Lundi 26 février 2018
Les aveux d’échec de M. Temmar
Les déclarations de l’ancien ministre pendant plus de douze ans à la tête du secteur économique, sont pour le moins troublantes puisqu’il affirme en même temps avoir mis les réformes en œuvre mais qu’elles n’ont pu atteindre leurs objectifs faute de les avoir interrompues et ne pas les avoir achevées ! Mais pour comprendre ses propos très contestables et surtout ubuesques, il faut d’abord revenir sur ce que l’équipe des trois économistes (H. Temmar, A. Benachenhou et C. Khelil) et demi (M. Medelci comme secrétaire) ramenée de l’étranger dans les bagages présidentiels en 1999, ont élaboré et baptisé «le programme économique du Président de la République». Ce programme, signé par ordonnance présidentiel, a été adopté, sans débat, par la coalition (1) gouvernementale (FLN, RND, Hamas) qui a implosé par la suite, du fait de ce péché originel.
En effet, chacun des partis, composant la coalition, avait sa propre doctrine économique et sociale et certaines orientations de leur programme étaient en contradiction fragrante avec le « programme économique du Président de la république » imposé, comme par exemple sur le dossier des privatisations, des transferts sociaux, des subventions et du soutien des prix, des investissements publics, privés, étrangers… Quant aux autres acteurs économiques et sociaux, à savoir principalement, l’UGTA et les syndicats patronaux publics et privés, ils ont tous applaudi à tout rompre (2), chacun espérant secrètement capter une part maximale de la rente qui se profilait, à travers ce programme. Seul le CNES , sous la présidence de feu M.S. Mentouri, avait émis des réserves sur ce programme, dans ses différents rapports d’évaluation des politiques publiques, ce qui s’est traduit par sa démission «forcée» et le musellement hermétique de l’activité et du fonctionnement du CNES et de ses organes statutaires (3), depuis maintenant plus de quinze ans, par son nouveau Président feu M. S. Babès (4).
Dès lors, il est nécessaire de procéder à l’examen sérieux, précis et serein de ce programme, afin d’en tirer quelques conclusions utiles à la compréhension de la situation économique et sociale actuelle, près de vingt ans après sa mise en œuvre afin d’en apprécier les résultats enregistrés. Avec plus de 1.000 milliards de US$ de recettes d’exportations engrangées, par notre pays, pour la période (ce chiffre n’est validé par aucune source crédible d’évaluation), il paraît nécessaire de faire le bilan du programme et d’en tirer les éléments saillants car ce qui est mis en cause aujourd’hui, ce n’est pas tant le volume des ressources financières rares englouti mais bien son impact sur la situation économique et sociale de notre pays, aujourd’hui.
Or, l’analyse minutieuse du « programme économique du Président de la République » dont Hamid Temmar s’estime être le « père » (5), nous démontre qu’il n’est en fait qu’une agrégation de projets d’investissements sans aucune cohérence ni logique interne, sans vision stratégique de développement durable avec des objectifs arrêtés, à moyen et long terme. Cette tare originelle va développer sa propre logique et se traduire par, d’une part, l’aggravation des déséquilibres internes sur les différents segments de marchés et d’autre part, par une vulnérabilité accrue de notre appareil de production, ne nous laissant comme seule variable d’ajustement que celle des prix de l’énergie sur le marché international.
Dès lors, notre pays va enregistrer une croissance économique molle malgré une dépense publique phénoménale, jamais égalée dans son histoire ! En fait, cette formidable demande solvable va profiter aux seules entreprises étrangères (6) qui vont accaparer les marchés publics par tous les moyens (7) et seules quelques miettes seront distribuées à la production nationale publique et privée (8). Mais plus grave encore, en plus d’organiser leur propre dépendance vis-à-vis de l’étranger, les parrains de ce programme ont précipité la destruction de l’appareil de production national (9) par la concurrence sauvage et déloyale qui lui est imposée, avec un impact direct sur l’emploi et le niveau général des prix relatifs, faisant entrer notre économie dans une spirale inflationniste d’une extrême dangerosité, à moyen terme. La seule parade, à ce suicide économique, trouvée par l’appareil de production nationale pour ne pas disparaître, c’est de se livrer «corps et âme» à la sphère marchande avec son lot de spéculations, de marchés parallèles et d’activité dite « import-import ». A partir du moment où la sphère marchande engendre des superprofits, par rapport à celle productive, il n’est pas anormale que les opérateurs économiques se concentrent dans cette première.
Dès lors, les dernières déclarations de H. Temmar sont ubuesques dans la mesure où il a eu non seulement les ressources financières nécessaires à la mise en œuvre réformes mais également le temps suffisant (plus de douze ans) et enfin le soutien politique du Président de la république. Le résultat est sans appel sur les différents marchés et la diminution de nos recettes extérieures est venue mettre à nu les incohérences profondes du programme et ses irrationalités criardes. Pour ne pas tomber dans les travers d’une polémique stérile, posons-nous les seules questions qui vaillent la peine d’être posées : Le niveau actuel de croissance et d’emploi, dans notre pays, sont-ils satisfaisants qualitativement et quantitativement et répondent-ils aux besoins de la demande nationale ? Notre dépendance et notre vulnérabilité économique a-t-elle reculé ou s’est-elle accentuée ? La désindustrialisation s’est-elle estompée et notre dépendance alimentaire diminue-t-elle, après quinze ans de mise en œuvre de ce programme et les milliards de US$ investis ?
A partir du moment où vous organiser votre économie sous la forme rentière et que vous construisez votre croissance sur l’importation de biens et services, il est évident que la variable d’ajustement va se concentrer autour de vos recettes d’exportations et toutes perturbations sur ce marché entraineront une crise économique interne qui va s’aggraver jusqu’à la rupture de la paix sociale. Cette formidable demande solvable, en biens et services, qui aurait pu faire le bonheur de notre appareil de production et des jeunes générations, dans tous les segments de métiers, se trouve orienter, par les pouvoirs publics, en direction des firmes étrangères (10), sous prétexte que l’appareil national de production est incapable de répondre à cette dernière quantitativement et qualitativement. Mais la question qu’il fallait résoudre c’est la prise en charge de la mise à niveau de ce dernier et les politiques mises en œuvre pour booster cet appareil de production, tous secteurs confondus et dans tous ses compartiments (ressources humaine, innovations, recherche développement, partenariat, coaching, réglementation, financement, accompagnement technique, sous-traitance…) ? Comment organiser et structurer la demande nationale afin de toujours impliquer, de quelque manière que ce soit, appareil de production national, de manière à le rendre performant, vis-à-vis du marché national dans un premier temps et en prévision de l’exportation, reste et demeure la question cruciale à laquelle les quinze ans de réformes n’ont pas répondu !
Le système monétaire et financier a été curieusement mis à l’écart des réformes et la loi sur la monnaie et le crédit a été revisitée, à maintes reprises, pour chaque fois la vider de sa substance et de son opérationnalité. Avant de quitter le ministère des finances A. Benachenhou, avait fait une déclaration fracassante « les banques publiques sont un danger pour la sécurité nationale ! ». Quelles mesures concrètes ont été prises pour remédier à ce fléau ? Comment peut-on réformer l’appareil de production sans commencer par la réforme du système monétaire et financier ? Toutes les tentatives de réformer le système bancaire ont été renvoyées sine die et leurs artisans dégommés sans autres formes de procès. Que sont devenues les réformes des finances publiques et les interventions de l’état régulateur ?
A cet endroit également, en quinze ans d’exercice du pouvoir les choses n’ont pas bougé voire elles ont empiré du fait des pratiques bureaucratiques lourdes et de la « démocratisation de la corruption ». Seule l’usage de la rente pétrolière et de son affectation a fait l’objet d’une réforme drastique après la création du FRR, compte spécial du Trésor, qui ressemble à une « caisse noire » entre les mains du seul Président de la république. La messe est donc dite, la contestation de l’usage de la rente pétrolière et de sa répartition, relève théoriquement des prérogatives du Pouvoir législatif. A partir du moment où ce dernier ne joue pas son rôle, l’émeute devient l’expression populaire politique de cette revendication et la part obtenue de cette manne, reviendra à la manifestation la plus destructrice ou qui risque de remettre en cause le régime.
– Le résultat est sans appel sur la facture des importations qui ne cesse d’augmenter, couverte uniquement par la rente pétrolière. A un niveau inférieur à 80 US$ le baril, nos réserves de change seront réduites à zéro en laps de temps qui n’excédera pas les deux années… que ferons-nous alors ? Or, parmi les incantations introduites par le programme économique du Président, la réduction de la dépendance, vis-à-vis des hydrocarbures, figure en bonne place mais les résultats sont l’inverse de ce qui a été affiché, puisqu’entre 1999 et 2013, cette dépendance s’est accélérée et chose plus grave, elle s’est élargie à des biens et services qui étaient produits traditionnellement en Algérie.
– Face à la croissance des investissements publics, l’Algérie a beaucoup perdu en raison d’une prolifération de l’informel, de la corruption, de détournements de fonds et de dilapidation de deniers publics. Jusqu’à quel point la relance de l’économie algérienne a pu en être impactée?
J’insistais au début de cette interview, sur l’analyse minutieuse du programme économique du Président de la République, comme pièce centrale du dispositif économique et social pour notre pays depuis 1999. Or, il s’agit, en fait, d’un dispositif de prédation dont nous découvrons, aujourd’hui, les premiers contours, par fuitages interposés (8) et sous la forme d’épisodes à la «Dallas» (9). Ce Programme économique, pour être crédible, aux yeux de l’opinion nationale et internationale, devait obligatoirement être conçu par des compétences avérées indiscutables et des signatures connues et reconnues, sachant, par ailleurs, que le Président de la République est hermétique à la chose économique. Ensuite, il devait frapper l’imaginaire collectif par deux conduits chers au cœur des Algériens: Ses besoins pressants et sa dignité retrouvée. La réalisation d’un million de logements (10), par exemple, lors du premier mandat, relève de la logique du premier critère. Le prêt de 5 milliards de US$ au FMI relève du second.
Pour donner du grain à moudre aux courtisans constitutifs de notre classe politique, toutes catégories confondues (partis politiques, députés, sénateurs, syndicats, appareils, mouvement associatif…) et leur permettre de justifier leurs dépenses, il était impératif d’inscrire cette démarche dans une rengaine pour «bal populaire» (zarda), afin de fêter la paix et la fraternité retrouvées, après une décennie noire, durant laquelle notre pays a conjugué au quotidien le sang, la cendre et les larmes… Or, il s’avère que seuls le marché informel (11), la corruption généralisée, les détournements divers, la dilapidation organisée, ont été les acteurs effectifs de cette «décennie de développement» et les bénéficiaires sont toutes les forces économiques et sociales qui ont soutenues cette politique. Le constat est sans appel ! Même si l’impact de la prédation et de son niveau doivent faire l’objet d’une analyse sereine et fine, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que plusieurs points du PIB escompté, ont été détournés vers ce sanctuaire accessible seulement à une caste au pouvoir. A l’évidence, elle n’a pas du tout envi que cela change ou cesse et plus grave encore, qu’elle ne souhaite pas être amenée à rendre des comptes un jour. Dès lors, sans changements systémiques toute politique de relance économique ne pourra que s’inscrire dans une logique de perpétuation des rentes et d’une lutte impitoyable pour son partage entre les clans du Pouvoir.
Renvois
(1) Les déclarations des organes de direction des trois partis sont là pour attester de leur adhésion totale à ce programme, en faisant violence à leur propre programme.
(2) L’allégeance des syndicats patronaux et ouvriers se trouve dans les résolutions que chaque organe a fait entériner à sa base lors de leurs assemblées respectives.
(3) Le Conseil National Economique et Social a pour organes statutaires, le Bureau, les six Commissions spécialisées et les groupes socioprofessionnels.
(4) L’activité à cette époque se résumait à faire l’apologie des décisions gouvernementales avec un groupe de cadres non élus et corvéable à merci. Lire notre article sur el-Watan intitulé « l’administration du CNES et la zaouïa de Sidi Zerzour » du 14.06.11.
(5) Il faut, à cet endroit, rappeler que des rivalités théoriques, idéologiques et techniques sont apparues clairement entre H. Temmar et A. Benachenhou. C’est le premier qui a eu le dessus de par sa relation intimiste avec le Président (ancien du MALG à Oujda). Le second fut écarté peu de temps après.
(6) La balance des paiements enregistre, entre autres, les flux des capitaux de notre pays et son analyse nous permet de quantifier le rapatriement des bénéfices que les firmes étrangères transfèrent chaque année.
(7) La corruption intérieure et extérieure va structurer la distribution des marchés et leur répartition par entreprises et par pays.
(8) La répartition des marchés publics entre les oligarques va répondre à des critères très précis de proximité des cercles concentriques du pouvoir et de leur contribution à leur consolidation.
(9) Les entreprises privées, dans notre pays, sont incitées à activer essentiellement, dans la représentation de biens et services étrangers. Les études fournies par le CNRC sont significatives à cet endroit, puisque les entreprises commerciales sont très largement majoritaires.
(10) Dans la rédaction même des appels d’offres, est organisée l’exclusion de l’appareil de production national.
(12) Cet ingénierie de communication de type «Sonatrach 1, Sonatrach 2…», nous rappelle étrangement la période du mandat du Président Zéroual où les «affaires Betchine» nous étaient servies, via la presse, tous les vingt jours, sur une période de six mois, avant sa démission.
(13) Malgré le recours effréné aux entreprises étrangères de réalisation, moins de 700.000 sur un million logements, seront achevés, lors de la première mandature.
(14) Voir notre article du 5 juillet 2012 et notre interview des 17 au 23 septembre 2013, sur le sujet, sur El-Watan.