6 novembre 2024
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XIVe acte du vendredi 24 mai : la réponse du berger à la bergère

DISSIDENCE CITOYENNE

XIVe acte du vendredi 24 mai : la réponse du berger à la bergère

Reportage photos de Zinedine Zebar.

Les marcheurs algérois sont convaincus de bénéficier de la grâce de Dieu. Le voile nuageux qui se dresse dès la début de l’après-midi entre eux et le soleil qui scintille à plus de 24°C,  ainsi que la fraîche brise marine du nord-est qui se faufile dans les rues d’Alger, sont les signes incontestables de l’aide que le tout puissant a bien voulu leur apporter afin d’alléger leur périple en ce jour de carême. Ils sont venus en masse par solidarité pour les leurs, maltraités par les forces de l’ordre, dès le commencement de la journée.

En effet, le message du chef d’état-major dans lequel il exhorte les différents acteurs de revoir la manière d’organiser ces manifestations, semble avoir été mal perçu par les forces de l’ordre. Dès le matin, des marcheurs flânant dans les rues de la capitale, sont interpellés par les forces de police à la façon chilienne du temps de la junte militaire. Des escouades de policières sont déployées afin de procéder au contrôle de la gent féminine.

Les policiers détruisent les pancartes et confisquent les drapeaux. Les banderoles, habituellement disposés le long de la rue Didouche, sont retirés le matin. Les personnes n’habitant pas Alger sont sommées de quitter les lieux. Le tout relayé, en temps réel, sur les réseaux sociaux.

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La réaction des marcheurs ne se fait pas attendre : on les défie, on les trouve. Ils déboulent en masse de tous les côtés et expriment leur révolte. Empruntant le circuit habituel, ils se rassemblent pour la première fois, en milieu d’après-midi, au niveau de la Place des Martyrs, afin de palier au blocage du perron de la Grande Poste par les forces de l’ordre.

Des tribuns, parsemés çà et là, debout sur des échelles ou entourés de petits groupes, expriment leur rejet des élections et réclament l’application des articles 7 et 8 de la constitution : le pouvoir au peuple. Un schéma retraçant l’histoire du peuple d’Algérie est commenté par un jeune : il fait foule. Un gouvernement est proposé par un activiste. On y trouve Mokrane Ait Larbi au ministère de l’intérieur, Issad Rebrab à l’industrie, Slim Othmani à l’agriculture, Bouchachi au bien-être, Haddad Mounira à l’éducation, Karim Tabou à la défense, Yasmina Khadra à la culture et à l’environnement, suivi de secrétaires d’état ainsi que de conseillers comme Elias Zerhouni ou Djamila Bouhired.

Un groupe de jeunes chantent ça y est c’est bon oua chaab président (ça y est c’est bon et le peuple est président). Ils veulent un Etat civil et crient y en a marre des généraux ou djoumhouria machi caserna (une république pas une caserne) ou encore had echaab la yourid houkm el3asker min djadid (Ce peuple ne veut pas de nouveau un pouvoir militaire) et enfin houkouma madania machi 3askaria (un Etat civil et pas militaire).

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Ils refusent la présidentielle du 4 juillet et scandent : makach intikhabat makach el vote (il n’y aura pas d’élections, il n’y aura pas de vote ; makach intikhabat ya el3isabat (pas d’élections les gangs) ; le 4 juillet kain massira (le 4 juillet il y aura une marche)

Une altercation éclate entre un marcheur et une vague de jeunes, pas trop rasés, tenant une banderole avec la photo de Taleb Ibrahimi, une mention en arabe le désignant comme l’homme de la transition et le qualifiant d’ancien moudjahid. Le passant les interpelle en leur disant : vous êtes des menteurs, il n’a jamais été ancien moudjahid. Les jeunes s’énervent et le traitent d’ignorant. Il insiste et récidive. On s’excite. Les passants interviennent et calment les esprits.

Gaïd Salah en prend pour son grade

Les jeunes policiers de la brigade anti-émeute subissent les foudres de la foule. Ils paraissent embarrassés et gênés. Depuis les incidents qui se sont produits mardi entre eux et les étudiants, puis les interpellations ainsi que le harcèlement subi ce vendredi matin par les marcheurs, la tension monte. Les relations entre les manifestants et les policiers se détériorent de jour en jour.  Ils sont traités de mercenaire à la solde du chef d’état-major : on crie ya shiatin Gaïd Salah (larbins de Gaïd Salah) ou encore dégage Ya ouled Elgaid Salah (dégagez fils de Gaid Salah). On leur rappelle leur condition en scandant : thabou el miziria policia(vous aimez la misère policiers) ; goulou lechwekekoum maranach habssine (dites à vos macs que nous ne nous arrêterons pas) ; polici wala hagar yalil3ar yalil3ar ( le policier est méprisant,quelle honte ! Quelle honte !)

Le chef d’état-major suscite de plus en plus de critiques. On répète les slogans habituels le concernant. On insiste en distinguant bien l’armée de son chef, en criant sans interruption : djeich chaab khawa khawa Gaid Salah m3a lkhawana (peuple, armée frères frères, Gaid Salah avec les traîtres) ; eldjeich dialna El Gaid khanna (l’armée est notre et Elgaid nous a trahi). On chante le long du parcours dez m3ahoum Gaïd Salah (va au diable Gaid Salah).

Les manifestants ont leur logique. Ils ressentent pour la première fois, depuis des décennies, qu’ils détiennent une foule d’atouts, que la force restera avec eux tant que les millions de marcheurs ne feront qu’un. C’est pour cette raison qu’ils n’encouragent pas l’émergence de leaders qui pourraient devenir à court terme une source  de division de la protesta.

Dans la rue ils se concertent et se disent : si les militaires ont le malheur de tirer, ne serait-ce qu’une balle, ils passeront inévitablement sous les fourches caudines du Tribunal Pénal International (TPI). Leurs prédécesseurs de 1992, ont échappé de justesse à la justice internationale, mais en revanche, eux, ne s’en tireront pas.

A partir de là, la marge de manœuvre de l’état-major est limitée. Trainer 20 millions de manifestants en prison demeure assez complexe. Le pouvoir ne peut que reculer devant la détermination de tout un peuple. Les manifestants comprennent bien ces tenants et les aboutissants.

Le peuple manifestant est très clair et explicite quant à ses revendications, sans appel, dans le message qu’il  lance à son armée : il rejette l’élection du 4 juillet, désire un changement pacifique, d’un pouvoir militaire vers un pouvoir civil, par l’organisation d’élections libres et propres, sans les personnes représentatives de l’ère Bouteflika ; c’est la réponse du berger à la bergère.

 

Auteur
Djalal Larabi

 




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