue technique que politique

Le Matin d’Algérie : Justement le départ de M. Attar, réputé pour sa compétence technique et la maîtrise de son secteur, a soulevé moult interrogations qu’en dites-vous ? 

Soufiane Djilali : Vous pouvez comprendre que nous ne sommes pas dans le secret des dieux comme on dit. Nous ne sommes pas censés être systématiquement mis au courant des motivations qui ont poussé un décideur à effectuer tel ou tel changement. De l’extérieur il est difficile d’évaluer ou de juger la compétence de tel ou tel ministre surtout quand il s’agit de postes dit  techniques. Est-ce que sa vision en ce qui concerne les questions énergétiques ne correspondait plus à celle du président ? Il est difficile de se prononcer, ce n’est pas à nous de le faire.

Le Matin d’Algérie : On a observé une reprise du Hirak le lundi 22 Février, puis une marche des étudiants le mardi 23. Sur les réseaux sociaux on parle de marcher le vendredi 26 et de persévérer dans la contestation à travers les marches comme ce fut le cas durant l’année 2019n comment voyez-vous les choses ?

Soufiane Djilali : Le Hirak a été un mouvement fabuleux qui a ébranlé les structures même du pouvoir et induit des changements très importants, mais malheureusement, après avoir démantelé ce qui existait le Hirak ne semble plus être actuellement, du moins dans la rue, dans une logique de construction. C’est là son grand point faible.

Très tôt d’ailleurs le Hirak s’est scindé en deux grands courants. L’un si je puis dire « silencieux » représentant ce que l’on a toujours désigné comme la majorité silencieuse, important par sa diversité et son nombre composé de citoyens aspirant à un changement mais d’une manière organisée et moderne, puis un autre courant plus actif plus bruyant qui pousse à la marche pour marcher mais qui ne construit rien. 

En ce qui nous concerne nous avons dès le début pousser les différents acteurs du Hirak qui ont émergé à s’organiser, non pas en tant qu’entité unique, ce qui est utopique, irréalisable et même antidémocratique, mais à travers différents partis politiques et organisations ; de veiller surtout au transfert de l’esprit du Hirak c’est-à-dire de cette dynamique, cette jeunesse cette quête du changement dans les institutions.

Il ne sert à rien de crier sa colère tous les vendredis, d’utiliser son énergie à défiler et ensuite rentrer chez soi et ne rien faire ou entreprendre entre deux vendredis.

Je pense que dorénavant le vendredi devrait être un jour de récupération après les efforts fournis entre les deux vendredis, c’est-à-dire, après avoir élaboré des programmes, s’être organisés, avoir préparé de vrais candidats pour finalement  aller vers des élections.

Il y a une brèche historique pour qu’un renouvellement de la classe politique soit opéré tant au niveau national que local : il faut la saisir. Il y a près de 25.000 élus à travers le territoire national. Si l’on peut renouveler 15, 20 ou 30% de la classe politique durant ce mandat et reproduire cela dans cinq ans, imaginez ! En l’espace de dix ans on aura renouvelé largement une grande partie de la classe politique. C’est pas à pas que nous y parviendrons.

Dix ans dans l’histoire d’une république ce n’est rien. Dix ans à renouveler les énergies, à créer de nouveaux espaces politiques, à construire une nouvelle classe politique c’est beaucoup mieux que 10 ans à mener une révolution destructrice  qui finira à terme par réduire l’état à néant comme on peut l’observer autour de nous

Le Matin d’Algérie : Vous parlez d’une brèche historique pour le renouvellement de la classe politique à travers la tenue d’élections qui rencontre des réticences et une opposition chez une bonne partie de la population. Je vous pose cette inévitable question : si les élections législatives et locales  sont rejetées comme le fut l’élection présidentielle du 12 décembre, comment pouvez-vous imaginer gérer un pays ou entreprendre quoi que ce soit avec une majorité des Algériens qui ne se sentent pas concernés ? 

Soufiane Djilali : Ecoutez, il y a une faction du Hirak qui est bruyante, qui ne veut rien, qui refuse tout sinon d’être le réceptacle des clefs de la république. Sans élections, rien n’est réalisable. Une élection, quel que soit le niveau de participation, est préférable à une distribution de postes et de pouvoirs, de la façon clientéliste et arbitraire que nous connaissons tous, à des individus qui n’ont aucune représentativité. C

e n’est pas parce que l’on parle beaucoup, que l’on « gueule » le plus sur les réseaux sociaux, que l’on a le l‘outrecuidance de s’autoproclamer représentant d’un mouvement populaire sans même être porteur d’un quelconque projet politique.

Finalement, le refus systématique de tout acte politique, cette complaisance dans un nihilisme destructeur neutralise toute velléité de changement. De plus, l’ampleur de la rupture de confiance entre le gouvernant et le gouverné est telle qu’il faudra du temps, de la volonté et des efforts  pour renouer des rapports plus sains entre les deux.

Encore faut-il que les élites politiques se mobilisent et travaillent, qu’elles crédibilisent leur action en misant sur le long terme. Penser une seconde qu’en chahutant sans cesse, en faisant du bruit, en utilisant sans relâche la nuisance comme arme politique,  récupérer le pouvoir est une approche juvénile, naïve et nocive.

Le Matin d’Algérie : Ne pensez-vous pas que pour Jil Jadid comme pour d’autres jeunes formations politiques aller vers des élections libres et transparentes c’est prendre le grand risque de disparaître du paysage politique ?

Soufiane Djilali : Non je ne vois pas pourquoi. Il y a des résistances au changement au sein du pouvoir. Si l’opposition refuse de  participer à ce scrutin, il est de notoriété publique que le pouvoir organisera de toute manière ces élections comme ce fut le cas pour les élections présidentielles du 12 décembre 2019. Est-ce que le Hirak a pu stopper le processus électoral ? Non. Et il ne parviendra sûrement pas à  empêcher le prochain.

En poussant les électeurs à bouder les urnes et en tentant de discréditer les partis d’opposition qui sont pour le dialogue, les partisans du boycott travaillent de fait pour le maintien de l’ancien système.

Pourquoi ?  En face de la chaise  vide, le pouvoir n’hésitera pas une seconde et aura recours aux anciens partis classiques que vous connaissez, ceux de l’alliance présidentielle de Bouteflika. Il ne fera pas appel spontanément, tout à coup comme on dit,  par inspiration divine, aux acteurs du Hirak. A l’intérieur du Hirak il n’a pas de vis-à-vis.

Un Hirak qui ne peut pas s’organiser, qui ne se donne pas de programme, qui n’a pas de projet précis, ne s’est pas doté d’une représentation est un Hirak qui n’est pas fertile, mais plutôt frappé de stérilité. Il est important quand même de préciser que l’état d’esprit, la psychologie, la façon d’aborder la chose politique qui prévalent au sein du Hirak sont le résultat de la politique de terre brûlée et d’exclusion menée par l’État durant des décennies. C’est le pouvoir en place, qui a entrainé  la société vers ce nihilisme 

Le Matin d’Algérie : Mme Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le Changement et le Progrès (UPC) a proposé une sortie de crise en plusieurs points dont le plus important est l’organisation  d’élections présidentielles en 2022. Idée reprise par certains éditorialistes, qu’en dites-vous ?

Soufiane Djilali : Libre aux politiques et aux analystes de proposer des solutions ou de décrypter les événements selon leur vision. Il s’agit seulement de savoir si elle concorde avec la conjoncture actuelle. Nous n’avons pas toujours toutes les données. Pour le moment, le pouvoir a une feuille de route claire. Il y a eu dissolution de l’assemblée. Des élections législatives sont prévues.

Je ne pense pas qu’il soit opportun d’interrompre ce processus, de reprendre à zéro, faire table rase de tout ce qui a été réalisé dans la difficulté après d’énormes sacrifices, mais vous devez connaître ce célèbre adage : en politique ne jamais dire jamais. Pour ma part, je ne lis pas dans le marc de café.

Auteur
Entretien réalisé par Djalal Larabi

 




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